CHAPITRES
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PRÉFACE DE CHARLES LE GOFFIC

PREMIÈRE PARTIE :
MON ENFANCE
Ma première chanson
L'ogre
L'étang noir
A Dinan-la-Jolie
Un "intersigne"
Les "tape-fer"
La Forêt enchantée
Les loups
Le départ
Parisien !
Nostalgie
"Mut'-ou-Cor, ?"
"Aide-toi..."

DEUXIÈME PARTIE :
MA JEUNESSE
Sur le trimard
La faute
Dans la basoche
Devant Victor-Hugo. - Chez Henri Becque
Débuts... dramatiques
Premiers refrains. Premiers bouquins
Au 41ème

TROISIÈME PARTIE :
MES VRAIS DÉBUTS
La mort de grand'maman Fanchon
Antoine et Scriwaneck
Un soir de fête
"Il ne faut point dire : Fontaine"
"Monsieur l'Aumônier"
L'ouverture du "Chien Noir"
La "Paimpolaise"
Chansonniers et poètes
Mes vrais débuts
Au Port-Blanc
Les "bons camarades"
Les "Chansons de chez nous"
La chanson "au quartier"
Le "Prince"

QUATRIÈME PARTIE :
EN TOURNÉE
La "Fleur de Lys"
A la Haute-Cour (Le Serment)
En escadres - Chez Pierre Loti


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Théodore Botrel


Troisième partie

Chapitre vingt deux

Antoine et Scriwaneck


... Et, libéré, ce furent, de nouveau, d'interminables courses à la recherche d'une "position sociale".

Je commençai par déposer, comme de juste, rue Saint-Lazare une demande d'emploi à la Compagnie P. L. M., chaudement appuyée par deux membres influents du Conseil d'Administration, MM. Denormandie et Michel Cornudet. J'y subis, quelques jours plus tard, et avec succès, l'examen d'usage après lequel on me dit : "Vous êtes admissible suivant vacances. On va classer votre dossier. Attendez convocation.

- Combien de temps ?

- Oh ! Un an, deux ans, trois peut-être. Armez-vous de patience".

Trois ans !... C'était réjouissant !

Que faire en attendant  ... Bricoler ? Bricolons.

Je passai tout d'abord quelques semaines - peu de semaines, les "affaires" n'étaient pas mon affaire - chez Alexander, le grand commissionnaire de la rue Hauteville et vins échouer, un beau matin, chez un courtier maritime, M. Leverd, 11, place de la Bourse. (Je ne m'attendais guère, alors, à rentrer, un jour, dans ce local, en qualité de Syndic de la "Presse Associée" que dirige le prestigieux anecdotier Jean-Bernard !).

Là, je m'initiai aux "Frêts", aux "Connaissements" fabuleux des navires en partance et je fis, avec eux, en imagination, les plus merveilleux voyages. Bientôt le "Lloyd" et le "Bureau Véritas" n'eurent plus de secrets pour moi, promené que je fus dans leurs arcanes par deux gentils collègues aux noms délicatement champêtres et reposants : MM. d'Auge et Hautbois.

Ma spécialité, chez Leverd, était de calligraphier, de mon mieux, les contrats d'assurances avec une encre spéciale et sur papier ad hoc, puis de les transmettre, 14, rue Hérold, à un petit imprimeur en chambre, qui les reportait, lui, sur pierre lithographique et vous en tirait plusieurs exemplaires. Or, vous qui était ce brave et modeste artisan... Tout simplement Chebroux, le fondateur de la "Chanson Française". Avouez que je ne pouvais tomber mieux, car vous pensez bien que, tout en l'aidant à virer sa presse à bras, je lui parlais de mes premières élucubrations. Il s'y intéressa, me conseilla de prendre part au concours du "Caveau" et m'offrit, affectueusement dédicacée, son œuvres la plus célèbre : "Chantez, poètes !" dont le refrain, désormais, ne cessa plus d'habiter ma mémoire :

Et, Lonla ! vous aurez beau dire :

Tant que les roses fleuriront,
Tant que les enfants jaseront,
Tant que les femmes souriront,
Sur la musette ou sur la lyre
Tous les poètes chanteront !

et, aussi son aubade au "Printemps", dont le refrain est si évocateur :

Des chansons plein la voix,
Des fleurs plein sa corbeille,
C'est encore une fois
Le Printemps qui s'éveille.

