Dranem - Une riche nature
2ème partie
Chapitre VII
Où, comme Ulysse, Lacosse goûte les joies du retour.
L'horloge pneumatique du boulevard Quinson marquait sept heures, l'heure du d?ner à la pension du coin.
Betsy ouvrit l'armoire à linge et resta en extase devant les chemises de nuit laissées par Lacosse à Paris.
Une armoire à linge est un meuble à souvenirs, - bien qu'il ne soit pas à tiroirs, - généralement orné d'une
glace qui réfléchit beaucoup.
Betsy aimait cette armoire. Elle passait chaque jour une heure - une demi-heure le matin et une demi-heure au coucher du soleil - à compter le linge et à respirer le parfum d'iris qui s'en dégageait. C'était ses bons moments de la journée.
Mais il y avait, ce soir-là, des larmes dans les yeux de Betsy. L'ex-danseuse était sans nouvelles de Lacosse. La dernière lettre timbrée de Dingo exprimait une certaine lassitude et quelques appréhensions, laissait entendre que tout n'allait pas pour le mieux dans la meilleure des principautés, parlait à mots couverts d'un retour prochain... Et depuis quinze jours, rien !
D'abord confiante, Betsy avait préparé l'appartement en vue du retour de celui qu'elle appelait l'Enfant économe, par opposition à l'enfant prodigue de la Bible. Elle sursautait à chaque coup de sonnette. Mais Lacosse ne revenait pas. Or, il n'existait pas d'autre homme au monde pour cette Anglaise si vibrante sous son apparence flegmatique.
Betsy sortait peu. Dans le quartier, cependant, les amateurs ne manquaient pas. On aimait surtout son accent britannique qui, par un phénomène étrange assez fréquent depuis l'entente cordiale, s'était considérablement accru à Paris. Betsy avait repoussé toutes les propositions. Elle vivait avec la pensée de l'absent, d'une vie régulière et paisible consacrée à faire des comptes et à ranger des bibelots. Les opérations de bourse la passionnaient. Mais cette passion se rattachait uniquement à son amour pour Lacosse. Car, dans la hausse ou la baisse des valeurs, elle ne voyait que la hausse ou la baisse des rentes de l'aimé. C'était d'ailleurs la hausse persistante de tout ce qui intéressait leur fortune. Il suffisait que Lacosse touchât à une valeur quelconque pour qu'elle montât aussitôt. Mélanie Berthot se tenait au courant. Les visites de la sœur de Lacosse et de la petite Titine, la filleule, étaient les seules distractions mondaines de Betsy.
De temps en temps, l'ex-danseuse esquissait devant la glace de l'armoire à linge quelques-uns des pas de jadis, afin d'entretenir la souplesse de ses jambes, bien qu'elle n'eût aucune envie de rentrer dans la carrière. Pure satisfaction personnelle ! Elle faisait des entrechats comme d'autres font de la gymnastique suédoise.
Avec les cinquante mille francs que Lacosse lui avait envoyés de Dingo, elle s'était offert à Triel une coquette petite maison, baptisée poétiquement : le Nid et meublée à l'orientale, de façon à permettre une existence de pacha.
Mais Lacosse n'était pas là.
La demi-heure d'extase qu'elle s'accordait au coucher du soleil devant l'armoire à linge s'étant écoulée avec la rapidité inexorable des
beaux rêves, Betsy s'apprêtait à aller d?ner, - car on ne vit pas d'amour et de linge frais lorsque Mélanie Berthot fit irruption, un journal à la main.
- Ah ! ma chère Betsy, quelle
catastrophe !... Vous savez ce qui est arrivé?
- Lacosse revient ! s'écria l'Anglaise.
- Hélas ! Betsy, nous ne le reverrons plus.
- Lisez ce journal. Ah ! mon frère, mon pauvre frère !
Betsy saisit le Crépuscule où s'étalaient en manchette ces phrases écrasantes :
LA R?VOLUTION DE BLAGAPAR. DINGO A FEU ET A SANG. -
NOTRE COMPATRIOTE LACOSSE CERN? DANS SA VILLA.
