CHAPITRES
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PRÉFACE DE CHARLES LE GOFFIC

PREMIÈRE PARTIE :
MON ENFANCE
Ma première chanson
L'ogre
L'étang noir
A Dinan-la-Jolie
Un "intersigne"
Les "tape-fer"
La Forêt enchantée
Les loups
Le départ
Parisien !
Nostalgie
"Mut'-ou-Cor, ?"
"Aide-toi..."

DEUXIÈME PARTIE :
MA JEUNESSE
Sur le trimard
La faute
Dans la basoche
Devant Victor-Hugo. - Chez Henri Becque
Débuts... dramatiques
Premiers refrains. Premiers bouquins
Au 41ème

TROISIÈME PARTIE :
MES VRAIS DÉBUTS
La mort de grand'maman Fanchon
Antoine et Scriwaneck
Un soir de fête
"Il ne faut point dire : Fontaine"
"Monsieur l'Aumônier"
L'ouverture du "Chien Noir"
La "Paimpolaise"
Chansonniers et poètes
Mes vrais débuts
Au Port-Blanc
Les "bons camarades"
Les "Chansons de chez nous"
La chanson "au quartier"
Le "Prince"

QUATRIÈME PARTIE :
EN TOURNÉE
La "Fleur de Lys"
A la Haute-Cour (Le Serment)
En escadres - Chez Pierre Loti


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Théodore Botrel


PRÉFACE DE CHARLES LE GOFFIC


Le lecteur trouvera ici, sous le titre même choisi par l'auteur pour leur publication dans une gazette régionale, les Souvenirs de Théodore Botrel. L'excellent chansonnier avait repris, en l'élargissant et en l'adaptant aux conditions modernes, la tradition des vieux bardes gyrovagues de Basse-Bretagne, coureurs de veillées, de foires et de pardons ; on peut dire que sa vie, a partir de 1895, fut un perpétuel vagabondage, une manière d'apostolat mélodique aux quatre coins du monde. D'où le titre donné a ses mémoires : Souvenirs d'un barde errant.

Botrel cependant n'était pas Bas-Breton. Il était né a Dinan le 14 septembre 1868 - Dinan-la-Jolie, comme il l'appelle dans un couplet ou il a fixé pour la postérité divers points obscurs ou contestés de son état-civil :

C'est à Dinan-la-jolie
Que j'ai vu le jour,
Ruelle de la Mittrie,
Dans le vieux faubourg
.

Mais sa famille, son "clan", était originaire de Broons, ou les Botrel, de père en fils, battaient le fer. Ils essaimèrent tout autour d'eux et l'on compte encore en Haute-Bretagne plusieurs forgerons du nom de Botrel. Lui-même, a peine sevré, tandis que ses parents s'en allaient chercher fortune a Paris, avait été confié a son aïeule paternelle, "grand'maman Fanchon", dont la chaumine du Parson (hameau dépendant de Saint-Méen), qu'elle partageait avec sa fille "tante Lalie", bordait la route de Dinan a Ploërmel. Élevé par ces deux femmes indulgentes, illettrées et toutes prises encore dans l'argile originelle, Théodore mena jusqu'a sept ans une enfance mistralienne, en pleine nature, dans le commerce des petits pâtres, ses amis, de ses oncles les batteurs de fer. L'un de ceux-ci habitait Muel-en-Crouais, proche les couverts de Paimpont, l'antique Brocéliande des légendes arthuriennes, ou l'enfant se risqua plus d'une fois et dont les philtres montaient a son cerveau avec des bouffées de rondes et de chansons populaires. Une ritournelle surtout, Belle Rose :

Connaissez-vous belle Rose ? (bis)
Rose, Rose est un beau nom :
Verse à boire.
Rose, Rose est un beau nom
Buvons donc !

dont on retrouvera le refrain et le rythme dans sa fameuse Fanchette, l'avait séduit par sa cadence alerte. Un soir de moisson, comme à la ferme voisine, tenue par un cultivateur du nom de Le Garçon, le dernier char rentrait, paré et pavoisé, avec la dernière gerbe, l'enfant, juché sur le haut du char, se prit, comme instinctivement, a façonner sur l'air de Belle Rose des couplets de circonstance qu'il lançait a la volée autour de lui :

C'ti qu'a les plus belles gerbes, (bis)
C'est le fermier Le Garçon :
Verse a boire,
C'est le fermier Le Garçon
Buvons -donc !... etc.