Je suivis son conseil et envoyai une chanson au "Caveau" qui me décerna, d'emblée, une médaille d'argent. C'étaient les trois couplets intitulés "Mes talismans" qui devaient figurer, douze ans plus tard, sous forme de préface, en tête de mes "Coups de clairon". Ceux de vous qui les connaissent, qui se souviennent de l'emploi que je promettais de faire de ce modeste héritage une épée, une plume, un verre, avoueront que je n'ai pas failli à mes promesses.

Et j'agrandissais, en même temps, mes connaissances artistiques.

C'est ainsi que j'entrai, un jour, au hasard de mes errances extra? bureaux (et quelques poésies en poche), 29, rue des Martyrs, chez une vieille artiste en retraite - jadis l'émule de Déjazet - qui se nommait Augustine Scriwaneck. Elle avait installé là, et fort gentiment, ma foi, un cours de "Préparation au Conservatoire", cours de maintien plus que de diction, que suivaient nombre de futures étoiles encore en herbes, en toutes petites herbes.

La bonne vieille dame, qui avait, alors près de soixante-quinze printemps, mais était demeurée étonnamment alerte et gaie, m'accueillit avec émotion.

Émotion ? Oui : car elle me confia, bien plus tard, que je ressemblais étrangement au poète Roger de Beauvoir qui fut un ami de sa jeunesse et qu'à ma vue tout un lointain et gracieux Passé avait, comme soudain, resurgi sous ses yeux. Cette ressemblance me fut, du reste, confirmée, depuis, par le fils même de Roger de Beauvoir, que je connus chez le commandant Driant, à Troyes, où il fréquentait en qualité de directeur de l'Annuaire de l'Armée Française.

Mlle Scriwaneck me pria de donner, de-ci, de-là, la réplique à ses jeunes élèves dans les comédies et drames du répertoire et j'y acquis une aisance de gestes et d'allure qui me fut bien précieuse plus tard : car on ne s'imagine pas, généralement, combien il est difficile de se bien tenir en scène, d'y entrer, d'y fermer une porte, de s'y asseoir et d'en sortir sans piétinements inutiles ou sans gaucheries souvent désastreuses.

Je lui apportai, un soir, une petite saynète imitée de Musset et intitulée "A quoi rêvent les petites filles". Elle la fit interpréter à une de ses soirées - car elle possédait un gentil théâtricule pouvant contenir une centaine de spectateurs environ - par deux mignonnes fillettes : Mlle Stehlé, une sorte de Réjane en miniature étonnamment douée, mais qui, finalement, entra dans l'Enseignement, et une jeune auditrice du Conservatoire, fine enfant aux jolis yeux clairs, au malicieux sourire, aux magnifiques cheveux croulant sur ses épaules en ondes mordorées, Mlle Larapidie, qui devait devenir célèbre, bientôt, sous le nom de Lara, à la Comédie Française.

Là, je fis connaissance également avec Richard-Christian qui fit jouer un de mes petits actes : "La Bombe", à son Cercle Gaulois ; avec M. Massé, directeur du Cercle Funambulesque, qui me monta un acte en vers : "Pierrot papa", interprété d'abord à la Bodinière, puis dans nombre de salons (et même, une fois, sur la scène de l'Opéra-Comique dans un concert de Charité) par de jeunes artistes qui devaient faire, eux aussi, leur chemin : Chautard, au Vaudeville, et Monteux, à la Porte Saint-Martin ; le rôle d'Arlequin - un Arlequin svelte et spirituel, un vivant Saint-Marceaux - était tenu par Paul Franck, l'actuel directeur de l'Olympia. Cette bluette eut une assez bonne presse - ma première - et Richard O'Monroy, entre autres, voulut bien en dire, dans le Journal que c'était "vaguement de l'Émile Augier, avec une fraîcheur d'Avril."

