Victorine par Alfred le Petit



Anastasie par André Gill


La censure

a chanson n'a pas toujours été "libre" ! Au XIXème siècle, sévissait la censure [*], un incessant balancement entre répression et libéralisation !

  • 1820, la Restauration rétablit un "délit de tendances",
  • 1830, avec la Révolution de juillet s'en vient un assouplissement !
  • 1835, une loi légalise la répression de toute représentation injurieuse du pouvoir,
  • 1848, la Révolution de février y met fin, ouvrant une période faste pour la presse satirique.

Napoléon III impose à nouveau l’autorisation préalable de publication, qui disparaîtra en 1881. L'image entrant en force dans la presse du XIXème siècle, les caricaturistes sont souvent en pointe de la lutte contre la censure, mais aussi ses premières victimes !

Georges Millandy dans ses mémoires, tout comme Paulus dans les siennes se montrent particulièrement sensibles à la censure.

En mars 1872, dans le journal LE GRELOT, Alfred le Petit caricature une vieille femme dépassée par la vitalité d’une jeune presse indisciplinée, portant journaux en corolle et plume et encrier au chapeau. La censure se prénomme alors Victorine.

Sous le dessin, un dialogue (qui renvoie aux promesses de liberté affichées en 1870 et dans la loi du 15 avril 1871) :
"La presse. – Tu m’avais promis de me laisser marcher toute seule, na.
Victorine. – Je t’avais promis… je t’avais promis… oui je te l’avais promis, mais si tu crois tout ce qu’on te promet !"

LE GRELOT appartient à la nouvelle génération de périodiques à caricatures. D’un format de 40 X 30 cm, tiré sur 4 pages, son modèle est L'ECLIPSE du dessinateur André Gill (titre qui succéda à La Lune, après son interdiction en 1868). Tiré à environ 20 000 exemplaires, vendu surtout par abonnement, LE GRELOT est composé, comme elle, outre d’un dessin pleine page en couleurs à la une, de chroniques parisiennes, de poésies humoristiques, de chansons, d’historiettes, de boutades politiques, d’articles divers de fantaisie et de petits dessins en noir et blanc. Au milieu de papiers signés de pseudonymes, on trouve le paraphe de chroniqueurs devenus célèbres, comme Jules Clarétie ou Henri Houssaye. Mais ce sont surtout les caricaturistes qui font la réputation du journal : Bertall, Delamare, Pépin et Alfred Le Petit (1841-1909).

 En juillet 1874, dans son journal L'ECLIPSE, l'illustre dessinateur André Gill en fera une des premières représentations : Anastasie [**], une vieille mégère grimaçante au sourire sournois munie de ciseaux géants et flanquée d'un rapace nocturne.[***] Les doigts d'Anastasie se terminent en griffe de rapace ! Elle est myope, à en juger par ses lorgnons. De quoi moquer des décisions arbitraires et pas forcément justifiées d’une censure qui taille à tort et à travers dans des œuvres dont elle ne comprend pas grand-chose !

Avec le temps, l'allégorie s'étoffera grâce à d’autres caricaturistes. En juillet 1874, sous la plume de Touchatout, le Trombinoscope, célèbre feuille satirique, lui ajoutera toute une famille. Il fait d’Anastasie, "illustre engin liberticide français", la fille naturelle de Séraphine Inquisition et lui donne quelques cousins : le vicomte Butor de Saint-Arbitraire, Agathe Estampille !

André Chadourne, dans son Les Cafés-Concerts au chapitre 6 rapporte un poème circulant dans les établissements que cite le grand Paulus dans ses mémoires au chapitre 24 :


Mam'zelle Anastasie
Qu'il est bien vot' lapin !
C't'anné' si fait des p'tits
Faudra m'en garder in.

En terminant, un poème Anastasie (ci-contre à droite).


Notes :
[*] Censure vient du latin censere qui signjifie, arbitrer ou mesurer la valeur, et date du 5e siècle avant Jésus-Christ !
[**] Anastasie, vient du grec et son nom signifie "résurrection" – une façon pour les auteurs et les médias de rappeler que la censure, un temps abolie sous la Révolution puis rétablie par Napoléon, ne meurt jamais vraiment ! Une autre version fait référence au pape Anastase 1er à l'origine de la censure religieuse qui interdit la lecture des livres d'Origène, auteur d'une cosmologie jugée non conforme avec la vision imposée par la Bible.
[***]La chouette, elle,évoquait les superstitions d'un âge reculé et obscurantiste.