Le journal tomba des mains de l'ex-danseuse, prête à s'évanouir. Mélanie le ramassa et lut d'une voix haletante :
"Une révolution soudaine vient d'éclater dans la principauté de Blagapar. Soulevé par un agitateur du nom de Makrovo, le peuple a pris les armes, et les troupes ont été débordées. La ville de Dingo, capitale de la principauté, est devenue la proie des flammes. Les nouvelles qui nous parviennent sont des plus alarmantes, et, bien qu'il soit impossible de les contrôler, nous pouvons prévoir le pire. Cette révolution ne pourrait manquer de troubler profondément l'équilibre européen en provoquant les plus graves complications internationales. (Voir en dernière heure les dépêches de notre envoyé spécial Edmond Roze.)
"Dernière heure (par dépêche de notre envoyé spécial)
"La révolution est ma?tresse - de la ville de Dingo. Le nombre des victimes est considérable. Une foule ivre de carnage fait le siège du palais des Shakossouzoff. On signale la position critique d'Hector Lacosse dont la villa est cernée par les émeutiers et qui se défend comme un lion. Le gouvernement français a envoyé de Toulon un croiseur au secours de nos nationaux."
- Darling, darling, sanglota Betsy.
- Mon pauvre Hector ! ajouta Mélanie.
- Oh ! madame Mélanie, j'ai l'âme comme une petite chose brisée... Darling, darling...
Les deux femmes pleuraient sur le même canapé. Elles pleurèrent pendant dix minutes sans avoir la force de parler. On n'entendait plus que leurs soupirs et les hoquets de leur chagrin. Mais la douleur de Mélanie ne l'empêchait pas de penser à toutes les conséquences de son deuil, tandis que Betsy était bien comme une petite chose brisée qui n'a plus sa raison d'être. Mélanie parla donc la première.
- Mon mari est atterré. Hector avait toujours été si bon pour nous... Si au moins nous avions son corps ! Pauvre garçon, aller mourir là-bas, loin des siens... Il a voulu monter trop haut... Voilà ce que c'est !
Betsy, dont les yeux regardaient très loin, très loin de là, répétait seulement :
- Darling, darling !
"Drelin, drelin", fit la sonnette, en écho.
- On a sonné, dit Mélanie... Les journalistes vont venir aux nouvelles. Vous devriez faire dire que vous n'êtes pas là, ma chère Betsy.
Betsy avait dressé l'oreille. Un doigt sur les lèvres, elle imposa silence à Mélanie...
- On monte... mon cœur ne se trompe pas... c'est lui.
- Qui?
- Lui !
On frappa trois coups à la porte, trois coups auxquels les deux femmes n'eurent pas le courage de répondre, trois coups... et le rideau se leva sur Lacosse et Gambillette !
Mélanie se signa comme devant un revenant... Quant à Betsy, elle se laissa glisser à terre et, en un geste d'adoration, posa sa tête blonde sur les bottines de l'aimé.
Lacosse la releva et l'embrassa, au front d'abord, paternellement, puis aux lèvres. Il appliqua ensuite sur les joues de sa sœur deux baisers sonores qui prouvèrent à Mélanie qu'elle n'avait pas affaire à un esprit, mais bien à son frère en chair et en os.
- Comment ça va?
Mélanie tendit à Lacosse le numéro du Crépuscule.
- Nous te croyions mort, Hector. Regarde, on annonce que tu es cerné dans ta villa de Dingo. Lacosse sourit.
- Ce journal est en retard. Il ne donne pas les derniers résultats. J'ai traversé, sans doute, des moments difficiles. Mais j'ai vaincu la révolution et j'ai quitté Dingo au milieu d'une ovation qui a dépassé tout ce qu'un homme de théâtre peut imaginer. On voulait me garder. Je ne suis pas resté à cause de vous et j'ai pris l'Orient-Express pour venir vous rassurer moi-même. Et puis, j'en avais assez de la politique !
Jusque-là, Gambillette était restée discrètement dans un coin...
Comme la chose la plus naturelle du monde, Lacosse présenta :
- Ma camarade, Gambillette, artiste de music-hall, qui a joué elle aussi un grand rôle dans l'histoire de la principauté de Blagapar.
Mélanie lui serra la main, Betsy se contenta d'un léger signe de tête, plein de réserve.
- Petite Betsy, dit Lacosse, il y a en bas trois taxi-autos qui ont transporté mes bagages. Fais-les payer. Je n'ai sur moi que de la monnaie de Dingo.
Betsy donna les ordres nécessaires. Un des chauffeurs fut chargé d'aller chercher au plus vite Auguste-André Berthot et Titine...
Lorsque Lacosse eut sa filleule sur ses genoux, sa sœur, son beau-frère, Betsy et Gambillette autour de lui, il raconta son histoire, brièvement et de l'air dégagé qui convient aux grands hommes quand ils parlent d'eux...
