CHAPITRES
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PRÉFACE DE CHARLES LE GOFFIC

PREMIÈRE PARTIE :
MON ENFANCE
Ma première chanson
L'ogre
L'étang noir
A Dinan-la-Jolie
Un "intersigne"
Les "tape-fer"
La Forêt enchantée
Les loups
Le départ
Parisien !
Nostalgie
"Mut'-ou-Cor, ?"
"Aide-toi..."

DEUXIÈME PARTIE :
MA JEUNESSE
Sur le trimard
La faute
Dans la basoche
Devant Victor-Hugo. - Chez Henri Becque
Débuts... dramatiques
Premiers refrains. Premiers bouquins
Au 41ème

TROISIÈME PARTIE :
MES VRAIS DÉBUTS
La mort de grand'maman Fanchon
Antoine et Scriwaneck
Un soir de fête
"Il ne faut point dire : Fontaine"
"Monsieur l'Aumônier"
L'ouverture du "Chien Noir"
La "Paimpolaise"
Chansonniers et poètes
Mes vrais débuts
Au Port-Blanc
Les "bons camarades"
Les "Chansons de chez nous"
La chanson "au quartier"
Le "Prince"

QUATRIÈME PARTIE :
EN TOURNÉE
La "Fleur de Lys"
A la Haute-Cour (Le Serment)
En escadres - Chez Pierre Loti


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Théodore Botrel


Première partie

Chapitre sept

La forêt enchantée


Cependant, mes "tontons" se mariaient tous, peu à peu, et cela augmentait encore la parenté ; d'autres centres d'excursions s'offraient à mes petites jambes si joyeusement vagabondes ; et c'étaient des randonnées incessantes chez des tas de nouvelles tantes et des tas de nouveaux cousins... à la mode de chez nous - de Montauban à Merdrignac, du Loscouë t à Montfort-la-Cane ou de Gaël à Saint-Malon. J'affectionnais plus particulièrement ce dernier cousinage, car il me permettait de rôder avec ivresse dans une vraie forêt, toute proche, autrement grande, celle-là, autrement solennelle, en sa profondeur mystérieuse, que mes petits bois familiers de Saint-Méen, de Penguilly ou de la Hardouinaye. J'en ignorais le nom, mais cela m'importait peu, l'essentiel pour moi étant d'y errer du matin jusqu'au soir pour y guetter les bêtes encore jamais vues ailleurs, comme les écureuils, les biches et leurs faons ; un jour, même un beau dix-cors, avec lequel je me rencontrai, soudainement, à l'entrée d'une petite clairière. Nous restâmes là à nous contempler presque nez à nez, immobiles l'un et l'autre, à trois mètres de distance au plus, durant une minute peutêtre. Puis, il baissa lentement la tête, me présentant sa redoutable "ramure"; et, dame ! alors, je n'en menai pas large. Lui non plus, du reste, car, dès que je levai mon faible bras armé d'une inoffensive baguette de coudrier, il fit volte-face d'un bond et, fou de terreur, s'enfuit dans le hallier. Quelle victoire pour moi et - surtout - quel soulagement !

N'ayant jamais à mes côtés, par ici, les petits camarades du Parson, ni le rouquin des Jeannet, ni l'Ange aux Janvier, je m'égarais assez souvent, comme bien vous devez le penser un jour entre autres, dans un vallon boisé dont je fis bien quatre ou cinq fois le tour pour, après une heure de marche, me retrouver encore à mon point de départ. Je croyais bien n'en sortir jamais plus. Et cependant Dieu sait si les petits paysans ont, d'instinct, le sens de l'orientation ! Ah ! ça ! cette forêt bénite, et tour à tour maudite aussi, par moi, était donc enchantée ?

Oui, certes, elle l'était effectivement... comme je l'ai su, depuis.

La dernière fois que je m'y régalai de merises, de prunelles et de myrtilles - j'avais sept ans au plus - je crus bien n'en jamais voir le bout, tant, de cépées en cépées, de clairières en clairières, je m'étais enfoncé profond au cœur de la forêt, loin, loin de Saint-Malon et de la Vil1eeMoisan.

