La Bolduc
LA BOLDUC
Auteur : Réal Benoît – Éditions de l'homme – 1959
Du même auteur :
Nézon (contes), Parizeau 1945 - épuisé
TOUS DROITS RÉSERVÉS
Copyright, Ottawa, 1959
Préface de Doris Lussier
LES ÉDITIONS DE L'HOMME (Montréal)
Distributeur exclusif :
L'Agence de Distribution Populaire Enrg.
Montréal, Québec
Tél. : Lafontaine 31182
Note : Tout comme nous l'avons fait avec les Mémoires et autres textes, voici la publication de la biographie de La Bolduc subdivisée
en chapitres tel que Réal Benoît les a subdivisés lui-même. - Les auteurs
Chapitre XIV - "Une artiste exceptionnelle, une mère admirable" (Henri Letondal)
Dans un article paru dans le journal Radiomonde quelques jours après la mort de Madame Bolduc, Henri Letondal nous raconte comment il avait connu la célèbre chanteuse et nous dit ce qu'il pensait de ses chansons :
"Une voix s'est tue : Madame Bolduc.
"La célèbre chanteuse populaire est morte après une longue maladie, le 20 février 1941, à l'âge de 46 ans.
"C'est une grande artiste qui vient de disparaître.
"Son genre populaire, plein de gaité et d'entrain, lui valut d'être ovationnée au Canada et aux États-Unis.
"Et pourtant Mme Edouard Bolduc, artiste sincère et probe, était tenue en méfiance par un certain groupe qui ne prisait ni la spontanéité de son invention, ni les moyens qu'elle employait pour atteindre la popularité. Mais le bon peuple, lui, jugeait différemment avec un enthousiasme débordant ; il acclamait celle qui savait si bien le distraire.
"Une légende s'attachait aux chansons de Mme Bolduc, tout comme ces histoires que l'on propage dans les milieux "difficiles" où il est bon ton de hausser les épaules ; ces chansons n'avaient que le mérite de faire rire et n'étaient pas de bonne compagnie. Or, Mme Bolduc se hâte de faire mentir le dicton "nul n'est prophète dans son pays". C'était une femme très intelligente et ingénieuse. Elle sentait qu'elle avait le peuple avec elle. Dès lors elle pouvait aller de l'avant, créer de nouvelles chansons. Et d'ailleurs, elle avait la foi...
"La carrière artistique de Mme Bolduc est l'histoire d'une réussite prodigieuse qui ne doit rien au hasard. Cette Gaspésienne au grand coeur, excellente mère de famille, autant que bonne épouse, fut amenée à paraître sur une scène et à enregistrer des disques de phonographe par les circonstances mêmes de la vie. En effet, elle était très habile à chanter des chansons populaires qu'elle accompagnait elle-même sur divers instruments. Les temps étaient difficiles et pour subvenir aux besoins de sa famille, Mme Bolduc alla chanter ses propres chansons sur la scène du Monument National.
(Suivaient deux paragraphes reproduits dans les pages précédentes.)
"L'originalité de Mme Bolduc consistait à trouver des sujets amusants, parfois des sujets d'actualité et à rimer des couplets sur un rythme de gigue. Elle avait aussi la spécialité de la ritournelle comique, ce que l'on appelle communément le "turlutage".
"Ses tournées dans l'Ontario, en Nouvelle-Angleterre et dans toute la Province de Québec, affirmèrent une popularité qui ne cessa de s'accroître jusqu'à sa mort.