- Nous y reviendrons, d'ailleurs, et je vous donnerai d'autres détails, ajouta-t-il... J'ai besoin de me reposer ce soir, après un si long voyage...
- Tu m'as rapporté quelque chose, tonton?... questionna Titine.
- Oui, ma mignonne, une belle poupée en costume du pays... Pour vous, Auguste-André, j'ai pensé que vous seriez content d'être décoré. Demain, lorsque mes malles seront défaites, je
vous remettrai la croix du Mérite universel. C'est une décoration qui ne court pas les rues.
- Merci, Hector...
- Et à Paris, quoi de neuf ?
Auguste-André apprit à son beau-frère que le salon de coiffure allait être vendu après fortune faite. Betsy exposa la situation financière et décrivit la petite maison de Triel - le Nid - toute prête à recevoir le pigeon voyageur.
- Parfait, parfait ! déclara Lacosse en se frottant les mains. Et maintenant, mes enfants, on va se coucher. On l'a bien mérité...
Il déposa la petite Titine qui n'avait pas envie de dormir, tenue en éveil par la fierté d'être sur les genoux de son oncle à l'heure où les enfants sont généralement au lit, puis il pria Betsy de bien vouloir indiquer à Gambillette un hôtel convenable dans le quartier. Elle était si heureuse, la petite Betsy, que Gambillette faisait à peine une ombre sur sa joie! Et ce fut de tout son cœur qu'elle rougit lorsque Lacosse prononça les paroles depuis si longtemps attendues
- Petite Betsy, viens me donner une chemise de nuit !
Les jours suivants, une nuée de reporters s'abattit sur le boulevard Quisou. Des photographes braquaient leurs appareils sur la porte cochère du petit hôtel, prenant au vol toutes les personnes qui entraient ou qui sortaient... Un grand journal loua même une fenêtré de l'immeuble d'en face.
Mais Lacosse ne se laissait pas prendre.
Paul Leblanc de Senlis, le rédacteur au Music-Hall qui l'avait si longuement interviewé avant son départ pour la grande tournée, ne fut pas plus heureux que les autres. Lacosse consentit seulement à lui serrer la main.
- Je ne vous dirai rien, mon ami, rien, rien, rien.., pour le moment du moins. Sachez seulement que j'ai renoncé au théâtre...
Malgré tous ses efforts, Leblanc de Senlis n'avait pas tiré davantage du grand homme.
La curiosité publique en était donc réduite aux hypothèses et les bruits les plus invraisemblables circulaient, grossissant de jour en jour, sans que Lacosse se donnât même la peine de les démentir.
Notre héros, harcelé de toutes parts, prit bientôt d'ailleurs le parti d'aller passer quelques jours avec Betsy à Triel. Il trouva le Nid charmant.
Mais d'autres préoccupations le ramenèrent à Paris.
Il avait l'esprit hanté par Suzanne Bichon.
Sans cesse le souvenir de cette femme revenait frapper aux portes de son cœur. Où était-elle? Mélanie ne l'avait plus revue depuis le jour de sa visite de détresse... Où cachait-elle sa misère et sa beauté ?
Lacosse alla consulter Lauron, le célèbre détective, auteur de plusieurs remarquables romans policiers et directeur de l'agence de police privée Lauron-Laurompa.
Lauron lança immédiatement ses plus fins limiers à la recherche de la malheureuse. Les résultats furent désolants. On présenta à Lacosse trois dames Bichon complètement mûres. L'une d'elle, - cinquante ans, - était bonne à tout faire; une autre, - soixante-cinq ans, - vendait des pronostics sur les champs de courses; la troisième, -- soixante-neuf ans, - tenait un chalet de nécessité.
Lauron décida de prendre lui-même l'affaire en main. De filature en filature, de déductions en déductions, d'inductions en inductions, il finit par découvrir une Bichon qu'il crut être la bonne. Elle était plus jeune que les trois autres et faisait du footing au promenoir du Panam's. Mais il y avait encore erreur ! L'enquête de l'agence Lauron-Laurompa fut alors classée et coûta dix mille francs au client.
Lacosse se désolait. La neurasthénie le gagnait, malgré les soins dévoués, variés et réunis de Mélanie, de Gambillette et de Betsy.
