La Bolduc
LA BOLDUC
Auteur : Réal Benoît – Éditions de l'homme – 1959
Du même auteur :
Nézon (contes), Parizeau 1945 - épuisé
TOUS DROITS RÉSERVÉS
Copyright, Ottawa, 1959
Préface de Doris Lussier
LES ÉDITIONS DE L'HOMME (Montréal)
Distributeur exclusif :
L'Agence de Distribution Populaire Enrg.
Montréal, Québec
Tél. : Lafontaine 31182
Note : Tout comme nous l'avons fait avec les Mémoires et autres textes, voici la publication de la biographie de La Bolduc subdivisée
en chapitres tel que Réal Benoît les a subdivisés lui-même. - Les auteurs
Chapitre V - La morue
Si nous reprenons la chanson de La morue au point où nous l'avons laissée, c'est-à-dire au deuxième couplet, nous aurons automatiquement la suite de notre histoire. Une suite refaite vingt-cinq ans plus tard, donc transposée et par le fait même fort loin de la vérité, Une suite plutôt folichonne, mais qui vaut qu'on la reproduise.
Donc Mary est dans le train pour Matapédia, puis Montréal.
D'après la chanson La morue, composée beaucoup plus tard, voici l'histoire de son voyage et de son arrivée.
Il y a bien longtemps que je suis partie de-là
Jamais de la vie j'pourrai oublier ça
Il y, avait un, gars que i 'aimais bien
Je v'as vous le nommer, c'est Germain le Foin.
Refrain
Il était bien grand, il mesurait sept pieds,
Il avait la tête comme une brosse à plancher,
Ça c'était du monde, parlez-moi donc d'ça.
J'le faisais danser pour une chique de tabac.
Refrain
J'vous dis que j'ai eu peur en partant de là,
Quand j'ai pris les chars pour Matapédia,
Qui cé qui vient s'assire à côté de moi ?
C'était un p'tit nègre qui bégayait...
Refrain
Bon-bon-bon bonjour ma jeune fille.
Cher-cher-cher-cherchez-vous un petit mari ?
Voilà-t-y pas la peur qui m'a pris,
J'ai sapré le camp à travers du chassis.
Refrain
J'avais pas mangé tout le long du chemin
La peur que l'avais eue m'avait enlevé la faim.
Rendue à Montréal j'rentre dans un café chinois,
J'étais pas plus avancée, j'comprenais rien...
Refrain
Une autre chanson traite de son arrivée à Quand j'ai vingt ans. En voici des extraits :
Quand j'ai eu mes vingt ans
(...) J'ai dit à mouman
C'est le temps de me déniaiser
Si je veux me marier.
Turlutage
La campagne j'ai laissé
À Montréal je suis allée
Je vous dis que ça pas été long
J'ai connu un beau garçon.
Turlutage
Il m'a invitée à souper
Chez un Chinois il m'a emmenée
Pour manger du chop suey
Pis ça sentait la landrie (laundry).
Turlutage
On ne saurait trouver dans ces mots une relation avec les faits. Remarquons seulement un thème commun à ces deux chansons : celui du restaurant chinois.
Les faits sont beaucoup plus simples, Mary est arrivée saine et sauve à Montréal. Allons l'y retrouver.
Chapitre VI - Bonne au Carré Saint-Louis
Montréal 1907.
Carré Saint-Louis, rue Laval, Mary Travers, qui vient d'arriver, lit La Presse. Marie-Anne range la vaisselle. Le docteur fume un cigare au salon.
La Presse de 1907 est déjà un gros journal et qui se vend bien. La moyenne quotidienne : 96,156 exemplaires.
Dans la cuisine de la maison bourgeoise du docteur Lesage, Mary, accoudée sur la table, donc, lit La Presse, plutôt déchiffre les manchettes.
En première page, on parle des habitants de Saint-Pierre et Miquelon. Mary en connaît, il en vient souvent en Gaspésie faire la pêche. Or dans le journal de ce soir, on annonce que les autorités des îles ont la panique devant l'exode des Saint-Pierrais et Miquelonnais en direction de Montréal. Cinq cents sont arrivés hier.
Passons.
Monsieur Médéric Martin est élu député libéral de Sainte-Marie aux Communes.
Le capitaine Bernier, explorant l'Arctique, annexe des îles de glace au nom du Canada.
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De la réclame. Les grands magasins s'appellent : Ogilvy's, Dupuis Frères, Allan, la Cie Hamilton... meubles, vêtements ; les corsets ont de jolis noms : La Déesse, La Captivante, Stella.
Une autre page.
Une réclame de disques de phonographe. Berliner - ou Victor - annonce un grand succès : La Grande messe grégorienne, telle que rendue à Saint-Pierre de Rome.
Et puis d'autres nouvelles : on parle d'annexer Maisonneuve à Montréal ; un sale Roumain abandonne sa famille dans la pire détresse matérielle ; un tramway électrique est qualifié de taponneur pour avoir taponné deux voitures à chevaux coup sur coup.
Pour faire rire les lecteurs, Mary Travers y compris, il y a les "comiques" : Monsieur Bruno chez la Modiste et Toinon et Polyte deviennent obéissants. Dans la même page, le feuilleton : Le Petit Maxime ou L'enfant volé.
Passons, passons. Voici des remèdes, pilules et sirops. Voici aussi des ceintures herniaires avec les photos de nombreuses personnes guéries après les avoir portées... Ailleurs, un peu de sport. La Bourse en quelques colonnes. Les Spectacles tiennent bien peu de place. Au théâtre on joue Tire au Flanc, Sapho, Papa La Vertu : au cinéma, on montre A Message From Mars, The Champagne Girl... et puis encore des remèdes..
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Mary baille, s'endort sur son journal, le coude sur une réclame de remède où il est dit : "le dos d'une femme n'est pas fait pour souffrir".
Et voilà. Mary a eu une grosse journée. L'arrivée, les premiers pas dans une grande ville, la réunion avec sa soeur, et cette grande maison et toutes ces manières... Pour aujourd'hui c'est bien assez. Demain il y a le travail qui commence, demain c'est la vie dure, la vie de servante dans la Métropole du Canada, en l'an de grâce 1907.
***
Si nous reprenons le journal que Mary a laissé sur la table et que nous l'ouvrons à la page des petites annonces, occupant déjà à cette époque deux ou trois pages de La Presse, nous y apprenons toutes sortes de choses et d'abord que les servantes sont en grande demande.
Il devait même y avoir un problème des servantes puisque déjà, et cela se voit dans les petites annonces, on les ménageait, les bonnes, on les traitait avec des pincettes.
La plupart des annonces mentionnent d'abord "dans petite famille". Dans un grand nombre d'annonces on trouve aussi la concession suivante : "pas de lavage, pas de repassage". D'autres vont plus loin dans le domaine des concessions en affirmant : "pas, de cuisine". Et toujours dans des "petites familles"...
Toutes promettent des "bons gages".
Sur une centaine de petites annonces lues attentivement, les "bons gages" lorsqu'ils étaient mentionnés représentaient de dix à quatorze dollars par mois, plus les privilèges usuels, c'est-à-dire nourriture, gite, lavage et, bien entendu, la lecture de La Presse.
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