Pour cette Biographie au format *.pdf,
cliquer ici


Si vous ne possédez pas le logiciel Acrobat Reader gratuit(de la firme Adobe Systems Incorporated) qui permet de visualiser les fichiers écrits dans ce format, voir ici.

La Bolduc

LA BOLDUC

Auteur : Réal Benoît – Éditions de l'homme – 1959

Du même auteur :

Nézon (contes), Parizeau 1945 - épuisé

TOUS DROITS RÉSERVÉS
Copyright, Ottawa, 1959

Préface de Doris Lussier

LES ÉDITIONS DE L'HOMME (Montréal)

Distributeur exclusif :
L'Agence de Distribution Populaire Enrg.
Montréal, Québec
Tél. : Lafontaine 31182


Note : Tout comme nous l'avons fait avec les Mémoires et autres textes, voici la publication de la biographie de La Bolduc subdivisée en chapitres tel que Réal Benoît les a subdivisés lui-même. - Les auteurs


Chapitre XII - "Rien de grave, stop, vois aux assurances"

Les tournées se poursuivent d'année en année avec un égal succès.

De même les représentations à Montréal et à Québec. Elle chante au Monument National, au Starland, au marché Maisonneuve ; elle participe souvent à des représentations spéciales telles que les Midnite Shows données dans divers cinémas de la United et de la Confederated, comme le Dominion et autres. A Québec, elle chante à l'Arlequin, au Princesse.

Elle fait aussi de la radio, principalement à C.K.A.C. pour l'émission de la Living Room Furniture. Au poste C.F.C.F. qui avait alors un certain nombre d'émissions en français, elle chante pour annoncer les cigarettes Winchester. Elle aurait aussi fait partie de l'émission Nazaire et Barnabé.

Dans le temps des Fêtes, certains disques se vendaient par milliers. La chanson Dans le Temps du Jour de l'An atteignit un chiffre record. Cette chanson a toujours été un de ses plus gros succès.

En plus des tournées et des représentations à Montréal, il y avait toujours les enregistrements à faire et, cela va de soi, les chansons nouvelles à composer.

Elle faisait ses chansons au hasard de ses occupations, Elle en écrivait même souvent la nuit. Le lendemain matin la chanson était sur la table de cuisine. "Denise tu me noteras ça, et toi Lucienne tu me la corrigeras." Elle chantonnait l'air, et Denise notait au piano. Elle a composé plus de cent chansons.

Le succès n'avait pas tellement changé sa vie. Quand elle partait en tournée, elle laissait son itinéraire aux enfants, avec tous les renseignements nécessaires au cas où il aurait fallu la rejoindre d'urgence. Ce pouvait être l'adresse d'un hôtel, d'un théâtre, d'une salle paroissiale, voir même d'un presbytère puisqu'elle donnait beaucoup de représentations pour les curés. Si de petits drames survenaient dans la famille, on lui téléphonait... D'ailleurs elle-même téléphonait à la maison presque chaque soir.

Mme Bolduc a eu treize enfants, mais neuf sont morts en bas âge. Les enfants qui restent à la maison quand elle part en tournée sont Denise, Lucienne, Fernande et Réal.

Les enfants, heureux, vivent dans 1e sillon glorieux de la mère. Une des filles de Madame Bolduc nous dit : "Les voisins, les amis, les enfants de nos âges rencontrés au hasard nous disaient : "C'est ta mère, Madame Bolduc ? On se faisait une gloire de ça. Maman elle c'était tout le contraire, elle ne voulait jamais en faire de cas. Ça dure encore, j'ai de amis aujourd'hui quiviennent juste d'apprendre que j'étais la fille de Madame Bolduc... Pour dire vrai, c'était une femme qui était bien effacée."

Quant au père, M. Edouard Bolduc, une fois rétabli, il devint le gérant des spectacles et des tournées, tenait la caisse, voyant un peu à tout.

Et la vie continuait. Tournées, spectacles, enregistrements, avec, bien entendu, toutes sortes d'incidents et aussi, un jour, un gros accident.

Un jour, Édouard Bolduc, resté à Montréal pendant que sa femme "faisait" la rive Sud, reçut un télégramme :

"ACCIDENT D'AUTO STOP RIEN DE GRAVE STOP VOIS AU ASSURANCES"

Signé : Mary.

