"Romanitza" (La Roumaine, en français)
Collection Dimitar Malchev
Nitta-Jô
Énigmatique Nitta Jô...
n ne connaît d'elle que son vrai nom, Jeanne Daflon, et son nom de scène parfois écrit Nita-Jo (un seul "t"), parfois Nitta-Jo, parfois sans trait d'union et parfois Nitta Jô...
Elle serait née vers 1890, peut-être même un peu avant, car ses débuts, elle les aurait faits à Marseille, aux Variétés-Casino, en 1907, mais comme dans tous les enregistrements qu'elle a faits particulièrement dans les années trente il n'y a aucune trace de l'assent de la région, on serait tenté, pour découvrir ses origines, de diriger ses recherches, ailleurs, vers Paris d'abord sauf que, comme nous le mentionne le toujours très renseigné Marc Béghin †, pas une mention d'elle dans aucune mairie. - Conclusion : elle est née nulle part. Dans une interview donnée au Fort Wayne Sentinel (journal de l'Indiana - Etats Unis), on apprend qu'elle est née le 8 octobre 1881 (ou 1887), que son père, Philippe Daflon, dirigeait le grand magasin Le Bon Marché à Paris. Dans The Buffalo Enquirer ( New York - Etats Unis), il est dit qu'elle a débuté sa carrière à l'âge de 9 ans. Mais dans le Fort Wayne Sentinel, on lit egalement que enfant de Montmartre, elle livrait des chapeaux pour un magasin de la rue de la Paix, qui l'emploiera comme vendeuse lorsqu'elle sera plus âgée.
Dans le Dayton Daily News (Ohio - Etats Unis) du 19 juin 1919, on relate son mariage à Bucarest (Roumanie), vers 1912,avec Charles E. Durnell, un cavalier américain en charge des écuries de course du premier ministre roumain. Pendant la Grande Guerre, elle quitte la Roumanie pour la Russie. Devant la terreur que font régner les bolcheviks, ele s'enfuit à travers la Sibérie vers le Japon, d'où elle s'embarque pour les Etats Unis. Présentée comme "chanteuse de caractère", elle se produit en 1919 au théâtre Orpheum de New York.Sa première tournée en Amérique du Nord commence par des passages au Théâtre Princess de Montréal et se terminera à Washington DC (capitale des Etats Unis).
En avril 1920, elle est au théâtre Orpheum de San Francisco et en mai, à celui de Los Angeles. Philippe Chauveau nous dit qu'elle était à Ba-Ta-Clan en 1910 et puis, en 1931 ou 1932, à l'Alhambra. Entre les deux, rien.
Après une tournée à Aix en Provence en 1938, on perd sa trace.
Sauf que
Dans le Répertoire des Disques Pathé de 1914, dix-sept titres (9 disques) mais on parle d'enregistrements qui auraient été faits entre 1908 et 1912, certains précédés de l'annonce "Par Nitta Jo de l'Alhambra". C'est qu'elle y était, bien avant les années
trente... :
"Ah ! Mireille" (Chanson grivoise) "Zyrka !"(Deux versions) "Amour napolitain" (Idylle tragique) "La toquette" (Chanson grivoise) "Au chant des binious" "Le jeune homme du métro" "Bous-Bouss-Mé" (Chansonnette légère) "Vien à qui" (Chansonnette grivoise) "Ça sent toujours l'amour"(Chansonnette) "Napolinette" "Fille d'Espagne" (Marche) "You-You sous les bambous" (Chanson vécue) "Fioretta d'Amore" (Fleur d'amour) "La tour pointue" (Chanson-Valse) "Grain de beauté"(Chansonnette grivoise) "Tire, tire, Ninette"(Chansonnette légère) "Marche d'amour"(Chanson)
On parle ici et là de tournées : à New York (1926), en Espagne (1927), à Genève, Milan, Rome, à Constantinople, en Roumanie, en Égypte, en Turquie, en Suisse... - Existeraient, paraît-il, du début et peut-être du milieu des années vingt quelques Odéon espagnols, d'autres enregistrements faits à Bucarest...
Chose certaine, dès le début des années trente, elle est à Paris et elle n'est pas méconnue car elle tourne :
Dans Cendrillon de Paris de Jean Hémard (1930) aux côtés d'Alibert, de Pauline Carton, de Marguerite Moreno...
Dans La fortune du même (1931) avec, en vedette, un tout jeune Claude Dauphin.
Dans Toine (1932) de René Gaveau avec Andrex, Karl Ditan et Fortuné.
Et puis il existe au moins deux autres films où elle était sinon en vedette du moins de la distribution, deux autres films que la vénérable Internet Movie Database n'a pas encore répertoriés :
Paradis d'Afrique
et
Mon oncle de Marseille.
Elle enregistre également :
53 faces pour la société Columbia [*]. - Entre 1930 et 1936. - Ce sont, aujourd'hui, à peu près tout ce qui nous reste d'elle car...
Après... Rien mais vraiment rien.
On l'aurait repérée (dixit Monsieur Béghin †) sur une photo prise au cours d'un repas de fête en 1953 mais où et à quelle occasion ? - On ne sait pas.
Conclusion : née nulle part, elle est également décédée nulle part.
Et pour compliquer les recherches un peintre japonais, né en 1900, décédé en 1945, avait pour nom Nitta Jo...
Avouez que, biographiquement parlant, c'est très curieux.
Les photos d'elle sont rarissimes. On en connaît trois ou quatre.
Sur le maigre dépliant joint à un coffret que Pathé-EMI lui a dédié (voir ci-contre), une affiche dont on ne dit pas la provenance.
Quant à ses films, il y a longtemps qu'ils ont été oubliés.
