ifficile à classer celui-là : les socialistes le réclament comme étant un des leurs mais aussi les anarchistes, les juifs, les communistes, les antimilitaristes, les syndicalistes, les pro-choix, les anticléricaux, les radicaux, les gauchistes et tout le prolétariat. Il lui est ainsi arrivé de se faire crever les pneus de sa voiture par les ouvriers du quartier où il chantait, son public étant, ce soir-là, composé de bourgeois.
Ses chansons d'une lointaine actualité, de 1897 à circa 1928 sont presque toutes oubliées. La petite histoire a retenu "Gloire au 17e", "La grève des mères" et "La butte rouge". - Il en écrit pourtant plusieurs autres : une bonne centaine sinon plus, en majeure partie mises en musique par son camarade Raoul Chantegrelet.
On sait qu'il est né à Paris, 10e, en 1872, le neuf juillet ; qu'il s'appelait Gaston Mardochée Brunschwig, qu'il était l'aîné d'une famille de 22 enfants, qu'il a débuté dans la chanson à 12 ans (sous le nom de Montéhus, déjà) ; qu'il fut tambour au 153e régiment de ligne à Toul, de 1892 à 1896,qu'il publia sa première chanson, "Au camarade du 153e", en 1897, à Châlons-sur-Marne ; qu'il se présenta aux élections législatives du 8 mars 1898, encore à Châlons-sur-Marne, sous l'étiquette "Républicain indépendant", qu'il fut engagé à la fin de l'année 1901 aux
Ambassadeurs, (établissement du côté des Champs-Élysées) où son répertoire provoqua un scandale, que les hommes de Drumont distribuèrent des tracts contre "le juif Brunswick" qui "éructe des infamies à l'adresse des chefs de l'armée française", et provoquèrent des bagarres, que Montéhus dut retourner dans les faubourgs mais qu'il était lancé, qu'il fut admis à la S.A.C.E.M. en 1904 en soumettant "Du pain ou du plomb" (thème imposé : "L'heure de l'Angelus aux champs") (sic) et qu'il devint presque mondialement connu en 1907 avec son "Gloire au 17e" suite à ce qui est aujourd'hui un fait divers, les soldats de ce régiment ayant refusé de tirer, en 1907, sur des vignerons en colère :
Salut, salut à vous À votre geste magnifique Vous auriez en tirant sur nous Assassiné la République...
Et c'est encore en 1907, qu'il ouvre Le Pilori, son théâtre sur le Boulevard de Strasbourg, 10e. Il y déclame son répertoire (chansons, monologues et pièces), devant un public nombreux.
Ce que l'on sait moins, c'est qu'il fut l'ami de Lénine - que l'on remarque au Pilori - lors de l'exil de ce dernier en France ; qu'il chantait en première partie de ses conférences, en 1911 et qu'il était franc-maçon.Lénine,ne tarissant pas d'éloges, lui demande de chanter pour les révolutionnaires russes. Montéhus décline.
Ce qu'on ne veut pas trop se rappeler, c'est qu'en 1914, lui, l'antimilitariste par excellence, composa des chansons pour l'emprunt de guerre, la victoire finale, l'union sacrée dont une célèbre "Lettre d'un socialo" sur - comble des combles - l'air du "
Clairon" de Déroulède :
Certes cela est pénible Quand on a le cœur sensible De voir tomber les copains Mais quand on est sous les armes On n'doit pas verses de larmes On accepte le destin.
Pour ces chants patriotiques, il reçut, en 1918, la croix de guerre.
En 1919, il revient à ses premières convictions pour composer son chef-d'œuvre, "La butte rouge", la seule chanson de lui qui nous soit vraiment restée - musique de Georges Krier - interprétée plus ou moins récemment par Yves Montand, Marc Ogeret, Renaud...
Chantre de toutes les revendications, de toutes les luttes sociales, "véritable polygraphe de la petite histoire" (Serge Dillaz - La chanson sous la IIIe république), sa popularité commença à décliner au début des années vingt : son costume, ses allusions à la Commune et aux conflits ouvriers d'avant-guerre commencent à faire vieux jeu.
Dans les années trente, il passe du côté de la politique, devient membre du SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière) puis du Front populaire - on se souvient de son "Vas-y Léon" - avant, en 1942, âgé de 70 ans, d'être contraint de porter l'étoile jaune. Durant la Seconde Guerre mondiale, il connut une vie particulièrement difficile, la SACEM, du fait de ses origines, ne lui payant plus ses droits d'auteur.
À la Libération, il créa "Le chant des gaullistes" et plusieurs drames dont "L'évadé de Büchenwald". En 1947, le ministre de la guerre, Paul Ramadier, lui remet la Légion d'honneur. - Pauvre, malade, oublié de tous, il s'éteint à Paris, 15e, en 1952.
qui s'étend de 1904-1905 à 1914 plus six enregistrements datant de 1936, comprend une trentaine de titres [*] dont, curieusement pas, sa chanson la plus connue,"La butte rouge"qu'il a composée en 1923 et que Marty de l'Opéra de Monte Carlo endisqua pour la première fois chez Perfectaphone en 1931.