Le laconisme de ce message ne laissait pas prévoir la gravité de l'accident, mais on dut bientôt se rendre compte que c'était sérieux, et la nouvelle publiée dans les journaux alarma toute la province. Allait-on perdre Madame Bolduc par la faute d'un stupide accident ?

C'était vraiment sérieux.

L'auto de notre chanteuse, suivie d'une remorque, avait été frappée de front par une voiture venant en sens inverse, conduite par un certain M. Bilodeau, de Québec, vendeur d'appareils de rayon-X... Cela se passait sur la route entre Rimouski et le village de Sacré-Coeur. Celui qui était alors gérant de la tournée, M. Rollin, était au volant ; il fit son possible pour éviter l'auto de Bilodeau, vira à gauche de toutes ses forces, mais l'autre au même moment décidait de faire de même... et les deux autos entrèrent en collision.

M. Rollin reçut le volant en pleine poitrine.

Madame Bolduc passa à travers le toit pour aller s'écraser sur la route.

M. Rollin eut des côtes défoncées.

Madame Bolduc eut une fracture du nez, une fracture ouverte de la jambe droite, une fêlure à la colonne vertébrale et une fracture du bassin.

"RIEN DE GRAVE STOP VOIS AUX ASSURANCES."

Notre amie ne perdit pas connaissance et ne poussa aucun cri de douleur. Des cultivateurs d'une maison sise en bordure de la route apportèrent de l'eau et des serviettes ; une voiture allant en direction de Rimouski atteignit enfin l'endroit de l'accident. On y monta les blessés et vite ! à l'hôpital de Rimouski.

La chanteuse était dans un piteux état, mais ne disait toujours pas un mot, n'émettait aucune plainte. Elle fut admise à l'hôpital où on voulut l'administrer. "Pas de danger, la Bolduc est pas encore morte", a-telle répondu textuellement aux bonnes soeurs remplies d'inquiétude.

C'est le lendemain matin seulement qu'on lui administra les derniers sacrements.

Mais la Bolduc n'était pas morte et elle n'en mourrait pas encore, en tout cas.

Elle subit toutes les interventions nécessaires à Rimouski même, puis on la ramena à Montréal en train. On dut faire passer la civière par une fenêtre du train, la porte étant trop petite.

L'ont coupé comme morceau de lard
L'ont cousu comme un soulier de boeuf
Un mois après ça le piquait dans l'estomac
Ils l'ont trouvé mal amanché
Il avait le zipper dérenneché.

Le retour à la maison (1462 rue Létourneux, dans Maisonneuve,) fut tout un spectacle pour les voisins, les curieux, alertés par l'arrivée d'une très longue et très impressionnante ambulance toute blanche de la maison Vandelac. On en sortit Madame Bolduc aux applaudissements des voisins et des passants qui, en même temps, la saluaient, lui envoyaient des mots d'amitié et d'encouragement. De sa civière, la blessée les remercia par une chanson : Ça va venir, ça va venir, découragez-vous pas...

Elle avait une jambe dans le plâtre et marchait avec des béquilles. Quand elle était assise sur son balcon, par un beau jour ensoleillé, c'est toute la rue qui la saluait, l'interpellait, lui parlait, rigolait avec elle.

Quand une de ses filles se maria, vers la même époque, les célébrations allèrent bon train et jusqu'à la mère qui y alla de sa généreuse contribution avec son violon... et sa jambe dans le plâtre !

Si vous avez une fille qui veut se marier
C'est à vous la bonne maman de tout lui expliquer :
Faut que tu restes au logis
Pour plaire à ton petit mari
Tu auras de l'agrément.

Plâtre, béquilles, pansements... rien ne l'empêchait de rire, de chanter, de zigonner du violon, de faire confiance en la vie.

Pourtant quelque chose de beaucoup plus grave arriva qui allait, non pas ébranler son courage mais saper la base même de ce courage en apparence indomptable. Sa santé était à jamais compromise.

Au cours des différents stages qu'elle fit à l'hôpital pour ses plâtres, pansements, etc., on découvrit, par certaines blessures qui ne guérissaient pas, qu'elle souffrait du cancer.

Elle fut admise une première fois à l'Institut du Radium, peu après son accident. Elle reçut de fortes doses de radium, mais en vain, et elle reprit le chemin de la maison, condamnée.

Durant ce séjour a l'Institut du Radium, elle fit la joie des religieuses des infirmières et surtout des malades, dans toutes les positions, sur sont lit, malgré, tous les appareils qui l'emprisonnaient, lui faisaient un véritable carcan, elle trouva le moyen de chanter et, mieux encore, de jouer du violon.