"Sa fille, Lucienne, me disait que jamais depuis l'entrée du sa mère à l'hôpital, les demandes d'engagements n'avaient été aussi nombreuses. Lorsque l'American School of Art vint, diffuser une émission à Montréal, le mois dernier, il fut question de Mme Bolduc et le réalisateur de l'émission voulut à, tout prix obtenir les services de notre populaire chanteuse. Malheureusement, à, ce moment-là, Mme Bolduc subissait déjà l'atteinte du mal qui devait l'emporter. Pour ceux qui l'ont connue, Mme Bolduc était d'une grande générosité et possédait un caractère loyal, sensible et bon. Elle ne donnait pas l'impression d'être "la femme de ses disques". Au contraire, elle possédait une distinction naturelle qui charmait toutes les personnes qui venaient en contact avec elle. Je me rappelle qu'un soir, j'avais à présenter des numéros dans un spectacle de "variétés" et j'avais noté le nom de Mme Bolduc au nombre des vedettes du programme. Je ne connaissais Mme Bolduc que par ses disques et ses chansons. Je demandai où elle était afin de noter les titres de ses pièces et c'est elle-même qui me répondit. J'étais en présence d'une femme très élégante, grande, distinguée, la figure encore jeune malgré les cheveux blancs qui l'encadraient. C'était Mme Bolduc ! Je m'attendais à voir une silhouette caricature et c'était, au contraire` une imposante "dame" que j'avais devant moi. Imaginez ma surprise...
"Mme Bolduc avait subi un grave accident d'automobile il y a quelques années. Sa santé était demeurée chancelante et seul son courage lui faisait entreprendre de nouvelles tournées à travers la province et les états de la Nouvelle-Angleterre.
"Elle aimait ses enfants, elle aimait son foyer. Celle qui vient de disparaître ne fut pas seulement une artiste exceptionnelle, mais aussi une mère admirable qui savait puiser à son foyer les joies les plus pures de ce monde.
"Elle laisse une famille inconsolable et des milliers d'admirateurs pour qui ses chansons demeureront de traditionnels souvenirs."
Henri Letondal
Chapitre XV - Comment elle écrivait ses chansons
Madame Bolduc puisait dans sa vie et dans la vie des gens de son époque. À sa façon, elle écrivait la chronique du temps.
Elle est peut-être de ce fait le chantre le plus populaire de cette période difficile qui va du début de la crise, c'est-à-dire les années 1927-8-9, au début de la deuxième Grande Guerre.
Elle est peut-être même le chantre le plus populaire qui ait parcouru le Canada français.
A coup sûr, les gens sérieux m'en voudront de lancer une telle affirmation. Cependant ils seront bien en peine de trouver un nom à opposer à celui de notre vedette.
Madame Bolduc était un phénomène de naturel, de spontané, de populaire authentique avec tout ce que cela comporte de drôlerie, de truculence, de vulgarité, et de poésie réaliste.
Et jusqu'ici elle reste un phénomène unique. Madame Bolduc n'avait vraiment aucune instruction, Il suffit d'écouter un seul couplet pour nous en rendre compte de quoi faire hurler le grammairien le plus exigeant.
Mais rien de surprenant à cela : après avoir reçu les rudiments du français dans une petite école du fond de la Gaspésie, elle devient bonne, à Montréal, à l'âge de treize ans. Elle parlait le français et l'anglais, mais pour ce qui est d'écrire, ce n'était pas la même chose. Elle écrivait le français comme elle parlait, et non selon les lois de la grammaire ou de l'orthographe.
Il serait donc ridicule de tenter une analyse littéraire du style, de la langue Bolduc.
On ne l'imagine pas très bien, de son vivant, recevant un journaliste, ou bien, si elle vivait encore, répondant à un interviewer professionnel de radio ou de télévision à des questions comme celles-ci : "Dites-moi, Madame Bolduc, de quel poète ou de quel chantre du passé vous réclamez-vous" ou encore : "Cherchez-vous, Madame, à transposer la réalité dans vos chansons ?"
Madame Bolduc écrivait, "composait" ses chansons comme elle vivait.
Sur le coin de la table de cuisine.
En raccommodant des chaussettes.
En lavant les enfants.
Cela venait tout seul, tout d'une pièce. SPONTANÉMENT.
