CHAPITRES _____________________
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[*] Curieusement, ces Mémoires n'ont pas de chapitre 10. _____________________
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Eugénie Buffet
Chapitre 4
Ce fut un véritable plongeon que j'exécutai, au milieu du vacarme et de la joie délirante de la capitale, accompagnée du Comte qui éprouvait une sorte de vanité étrange, à exhiber, aux regards étonnés de ses amis, viveurs aristocratiques et pédants, confits dans la tradition des bonnes manières, la fleur drôlement poussée que j'étais. Il était un peu semblable à ces explorateurs qui, revenus de leurs longs voyages à travers les steppes et les pampas, promènent avec orgueil et ostentation des collections d'insectes bizarres, et traînent avec eux de jolies tigresses à peine apprivoisées qui font peur à tout le monde. Le Comte savourait le plaisir de promener, au milieu d'une société de fêtards chics et de poupées luxueuses, la petite sauvage qu'il avait ramenée des cafés chantants et des bars de Marseille. Ah ! de quelle façon mon insolite présence fut accueillie, et de quels regards narquois, derrière les faces à mains et les monocles, je fus éclaboussée en un instant ! Des rires fusaient, pouffaient derrière les éventails ; les quolibets, les calembours et les mots rosses bondissaient comme des balles, passaient en sifflant à mes oreilles ; je sentais la moquerie et l'impertinence s'organiser autour de moi. Les plus indulgentes disaient : "Elle n'est pas laide, cette petite, mais elle est drôlement attifée !" Les hommes amusés, énervés, tournaient autour de moi, regardaient de plus près le grain de ma peau, me posaient des questions embarrassantes, auxquelles je répondais avec une gêne comique. Le Comte qui avait escompté un succès personnel, et avait joui tout d'abord de l'effarement de ses amis, s'inquiéta de la tournure que prenaient les événements. Il craignit d'être obligé de relevé un propos désobligeant et de croiser le fer avec un de ces plaisantins qui commençaient à l'agacer. Il changea de tactique. Il décida de faire de moi une femme du monde ou du demi, ces deux catégories ayant été, de tout temps, étroitement unies. On n'a jamais su, très exactement, faire la démarcation qui existe entre la première et la seconde. Je pourrais cité telle Princesse, comme cette trop fameuse de Caraman-Chimay, qui ne craignait pas de se promiscuité avec des tziganes, et telle comédienne aujourd'hui illustre, qui répondait, dans notre Compagnie mêlée, au surnom évocateur de "Sousoule !"
Donc, le Comte, après un court séjour à l'hôtel Continental, m'installa en meublé rue Richepanse, me fit donner des leçons de maintien, me chaperonna, m'introduisit chez les grands couturiers et les grands bottiers, les modistes et les manucures, me fit une beauté conforme à l'esthétique à la mode, me conduisit dans le monde et les grands restaurants, m'accompagna sur les champs de course et dans les coulisses des théâtres, me combla de bijoux, de cadeaux, me prodigua une passion classique à laquelle je répondis par la classique cruauté d'une femme adulée, gâtée, qui se sait jeune et belle, et qu'étourdit et qu'écœure en même temps tout ce luxe factice et tout ce fade encens. Je fus bientôt lancée et à la hauteur de toutes celles, qui, quelques mois avant, riaient de mes guenilles et de ma gaucherie. Je fréquentais déjà le Prince Louis de Tarente, François de Noailles, Comte Serge de Morny, Duc de Morny, Gabriel Du Tillet, Prince de Poix, Comte de Clémont-Tonnerre, Marquis de Pracomtal, les hommes les plus distingués et les plus célèbres me faisaient la cour. Cette existence de plaisir que je détestais au fond, il me fallait la vivre. Elle m'avait prise toute entière, malgré le dégoût que j'y trouvais, mais je l'ai dit, je n'avais pas le choix. Et, à tout prendre j'aimais encore mieux les madrigaux des soupirants en frac, que l'argot des trafiquants de la cannebière.
Un jour, le Comte, las d'être malheureux et de souffrir pour moi, s'en alla en m'abandonnant quelque argent. Je quittai la rue Richepanse pour venir habiter ? toujours en meublé ? rue Royale, et, ayant rencontré le Comte Arnold de Contades, ce dernier m'installa, enfin chez moi, au 17 de la rue de la Trémoille.
J'eus une façon assez originale de pendre la crémaillère. Comme j'avais acheté de nombreuses toilettes et pas mal de bijoux, je me trouvai tout à coup démunie d'argent, et ne pus meubler que deux ou trois pièces de mon vaste appartement. Mon salon était aussi vide que ma bourse.
Cependant, j'avais formé le projet de réunir mes amis et amies intimes, et je n'aurais, pour rien au monde, consenti à retarder l'exécution de ce projet. Mon imagination suppléa aux richesses absentes : je fis couvrir le sol de gazon frais et commandai à Potel et Chabot un déjeuner que mes convives, dignes émules d'Héliogabale, se réjouirent de manger sur l'herbe tendre, dans un appartement du huitième arrondissement ! Je dois avouer que cette fantaisie eut du succès et qu'elle fut loin d'être trouvée banale !