En voici, cependant, un court extrait tiré de Cendrillon de Paris où elle chante un couplet de "Ta voix" (d'Étienne Recagno et Roger Dumas) unechanson que Damia n'aurait pas refusée. - Au fait, est-ce bien Nitta Jô ou serait-ce Damia elle-même ? - À vous de juger.
Coté enregistrements,Chansophone a repris, en 1995, quelques uns de ses "succès" (CD Succès et raretés 1930-1935) (numéro 133) :
"Ta voix"
"Sainte Catherine de Paris"
"Les gosses"
"Tango des Roses"
"La folle"
"Senorita"
"Cocaïne"
"C'est vous que j'aime"
"Du feu"
"Sous l'ombrelle"
"Être aimée de toi"
"Fleur de joie"
"Aime-moi"
"Ton regard"
"Belle Gitane"
"Roule"
"Fumée d'amour"
"Si tu me veux"
"Mais non"
"Caïn"
"Mon beau matelot"
"Sahara"
"Écoute l'amour".
Pathé-EMI cité ci-dessus a repris, en 2001, dans un coffret double (numéro 7243 533120 2) les mêmes titres (sauf "Caïn" et "Mon beau matelot") en leur ajoutant :
"Un rien !"
"La fortune"
"Les gueuses"
"Quand une femme dit "non !"
"Casablanca"
"L'étudiant passe"
"Malgré toi"
"T'avoir à moi"
"Un air de tango"
"Un homme qui passe"
"Chico"
"L'horizon du cœur"
"C'est ton ombre"
"Munchita"
"La fille du mal"
"La course folle"
"Valsons! mon amour"
"Un tout petit pied"
"L'oiseau de nuit"
"Dis-moi que tu m'aimes"
"Dans le caboulot"
"Je veux un p'tit homme"
"Du vent dans les voiles"
"J'ai soif"
"Mesdam's répondez : oui"
"Soirs de Grenade"
"Sorcière"
Comme on peut le constater, le répertoire de Nitta Jo fut très varié. - Ses interprétations le furent également. Parfois, on croirait entendre Suzy Solidor ; à d'autres endroits, Damia, Berthe Sylva, naturellement et puis Yvonne Printemps , Charlotte Gaudet (dans ses premiers enregistrements) et même l'inoubliable inoubliée que fut Fréhel. - Et puis quoi ? Nitta Jo en meneuse de revue ? Pourquoi pas...
Dans le lot se détache "Le tango des Roses" de J. Rivière, Scheier Bottero (1931) créé par Vorelli en 1929, endisqué pour la première fois par Fred Gouin la même année, et qui mérite d'être cité en entier.
(J. Rivière, Scheier Bottero) - 1931
Aime-moi
Comme on aime une rose
Qu'un rayon de soleil fait éclore
Cueille-moi
Je suis ta fleur, je suis ta rose
Qui meurt, hélas !, à peine éclose
Pour toi seul est mon cœur.
Pas mal, mais pas mal du tout, non ? - Et Nitta Jo a eu l'intelligence de chanter le deuxième couplet :
Mais vint un triste jour
Où finit leur amour
Comme une rose
Par le froid saisie
Toute sa beauté
S'évanouit...
Sinon, ça aurait fait un peu trop mélo.
Pour le reste, on ne ferait pas une grande erreur - une opinion - si, dans ses meilleures interprétations, on lui préférerait Damia.
Note du 21 février 2011 [*] : Un lecteur anonyme, nous précise ceci, sur feu notre Forum : "...Nitta Jo à travaillé à l'Empire, comme elle est créditée sur certains disques Columbia des années 30 ( "La Fortune", Columbia DF 663...et DF 664 par exemple). Au vu du mystère qui plane apparemment autour de cette Dame, il me semblerait intéressant de le préciser." - Voilà qui est fait !
Ajout du 15 août 2023
Monsieur Sylvain Fourcade, auteur, nous écrit pour nous proposer le résumé qui suit et qui rétablit certaines vérités au sujet de cette artiste pour laquelle on lit surtout des erreurs et des approximations :
Nitta-Jo, née Fanny Dafflon (Paris, 7 oct. 1880). Mariée à (1) Pierre-Claude Pierry (div. 1914), (2) Charles Elwood Durnell (div. v. 1926). Un fils (Bertrand Durnell, 1918-1973). Décédée ap. 1946. Chanteuse notamment active dans le sud (Marseille, dès 1907). Principales scènes parisiennes : Alhambra (1907-1912, 1922, 1932, 1935), Empire (1929, 1931). Nombreux tours de chant en Espagne (Barcelone, 1907-1914, 1921-1934 ; Madrid, 1913, 1924). Des passages en Belgique, à Constantinople, à Genève, à Londres, en Algérie, en Egypte, en Italie, au Maroc, en Tunisie. Etablie en Roumanie en février 1914, en Russie fin 1916, aux Etats-Unis de mai 1918 à juillet 1920 (des incursions au Canada), tous pays o? elle chanta inlassablement ; fugacement en Mandchourie (mars 1918), au Japon (avril 1918). 17 chansons enregistrées chez Pathé (Paris, 1910-1912), 4 chez Polyphon (1914, sorties à Bucarest), 2 chez Odeon (Barcelone, fin 1921), 53 chez Columbia (Paris, 1930-1936, dont 3 inédits). Apparitions dans des revues (Marseille, Alcazar, 1923, 1924). Des films muets en Roumanie (1912 ?, 1915), 3 films "parlants et chantants" en France : anecdotique dans Cendrillon de Paris (1930) et La Fortune (1931), comédienne dans Toine (1932).
Source : "Nitta-Jo ou La Course d'une étoile, tome 1 : Lumières", Sylvain Fourcade, août 2023, imp. CoolLibri, 554 pages :