Thérésa





Libert





Amiati





Judic





Madame Rollini





Paulus

Paulette Darty

Henry Dickson



Dranem



Mayol



Fragson



Polin









La chanson francaise a la Belle Epoque


Introduction

a chanson française du temps de la Belle Époque, c'est, naturellement, "Frou-Frou", "Viens, Poupoule !", "Fascination"," La Matchiche" puis "Reviens !" et "Ah ! C'qu'on s'aimait !", avec des relents d'Offenbach et les orchestres du French Cancan ; les Folies Bergère aussi et le Moulin Rouge. - Parfois, sur les affiches de Toulouse-Lautrec, on aperçoit, au loin Bruant dans son cabaret et quoi d'autre encore ? - La musique des guinguettes de Casque d'Or, naturellement, quelques apaches, Colette et Polaire, aussi, Polaire à la taille de guêpe, née Emélie Bouchaud en 1877, décédée en 1939. - On se demande aussi si Maurice Chevalier ou Mistinguett ne feraient pas partie du lot. - Ils le font. - De même qu' Yvette Guilbert et bien d'autres aussi sauf que toute cette génération de chanteurs, de danseurs, de diseuses qui, dans notre esprit, continuent de faire leurs prestations devant des fêtards à chapeau haute forme et des femmes de petites vertus (ou des bourgeoises vêtues de noir ou en robes de soirée à crinolines) n'est pas née spontanément  le 6 mai 1889 (date de l'ouverture de l'Exposition Internationale) pour s'éteindre en 1914 à la veille de la Grande Guerre.

Dès le début des années quatre-vingt (1880), tout déjà était en place : les cafés-concerts, les salles de spectacles, les cabarets ; ne manquaient plus que les vedettes. Or, ce qui caractérise la chanson de la Belle Époque, c'est le vedettariat : la montée de l'interprète connu, celui dont, grâce à la photo et aux déplacements que permettait enfin le train, grâce au phonographe et à la publicité (voir à Rodolphe Salis), on pouvait connaître non seulement le visage et la voix mais aussi le style, le répertoire, la tenue vestimentaire et parfois même jusqu'aux détails de leurs vies, bourgeoises ou scandaleuses.

La Chanson française avait, bien sûr, connu des succès bien avant la Belle Époque : on n'a qu'à penser à "Plaisir d'amour" (1760), à "Ah ! Gardez-moi de me guérir" (1800), au "Temps des cerises" (1867) (voir la Chanson française en 50 chansons) ; des vedettes aussi : Garat, qu'admirait Marie-Antoinette et qui  fut reçu à Malmaison, sous le règne de Napoléon (et qu'il ne faut pas confondre avec Henri Garat qui allait venir beaucoup plus tard) de même que Béranger, le premier des chansonniers, cet ennemi de la royauté et de l'arbitraire et dont l'emprisonnement pour ses chansons, en 1828 ne fit que contribuer à sa gloire. Mais rien de comparable à ce qui allait venir après la Commune, lors de la réouverture des cafés-concerts.

Voir aussi à Chronologie.


Les précurseurs

Elle s'appelait Emma Valladon et elle était née en 1837 à La Bazoche-Gouet. Elle était la fille d'un musicien de guinguette et connaissait de ce fait toutes les rengaines de l'époque. Continuellement renvoyée des ateliers de mode où elle avait le malheur de se retrouver, elle rêva de devenir une chanteuse à la mode. Engagée comme figurante au Théâtre de la Porte Saint-Martin, elle passa complètement inaperçue. Elle débuta dans un tour de chant plus ou moins improvisé au Concert du Géant puis passa à l'Alcazar où, aux deux endroits, elle n'obtint aucun succès. Un soir, le patron, Goubert, la surpris au cours d'un souper en train de pasticher une romance et il la trouva si drôle qu'il décida de l'engager à nouveau mais à la seule condition qu'elle modifie en ce sens tout son répertoire. Le lendemain, le public, surpris, l'applaudit à tout rompre. - Cela se passait en 1862 et celle qu'on allait dorénavant appeler Thérésa venait de naître.