A quelque temps de là, je débutais aux Variétés comme figurante dans La Grande Duchesse que jouait la délicieuse Judic. J'eus le plaisir d'approcher des artistes célèbres : Baron, Lassouche, Dupuis, Ève Lavallière, Christian, dont j'admirais le talent. L'année suivante, je parus également, comme figurante, dans une revue de Delilia : Que d'eau ! Que d'eau ! où, cette fois, un pas de danse espagnol, réglé par ma compatriote Mariquita, apporta pour moi une petite diversion à la monotonie du pâle métier que j'exerçais, en attendant la gloire qui tardait à venir. Je n'ai point de honte à avouer que je fus, dans cette exhibition, aussi exécrable que dans les précédentes ; mais, outre que j'avais acquis cet aplomb qui vous tient parfois lieu de talent, j'étais maintenant de celles qui peuvent narguer la vie sans craindre ses camouflets, ayant un amant riche, un protecteur prêt à parer les coups qui pouvaient me frapper !
Aux Menus-Plaisirs où j'avais pour camarades de scène Louise Balthy, Émilienne d'Alençon, Méaly, j'eus un jour une querelle assez vive avec la fameuse Louise Balthy, morte il n'y a pas longtemps, et qui passait, à tort ou à raison, pour une femme d'esprit. Pour ma part, je la pris souvent en flagrant délit de plaisanteries de corps de garde ; j'ignore si elle avait plusieurs sortes d'esprit : un pour les gens délicats et distingués, un autre pour les rustres et les imbéciles, mais ce que je puis affirmer, c'est que les humiliations qu'elle faisait subir au pauvre troupeau des débutantes, et- les traits fielleux qu'elle décochait à ses petites camarades, n'obtenaient qu'un médiocre succès dans les coulisses des Menus-Plaisirs, et qu'elles lui attiraient bien souvent l'antipathie ou la haine de son entourage immédiat. Je me promis de venger à la première occasion ceux qu'elle avait si souvent pris pour cible. Un soir qu'elle avait, je ne sais pour quel motif, houspillé plus que de coutume une des nôtres, je me plantai sous son nez, et lui dis, sans avoir, moi, la prétention de faire de l'esprit : "Tu sais que tu es ici la plus moche ! Et je te préviens que si tu mords trop fort, tes fausses dents vont tomber !" Inutile d'ajouter que nous demeurâmes des ennemies intimes jusqu'à la fin de ses jours ; car elle était de celles qui prennent au sérieux leur prétendue souveraineté.
Ah ! comme on apprend l'humanité dans ces milieux hétéroclites, et comme l'âme et le cœur humain se dévoilent au sein de cette mascarade du théâtre, du monde et de la noce ! Il me faudrait plusieurs livres, et j'userais, à la reconstitution de cette époque lointaine, la mémoire claire qui me reste, si je voulais écrire tout ce que je sais, toutes les vérités que je connais, tous les scandales inouïs que j'ai enregistrés, tous les spectacles de vanité, de bluff et de mensonge auxquels j'ai assisté, toutes les douleurs tragiques que j'ai découvertes, dissimulées derrière une grimace d'amoureuse fardée, toutes les larmes que j'ai vu se perdre au fond des coupes de champagne, toutes les détresses que j'ai surprises grelottant sous les rires ! Je n'aurais pas assez de place, je n'aurais pas assez de pages... je n'aurais pas assez de courage, non plus !... mais il faut que, pour l'édification de mes lecteurs, et pour la vérité de l'histoire de la vie parisienne, j'arrache tout de même quelques masques, que je ramène à leurs véritables proportions des personnages dont certains écrivains, abusant de la confiance du public, ont fait des portraits mensongers, en leur prêtant des qualités dont ils étaient dépourvus ou en les accablant de vice qu'ils n'avaient pas ! Éternelle imposture des historiens guidés par leur rancune personnelle ! Éternelle jobardise du public leurré et trompé par des bergers sans conscience qui n'aspirent qu'à leur vendre leur marchandise de mauvais aloi, leur camelote de pacotille ! Entrons dans la vérité : tant pis pour ceux qu'elle offensera, tant pis pour ceux et pour celles qui se retrouveront ici, dépouillés de leur légende, dans toute la sécheresse de leur nudité triste, sous l'aveuglante et vengeresse clarté de mon projecteur !
