harles Le Goffic, pourtant partial envers ses compatriotes, disait, de Botrel, que son œuvre sonnait creux à maints endroits, que sa langue était pauvre, qu'il avait une certaine prétention à l'élégance littéraire. - Il ajoute cependant qu'il était la chanson faite homme, que sa chanson était mâle, patriote, fortifiante, nostalgique... en précisant... quelquefois.
Léon Durocher, pourtant né à Pontivy, en Bretagne lui aussi, fut plus sévère et alla jusqu'à l'appeler le "Breton de Montmartre".
Certains l'ont accusé d'opportunisme, d'exploitation, d'avoir inventé de toutes pièces un folklore plus vrai que vrai et d'avoir profité de la naïveté d'un public qui croyait en son costume et en ses fausses chansons chouannes.
La vérité est qu'il fut un peu tout cela et, au départ, probablement pire, mais il a écrit et créé des chansons qui sont passées dans le répertoire de chanteurs et chanteuses aussi disparates que Mayol, Eugénie Buffet, Paul Delmet, André Claveau et Charlus et qu'il a été, pendant un long moment, chanté dans toute la francophonie.
Ses tournées au Canada français, en 1903 et 1922 furent triomphales. - Lors de sa deuxième visite, plus de cinq milles personnes l'attendaient à la gare et, pendant des années, ses chansons ont fait, au Québec, partie de tous les manuels de "bonnes chansons".
Il est né à Dinan le 14 septembre 1868 et fut élevé par sa grand-mère à Parson, hameau dépendant de Saint-Méen, ses parents étant partis faire fortune à Paris. Comme ces derniers ne firent pas précisément fortune, le jeune Théodore dut les rejoindre à l'âge de sept ans pour faire ses études chez des congréganistes avant d'être mis en apprentissage chez un serrurier d'où il passa, la vocation tardant, chez un éditeur de musique puis un joaillier et enfin chez un avoué lettré où il devient saute-ruisseau, ce qui le mit en rapport avec le milieu théâtral.
"Comme tout à coup, écrit-il dans ses mémoires inachevées, mon éducation m'apparut précaire! Oh! Il me fallait coûte que coûte la compléter. Et je me fis inscrire aux cours du soir des Associations polytechniques et philotechniques de mon quartier... Chaque soir, donc, ma journée finie, j'allais à mes conférences de 8 heures et 1/2 et de 9 heures et 1/2... [Mais] le cours postscolaire suivi le plus régulièrement par moi était celui de lecture et de déclamation. Il était fait rue Caumartin par un étrange professeur, sans grande allure mais non sans talent, nommé Marius Lainé, haut comme trois pommes, légèrement bossu, longs cheveux "à la Mendès", toujours vêtu d'une sévère redingote de notaire... Au théâtre, il eût été le plus quelconque des acteurs. Comme professeur, il était incomparable."
Vers seize ou dix-sept ans, il fait partie d'une petite troupe d'amateurs, l'Amicale des anciens de Saint-Augustin, et y fait même jouer sa toute première pièce, Le poignard, qui était encore au répertoire des patronats en 1925; un petit mélo historique, un peu noir, mais très moral, sans personnage féminin il va sans dire.
Les petits cafés où l'on chante, où l'assistance est formée des familles du quartier, l'attirent et il y dépose ses premiers textes que certains artistes s'aventurent à créer dont "Le petit bois de Kéramour", "Le duel d'oiseaux" et "La chanson de Pascalou" qu'une gloire locale, Juana, mit à son répertoire.
À dix-huit ans, sa première chanson imprimée paraît :"Au son du biniou". - Elle n'a aucun succès. - Un autre Biniou, paru des années auparavant - en 1856 pour être plus précis (paroles de Hyppolyte Guérin, musique d'Émile Durand) - était déjà connu.
Décidé de faire carrière dans les chemins de fer ou à la Banque de France, il s'engagea pour cinq ans, au 4ième de ligne, à Rennes pour son service militaire : un pré-requis.
Cette "formalité" complétée, il revient à Paris et entre tout de suite au P.L.M.[*] pour assurer son "côté matériel". Parallèlement, il suit des cours de diction, s'enrôle dans la troupe du Théâtre-Libre où, sous le nom de sa mère, Fechter, il crée divers rôles secondaires à côté d'Antoine qui allait devenir si célèbre (voir à Dranem) tout en continuant d'écrire pour l'Amicale des anciens de Saint-Augustin : "Nos bicyclettes", "Monsieur l'Aumônier"...
Des chansons ? - Il en a des dizaines mais personnes pour les chanter. Delmet, alors au Chien-Noir avec d'autres dissidents du Chat Noir (voir à Rodolphe Salis), s'intéresse un peu à lui et compose la musique de deux d'entre elles : "Les mamans" et "Quand nous serons vieux".
- Succès mais succès d'estime.
Un soir - il a 25 ans -, un des artistes n'est pas au rendez-vous. - L'un des directeurs du Chien Noir, Victor Meusy, le pousse sur scène en annonçant : "Le chansonnier breton, Théodore Botrel, dans ses œuvres." - Son tour de chant dut avoir un certain succès car quelques jours plus tard, il y est engagé à raison de cinq francs par soir. Pour rendre ses prestations plus réalistes, il revêt le bargou-braz, ce costume breton qui l'identifiera à jamais. - Il y chante "La ronde des châtaignes", "Les pêcheurs d'Islande" puis "La Paimpolaise" (mise en musique par Émile Feautrier) qu'il vend à un éditeur parisien pour la modique somme de 20 francs.
Un jeune débutant, tout frais de Toulon, s'intéresse à cette Paimpolaise et la met à son répertoire non sans voir changé quelques mots. - Ce débutant s'appelle Mayol. - Voir plus loin.
Cette chanson allait assurer la gloire, et de Mayol, et de Botrel, et allait rester au répertoire du premier jusqu'à sa mort en 1941. - Enregistrée par lui en 1903, elle fut reprise par Henri Weber la même année puis par André Maréchal en 1904, François Viannec en 1908, etc., etc. - Botrel en fit lui-même une première version en 1907 et une dernière, peu de temps avant de prendre sa retraite (définitive) en 1922.
De cette Paimpolaise jusqu'à sa mort survenue en 1925, Botrel allait composer des centaines de chansons ayant pour thèmes l'amour, la vieillesse, les charmes, la misère... du pays breton. Se sont insérés dans le lot des chants patriotiques, des chansons pour relever le moral des troupes, des prières, de petits mélodrames, bref : toute la panoplie du compositeur qui tient absolument à être chanté par tout le monde, y compris par ces dames des congrégations religieuses, les membres du gouvernement et les enseignants. - Rien de comique dans les chansons de Botrel : il fait sérieux.
Il connut un grand succès, non seulement en France mais dans toute la francophonie - on le publiait encore, au Québec, en 1958 - mais son œuvre n'a pas fait de rejetons.
Elle est disparue avec lui non pas sans avoir survécu quatre, cinq autres décennies.
Botrel est inhumé en Bretagne, à Pont-Aven (29 - Finistère).
Un album photo
Ce barde errant
Philippe Bervas - Préface d'Anatole Le Braz
Éditions Ouest-France, 2000
Et pour terminer
Botrel, barde breton et Jean Rameau, barde berrichon