La voix est vibrante - un peu "Bérard-esque" -, passionnée (théâtralement passionnée) et colle bien à ses textes. La diction et le timbre sont inoubliables. [**]
Musique de Raoul Chantegrelet et Henri Jegu - 1904
Petits soldats Souhaitez la paix et non la guerre Sachez mes gars Que c'est le deuil et la misère Battez tambours Pour l'accord entre les frontières Sachez toujours Que d'chaqu' côté on vous attend à la chaumière.
"La grève des mères"
Musique de Raoul Chantegrelet et P. Doubis - 1905
Pour faire de ton fils un homme Tu as peiné pendant vingt ans Tandis que la gueuse en assomme En vingt secondes des régiments
"On n'devrait pas vieillir"
Musique de Raoul Chantegrelet - 1906
Être vieux, c'est casser sa machine Pour le patron, c'est un' bête estropiée On accepte un salaire de famine On n'devrait pas vieillir quand on est ouvrier
Et puis, naturellement :
"Gloire au dix-septième"
Musique de Chantegrelet et Pierre Doubis - 1907
(citation ci-dessus)
Parmi ses autres titres, on peut citer
"Un vrai croyant"- 1901 - Musique de Raoul Chantegrelet et Saint-Cyr
C'est pas ma faut' non capitaine J'sais ben que je dois obéir Mais qu'voulez-vous mon âme est pleine De la croyance du grand martyr. Rien que de voir une cartouche Cela me trouble, cela m'fait peur Car lorsqu'l'un' d'elles cous frapp', vous touche Oui le sang coule et dam' l'on meurt.
"Morale à la débauche" - 1906 - Musique de Chantegrelet et Pierre Doubis
Après l'travail, qu'on vid' un verre Et puis qu'on rentre à la maison Faut êtr' sérieux quand on père Public, dis-moi si j'ai raison
"N'insultez pas les filles" - 1906 - Musique de Raoul Chantegrelet
N'insultez pas les filles Qui s'vendent au coin des rues N'insultez pas les filles Qu'la misère a perdues S'il y avait plus d'justice Dans notre société On n'verrait pas tant d'vices S'étaler su' l'pavé
"On est en République"- 1907 - Musique de Chantegrelet et Pierre Doubis
Enfin ça y est, on est en République
[...] Le Président, ça c'est symbolique Ne gagne plus qu'douz' cent mill' francs par an Aussi on a les retrait's ouvrières Six sous par jour, ça c'est un vrai bonheur
[...] Le directeur de l'assistanc' publique Ne touche que qurant'-cinq mill' francs Aussi l'on donn' maintenant aux fill's-mères Afin qu'elles soient à l'abri du malheur Trois francs pas mois, ça c'est humanitaire...
"Ils ont les mains blanches"- 1910 - Musique de Raoul Chantegrelet
Il a les mains blanches Les mains maquillées Il a les mains blanches Par la honte souillées Ça sent la paresse, c'est mou, d'est gnagnan Voilà c'qu'on appell' des mains de feignant !
"Y'a qu'des honnêt's gens dans l'gouvernement"- 1910 - Musique de Chantegrelet
Voyez donc pour les congrégations Ceux qui ont fait la liquidation Ils n'ont volé que dix petits millions Y'a qu'des honnêt's gens dans l'gouvernement
"La butte rouge" mérite, quant à elle, d'être citée au long. - Voir ici.
[*] Trente-trois plus exactement. Vingt-sept entre 1905 et 1914 (chez Pathé) et neuf en 1936 (chez Odéon) auquel on peut ajouter sept monologues enregistrés vers 1910 pour la marque "Le Semeur". (Marc Robine - Montéhus "Le Chansonnier Humanitaire" - Un coffret (deux CD) publié chez EPM en 1992 - n° 982462).
[**] Le fait que Montéhus ait enregistré en la - disons modérée - maison qu'était Pathé avant la guerre de 14laisse songeur. - Tous les enregistrements de cette série de vingt-sept, d'ailleurs, débutent tous par l'annonce "Du répertoire Montéhus" etnon "Chanté(s) par Montéhus". - Certains ont vu là soit une façon utilisée par Montéhus lui-même pour indiquer qu'il ne tenait pas à être mêlé àune société capitaliste ou tout simplement "à buts lucratifs", soitune façon, pour Pathé, d'indiquer qu'elle ne partageait pas nécessairement sesopinions. - Quoiqu'il en soit, ces enregistrements sont d'époque et l'on peutsupposer que si ce n'est pas Montéhus qui les a fait, celui qui leur a prêté savoix a quand même eu la délicatesse de l'imiter convenablement.