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Au lendemain de la défaite de 1870, il se présenta en tenue extravagante : habit à carreaux, godasses, chapeau rond. Sa voix vibrante, son visage comique le préparèrent à chanter des chansons idiotes que tous les auditeurs sauraient par cœur après son tour de chant. - Il s'appellait Libert et pouvait se permettre de chanter "Le pantalon de Casimir" ou "L'amant d'Amanda" (Carré - Robillard, 1876) :

Voyez ce beau garçon-là
C'est l'amant d'A
C'est l'amant d'A
Voyez ce beau garçon-là
C'est l'amant d'Amanda

Le chanteur idiot était né, de même que la scie.

"Une voix chaude, vibrante, un masque très comique, une originalité d'une allure particulière, lui ont permis de faire accepter et faire applaudir ces types fantoches. Bon comédien, il eût pu réussir au théâtre d'où lui vinrent maintes propositions ; mais il s'était rivé le faux col du gommeux au cou et il n'avait plus la force de l'en arracher." - Paulus - Mémoires - Chap. 20

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À peu près vers la même date, une jeune découverte, Amiati, chanta "L'Alsace et la Lorraine" à l' Eldorado. Elle devint la toute première des chanteuses patriotiques qui allaient faire vibrer les cœurs de ceux que la défaite de 1870 avaient rendu amers. - Plusieurs autres allaient suivre.

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Puis, incarnant les ingénues perverses, [Anna] Judic, née Anne-Marie-Louise Damiens à Semur-en-Auxois en 1849, décédée à Vallauris (quartier de Golfe-Juan) en 1911, se lança dans le sous-entendu bien avant qu' Yvette Guilbert entre en scène. - Parmi ses succès : "Ne m'chatouillez pas !" de Paul Boisselot et Adolphe Lindheim qu'elle enregistra en 1901 :

En voyag', l'autr' jour, j'eux un p'tit assaut ;
Je r'venais d'Bruxelles ;
V'là qu'à la fontrière, on m'accu' tout haut
D'passer des dentelles.
J'navais rien, j'm'empress' de nier,
Et mêm', je permets qu'on m'fouille :
Imprudent !... monsieur l'douanier...

(Pathé - Cylindre n° 3406)

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Nous n'avons pu retracer jusqu'à présent ce chef-d'œuvre (si : mais dans un état lamentable). En attendant une meilleure version, on pourra écouter une autre demi-vedette de l'époque, Madame Rollini (des Folies Bergère), soit à la page que nous lui avons dédiée ou celle sur la chanson tyrolienne (voir à la note 4).

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Et puis aussi d'autres vedettes :  Paulus, le gambilleur, Paulette Darty, la reine des valses lentes, Juliette Méaly, la créatrice de  " Frou Frou" et l'Alfred Musset du music-hall, Henri Dickson.

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Malheureusement, tous ces précurseurs ont peu ou jamais gravé de disques. Paulus n'en a gravé aucun (voir à ce propos la page que nous lui avons consacrée) et nous ne possédons aucun enregistrement de Thérésa, Libert,ou Amiati. - Paulette Darty aurait pu en graver autant qu'elle le voulait - elle en a gravé plusieurs vers la fin des années vingt - mais rien de comparables aux quatre (ou serait-ce six ?) enregistrements qu'elle s'était permise de faire de 1903 à 1905. - Juliette Méaly n'a jamais enregistré son "Frou Frou" et Henri Dickson a eu une carrière trop brève pour être endisqué convenablement (même s'il chantait encore en 1936). - Ne reste que Bruant qui, presque quinze ans après sa retraite "définitive", a consenti, en plus de quelques disques datant de 1905, à enregistrer une partie de son répertoire en 1909 et 1910. - Et puis, hélas un peu, Yvette Guilbert aussi, qui chantait encore en 1934 mais dont la voix n'a jamais été le meilleur atout et dont les enregistrements de la fin des années 1890 et du début du siècle suivant ne sont pas nécessairement authentiques...

