DATATION DES DISQUES ACOUSTIQUES


Quelques remarques

Dater un enregistrement semblerait à première vue un exercice facile : on lit le numéro du disque qu'on a entre les mains et on compare ce numéro à une liste en provenance d'un catalogue et le tour est joué mais voilà :

Les catalogues n'existent pas toujours. - C'est le cas de petites marques depuis longtemps disparues, le cas de grandes marques dont les registres sont également disparus ou, pire encore, le cas de grandes marques qui ont publié sous différents numéros les mêmes enregistrements au cours de périodes pouvant aller jusqu'à vingt et même vingt-cinq ans. - La marque Pathé, par exemple, est connue non seulement pour avoir fait cela à plusieurs reprises mais pour avoir, à plusieurs reprises également, changé de numérotation en cours de route et parfois donner à leurs ré-ré-éditions leurs numéros originaux ou encore l'une de leurs, parfois, plusieurs versions ou un tout autre numéro mais séquentiel à une nouvelle série (sans compter les versions internationales à numéros variés)

Voir note à la fin.

Certains enregistrements ont également connu différents formats non nécessairement publiés à la même date :

- cylindres de type A (deux minutes à 100 tours), cylindres de type B (quatre minutes à 200 tours). Il existe même des cylindres 3 minutes à 150 tours ou des grands cylindres de 5" de diamètre ou encore des cylindres doubles ou de différentes qualités

- disques de différents formats à 70, 80, 90 et même cent tours/minutes, imprimés d'un seul côté, imprimés des deux côtés... sans compter les disques à gravure verticale plutôt qu'horizontal, etc., etc.

Et, à cela, il faudrait ajouter les formats à "qualité variable" : étiquette brune, rouge, noire...

Ces enregistrements portent souvent non pas la date de leurs enregistrements mais la date de leur fabrication (ou de leur transfert d'une matrice originelle à une matrice de pressage ce qui peut se produire des mois, des années après).

Le cas devient encore plus difficile quand l'interprète en fait plusieurs versions d'une même chanson, en différents formats, pour différentes marques pas toujours identifiables.

Et ne parlons pas des contrefaçons.

Les cas de repiquages (transfert d'un media vers un autre) rendent l'opération encore plus difficile :

Certaines marques, à la fois sur 33 tours, cassettes, 4-pistes, 8-pistes et CD, ne se soucient guère d'indiquer leurs sources. - On peut facilement s'imaginer la transcription d'un disque 78 tours sur 33 tours sans que le technicien prenne le temps de noter les détails sur ce 78 tours ni même vérifier la vitesse indiquée sur ce qui lui semble être un 78 tours. - C'est ce qui explique que le même chanteur, sur un même disque, fait de repiquages, ait à la fois une voix de baryton léger et celle d'un ténorino.

La petite histoire, le titre de la chanson, les dates connues de la vie d'un artiste, les souvenirs de certaines personnes aident parfois à situer un enregistrement mais pour deux renseignements recueillis, il faut faire trois vérifications. Dans ses Mémoires, même Mayol commet des erreurs sur la date de certaines créations et les erreurs de datation, dans des rééditions sérieuses sont fréquentes.

Certains discographes très pointilleux ont eu eux-mêmes des surprises au cours de leurs recherches. - C'est ainsi qu'une récente publication, en plusieurs volumes, d'une histoire de la chanson française faite avec beaucoup de soins, a fait réaliser à l'un qu'à une date précise, le même chanteur avait fait deux enregistrements de la même chanson, l'une avec accompagnement uniquement de piano, l'autre avec orchestre sans qu'un deuxième numéro de matrice soit donné au second.

Règle générale, plus un titre sera connu, plus il y a de chances qu'il ait été enregistré plusieurs fois et moins il est connu, moins seront les chances d'obtenir, sur lui, des informations précises. - Le problème, dans l'un ou l'autre sens, demeure entier.

Et l'on croit trop souvent que, parce qu'un titre a été publié en plusieurs milliers d'exemplaires, il sera facile d'en trouver une copie. Erreur ! Plus un titre a été populaire... plus il a été joué... et plus il a été joué, plus il y a eu de chances d'être brisé, égratigné, rendu inaudible... - C'est ainsi que nous avons cherché pendant plusieurs années une version de "Viens, Poupoule !" de Mayol... antérieure à... 1932 !

Des notes éparpillées çà et là dans des biographies n'ayant aucun rapport avec la chanson française, des annonces au dos de petits formats (déjà difficiles à dater), des dépliants ou des annonces dans de défunts magazines permettent de vérifier une date ou de relancer l'amateur pourtant sûr jusque là vers de nouvelles pistes mais là encore, tout n'est pas gagné car la même chanson portera, parfois, des titres différents ou sera même attribuée à des auteurs-compositeurs différents. - S.A.C.E.M, où étiez-vous ?

