Thérésa
Chapitre 18
Les journalistes. Le premier article. Le Nain jaune. M. Albert Wolff. Ma réponse. Le Petit Journal. M. Timothée Trimm. La Nation. M. Auguste Villemot. Un ennemi terrible. Mon opinion sur cet écrivain. M. Aurélien Scholl. M. de Langeac. Ma réponse à M. Villemot. Mon opinion sur la critique. M. de Pène. M. Henri Rochefort. M. Ernest Blum. M. Louis Huart. M. Pierre Véron. M. Maillard. Le Tintamarre. M. Léon Rossignol. M. Peragallo. La Société des Auteurs dramatiques. M. de Saint-Georges. Insultes d'un musicien. Le Figaro-Programme. M Jules Prével. Le Club. M. de Villemessant.
I
La presse, qui jusqu'alors avait dédaigné les cafés-concerts, commençait, elle aussi, à s'occuper de moi.
Un matin, en ouvrant le Nain jaune, je fus surprise de trouver dans ce journal un article de M. Albert Wolff, que je ne connaissais pas alors, et qui parlait de moi avec une extrême sympathie.
Cela me fit un plaisir extrême.
C'était la première fois que je voyais mon nom imprimé dans un journal; aussi, j'adressai sur-le-champ à M. Wolff la lettre suivante :
II
"Monsieur,
Voudriez-vous permettre à Thérésa, l'humble artiste de l'
Alcazar, de vous remercier bien haut pour l'article bienveillant que vous avez daigné lui consacrer dans le dernier numéro de votre journal ?
"Certes, elle n'ignore pas combien peu elle mérite de tels éloges, mais laissez-la vous exprimer tout le prix qu'elle attache à faire mentir la tradition dont vous parlez dans votre article, et combien elle serait peinée que vous pussiez lui appliquer un jour ces deux vers de notre grand fabuliste :
"Allez ! vous n'êtes qu'une ingrate;
Ne tombez jamais sous ma patte. "
Encore une fois, merci, monsieur, de votre article, qui est pour moi un cadeau royal, et croyez à votre toute reconnaissante
THÉRÉSA.
3 janvier 1864."
III
Cette lettre était l'expression de ma pensée intime. Déjà je rêvais d'autres articles aussi bienveillants que le premier; je me disais avec un juste orgueil que la presse allait consacrer la réputation que le public avait commencée.
En effet, quelques jours après, je reçus la visite d'un des écrivains les plus populaires de ce temps, M. Timothée Trimm.
Je connaissais M. Trimm, dont le véritable nom est Léo Lespès, par ses nombreux écrits, car je lis beaucoup, et surtout les spirituels journaux qui devraient s'appeler la grande presse, et qu'on appelle à tort les petits journaux.
M. Léo Lespès ou Timothée Trimm a une tête fort sympathique; il s'habille d'une façon un peu excentrique, c'est vrai, et, tout d'abord, je le jugeai par sa cravate rouge et ses larges vêtements, et je crus avoir devant moi ce qu'on appelle dans le monde artiste un poseur.
Bientôt j'acquis la conviction que M. Trimm était un excellent homme, tout disposé à me prendre sous sa protection. Il eut l'obligeance de m'adresser quelques compliments, et, deux jours après, parut dans le Petit Journal un premier-Paris sur Thérésa.
IV
Jugez de ma joie.
Elle ne devait pas durer longtemps.
En effet, vingt-quatre heures après, on m'apporta une grande feuille, la Nation, dans laquelle M. Auguste Villemot me maltraitait de la belle façon.
C'était la première fois qu'on m'attaquait dans un journal, et l'attaque était violente.
Je cédai à un premier mouvement, et j'adressai à M. Villemot la lettre qu'on va lire.
La lettre écrite, il fallait trouver un journaliste qui consentît à la publier.
Quelques amis me conseillèrent de m'adresser au Nain jaune, qui était alors dans toute sa vogue, et qui m'avait déjà donné un premier gage de sa sympathie.
Je m'en fus donc dans les bureaux de ce journal, et j'y trouvai M. de Langeac, un homme du meilleur monde, un aimable écrivain, qui me reçut avec une exquise politesse.
Quelques instants après, M. Scholl survint. Je connaissais le directeur du Nain jaune comme journaliste et comme romancier.
Il me reçut avec une parfaite courtoisie; et, dans le premier numéro qui suivit ma visite, se trouvait la lettre suivante
V
"A monsieur le directeur du NAIN JAUNE.
Monsieur,
J'espère que le Nain jaune ne me refusera pas une petite place où je puisse me défendre contre des attaques injustes et violentes.
Avez-vous, par hasard, entendu parler d'un journal appelé la Nation?
C'est dans cette feuille que M. Auguste Villemot s'amuse à me hacher menu comme chair à pâté.
Si M. Villemot avait dit que je chante faux et que je n'ai aucun talent, je l'aurais trouvé sévère, mais je n'aurais soufflé mot, attendu qu'il était dans son droit, et que nul plus que moi ne respecte les droits de la critique. Toutefois, l'honorable rédacteur de la Nation me semble en franchir les bornes aujourd'hui.
Je ne m'arrête pas au reproche de maigreur qui m'est adressé. M. Villemot, que je n'ai jamais vu, mais qui passe pour l'un des plus jolis garçons de Paris, a le droit de se montrer difficile à l'égard des femmes. J'arrive tout de suite au second reproche, beaucoup plus singulier, celui de chanter à l'
Alcazar. Une artiste qui veut vivre sérieusement de sa profession est bien obligée de chanter là où on l'engage, là où on la paye. Je ne demanderais pas mieux que de signer un magnifique traité avec l'Opéra-Comique, et je serais très-reconnaissante à M. Villemot s'il voulait m'en faciliter les moyens.