Peut-être n'est-ce pas le lieu de crier au miracle et a la précocité du génie, et ces couplets n'ont rien qui passe la commune mesure des improvisations enfantines ; mais il y a la pourtant comme le premier jet, la première indication d'une destinée. A ce petit "pacaut" de six ans, qui ne sait encore que sa "croix Dieu" et qui sera le plus populaire de nos chansonniers, il n'est point indifférent que ce soit la muse anonyme et sans afféterie de la chanson populaire - et plus spécialement de la chanson française - qui ait souri la première. "Chanson populaire, s'écrie quelque part Mickiewicz, arche d'alliance entre les temps anciens et les nouveaux, c'est en toi qu'une nation dépose ses souvenirs, ses espoirs secrets et la fleur de ses sentiments !"

La Haute-Bretagne mentirait à son nom et à ses devoirs, si elle n'était demeurée bretonne ; mais l'extérieur chez elle - l'habit, le langage -, depuis des siècles est tout français. C'est une remarque dont il faudra se souvenir chaque fois qu'on parlera de Botrel : le "barde breton", comme il aimait a s'appeler et comme on l'appelait communément, supportait assez bien, aux premiers temps de sa triomphale carrière, d'ignorer totalement le langage celto-armoricain et ne s'en croyait pas moins un "barde" authentique. Il eut donc fallu aussi, rétorque-t-on, qu'il gardât l'habit des siens et n'allât point, sur les tréteaux de Montmartre, s'affubler en "chulot" de la Basse-Cornouailles avec des bragou-braz et un gilet brodé.

Mais, en ce cas, le public français, belge, canadien, etc., qui voyait en lui un barde breton, le barde breton par excellence, n'aurait-il point marqué quelque résistance, et ne comprend-on pas, dira Jean des Cognets avec infiniment de bon sens, que ce costume était son seul décor, qu'il emportait partout et dont la seule vue faisait apparaître autour de lui l'horizon d'une Bretagne idéale? Concession peut-être nécessaire et, de toute façon, sans la moindre importance, si l'on veut bien réfléchir que les plus "représentatifs des écrivains bretons furent ou des "gallos" ignorants comme lui de la langue celtique, un Chateaubriand, un Lamennais, un Paul Féval, un Villiers de l'Isle-Adam, ou des Bas-Bretons dédaigneux de cette langue pour l'expression de leur pensée, tels qu'un Brizeux, un Renan et un Le Braz. La superstition de la langue peut conduire aux plus criantes injustices, et c'en fut une de contester à Botrel une nationalité qu'il affirmait par des signes beaucoup moins équivoques que de simples assemblages de sons : on étonnerait sans doute bien des Bretons intégraux en leur révélant que le plus grand de leurs "bardes", celui peut-être pour qui l'épithète de génial n'a rien d'excessif, Jean-Pierre Calloc'h, est tout imprégné de symbolisme français et a plus fréquenté chez Viellé-Griffin et surtout chez Paul Claudel que dans les Triades et les Mabinogion.

Il est seulement regrettable que l'enfance de Botrel ne se soit pas poursuivie plus longtemps dans l'Arcadie parsonienne, sous des ombrages et dans un milieu si bien accordés a ses gouts : son éclosion en sera retardée d'autant. Mais, comme il venait d'avoir sept ans - l'âge de raison -, ses parents le réclamèrent a "grand-maman Fanchon" qui résista, pleura et dut a la fin desserrer son étreinte : le petit "Théo" partit a son tour pour "la grand'ville" et, s'il ne s'y perdit pas, il s'y dévelouta bien un peu - pas trop cependant, grâce aux excellents maîtres et directeurs qui l'y accueillirent, le frère Alton-Marie, le frère Scipion, dans l'école congréganiste ou il préparait son certificat d'études primaires; l'abbé de Bréon, le saint abbé Huvelin, une des grandes figures apostoliques de ce temps, et le futur archevêque de Sens, Mgr Chesnelong, à Saint-Augustin, sa paroisse.