De retour à la maison, il n'était pas question, mais pas du tout, pour elle, de s'asseoir et d'attendre la mort. La famille savait de quoi il retournait, Les enfants connaissaient la fin qui attendait leur mère prochainement. Prochainement... Un an, deux ans, trois ans, peut-être même quatre... Eh ! bien ces années-là, il ne fallait pas les gaspiller. Quatre ans, c'était quatre fois trois cent soixante cinq jours... cela faisait encore bien des jours pour rire, pour faire rire les autres, pour chanter, pour turluter.

Depuis mon accident
J'ai pas fait de chansons nouvelles
Comme "J'ai eu mes vingt ans"
Ou "Les Cinq Jumelles".
J'en ai arraché en souffrance
Avec mes assurances.

Il fallait vivre la journée qui passait, ne pas penser à l'avenir. Et avec un courage admirable elle reprit sa carrière de chanteuse, se faisant un point d'honneur de ne pas refuser d'engagement, que ce soit à Montréal ou dans la province.

Ses amis, ses proches ne l'ont jamais entendue se plaindre, Souffrant des reins, on devait lui faire des ponctions très souvent. Or notre chanteuse trouvait le moyen de tourner une autre grosse farce avec cela, disant : "C'est ma graisse de morue qu'ils m'enlèvent"...

Il y a mille histoires célèbres qu'on raconte au sujet de comédiens, de musiciens respectant leurs engagements professionnels malgré les pires ennuis personnels, malgré la mort d'un être cher, survenue le jour même, malgré aussi la maladie...

Madame Bolduc était de la race de ces artistes pour qui un engagement envers le public est sacré. Elle donna, par exemple, une soirée à l'Académie Roussin le jour même où on lui avait ouvert le palais en vue d'extraire une dent de l'oeil trop encombrante. Au spectacle, elle s'était fait accompagner par le médecin. Celui-ci recousait le palais avec du fil d'argent, entre deux chansons... Seuls les intimes remarquèrent que de temps en temps, en scène, la chanteuse s'essuyait la bouche... A la fin son mouchoir était tout taché de sang.

Notons, en passant, que le dentier qu'elle portait était, vers la fin de sa carrière, perforé de bord en bord sous l'action de la langue frappant le palais pour le turlutage.

***

On lui avait dit : trois ans, quatre ans...

On ne s'était pas beaucoup trompé. Près de quatre ans après l'accident, elle dut retourner à l'hôpital. Cette fois, c'était sérieux et bien qu'elle en eût grand peine il ne fut plus question de chanter ou de jouer du violon pour les malades.

Le vingt-trois décembre 1940, à quatre heures du matin, au retour d'une représentation à Saint-Henri, elle avait eu une hémorragie. On réveilla les enfants. Elle parla à chacun d'eux, les rassurant et leur disant toutes sortes de bonnes choses. Puis elle partit pour l'hôpital.

Elle mourut le 20 février 1941.

Chapitre XIII - Les beaux esprits découvrent La Bolduc

Il y aura bientôt vingt ans que Madame Bolduc est morte.

Sa disparition n'avait pas fait grand bruit. La nouvelle de sa mort fut publiée dans une des dernières pages de La Presse, le 21 février 1941.

C'était la guerre. Du monde entier les nouvelles étaient mauvaises... pour nous. Ce jour-là, la grosse manchette allait à Anthony Eden qui se rendait au Caire en mission spéciale. Autre grosse nouvelle : la R.A.F. avait effectué de violents raids sur Tépélen et Bérat. Petite manchette : Paris serait privé de pommes de terre pendant quarante jours en guise de représailles contre des manifestations aux marchés publics.

A Montréal même, le fleuve était gelé à trente pouces [soixante-seize centimètres] ; trois aviateurs perdaient la vie dans un accident à Saint-Hubert ; il y avait le bal annuel des artistes de la radio, sous la présidence du maire Raynault ; à la Société Canadienne d'Opérette, Lionel Daunais et Olivette Thibault donnaient La Margoton du Bataillon, à 1'Arcade et Antoinette Giroux, François Rozet, Jacques Catelain et Pierre Durand jouaient La Francillon ; au National, Joseph et Manda tenaient l'affiche ; à la radio, Nazaire et Barnabé étaient en pleine force ; enfin, vingt-trois mille personnes avaient vu Fridolinons 4 !.