Autrefois, nous l'avons déjà dit, mais il est bon de le répéter, autrefois, en famille, elle turlutait. Si le turlutage était à son goût, elle le jouait sur son violon. Dans les campagnes, jadis, on turlutait souvent pour faire danser les villageois, surtout s'il n'y avait pas de "musiciens" sur place.
Donc, elle turlutait et cela n'allait pas plus loin que la maison, la famille, les parents, les amis.
Mais les cadres ont éclaté. La province de Québec toute entière réclame des chansons.
Madame Bolduc est devenue "compositeur de chansons", avec copyright pour tous les pays y compris la Russie.
Cela commençait par une petite rengaine intérieure, un petit air qu'elle se fredonnait à elle-même, en battant du pied discrètement. Puis une phrase venait, toute simple :
Je m'appelle La petite Marie
ou encore :
La Pitoune, ça c'était une belle fille
puis une autre, tout aussi simple, qui en disait peu plus long sur l'histoire :
Je viens du fond de la Gaspésie
et encore :
Pas trop grande ni trop petite (La Pitoune)
Et ça continuait.
Couplet après couplet. Les inventions les plus cocasses, les comparaisons les plus saugrenues lui venaient à l'esprit le plus naturellement du monde. La chanson comportait un semblant d'histoire avec un commencement et une fin, mais presque toujours prise dans sa vie ou dans la vie des gens du temps.
Trois, quatre, cinq couplets, la chanson était finie.
Alors, vite elle l'écrivait au crayon sur un bout de papier, sur le coin de la table de cuisine.
De sa grosse écriture naïve, pleine de fautes.
Aucune correction, aucune rature, la chanson était faite, elle la chanterait comme ça. C'était du travail sérieux.
Les filles corrigeraient le texte, écriraient la musique sur le papier rayé. La chanson était maintenant vraiment fixée.
Bientôt imprimée sur papier et sur disques, elle serait sur toutes les lèvres. Les haut-parleurs de magasins de musique la hurleraient, l'intégrant dans le tintamarre des bruits familiers de la rue ; les victrolas, les gramophones, les orthophonics de dizaines de milliers de maisons la reproduiraient pour le plaisir de dizaines de milliers de personnes qui la chanteraient, la fredonneraient en toute occasion, jusqu'à l'apparition d'une nouvelle, d'une toute dernière création qui recommencerait le même cycle interminable.
***
Ses chansons sont grosses, elles sont souvent très vulgaires. Madame Bolduc ne reculait devant aucune grosse farce dont elle devinait instinctivement l'effet certain sur son public.
Mais, quoi qu'on dise, ce très gros esprit, cette complaisance dans la truculence, on les retrouve chez tous les peuples, et il faut bien l'accepter.
Je me souviens avoir demandé aux filles Bolduc si leur mère avait déjà été invitée à chanter devant quelque grand visiteur de marque. Elles me répondirent que non, cela ne se faisait pas dans le temps. Vingt ans plus tard, on invitera, à la table de la Reine Élisabeth, Jean Béliveau et Sam Etcheverry. Louis Cyr, l'homme le plus fort du monde avait, lui, fait une démonstration de sa force devant la reine Victoria. Or, n'en déplaise aux amateurs de spectacles sportifs, si Madame Bolduc avait été encore de ce monde, elle aurait mérité d'être à la table de la reine. Parce que, qu'on aime ça ou non, elle représente une grande partie du peuple canadien-français. D'ailleurs, qui nous dit qu'on ne l'aurait pas fait... et il en serait sorti une chanson nouvelle :
Je suis allée voir la reine d'Angleterre
Je vous de mes amis, qu'c'est une grande dame
Mais quand elle vint pour me parler
J'étais tellement gênée que j'ai pas pu dire un mot
Alors me suis mise à turluter.
Turlutage
Pis la reine, elle m'a souri
Pis elle m'a présenté son petit mari
J'vous dis qu'ça va faire un beau vieux
Si les cochons le mangent pas d'ici c'temps-là.
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