Cette formation toute catholique l'a marqué profondément, et l'on ne voit pas qu'a aucun moment de sa vie, même quand il courait le "cachet" dans les "boîtes" de Montmartre, il ait éprouvé la moindre crise religieuse et senti vaciller sa foi - une robuste foi de charbonnier et de Breton. Pour l'instant il en est loin, de ce Montmartre. À peine son certificat décroché, son père l'a mis en apprentissage chez un serrurier, d'ou il passe, la vocation tardant, chez un éditeur de musique, puis chez un joaillier lapidaire et enfin, comme saute-ruisseau, dans l'étude d'un avoué lettré et homme du monde, M. Ernest Denormandie. Mais cette étude est, a certains jours, un cénacle de beaux esprits : on y voit des gloires, naissantes ou déjà consacrées, du barreau, de la politique et du théâtre : Henri-Robert, Manuel Fourcade, Raymond Poincaré, Henri Becque, Jules Claretie ; le "patron", en qualité d'avoué de la Comédie-Française, dispose de billets de faveur dont la manne descend parfois jusqu'a l'humble petit clerc -, et c'est ainsi qu'un certain 14 Juillet il put assister a une représentation de Ruy-Blas donnée en présence de Victor Hugo qui se leva au bord de sa loge et a qui la salle fit une ovation pareille a celle que, cent ans plus tôt, elle avait faite a Voltaire. "Parisiens, vous voulez donc me faire mourir de plaisir ?", s'écriait Voltaire. Hugo, bonhomme pour une fois, choisit de se moucher.

Ces basochiens, au milieu desquels sa bonne étoile, aidée par le directeur du patronage Saint-Augustin, avait introduit le jeune Botrel aux environs de sa quatorzième année, "parlaient fort peu procédure, lit-on dans ses Souvenirs, et beaucoup théâtre et littérature". Mais qu'en restait-il dans le cerveau inculte de leur petit auditeur ? "Et comme tout à coup, dit-il, mon éducation m'apparut précaire ! Oh ! il me fallait coute que coute la compléter ! Et je me fis inscrire aux cours du soir des Associations polytechnique et philotechnique de mon quartier." Il suivait surtout, rue Caumartin, le cours de Lecture et Déclamation, "fait par un étrange professeur, sans grande allure, mais non sans talent, nommé Marius Lainé, haut comme trois pommes légèrement bossu, longs cheveux "à la Mendes", toujours vêtu d'une sévère redingote de notaire". Au théâtre, ce Lainé, si vivement brossé par son ancien élevé, eut été "le plus quelconque des acteurs". Comme professeur, Botrel le déclarait "incomparable".

Il lui dut, quoiqu'il en soit, ses premiers succès dramatiques a l'Amicale des Anciens Élèves de Saint-Augustin dont, à son tour, il forma la troupe et ou il fit même jouer une pièce de lui, la première en date, le Poignard, demeurée au répertoire des patronages - un petit mélo historique, très noir, mais très moral et sans personnage féminin, bien entendu. Il avait le pied à l'étrier, mais un pied seulement : auteur-acteur, il ne s'était pas encore découvert - ou redécouvert - chansonnier. Cela ne tarda guère, comme on le verra dans ses Souvenirs, et il ne restait plus a ce chansonnier qu'a trouver une scène et un public. L'un et l'autre se rencontrèrent inopinément certain soir qu'en cours de représentation, au Chien-Noir, cabaret "artistique" fondé par Victor Meusy et ou Paul Delmet interprétait deux petits poèmes de Botrel, un "numéro" vint à manquer. Meusy, avisant Botrel dans les coulisses, le poussa sur la scène en alléguant que, puisqu'il se disait chansonnier, il devait savoir chanter.

- Mais je n'ai pas de partition ! protesta Botrel.

- Ça ne fait rien, dit le pianiste pour appuyer Meusy. Partez toujours, je vous suivrai de mon mieux. Rendez-vous au point d'orgue.

Et c'est ainsi que fut "créée", sur une musique improvisée, la Ronde - aujourd'hui célèbre - des Châtaignes. Séance tenante - à moins que ce ne fut un peu plus tard -, Botrel était engagé par le directeur du Chien-Noir comme chansonnier ordinaire, aux appointements mirifiques de cinq francs par soirée.

"J'avais gouté, dit-il, à cette joie ineffable d'être "le chansonnier dans ses œuvres". Défendre soi-même ses enfants, pousser soi-même son cri (maladroit, intempestif peut-être, mais sincère), quelle ivresse c'était !... Quel apostolat ce pouvait être ! Ah ! oui ! le "parolier" était bien mort en moi : le "chansonnier" venait de naître."