Et, tout à coup, m'apparut une merveille inattendue : un étang ! Que dis-je ? un lac adorable et qui me parut si grand, si vaste, à moi si petit ! Ah ! que mon "étang noir", la triste mare du Parson, était peu de chose en comparaison de cet océan en miniature ! Jamais je n'avais contemplé pareille étendue d'eau ; sauf à Dinan, peut-être, du haut de son vieux pont ; et encore !... Un joli ciel gris-bleu qui, joyeux, s'y mirait, commençait à se teinter, là-bas, sous la haute futaie, des tons roses du couchant proche ; et il me fallut, au bout d'une demi-heure de contemplation extatique, songer tout de même au retour.

Mais vers quel but certain diriger maintenant mes pas  ... Auprès de qui me renseigner ? Tout n'était à l'entour que solitude et silence. Pris de la crainte de me perdre irrémédiablement, je n'osais plus ni avancer ni reculer. Oh ! ce n'était pas que j'avais peur de la solitude. Non ! L'air était si tendre, et les oiseaux chantaient si joliment autour de moi ! Mais je songeais à l'inquiétude de mes cousines, à la nuit aussi qui allait m'envelopper, peu à peu, de son voile ténébreux, et, m'étant laissé tomber sur un tronc d'arbre, au bord d'un des sentiers qui débouchait au lac, sans trop savoir pourquoi je me mis à pleurer.

Et voilà, que, soudain, sans que le moindre bruit m'eût averti de son approche, quelqu'un, derrière moi, murmura doucement?

- Pourquoi donc pleures-tu, petit ?

Je me retournai, effrayé, et j'aperçus, dressée au milieu de la sente, une belle "dame", mais une vraie "dame", vous savez, la première "dame" rencontrée de ma vie ; car - vous me croirez si vous voulez - je n'avais jusque-là vu que des paysannes. Aussi, cette jeune et blonde apparition, toute vêtue de blanc et drapée artistement dans une longue écharpe diaphane, me sembla-t-elle si mystérieuse, si extra-terrestre, qu'en moi-même je me dis en tremblant : "C'est peut-être bien la Sainte-Vierge !"?

Cependant comme, souriante, elle me répétait sa question

"Pourquoi donc pleures-tu ?", je lui répondis, balbutiant

- C'est parce que je me suis égaré, Madame.

- Où loges-tu ?

- Entre la Ville-Moisan et Saint-Mulon.

- Mais, tu leur tournes le dos, mon pauvre enfant ! ... Allons, viens et ne pleure plus : je vais t'indiquer un raccourci qui te rapatriera en moins d'une heure, si tu as de bonnes jambes.

Et la voilà qui, gentiment, me saisit la main et me conduit à travers le taillis jusqu'à une route insoupçonnée de moi.

- Va droit devant toi, maintenant ; et ne quitte pas la grand-route, surtout, sans quoi tu t'égarerais encore.

A ce moment précis de longs appels joyeux s'élevèrent au loin . "Ti-ho-ho !"...

- Ti-ho-ho ! répondit l'inconnue d'une voix cristalline ; et - fat ! elle disparut dans un petit sentier, si légère et si vive, et si soudainement, que je restai planté, là, cinq minutes, le nez en l'air, me demandant si elle ne s'était pas envolée.

Moins de deux heures plus tard, la nuit déjà tombée, je ralliais sans encombre la petite ferme où l'on commençait tout de même à s'inquiéter de mon absence.

- Ah ! me dit ma cousine, mon histoire contée, tu as dû pousser jusqu'aux étangs de Paimpont; et là, tu as sans doute rencontré une des demoiselles Lévêque, les filles du propriétaire des Forges.

- P't'être ben que oui !... répondis-je fort las.

Et je m'en fus, les yeux gros de sommeil, manger ma soupe aux choux sans ajouter un mot.

Les étangs de Paimpont ! Ce nom de Paimpont, alors, ne pouvait rien me dire, non plus qu'à mes humbles parents.

Et ce n'est que plus tard - bien plus tard - que j'appris la merveilleuse histoire de l'antique Brocéliande, de la forêt celtique où Merlin l'Enchanteur - à son tour "enchanté" -sommeille encore, dit-on, aux pieds de Viviane.

N'était-ce pas dans le "Val sans retour" que je m'étais perdu, une première fois  ...

... Et n'est-ce pas Viviane elle-même, la Fée ensorceleuse des Bardes un peu fous, que j'ai croisée, un jour, au cœur de Brocéliande ?


Suite : Première partie, chapitre huit - Les loups

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