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Que dire également d' Ouvrard (père), le créateur du style piou-piou et de tant d'autres dont on a retenu les noms, quelques photos, une affiche parfois et qui, pendant vingt, trente ans, ont su créer cet atmosphère dans lequel ont pu, dès le début du siècle dernier évoluer les grandes vedettes de la vraie Belle Époque.

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De cette époque nous reste quand même de beaux souvenirs grâce à des enregistrements effectués par la suite par des artistes qui ont su récupérer un peu les styles de ces créateurs et nous les transmettre et puis mêmes quelques voix originales enregistrées presque au hasard, chantant autre chose que ces refrains qui les ont rendu célèbre.


En voici quelques uns

(de M. de Féreaudy et R. Berger)

"Amoureuse" de Paulette Darty

Chanté par Germaine Gallois en 1905
Columbia, n° 50594.

(de Montréal-Blondeau et H. Chateau)

"Frou Frou" de Juliette Méaly

Chanté par Lucile Panis en 1908 [*]

(de G. Millandy et 'O. Crémieux)

"J'ai tant pleuré pour toi" d'Henri Dickson

Chanté par Bérard, que l'on retrouvera à la page dédiée.

Et puis, surprise :

(de F. Lémon et Zeller)

"Boudeuse" de Paulette Darty

en 1902 ou 1903 [*]


[*] Les références relatives à ces enregistrements suivront.


Les grandes vedettes

Au début du XXe siècle, les grandes vedettes ont d'autres noms. - Les plus grands s'appellent Dranem, Fragson, Mayol et Polin.

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Mais il y a aussi Dalbret, Bérard, Montel, Charlus (le forçat du gramophone), Paul Delmet et de nombreux autres (voir nos fiches biographiques) y compris un tout nouveau, Chevalier qui, avec Mistinguett, débordera sur les années vingt, trente, quarante, cinquante...

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Des comédiens-chanteurs aussi, tel Pougaud ou encore Prince.

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Et puis des danseurs, des comédiens qui feront carrière dans des revues, à l'opérette ou au cinéma, comme Max Dearly puis, plus tard, Albert Préjean.

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D'autres aussi, moins connus aujourd'hui  : Esther Lekain (1870-1960), Georgel (1885-1945), Montéhus (1872-1952),  Constantin, Noté, le baryton d'origine belge, né en 1858 ou 1859, décédé en 1922, qui faisait aussi du cabaret...

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Puis on écoutera, en attendant le reste, pour le plaisir surtout, et la nostalgie qui se dégage de cet air d'un autre monde, le début de la "Marche des Folies Bergère" par l'Orchestre des bals de l'Opéra - direction Bosc, musique de Lincke enregistrée vers 1902-1904 :

"Marche des Folies Bergère" (Lincke)

Gramophone K 124



Les styles

Serge Dillaz, auteur de La chanson sous la IIIe République (Tallandier 1991) propose le classement de la chanson au Caf'conc' en divers regroupements selon le style de l'interprète. En voici quelques-uns :

Ce classement en vaut bien un autre même si un interprète a pu avoir plusieurs styles au cours de sa carrière ou encore deux styles bien différents unis par sa seule personnalité ou, comme ce fut le cas pour Adolphe Bérard, par sa seule voix.

L'important selon nous, c'est de ne point oublier qu'avant Renaud, Higelin, Souchon, qu'avant Brassens, Brel, Bécaud, Ferré, qu'avant même Charles Trenet, Tino Rossi ou Jean Sablon, il y a eu des précurseurs, pas toujours talentueux, pas toujours à la hauteur mais combien diversifiés, surprenants d'ingéniosité et souvent géniaux.

L'important aussi est d'écouter et d'écouter avec une oreille sympathique (compte tenu des moyens techniques de l'époque), une oreille ouverte et surtout une oreille attentive.