D'ailleurs, n'aurais-je pas quelque droit de répondre, sans autre explication, à M. Villemot :
- Vous écrivez bien à la Nation, pourquoi ne chanterais-je pas à l'Alcazar?
J'ai toujours entendu dire que la mission du critique était d'encourager les efforts des artistes, de leur indiquer ce qu'ils faisaient bien et ce qu'ils faisaient mal, afin qu'ils puissent travailler et s'améliorer ; en un mot, que le critique était un conseiller.
En bonne conscience, est-ce conseiller une chanteuse que lui dire qu'elle a toute la distinction d'une écaillère, et que sa méthode procède de la Courtille?
Toute personne de bonne foi fera la même réponse à ma question. Il est à peine nécessaire d'ajouter que je suis une chanteuse de genre, que je suis vouée aux paysanneries, et qu'il me semblerait souverainement ridicule de ramasser l'éventail de Célimène pour chanter le Rossignolet ou le Chemin du Moulin.
Agréez, monsieur, avec tous mes remercîments, l'assurance de mes sentiments bien dévoués.
THÉRÉSA.
Paris, le 13 janvier 1864."
Je donne à cette lettre une place dans ces Mémoires parce qu'elle réfute, une fois pour toutes, le reproche qu'on me fait sur ma manière de dire mes chansons, et non pour céder à un sentiment de haine contre M. Villemot.
J'avoue que j'avais d'abord l'idée de me venger dans ce livre des attaques que M. Villemot n'a cessé de diriger contre moi dans tous les journaux dont il dispose.
C'est un parti pris.
M. Villemot ne comprend pas mon succès, et il a peut-être raison.
Voilà tout.
VI
Mais j'aurais mauvaise grâce à nier sa valeur.
Je pense qu'il n'y a pas de fumée sans feu, et qu'au Temps ou à l'
Alcazar, le public n'aime que, les artistes qui méritent ses sympathies.
D'ailleurs, une année s'est écoulée depuis la lettre qu'on vient de lire, et, j'ai compris, depuis, que je n'avais pas le droit de m'insurger contre l'opinion personnelle d'un écrivain, et qu'il ne m'était pas permis de suspecter sa loyauté. Je dois beaucoup à la presse, elle m'a fait trop de bien pour que je veuille me souvenir des rares articles malveillants.
Aussi je ne réponds plus à aucune attaque.
Une seule fois, j'ai encore protesté publiquement contre une agression dans un journal. On verra plus loin en quelles circonstances.
VII
Je serais ingrate si je ne remerciais ici tous les journalistes qui m'ont fait l'honneur de s'occuper de moi : M. Henry de Pène, le courriériste de l'Indépendance belge, et directeur de la Gazette des Étrangers; M. Henri Rochefort, l'étincelant chroniqueur du Figaro; M. Ernest Blum, l'infatigable rédacteur dit Charivari, et, son spirituel rédacteur en chef, M. Louis Huard, M. Pierre Vérin et tous les autres.
VIII
C'est à M. Maillard que je dois la bienveillance de M. de Pène.
M. Maillard est un des journalistes les plus répandus de Paris; on le voit partout, à l'Opéra et au Casino-Cadet, aux Italiens et à l'
Alcazar.
Il est constamment à la recherche de l'inconnu, et, en société avec M. de Pène, il a lancé plus d'une femme qui, grâce à ces deux écrivains, est arrivée à une réputation... bonne ou mauvaise.
IX
Un journal qui m'a été constamment hostile, c'est le Tintamarre, mais je le lui pardonne, car son directeur, M. Commerson, et son principal rédacteur, M. Léon Rossignol, m'ont souvent fait rire, et vous connaissez l'axiome : le rire désarme.
D'ailleurs, je sais que le Tintamarre est un défenseur de l'art pur.
X
Dans ce chapitre sur mes rapports avec la presse doit nécessairement se placer un incident récent.
Un soir, je reçus dans ma loge la visite de M. Peragallo, l'agent des auteurs dramatiques, qui vint me demander mon concours pour une représentation qui devait avoir lieu au théâtre du Châtelet, au bénéfice de la Société des Auteurs.
Je fus très-flattée de cette invitation, qui m'attira, dans le Figaro-Programme, une violente attaque personnelle. Un musicien inconnu s'était permis de protester coutre le concours d'une simple chanteuse de café-concert.
Cette fois-ci, je n'avais pas affaire à un journaliste.
Aussi répondis-je à mon adversaire de la belle façon dans le Club, où je retrouvai deux anciennes connaissances, MM. Scholl et Langeac, ainsi que M. Wolff, que, peu de jours auparavant, j'avais vu pour la première fois.
Il faut que j'ajoute que M. Jules Prével, rédacteur en chef du Figaro-Programme, n'avait pas attendu l'apparition de ma réponse dans le Club, pour protester, dans son journal, contre l'inqualifiable sortie de ce musicien que je ne veux pas nommer, car j'aime mieux lui laisser le soin de faire connaître son nom au public.
XI
La publication de ma lettre dans le Club m'a révélé l'existence d'un protecteur que je ne me connaissais pas.
Dans le Figaro du 22 janvier, M. de Villemessant, sans aucune invitation de ma part, a bien voulu reproduire ma lettre du Club, et l'accompagner de quelques lignes bienveillantes.
Je savais depuis longtemps que tout artiste est sûr de trouver, en M. de Villemessant, un défenseur désintéressé contre les injustices dont il peut être l'objet.
Que le directeur du Figaro reçoive ici publiquement mes remercîments.
J'ai réglé mon petit compte avec la presse, et si le lecteur veut bien accepter mon invitation, j'aurai l'honneur de l'introduire dans les coulisses de l'
Alcazar.
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