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Thérésa


Chapitre 19

Les coulisses de l'Alcazar. L'entrée des artistes. Mon directeur. Le foyer des artistes. Mes camarades. ? Ma loge. Une Thérésa. Mon poète ordinaire. Comment, je fis sa connaissance. Ses ouvrages. Mes compositeurs. Hervé. ? Villebichot. Sa musique. Notre collaboration. Hubans. Les jeunes gens. Mon genre. Celles qui étudient ma manière. Mes élèves. Ce que je pense de moi. Le mot d'un pompier.


I

Veuillez me suivre, ami lecteur.

Entrez dans la salle, prenez à gauche, vous trouverez à côté du buffet une petite porte, assez grande pour un fifre.

Gare aux chapeaux!

On descend quinze marches et l'on s'engage dans un étroit couloir souterrain qui traverse l'Alcazar dans toute sa longueur.

Nous voici devant un étroit escalier.

Montons.

Poussez une petite porte, entrez.

Vous êtes dans les coulisses de l' Alcazar.

II

Il est aussi difficile de pénétrer dans les coulisses de ce café chantant que dans celles des vrais théâtres.

A mesure que son établissement devient plus important, mon directeur devient plus rigoureux.

M. Goubert est partout.

Il est à la fois directeur et régisseur. Homme intelligent et actif, M. Goubert ne se fie qu'à lui-même.

III

Entrons au foyer des artistes.

Il est petit, mais gentil. Ici se réunissent des chanteurs qui vivent généralement en bonne harmonie.

Moi, je parais ordinairement vers neuf heures; j'arrive tard au théâtre, je m'habille, je chante... je me repose, ? car on se fatigue beaucoup à ce métier, ? et je chante encore.

Je n'ai pas le temps de flâner beaucoup au foyer.

Cependant j'y ai passé de charmants moments avec les autres artistes, et je dois à la vérité de dire qu'ils sont tous très-aimables pour moi.

D'ailleurs, si j'ai du succès, je dois ajouter que je n'ai jamais cherché à nuire à mes camarades, qui tous ont, du reste, leur valeur et leur clientèle.

M. Goubert tient à avoir de vrais artistes, et il réussit souvent.

IV

Comme toutes les loges d'actrices, ma loge est toute petite; c'est à peine s'il y a place pour une commode, un divan et deux chaises.

Derrière un rideau se trouvent suspendues les robes que je mets alternativement.

Je reçois peu de monde dans ma loge.

De temps en temps, un journaliste vient perdre un quart d'heure sur le théâtre, et me dit bonjour en passant.

Je n'offre à mes visiteurs qu'une simple limonade de ma composition et à laquelle on a donné mon nom.

A l'Alcazar, on appelle cette consommation UNE THÉSÉSA.

V

Entre mes deux chansons, j'ai une demi-heure à moi.

Les auteurs et les compositeurs de mes chansons viennent me rendre visite.

Je dois mes plus grands succès à Houssot.

Houssot est peintre; c'est un homme jeune encore, le type de l'artiste galet insouciant.

Il me fut présenté un soir par un éditeur.

Houssot m'offrit une chanson qui me plut énormément.

Son titre était : Rien n'est sacré pour un Sapeur.

Vous savez le succès. Depuis ce temps, Houssot est devenu mon poète préféré; il m'a donné successivement : 0n y va! l'Espagnole de carton, Ça n' peut pas durer comme ça! etc., etc.

VI

Mes compositeurs sont nombreux.

Hervé m'a fait de la jolie musique; il est assez connu pour que je puisse passer à un autre.

Celui-là est le musicien modeste par excellence : il s'appelle Villebichot.

Ses mélodies sont faciles, agréables, entraînantes.

Il a le sentiment de la chanson par excellence; mais comme je sais mieux que personne ce qui convient à mon genre de talent, je me permets quelquefois des observations que Villebichot accepte avec beaucoup d'empressement.

Jamais l'amour-propre ne se met de nos collaborations, car Houssot, Villebichot et moi nous n'avons qu'un but : le succès.

Houssot représente la poésie gaie.

Villebichot la musique joyeuse.

Et moi j'apporte mes instincts naturels et mon expérience du public.

Je dois aussi quelques jolies mélodies à M. Hubans, l'excellent chef d'orchestre de l'Alcazar.

VII

J'ai vu dans ma loge des hommes du meilleur monde, qui ont daigné m'inviter à dire quelques chansons dans leurs salons.

Ici la discrétion doit être absolue.

Quelquefois des compositeurs ou des artistes des théâtres lyriques qui se trouvent dans la salle quand je chante, prennent la peine de monter dans ma loge et de m'adresser des compliments dont je suis fière et heureuse.

Bien des fois encore, de jeunes poëtes ou de jeunes musiciens viennent me présenter des ouvrages que j'examine avec le plus grand soin.

VIII

J'ai créé un genre qu'on appelle dans le monde des cafés-concerts le genre Thérésa :

Comment le définir?

C'est impossible; je ne m'explique pas moi-même ma popularité.

Je vois les effets, mais j'ignore les causes.

Depuis qu'une suite de circonstances imprévues m'ont faite ce que je suis; depuis que je gagne de gros appointements par mon simple talent, la position de chanteuse du genre Thérésa est devenue la position la plus enviée dans les cafés-concerts.

Il est des jeunes filles qui viennent m'entendre chanter pendant six mois.

Quand elles ont surpris mes gestes et ma façon de dire, elles s'en vont en province essayer les Thérésa.

D'autres encore viennent me demander des leçons, en m'offrant soit de l'argent, soit une reconnaissance éternelle, si je veux consentir à leur apprendre ce que je sais.

Quant à l'éternelle reconnaissance, je ne crois pas pouvoir la mériter.

Que voulez-vous que je leur enseigne?

Je n'ai jamais pris de leçon... je n'ai jamais étudié... j'ai suivi ma vocation et ma nature.

Si mon succès a surpris bien des gens, il m'a étonnée plus que les autres.

Et je suis arrivée à cette conclusion : qu'il faut, pour plaire au public, avoir des qualités qui ne s'acquièrent pas et qui font de vous une artiste qui ne ressemble à personne et ne procède d'aucune manière.

IX

Souvent aussi, je reçois la visite de concierges éplorées, qui me supplient de guider leur fille dans la carrière artistique qu'elle veut embrasser.

Elles me disent que la fortune de toute une famille est entre mes mains, qu'il dépend de moi de faire de leur demoiselle une artiste aimée du public, qui gagnerait des cent mille francs par an.

On me fait des promesses... on supplie... on pleure souvent.

Tous ces gens se figurent que j'ai une baguette magique qui transforme en un clin d'œil une fille de concierge en une artiste de talent.

Et quand je refuse, l'attitude de la personne change :

On ne supplie plus... on menace!

On n'encense plus... on injurie.

On dit que la jalousie me ronge et que j'ai peur de me voir une rivale.

Pauvres insensés! je n'ai même pas le courage de les faire mettre à la porte !

X

On sait que plusieurs pompiers sont de faction sur toutes les scènes.

Dans ma chanson On y va! il y a un couplet sur les amours d'une bonne et d'un pompier.

Depuis que je chante cette petite chose, les pompiers m'ont prise en grande affection.

L'un d'eux me disait, l'autre jour, après ma chanson :

- Ah! mam'zelle Thérésa! tâchez donc de mettre le feu chez vous pour que j'aie l'honneur insigne de sauver votre mobilier !
 

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