'un côté, il y a les professionnels de la chanson ; certains plus talentueux, plus chanceux ou plus persévérant que d'autres. - Dans une chanson célèbre, "Je m'voyais déjà", une de ses grandes créations, Charles Aznavour a chanté les déboires des seconds. De ces "seconds", il y en a eu des dizaines de milliers depuis toujours car les places au sommet sont limitées. Tous ceux qui se lancent dans la chanson y aspirent mais rares sont ceux qui y parviennent et s'ils y parviennent, il n'est pas assuré qu'ils s'y maintiendront. Et parmi ces premiers et ces seconds, encore plus rares seront ceux qui passeront à l'histoire. À se demander, parfois, pourquoi on tient tant à exercer ce métier qui consiste à monter sur scène, au risque d'être hué, pour chanter soirs après soirs les mêmes chansons car le public ne demandera pas autre chose à "ses" interprètes : que de chanter leurs plus grands succès. Et aura beau faire une enquête policière, pour paraphraser Pagnol, jamais on ne saura pourquoi on se lance dans une aventure pareille.
De l'autre, il y a les amateurs. Avec eux, les choses sont plus claires : ils chantent parce qu'ils aiment chanter. Ils chantent parce que ça les rend heureux. Ils chantent pour célébrer un anniversaire, une naissance, un mariage. Ils chantent aussi quand ils sont tristes, pour oublier une peine d'amour ou la disparition d'un proche. Ils chantent parce qu'ils ne peuvent pas concevoir la vie sans chanson et ils chantent justement parce qu'ils l'aiment cette chanson. Peu leur chaut d'être célèbre ou même de chanter "juste" : ils chanteront sous leur douche si on ne veut pas les entendre mais ils chanteront.
Et c'est ainsi que nous en arrivons à ce Louis Cousin, décédé à quatre-vingts ans passées, qui, toute sa vie, a chanté. Non seulement chanté mais a aimé la chanson, créé et dirigée des chorales et qui, à en croire celui qui a été son ami pendant plus de cinquante ans, Émile Perrault, ne se faisait pas prier pour chanter.
Non, il n'est pas monté sur scène, non il n'a pas visé la gloire : il a chanté parce qu'il aimait chanter. Et puis aussi pour faire connaître la chanson à d'autres.
Né à Étaples en 1916, fils d'un officier de port en Seine-Maritime (76 - alors Seine Inférieure), il fut, à compter de 1936, instituteur. D'abord à Eu, puis dans les environs, à Harnes et puis à Boulogne où il a fondé, entre autres, la chorale de l'école Duchenne, puis celle de l'école Joliot-Curie dont il fut le directeur jusqu'en 1971, année de sa retraite. Retraite du métier d'instituteur, oui, mais pas de la chanson.
Émile Perrault, cité ci-dessus, nous raconte à son sujet qu'il est demeuré, pendant les années qui ont suivi, une vedette mais attention : pas une vedette de scène mais une vedette parmi le cercle de ses amis, un remonte-moral, un animateur hors pair de soirées improvisées où, chantant toujours, il réjouissait les cœurs de tous avec ses refrains, pas nécessairement les mêmes mais dans lesquels revenaient régulièrement "Elle lisait le p'tit parisien", "Les mariés de la Tour Eiffel" et, ce qui semble avoir été son succès de toujours, "Ouvre la f'nêtre".
C'est son fils, Jean, qui nous l'a fait connaître. Son fils Jean, enseignant lui aussi, et à la retraite lui aussi, qui nous a fait part des enregistrements effectués a capella par son père, peu avant sa mort, et dans lesquels nous avons retrouvé deux chansons de Georgius : "Je n'aime pas faire les commission" et l'inoubliable, quand on l'a entendu une fois, "Fils-père" dont on retrouvera le texte dans une autre de nos pages.
Ces deux enregistrements sont ci-joints.
Place donc à Louis Cousin, octogénaire de vingt ans, qui se rappelle deux chansons de sa jeunesse, à notre plus grande joie :
"Je n'aime pas faire les commissions"
"Le fils-père"
et son interprétation d'un succès de Maurice Chevalier (paroles de Maurice Vandair, Musique de Revil), du film Pièges de Robert Siodmak (1939).