Théodore Botrel

Les petits graviers

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aroles et musique de Théodore Botrel

Éditeur : Librairie Beauchemin, Montréal (Chansons de Botrel pour l'école et le foyer) - 1903


Note : On appelle "graviers" les ouvriers qui sont chargés de faire sécher la morue sur les "grèves" (ou  "graves", mot d'origine bordelaise qui signifie : plages en galets et cailloutis). - Pour une plus longue description du travail effectué par ces "graviers", voir, sur le site de l'UdeNap, le texte de Charles le Goffic en cliquant sur l'image qui suit :


Paroles

- À quinze ans à peine, aux bancs de Terre-Neuve,
Pauvres p'tits "graviers", pourquoi partez-vous ?
- Dame ! il le faut ben : notre mère est veuve,
Et l'on n'a plus d'pain à manger chez nous !

- Quand vient février, vers les mers lointaines,
Pauvres p'tits "graviers", combien partez-vous ?
- On est, pour le moins, sept à huit centaines
Qui s'en vont là-bas... mais n'en r'vienn'nt pas tous !

- La charge complète, à la côt' bretonne
Pauvres petits "graviers", quand reviendrez-vous ?
- Partis en hiver, on rentre en automne :
Nous ne r'verrons plus les étés si doux !

- Sortis des bateaux, le cœur tout malade,
Pauvres p'tits "graviers", où débarquez-vous ?
- Entre le Cap Rouge et l'île Langlade :
C'est l'Ile-aux-Chiens qu'est notre rendez-vous !

- Pendant les neuf mois que dur'nt les grand's pêches
Pauvres p'tits "graviers", là, qu'y faites-vous ?
- Nous fendons en deux les gross's morues fraîches
Les "ébrouaillons" et leur coupons l'cou !

- Un pareil travail doit vit' vous abattre ?
Pauvres p'tits "graviers", quand reposez-vous ?
- Nous sommes debout vingt heur's sur vingt-quatre,
Pour nous réveiller on nous f... des coups.

- Mais, pour ranimer vos forc's abattues,
Pauvres p'tits "graviers", dit's, que mangez-vous ?
- On nous fait bouillir des têtes de morues...
Mais ça n'remplc' pas un' bonn' soupe aux choux !

- Quand nul ne vous aime et ne vous écoute,
Pauvres p'tits"graviers", comment vivez-vous ?
- Nous buvons, d'un coup, quéqu's boujarons d'gouttes
Et l'on s'croit heureux lorsque l'on est soûls...

- Mais en revenant dans vos maisonnées,
Pauvres p'tits "graviers", qu'y rapportez-vous ?
- Monsieur l'Armateur nous paie nos journées
À raison, comm' ça, de sept à huit sous !...

- Après tant et tant d'horribles misères,
Pauvres p'tits "graviers", rembarquerez-vous ?
- Dame, oui... nous faisons comme on fait nos pères...
Et, plus tard, nos gâs feront comme nous !