Il y eut aussi des milliers de personnes au salon mortuaire où était exposée la chanteuse.

L'article de La Presse (avec photo) qui avait annoncé la nouvelle aux Montréalais se lisait comme suit :

"L'interprétation des chansons de notre folklore perd en Mme Edouard Bolduc l'un de ses plus étonnants types.

"Mme Bolduc qui avait débuté en 1931 dans le domaine qui devait la rendre célèbre est décédée hier à l'Institut du Radium, après une maladie de deux ans. Elle laisse trois filles : Fernande, Lucienne et Denise (Mme Fred Calvert) et un fils, Réal. La défunte habitait à 529 rue Letourneux.

"C'est en 1931 que le talent de Mme Bolduc fut remarqué et aussitôt on lui demanda d'enregistrer sur disques ses interprétations des chansons populaires du terroir. Deux ans plus tard, devant le succès remporté par ces disques, le poste C.K.A.C. présentait Mme Bolduc au grand public radiophile.

"Mme Bolduc a eu le mérite de faire connaître au grand public la façon dont on chantait nos chansons â la campagne !"

Dans l'avis de décès, on disait : Mme Edouard Bolduc, née Marie Travers, cantatrice.

De brefs commentaires furent aussi publiés dans les hebdomadaires. Henri Letondal signa un article important dans Radiomonde et on continua de vendre ses disques. Cependant, il faut bien le dire, peu à peu le chiffre des ventes diminua. Lorsque les disques à longue durée firent leur apparition, il était devenu très difficile de se procurer des disques de Madame Bolduc.

La légende de La Bolduc commençait.

Et il se passa quelque chose d'assez drôle. Alors que de son vivant notre chanteuse devait son succès extraordinaire au bon gros peuple, une fois morte, c'est aux intellectuels, aux artistes qu'elle dut de survivre.

Dans les milieux artistiques et littéraires, snobs ou non peu importe - le snobisme a déjà aidé de fort bonnes causes, - il n'était pas rare qu'en soirée on exhibât comme un trésor un disque de La Bolduc et qu'on le fît jouer pour les amis. On riait, on se rengorgeait, on opinait du menton, on était bien fier d'elle, surtout si par hasard il y avait des étrangers au nombre des invités.

On redécouvrit Madame Bolduc. "C'était du vrai peuple, de l'authentique populaire, cela sentait vraiment le populo canadien français" et il était de bon ton de trouver bourgeois, conformistes, vieux jeu, rétrogrades ceux qui n'appréciaient pas cet art là, car, on y arrivait : c'était de l'art ! Et on s'empruntait les disques, on les faisait copier sur ruban magnétique et le jeu se poursuivait. (Jusqu'au jour, tout récent, où la maison Apex, dépositaire des anciens enregistrements de notre amie, lança sur le marché un, puis deux microsillons comprenant quelques-unes des meilleures chansons de La Bolduc).

Madame Bolduc elle-même eût été bien étonnée d'entendre ces propos et de voir une partie de l'élite intellectuelle comparant sérieusement les mérites respectifs de Johny Monfarleau et de J'ai un bouton sur le bout de la langue. Car, il faut bien se l'avouer, il n'y a pas si longtemps, alors que Madame Bolduc vivait et produisait en vrac, l'attitude des intellectuels, des gens "bien" n'était pas du tout favorable à la chanteuse préférée du peuple. Quand elle ne reflétait pas un mépris total, cette attitude laissait pour le moins voir une condescendance facile à interpréter. Ces chansons-là étaient grosses, vulgaires, souvent même malpropres, et quelle langue, ma chère !

Ouvrons une parenthèse pour dire que les curés étaient plus tolérants. Il faut croire que notre chanteuse avait le tour avec eux. Dynamique et joviale comme elle était, elle avait vite faite de gagner leur sympathie. Sans compter qu'elle était fort charitable et donnait toujours, selon ses enfants, une partie importante de ses revenus pour les oeuvres. Elle partageait avec les curés selon une base de cinquante-cinquante, et souvent soixante-quarante (quarante pour elle) si la paroisse comptait plus de pauvres gens que la moyenne.

Pour clore la parenthèse, ajoutons que si l'on en croit les filles Bolduc, les curés n'auraient jamais trouvé à redire sur le texte de ses chansons.

Évidemment, cela pouvait toujours dépendre des programmes qu'elle donnait dans les salles paroissiales.


 

«   Retour à la page d'introduction   »