Or, un jour, au moment où il prenait, à la gare Saint-Lazare, son billet pour Triel, il aperçut, dans une foule morne d'émigrants, une femme si jolie sous ses misérables haillons qu'il ne put en détacher ses yeux. Il ne la reconnut pas d'abord. Puis, peu à peu, la lumière se fit dans ses souvenirs, et il était presque certain d'avoir enfin devant lui Suzanne Bichon, la vraie, l'unique Suzanne Bichon, lorsque l'émigrante s'approcha de lui
- Je suis heureuse de vous rencontrer avant mon départ, Hector
- Vous ! C'est vous !
- C'est moi, Suzanne Bichon.
- Enfin !... Je vous cherche depuis si longtemps !
- Nous nous retrouvons pour nous dire adieu, Hector. Il est six heures dix. Dans vingt minutes je prends le train du Havre et de là je m'embarquerai pour l'Amérique.
- En vingt minutes il peut se passer bien des choses, s'écria Lacosse. Venez au café, nous causerons.
L'émigrante le suivit, et la conversation reprit devant deux bocks auxquels il ne touchèrent pas.
- Alors, ma pauvre Suzanne, vous avez été malheureuse...
- Horriblement malheureuse, Hector. J'ai tout quitté pour un homme qui m'avait séduite par ses belles paroles et qui m'a abandonnée dans ces haillons, sans un morceau de pain, après avoir mangé tout ce qu'il me restait.
Lacosse montra le poing à un être invisible.
- Et vous l'aimiez, ce monstre?
- Non, Hector, je n'ai jamais aimé personne... ou plutôt... Mais... non... ce n'est pas le moment...
- Que voulez-vous dire?
- Rien, Hector, il est trop tard...
- Il n'est jamais trop tard, Suzanne... Moi je n'ai eu qu'un amour : vous... depuis douze ans !
- Oh ! je sais que vous avez été de femme en femme...
- Justement, Suzanne. Quand on aime une femme, on a toutes les autres. J'ai essayé de me distraire, de m'étourdir... Je me suis laissé aimer. Mais à aucun moment je ne vous ai oubliée, Suzanne, même au fa?te de la gloire... Lorsque j'ai reçu à Dingo une lettre de ma sœur me disant votre détresse, mon cœur n'a fait qu'un bond vers vous. Ni les prières d'un peuple, ni les faveurs d'une reine ne m'ont empêché de rentrer en France pour vous chercher. J'étais disposé à remuer ciel et terre lorsque le hasard m'a conduit sur votre chemin,
Suzanne Bichon fondit en larmes.
- Hector ! Hector !
- Ne pleurez pas... Je suis là... fit Lacosse. qui était sur le point d'en faire autant. Suzanne se moucha.
- Voyez-vous, Hector, c'est que moi aussi je n'ai jamais aimé que vous, au fond. J'ai senti cet amour le jour où je vous ai vu attablé à l'hôtel de Saint-Aubigny, avec cette femme du Casino, cette Mominette...
- Mominette? chercha Lacosse.
- Oui, Mominette, je m'en souviens comme si c'était hier. J'ai d'abord été jalouse de sa toilette, de ses bijoux... et puis j'ai compris que j'étais jalouse de son amour... Par dépit, j'ai quitté l'hôtel de la Plage, Saint-Aubigny, mon père, ma vertu, et j'ai marché d'homme en homme, comme vous avez marché de femme en femme, sans parvenir à étouffer mon cœur. De loin, je vous suivais, je m'intéressais à vos succès, à vos aventures. Je voulais me persuader que je vous ha?ssais... Vous souvenez-vous de la visite provocante que je vous fis un soir dans votre loge?...
- Oui, vous m'avez dit que vous ne seriez jamais la ma?tresse d'un cabotin, que vous me méprisiez...
- C'était de l'amour, Hector !...
- Et moi qui ne l'ai pas compris !
Les hommes nous comprennent toujours trop tard... Ce soir-là, j'espérais un aveu qui n'est pas venu... Et c'est après cette entrevue que je me suis jetée de désespoir dans les bras du vil individu qui m'a réduite à la misère... Nous sommes passés à côté de l'amour, Hector. Je vous ai ouvert mon cœur avant le grand voyage. Je vais partir soulagée...
- Non, Suzanne, non, vous ne partirez pas... Nous avons attendu longtemps avant de nous conna?tre... Mais notre amour devait avoir son heure. Elle sonne...
Suzanne Bichon regarda la pendule.
- Mon Dieu, il est six heures trente-deux !
Lacosse lui prit la main.
