Roland Gerbeau


Roland Gerbeau
1956

odeste Roland Gerbeau !
C'est lui qui déclarait en 1987 à France-Soir : Qui sait que j'ai créé les grands succès qui sont devenus les tubes des autres ? Qui sait que c'est moi qui ai lancé "Douce France" avant Charles Trenet, puis "La mer" et "Que reste-t-il de nos amours ?" Qui sait que Piaf m'avait offert "La vie en rose" qu'elle trouvait trop mielleuse pour elle et même que j'ai créé "Ma cabane au Canada" sur un disque 78 tours qui n'est jamais sorti ?
Arrivé dans les variétés à l'âge de 18 ans, Roland Gerbeau a pourtant connu une belle carrière internationale. Et c'est Charles Trenet, ami fidèle jusqu'au bout, qui lui a donné son envol.

Roland Gerbeau est né à Vincennes (75 - Seine, aujourd'hui 94 - Val-de-Marne) le 12 novembre 1919 dans une famille ouvrière. Suite au décès prématuré de son père, il travaille dès l'âge de 13 ans comme apprenti imprimeur. Il chante déjà tout le temps et fréquente assidûment les guinguettes des bords de Marne. C'est en remportant un concours d'amateurs au Poste Parisien en 1937 que Roland Gerbeau décide de son avenir de chanteur. Il a 18 ans.

Lorsque la guerre éclate, Roland Gerbeau fait partie de l'orchestre de Richard Blareau. Il se produit au Gaumont, au Grand Rex et au Moulin Rouge. Brièvement mobilisé puis envoyé dans les Chantiers de Jeunesse, en 1941, le chanteur retrouve une place dans un cabaret de la place Blanche. Et c'est là qu'une rencontre décisive va décider de l'envol de sa carrière :"Trenet passait à ce moment là au Cirque Médrano et venait dîner dans ce cabaret après le spectacle. Il m'a entendu chanter, est revenu le lendemain soir avec son imprésario, et m'a proposé de débuter quinze jours plus tard ? l'A.B.C., en première partie de son récital. (...) Ce soir-là, il m'a également promis qu'il m'écrirait une chanson." ; Ce sera "Douce France", ni plus ni moins !
Au départ, précise Roland Gerbeau à Richard Cannavo, il me l'avait donnée complètement. (...) évidemment moi je n'étais pas très connu et je ne faisais des disques que de temps en temps, surtout pendant l'Occupation. (...) On enregistrait surtout les très grandes vedettes, et les jeunes passaient ensuite. Tout ceci, Charles le savait très bien. Et il y avait à l'époque un garçon qui était un nom énorme dans la chanson : André Claveau. Alors, lorsque Charles eut écrit "Douce France", qu'il me destinait, je sais qu'il a essayé de la donner à Claveau. Mais Claveau (...) avait des séances d'enregistrement très planifiées, avec des titres également très planifiés, et la chanson de Trenet attendait toujours d'être enregistrée. (...)Un jour que j'étais allé voir Charles ? l'A.B.C il m'a dit, en sortant de scène, dans sa loge : "Bon, eh bien, puisque Claveau ne la chante pas, je te la donne, tu fais ce que tu veux avec..." Je l'ai évidemment enregistrée tout de suite, c'est-à-dire bien avant Charles, en 1943 ! C'est d'ailleurs une chanson qui a beaucoup contribué à me faire connaître : chanter "Douce France", cette année-là, au plus fort de l'Occupation, c'était l'assurance d'un public attentif, et ravi !

De 1942 à 1944, Roland Gerbeau suit Charles Trenet, dans une tournée qui l'emmène à travers toute la France. On imagine mal, aujourd'hui, le succès incroyable que pouvait rencontrer le Fou Chantant qui, parfois, chantait devant 3000 personnes. Et comme, ? l'?poque, Charles, n'aimait guère interpréter des ballades, il laissait Roland Gerbeau les chanter, pour se consacrer, lui, à un répertoire plus swing.

De plus en plus de radios programment le protégé de Charles qui, parallèlement, fréquente les plus grands music-hall et chante dans les programmes des plus grandes vedettes de l'époque : Jules Berry, Edith Piaf, Georgius, Lucienne Boyer et Yves Montand, alors jeune débutant.

La fameuse anecdote : Roland Gerbeau était présent lorsque Charles Trenet a composé son plus grand succès, "La mer". On connaît l'histoire, souvent rapportée : C'était en juillet 1944. Avec Charles Trenet, (...) nous avions pris le train pour aller à Perpignan, en compagnie de son secrétaire et de son pianiste Léo Chauliac. Il faisait très chaud. A hauteur de l'étang de Thau, Charles Trenet s'est levé, a baissé la fenêtre du compartiment et a commencé à chantonner. Il venait de composer "La mer".

Mais Trenet n'avait, semble-t-il, guère confiance dans ce genre de chansons faites à la va vite. Et, de fait, ce tube monumental démarrera très mal puisque les quelques tentatives qu'il fit alors pour imposer ce titre au public ne rencontrèrent guère de succès. Trenet essaye alors de placer sa chanson ? une spécialiste du genre, Suzy Solidor, qui lui répond : "Des chansons sur la mer, on m'en envoie dix par jour !..." Elle a dû s'en mordre les doigts car c'est véritablement cette œuvre qui aura fait la fortune de Trenet. En fait, précise Richard Cannavo, sur les quelques centaines de titres qu'il a déposés à la SACEM, "La mer" a elle seule aurait suffi pour le rendre célèbre à jamais.
C'est donc fin '45, soit quelques mois avant son Maître, que Roland Gerbeau se surprend à enregistrer "La mer" !


A l'écoute

Une minute et quatorze secondes de cette "Douce France" que Roland Gerbeau a tant attendu de Charles Trenet !

"Douce France"
Paroles et musique de
Charles Trenet

Orchestre Guy Luypaerts

  Disque Polydor n° 590 146 - 1944