Finalement, il y a des enregistrements "à la manière de" tels ces faux Paulus qui portaient tout simplement l'inscription "De Paulus, telle chanson". - Inutile de préciser qu'il aurait fallu inscrire "Du répertoire de Paulus, telle chanson, interprétée par X". - Et qui pouvait être ce X dont la voix ressemble tant à Y ?

C'est ainsi qu'on s'obstine encore sur l'authenticité des premiers enregistrements connus d'Yvette Guilbert, peut-être enregistrés par Madame Rollini qui savait l'imiter à la perfection.

Et nous ne parlerons pas des dates de mise en marché qui, elles, peuvent varier, par rapport aux dates d'enregistrement et de fabrication, de plusieurs mois, quand ce n'est pas années... - Un essai par Z chez la compagnie A redevient tout à coup vendable lorsque Z acquiert une certaine notoriété.

L'A.P.G.A. a voulu régler ces problèmes - du moins en partie - mais on sait ce qui lui est arrivé.

Faux départs, fausses pistes, faux renseignements et ce qui semblait si certain hier, est remis en doute le lendemain et, à cent ans de distance, les choses sûres ont tendance à disparaître.

Restent, bien sûr, les collectionneurs sérieux qui, depuis des années, ont fouillé dans des greniers, examiné des caisses et des caisses remplies de disques sans intérêt et auxquels on fait appel pour des albums-souvenirs, de glorieux repiquages mais dont les collections, à cause du peu de la demande, à cause du coût exorbitant pour leur transfert sur des médias plus permanents, accumulent de la poussière.

Dans d'autres domaines (que la chanson française), nous notons de plus en plus de petits manufacturiers qui, au moyen de sites WEB, commencent à publier pour un marché qui, autrement ne serait pas rentable, constitué d'amateurs à travers le monde. - C'est le cas, entre autres, de la Compagnie Biograph qui se spécialise dans le rag-time enregistré sur piano-rolls à partir des années 1890. - Des amateurs, aussi, et souvent avec beaucoup de brio se lancent dans cette aventure. - Voir à Music-Hall Masters, par exemple. - Espérons que de telles initiatives se matérialisent en France ou ailleurs à propos de ces innombrables enregistrements de Dranem, Fragson, Mayol et Polin, pour ne nommer que ceux-là.


Note à propos des disques Pathé

Un correspondant nous adressait il n'y a pas très longtemps un message dans lequel il nous mentionnait que sur trois disques Pathé qu'il possédait de Mayol (les numéros 4411, 4418 et 4445 [1] - matrices 4034, 4035, 4024, 4032, 2263 et 2268 [2]) étaient estampés les dates du 11/4/24 et du 8/4/24, 23/3/26, 22/9/25, 21/7/22 et 15/12/22 et que cela était quelque peu contradictoire avec l'avancé que nous faisions (Félix Mayol - discographie) à l'effet que ces disques avaient été vraisemblablement mis en marché en 1929 ou 1930.

À première vue, oui, il semble y avoir une certaine contradiction entre ces énoncés mais c'est en cela que les disques de Pathé sont encore plus difficiles à dater qu'on pourrait le croire :

C'est que Pathé - nous l'avons mentionné ci-dessus - non seulement est connu pour l'extrême fantaisie de ses numérotations [3] mais - ce qui rend la chose encore plus compliquée - c'est que tous les disques mis en marché par cette firme durant sa période acoustique (jusqu'en 1928) étaient des disques de deuxième génération en ce sens que Pathé ne fabriquait pas une matrice lors de ses enregistrements mais des cylindres et que c'est de ces cylindres qu'étaient fabriquées des matrices de pressage pour disques.

On peut ainsi, se retrouver, comme ce semble être le cas du disque 4411 précité, avec un disque mis en marché, comme nous l'avançons, en 1930, fabriqué à partir de matrices de pressage datant  de 1924 (deux dates différentes) mais fabriquées à partir de cylindres enregistrés en 1915...

À l'écoute, d'ailleurs, de certains disques Pathé fabriqués des années après la fermeture d'A.P.G.A., on s'aperçoit très vite que la qualité est loin derrière celle d'A.P.G.A à cause justement de ces pressions faites en faisant intervenir une génération inutile.


Qu'ajouter d'autre ?

Qu'il existe de nombreux catalogues Pathé. Nous en possédons plusieurs : 1907, 1914, 1924, 1929, 1931... - Parfaits pour reconstruire une discographie (liste des enregistrements d'un interprète) sauf qu'aucune des dates de mise en marché ni d'enregistrement n'y sont inscrites.


[1] Voir feuillet publicitaire de Pathé (1930). - Ne pas confondre ces numéros avec les numéros des matrices ayant servi à leur fabrication.

[2] Les dates connues de ces enregistrements sont : 1915 pour les quatre premiers et 1922 pour les deux autres. (Noter la numérotation).

[3] Série 4014 et suivants en 1915, 2579 et suivants en 1919, 1860 et suivants en 1920, etc.