Et l'on peut dire un grand chansonnier, le successeur direct de Béranger, de Pierre Dupont, de Nadaud et de Déroulède. Mais cette partie de la vie de Théodore Botrel est si connue qu'il est permis de s'en tenir désormais à quelques dates et à quelques titres de chansons ou de recueils. Aussi bien, la vraie notoriété du "barde" date-t-elle d'un peu plus tard : il la dut a "La Paimpolaise", qui n'est peut-être pas la meilleure de ses chansons, mais qui, venant après le chef-d'œuvre de Loti, Pêcheur d'Islande, bénéficia de la rumeur d'admiration soulevée par l'incomparable églogue marine et en apparut comme la condensation populaire. Botrel y avait commis maints solécismes, imputables a sa formation terrienne, et fait pêcher notamment la morue a l'aide de harpons, comme la baleine. Rien n'y fit, et les pêcheurs eux-mêmes, islandais et terre-neuvas, surent bientôt par cour la mélancolique complainte dont les paroles leur importaient moins que la nostalgie vague qui l'imprégnait :

Quittant son clocher et sa lande,
Quand le Breton se fait marin...

"La Paimpolaise", vendue à un éditeur parisien et tirée a des millions d'exemplaires, avait rapporté vingt francs a son auteur ; mais, si le profit matériel était faible, le profit moral fut énorme et s'affirma quelque temps après (1898) par l'accueil enthousiaste que le public fit aux Chansons de chez nous.

Par "chez nous", l'auteur n'entendait pas seulement que son petit coin de terre dinannais, retrouvé pendant son service militaire et ou il passait la plupart de ses permissions : il avait agrandi son horizon dans l'intervalle et, au Port-Blanc, pendant les "vacances", dans le commerce quotidien d'Anatole Le Braz, poussé en largeur et en profondeur sa culture bretonne, encore bien superficielle. Les Chansons de chez nous prétendaient être et, de fait, étaient bien réellement les chansons du peuple breton tout entier, l'expression na>ive de sa sentimentalité rêveuse, de son inquiétude et de son besoin d'au-delà. Toutes les chansons du recueil ne se valaient pas sans doute et, a côté de vrais chefs-d'œuvre du genre comme le Vœu à saint Yves, le Petit Grégoire, la Fanchette, Noël a bord, les Gars de Morlaix, il s'y trouvait bien du fatras, de l'à peu près. Et c'est le reproche, justifié en partie, qu'on ne manquera pas d'adresser aux recueils suivants de l'auteur : les Contes du lit-clos (1899), Chansons de la fleur de lys (1900), Coups de clairon (1901), Chansons en sabots (1902), Chansons en dentelles (1906), Chansons de Jean-qui-chante (1910), Chansons des clochers à jour (1911), les Alouettes (1912), Chansons de la veillée (1913), les Chants du bivouac (1916), Chansons de route (1916), Chants de bataille et de victoire (1919). Des trous, de soudaines défaillances, étaient inévitables dans une production si copieuse, a laquelle il faut ajouter les innombrables pièces de théâtre pour patronages ou que Botrel inscrivait au programme de ses représentations personnelles, quand il commença de battre l'estrade en France et a l'étranger la Voix du lit-clos, Fleur d'ajonc, Doric et Léna, la Médaille du pilote, Notre-Dame Guesclin, Jean Kermor, etc. Et, peu content de courir ainsi le monde, avec sa fidele "Léna" - Hélene Lutgen, qu'il avait épousée en 1891 - et son accompagnateur Coulomb, il lançait en 1908 et dirigeait jusqu'aux premiers mois de la guerre une revue mensuelle de musique et de poésie : la Bonne Chanson, dont il était le principal fournisseur en même temps que le directeur ; à Pont-Aven, ou il avait transporté sa tente et dont le décor un peu conventionnel, fleuri de coiffes blanches et de collerettes tuyautées, réalisait merveilleusement la Bretagne d'idylle qu'il portait en lui, il fondait ce Pardon des Fleurs d'ajonc, une des grandes "attractions" de la Bretagne estivale. C'est à Pont-Aven même, ou il avait enterré en 1916 sa chère Léna et ou il se reposait, entre ses deux enfants et la nouvelle et toute dévouée compagne qu'il avait épousée en 1919 à Colmar, au pays de sa mère, que la mort le surprenait, un soir de juillet 1925 tandis qu'il rédigeait au courant de la plume - et il y paraît bien quelquefois - ses Souvenirs d'un barde errant...