Or, c'est à ce moment-là qu'Antoine, alors employé à la Compagnie du Gaz, fonda - et précisément dans le local du Cercle Gaulois, passage de l'Élysée des Beaux-Arts - son fameux Théâtre-Libre qui devait révolutionner l'art dramatique. Ses débuts, on le sait, furent terriblement difficiles, au point qu'il dut, un jour, faire insérer dans les feuilles publiques une petite note demandant le concours gratuit de jeunes artistes de bonne volonté, pour jouer de petits rôles et figurer dans les pièces par lui nouvellement reçues. Cette annonce tomba sous mes yeux ; j'en parlai à un de mes amis du Patronage Saint-Augustin, un grand beau gâs nommé Hus (qui venait d'y triompher dans une charmante petite opérette  : "Le Bourgmestre dans l'embarras", d'Émile Camys) et nous résolûmes de nous présenter, le soir même, rue Blanche. C'est là, en effet, dans un grand logement non meublé, que se faisaient les répétitions du Théâtre-Libre.

Après une courte audition devant le terrible Antoine, dont le masque sévère à la lèvre inférieure avancée et comme menaçante, au menton farouchement têtu, m'impressionnèrent si fort que j'en bredouillai ineffablement, nous fûmes accueillis dans le petit cénacle pour la figuration tout d'abord, bien entendu, avant que d'y aborder les petites "utilités". On y préparait, alors, le Père Lebonnard de Jean Aicard, la Blanchette de Brieux ; puis, on y monta l'École des Veufs de Georges Ancey. Je fis ainsi la connaissance d'Henry Mayer, de la Comédie Française, et de Mme Henriot, dont la charmante enfant devait, quelques années plus tard, mourir affreusement carbonisée, lors de l'incendie du Théâtre Français.

Antoine jouait, lui, le rôle principal, avec une simplicité, un naturel, une émotion contenue vraiment incomparable. Quel artiste !

Mon ami Hus et moi "figurions" deux des quatre amis intimes de Mayer, le fils d'Antoine ; nos deux autres partenaires devaient se faire, et vite, de beaux noms au théâtre, grâce, un peu, au "patron" qu'ils suivirent dans sa bonne et mauvaise fortune, des "Gaulois" aux Menus-Plaisirs (nommés à présent Théâtre-Antoine) et des Menus-Plaisirs à l'Odéon. L'un, maigre et long comme un jour sans pain, se nommait Janvier ; l'autre, large et costaud, tout au contraire, s'appelait Arquillère.

Là encore je connus Amyot (qui devait jouer, plus tard, à Nancy et à Dinan le rôle du Moine de mon drame "Notre-Dame-Guesclin"), Lugué-Poé, qui allait créer "l'Œuvre", Laudner, Gémier aussi, bien entendu, et la bonne et joyeuse Luce Colas qui était la compagne d'un de mes aînés de Saint-Augustin, le bon dessinateur-graveur Léon Lacault. Tiens !- mais - à la réflexion- le nom de Colas ne serait-il pas tout simplement l'anagramme de Lacault ?

Mais que je vous dise, chers lecteurs, que tous ces beaux artistes - tous, sans exception, à commencer par Antoine - ignorent encore, à l'heure présente, que Botrel fut, un instant, leur humble camarade de "planches", au début de leurs glorieuses carrières ; - et, ce, pour la raison bien simple que je figurais à leurs côtés, et sur le programme, sous le nom de ma mère - un beau nom de Théâtre, d'ailleurs - Fechter.

Et j'ai encore dans ma bibliothèque une première édition in-seize de l'École des Veufs dédicacée par son auteur, "en témoignage affectueux de sa gratitude, à M. Fechter" et signé "Georges Ancey".

Que c'est loin tout cela !

Pourtant, c'était hier.


Suite : Troisième partie, chapitre vingt trois - Un soir de fête

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