- Vous voyez, vous avez manqué votre train ! Moi aussi. Le mien était à six heures quinze ! Nous prendrons maintenant ensemble le premier train pour Cythère...
- Non, mon ami, ce n'est pas possible. Je ne suis plus digne de vous... J'ai trop mal vécu !
- Et moi donc !... Ce n'est d'ailleurs pas le mariage que je vous offre, ma pauvre enfant Pour cela, oui, il est trop tard ! J'ai deux ma?tresses... deux camarades-ma?tresses que je n'aime pas d'amour mais que je n'ai pas le droit de quitter. Un homme d'honneur ne transige pas avec sa conscience... Vous ne m'estimeriez pas, Suzanne, si j'abandonnais ces femmes. Je vous offre de vous refaire une existence près de moi. Vous avez accepté de l'or que l'amour ne purifiait pas, vous pouvez accepter le mien je vous aime !... Je vous installerai dans mon quartier. Nous nous verrons tous les jours. Je ne serai pour vous que ce que vous voudrez bien que je sois. Si vous me permettez d'être tout, j'aurai réalisé mon rêve de bonheur.
- Non, Hector, dit faiblement Suzanne.
- Si, Suzanne, appuya vigoureusement Hector.
Leurs mains se pressèrent. Les consommateurs étaient attentifs à ce spectacle émouvant.
- Nous d?nerons ensemble, Suzanne. Je vais envoyer une dépêche pour que l'on ne m'attende pas...
- Mais je suis trop mal habillée ! murmura Suzanne vaincue.
- Les grands magasins sont encore ouverts, répliqua Lacosse radieux. Allons aux Galeries de la Demi-Déesse!
- Oui, mais les Deux-Tiers habillent mieux...
Ils allèrent aux Deux-Tiers, et l'émigrante fit peau neuve après quelques essayages.
Puis ce fut le d?ner en cabinet particulier, d?ner qui se termina par le dessert d'usage au cours duquel Suzanne Bichon et Lacosse achevèrent enfin de constater qu'ils étaient bien faits l'un pour l'autre.
- Nous y avons mis le temps ! dit Lacosse.
- Chi va piano va sano ! remarqua Suzanne, qui avait été la ma?tresse d'un grand fabricant de macaroni.
Et de ce jour commença pour Lacosse une existence retirée entre Mélanie, Auguste-André et Titine d'une part et Betsy, Gambillette et Suzanne de l'autre...
?pilogue épistolaire
"Dingo, 1er juin.
"Mon Vieux Lacosse,
"La présente est pour vous annoncer mon retour à Paris et d'autres choses qui ne vous seront pas indifférentes.
" En vieil égo?ste que je suis, je commence par mon chapitre personnel. J'ai fait ma pelote... Ne riez pas, vieux polisson, la pelote de papa Coudet-Brassin n'a rien de commun avec l'amour... Et cependant... mais attendez... Je viens de céder le Blagapar's Palace pour la bagatelle de un million deux cent mille botariks à une société franco-russo-turco-grecque. Là-dessus je vais aller finir ma petite bonne femme de vie sur la côte d'Azur avec une autre petite bonne femme pour de bon que j'ai dénichée ici depuis votre départ, une gosse impayable qui a déjà roulé ses bosses aux quatre points cardinaux et qui me rajeunit au point que je me demande si je ne retombe pas en enfance.
"Mais parlons sérieusement. La principauté marche comme sur la roulette, grâce à mon soixante et quatre-vingts. Deux cent cinquante mille étrangers, la saison dernière. Et je vous assure qu'ils se sont dépensés. Au point de vue politique, le prince Vasistas et la princesse Mitineka se sont réconciliés sur votre dos et sur celui si gentil de Gambillette, de douce mémoire, et c'est la lune de miel, seconde édition. On n'entend plus parler de Pétarowski. Makrovo s'est jeté à l'eau. C'était son élément, et il y est resté. Le diable ait son âme.
"Et maintenant, mon vieux Lacosse, voici ce qui vous touche directement.
"La princesse a accouché de deux jumeaux, - vous m'avez bien entendu : deux jumeaux ! - deux beaux petits gars admirablement constitués qui donnent toutes les garanties à la Constitution de Blagapar. Vous avez bien fait les choses. La vieille dynastie des Shakossouzoff n'est pas
près de s'éteindre.
"Pour fêter cet heureux événement, le peuple blagaparan a été exonéré d'impôts...
Paris ? Imp. Paul Dufort ? 9.7.24
Chapitre VI |