Tels quels, et dans leur allure familière, ces Souvenirs sont charmants, pleins de vie, de mouvement, et presque tout découpés déjà - sinon pour la scène - au moins pour les séances de récitation : on éprouve que l'auteur, à son insu peut-être, les "jouait" et les "disait" en les écrivant. D'où quelque surprise chez le lecteur, peu habitué à ce train. Mais il n'est que de s'y faire et de se mettre, comme on dit, dans la peau de l'auteur qui était le contraire d'un écrivain de cabinet. Et ces Souvenirs, ou le "moi" tient beaucoup de place sans doute, comme dans tous les "Souvenirs", ont une originalité encore qui est d'ignorer la médisance. À part Salis - qui le méritait bien un peu -, pas un contemporain qui y soit seulement égratigné. Mon Dieu ! que ce Botrel était bon, au point que Montmartre, sous sa plume, et ses cabarets de nuit, apparaissent comme des lieux presque austères, sans ombre de libertinage, de petites antichambres du Conservatoire céleste. Mais le fait est qu'il les traversa et qu'il fit même plus que de les traverser et y vécut tout un temps, vêtu de probité candide et de son gilet breton, lesquels n'en reçurent pas la moindre éclaboussure. L'honnêteté purifie tout. Et d'ailleurs - Botrel a raison - beaucoup de ces chansonniers montmartrois, en même temps que des gens d'esprit, étaient de très braves gens, quelques-uns même, comme Ferny ; des satiristes de grand courage justement redoutés de la canaille parlementaire. Si l'on trouve cependant qu'ils occupent dans les Souvenirs de leur ancien camarade une place un peu disproportionnée, c'est qu'on oublie que ces Souvenirs s'arrêtent à 1902 et qu'il n'a pas été permis a l'auteur de les pousser plus avant : la plume lui est tombée des mains et l'équilibre du livre s'en est vu définitivement compromis. Il n'y a point de remède a cela. Mais le plus intéressant de toute vie n'est-ce point les commencements ? La nous sommes servis a souhait et Botrel nous fait bonne mesure sur ses origines et ses débuts : il n'oublie rien, ni personne ; je ne sais rien de touchant comme les hommages qu'il rend a ses pères spirituels, un F. Alton-Marie, un abbé Huvelin, un Mgr Chesnelong. Et comme il parle sans emphase, en chrétien pénétré et pénétrant, des joies de sa première Communion ! Il n'était pas si bien porté, aux alentours de 1890, d'être et de s'avouer catholique. Botrel l'osa, en plein Montmartre. Et il arriva que cette audace, au lieu de lui nuire, le servit. Belle leçon a proposer aux trembleurs !

Dinan, sa ville natale, Pont-Aven, sa seconde patrie, Paimpol, qui voit en lui un autre Rouget de Lisle pour cette "Marseillaise des pêcheurs" que fut la Paimpolaise, rivalisent aujourd'hui à qui honorera sa mémoire. Pieuse et rare émulation, qui dit assez quels liens étroits s'étaient tissés entre la Bretagne et son "barde" d'élection. Nous avons fait nous-mêmes, au cours de cette longue introduction, toutes les réserves qui s'imposaient sur le caractère et la qualité de son œuvre de chansonnier, la seule vraisemblablement que l'avenir retiendra : cette œuvre, tout d'une coulée, n'est pas partout du même métal ; elle sonne le creux en maints endroits. La langue en est pauvre, - mais la langue des chansons populaires n'est pas sensiblement plus riche, et elle suffit. Un raffiné n'eut pas été a sa place ici, et Botrel, dans ce rôle de chansonnier national qu'il avait assumé, était servi par ses défauts mêmes -, si c'en est un de ne pas être un mandarin ou un joaillier de lettres. J'irai jusqu'au bout; et j'oserai dire que les vraies taches, les seules peut-être, qu'on relève dans cette œuvre toute d'instinct et d'effusion naturelle, sont celles qu'une certaine prétention a l'élégance littéraire y a introduites ça et là. Mais, taches, dissonances, incorrections même, le rythme emporte tout. La chanson est, par excellence, une chose de plein vent, ailée, vibrante et vivante. Et l'on peut dire en toute certitude, de Botrel, qu'il fut la Chanson faite homme.

Charles Le Goffic


Suite : Première partie, chapitre un - Ma première chanson

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