Thérésa
Chapitre 11
Voyage sentimental. La Belgique et la Normandie. Un voyage en tête-à-tête. L'amour au village. Huit jours de bonheur. Une visite imprévue. Heur et malheur. Larmes. Étranges propositions. Second enlèvement. Amour qui s'éteint. Abandon. Excuses au lecteur.
I
Le soir même nous étions en route.
Grand dut être l'étonnement des camarades de mon théâtre et du café du Cirque en ne me voyant plus au milieu d'eux.
Nous voyageâmes deux mois.
Où allâmes-nous? Je ne le sais plus.
Nous étions partis pour la Belgique, et nous nous trouvions en Normandie.
J'étais étourdie de mon bonheur.
Paul m'aimait... moi, je l'adorais.
Un jour que nous étions en halte dans un petit village, aux environs de Rouen, j'étais seule dans une chambre de l'hôtel. Paul m'avait quittée pour aller prendre je ne sais quels renseignements, lorsque le garçon m'annonça qu'un étranger désirait me parler.
J'ouvris de grands yeux à cette nouvelle. Comment pouvais-je connaître quelqu'un dans ce village, et que pouvait avoir à me dire cet étranger, à moi, pauvre fille ignorée de tous?
Je donnai l'ordre de laisser monter.
La porte s'ouvrit et l'étranger parut.
Je ne le connaissais pas, et pourtant, à sa vue, mon cœur se serra et je me sentis pâlir. Il me semblait que cet homme m'apportait une douleur, et venait renverser tous mes projets d'avenir.
- Mademoiselle, me dit-il, je suis le père de celui avec qui vous avez fui Paris depuis deux mois... J'ai beaucoup couru pour vous rejoindre, mais j'aurais couru longtemps encore, car je veux vous reprendre mon fils.
- Me reprendre Paul? m'écriai-je.
- Je ne veux pas que cette liaison continue... Je pardonne et je comprends toutes les folies de la jeunesse, mais quand le côté sérieux de la vie est engagé, mon devoir est de m'interposer... Combien me demandez-vous, mademoiselle, pour me rendre mon fils?
J'eus comme un étourdissement, mon cœur se mit à battre avec force.
Cette proposition, si brutalement faite, m'avait prise à la gorge et me coupait la voix.
Du même coup, toute ma vie passée me revint dans la pensée, et je voyais de loin ce père demandant à mes amis de Paris ce que j'étais et ce qu'il fallait me dire pour que je renonçasse à l'amour de son enfant.
Voyant que je ne répondais pas, l'étranger continua :
- Je puis, dit-il, mettre une somme de vingt mille francs à votre disposition; elle est là, dans ce portefeuille; et lorsque vous aurez écrit à mon fils que vous le quittez, lorsque je vous aurai moi-même reconduite à Paris, je vous remettrai cet argent.
L'étourdissement se dissipa, et je pus enfin rentrer comme en possession de moi-même. J'éclatai eu sanglots.
- On vous a donc dit bien du mal de moi? m'écriai-je.
II
Il parut stupéfait.
- Mais... non, balbutia-t-il.
- Voulez-vous que je vous dise la vérité? repris-je; voulez-vous que je vous dise mon humble histoire?
- Oui, fit-il en me regardant avec le même étonnement.
Et je lui racontai tout.
- Si c'est ainsi, me dit-il, pardonnez-moi. Mais le danger est encore plus grand que je ne croyais... Mademoiselle, voulez-vous faire à un vieillard la grâce de lui rendre son unique enfant?
- Non, m'écriai-je, non, car vous êtes riche, vous; vous l'avez eu jusqu'à cette heure, et moi je suis sans famille, sans ami; je n'ai que lui, et, lui parti, toute ma vie est brisée... morte!
Et, quittant vivement la chambre où nous étions, je courus en affolée au-devant de Paul, et je lui criai :
- Emmène-moi, emmène-moi, ton père veut m'obliger à te quitter!
Paul me prit dans ses bras comme on fait d'un enfant, et, m'emporta.
Comment trouvâmes-nous une voiture? comment le soir même étions-nous installés au Havre? c'est ce que je ne saurais dire, tant j'étais à moitié insensée, à moitié délirante.
III
Hélas! que le lecteur me blâme s'il le veut d'avoir été aussi implacable envers un père; mais j'aimais tant, j'étais en proie à une passion si désordonnée, j'avais goûté à ce bonheur ineffable de me sentir aimée, moi qui ne l'avais jamais été, que pour garder ce bonheur, conserver cet amour, j'eusse tout sacrifié.
IV
Cela se me porta point bonheur.
Paul, au bout de quelque temps, se refroidit sensiblement.
Comment reçus-je les premières atteintes d'une si grande douleur?
Celles qui ont aimé le comprendront. Je crus qu'il n'y avait plus pour moi qu'à mourir.
J'essayai de raviver un amour qui allait s'éteignant.
Rien ne fit. Le vieillard m'avait marquée du doigt.
Enfin, au bout de trois mois, un matin, le garçon de l'hôtel me monta une lettre.
Elle était de l'écriture de Paul.
Je pâlis.
- Pourquoi monsieur m'écrit-il? dis-je au garçon.
- Il est parti ce matin, madame.
Je portai la main à mon cœur, il ne battait plus.
J'ouvris la lettre; je conservais encore une parcelle d'espérance.
C'était bien une lettre d'adieu.
Et j'étais seule, dans un pays inconnu, sans ressources.
Avec son amour, la délicatesse de Paul s'était envolée.
Je tombai malade. Comment ne suis-je pas morte, voilà ce que je ne comprends pas.
L'hôtelier eut pitié de mon état; toutefois, il ne me donna l'argent nécessaire pour revenir à Paris que contre une partie de mes effets que je lui laissai en gage.
V
Voilà mon idylle, lecteurs ; vous voyez qu'elle ressemble bien à toutes celles que vous avez connues ou que vous connaîtrez.
J'ai aimé et j'ai souffert.
N'est-ce pas assez pour que l'histoire amoureuse de celle qui chante le Sapeur ait trouvé grâce devant vous.
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