***
J'étais enfin arrivée, pour quelque temps du moins, à chasser de moi la hantise du théâtre ; mes malheureux essais m'en avaient un instant détournée... Et puis Arnold de Contades était gai, agréable compagnon, il me faisait une vie ouatée et légère. Quelles distractions charmantes et de tous les instants il me procurait : le matin, j'étais, aux bois, une amazone accomplie ; l'après-midi je conduisais une charrette anglaise et un amour de petit poney ; le soir je brillais et j'extravaguais, à des dîners somptueux, où toute la bande des pschuteux, des aristos et des théâtreux, se retrouvait ! Et c'était la griserie des courses, les salles de jeux, et le Jardin de Paris où, après les repas du soir, toutes les jolies femmes de mon temps se donnaient rendez-vous. Étaient-elles vraiment jolies toutes ces jolies femmes ... Elles étaient souvent pis ou plus que belles... visages déconcertants, étranges, beautés dites fatales, souvent factices, faites de la science du sourire et de l'art délicat du maquillage, corps savamment parés, et servis par des poses alanguies et des attitudes enchanteresses. Et puis, chez certaines, un charme naturel, ou de l'esprit, ou les deux ensemble quelquefois ; chez d'autres, une canaillerie raffinée et polissonne, une morbidesse attirante tenant lieu de tout... Je peux dire que tous les échantillons féminins ont passé par là. Je vais m'efforcer d'en extraire quelques-uns de ma vitrine aux souvenirs.
Voici Émilienne d'Alençon. A ce moment-là, la maîtresse du duc Jacques d'Uzès, surnommé le petit Duc, et qui avait une marotte inoffensive, celle de dresser des lapins ; Lucie de Kern, véritable bourgeoise de la galanterie, créature prudente, ne laissant rien au hasard, se réservant une " poire " pour la soif, et ayant pignon sur rue. Pas d'extravagance, pas de coup de tête ; Angèle de Varennes qui, possédant tout ce qu'il fallait, elle aussi, pour être heureuse, se suicida par amour !
Marie Delannoy mérite une mention spéciale. On aurait pu la surnommer la courtisane des Rois ; elle avait eu les faveurs de presque tous les Rois et les Empereurs de son temps. Elle assurait, d'ailleurs, que rien n'était plus assommant que de passer une nuit avec ces gens-là ! Et elle avait coutume, après avoir donné quelques explications à l'appui de son jugement, de conclure, avec une moue de femme lassée et méprisante : "Autant coucher avec tout le personnel !" Une nuit passée avec le Kaiser, notamment, était restée son cauchemar de tous les instants. Il paraît que, tandis que son auguste partenaire s'exerçait à lui prouver sa flamme, la malheureuse Delannoy entendait les cent pas de la Garde Impériale devant la porte du Palais. Elle se consola d'ailleurs de ses déboires royaux et impériaux dans les bras de la haute Aristocratie, parmi lesquels elle comptait de nombreux amants, entre autres le Duc de Dino... mais je crois que sa véritable passion fut pour le marquis di Rudini. Clémence de Pibrac, une autre demi-mondaine très cotée, avait, elle aussi, une passion aussi irrésistible, mais d'un tout autre ordre : le Champagne, ce qui ne l'empêchait pas de collectionner aussi d'innombrables- amitiés amoureuses et bien payantes !
Quand le nom de Liane de Pougy revient à ma mémoire, je ne puis m'empêcher d'évoquer la Villa qu'au plus beau temps de ses succès elle avait acquis à Menton et qu'elle décorait de ce nom suave : La Perla.
La Perla en avait vu dé drôles. La belle Liane y enfermait son amant en disant : "Je l'ai mis à la chaîne, je le délivrerai en rentrant." Sur l'écran de mon souvenir passent encore : la chanteuse Méaly que j'avais connue aux Menus-Plaisirs avec Émilienne d'Alençon et Balthy et qui vivait maritalement avec Simon de L'Écho de Paris ; Henriette de Barras, Mirka Burth, Renée Maupin, Léonie Miroy, Adèle Richer et Irma de Montigny aimant toutes deux passionnément la Danse et la Fête, et convenablement éloignées du tourbillon où elles avaient vécu, pour s'exiler, en amoureuses très sages, la première avec un excellent garçon dont le nom a fui ma mémoire, la seconde avec le Comte de Lastic Saint-Jal. La belle Otéro, Albertine Wolf, amazone de grande allure et qu'un serrurier entretenait richement ; les sœurs Chailloux, dont l'une, Henriette, préside aujourd'hui aux destinées d'un tripot clandestin, où vieilles rentières, castors et demi-castors viennent jongler avec les billets de mille francs ; Laure Hayman, créature très supérieure qui passait une bonne partie de son temps et de ses loisirs à se fâcher et à se raccommoder avec son plus fervent adorateur le Prince Karageorgevitch et qui avait une façon inimitable de s'écrier: "Ces Slaves, ils ne peuvent jamais dire la vérité !" C'était elle qui, fort gentiment, m'avait mis en garde contre la trop grande fécondité du beau de Merena, lequel avait la réputation justifiée de faire des enfants à toutes les jolies femmes de Paris ! Elle m'amusait beaucoup quand, me prenant par le bras, elle croyait devoir m'avertir : "Ne vous asseyez pas sur cette chaise, de Merena vient de s'y asseoir, vous auriez un enfant !" Et elle me glissait à l'oreille : "Savez-vous que le fils de Jeanne Granier est du Comte de Merena ?" Et elle ajoutait, avec un grand sérieux : "Il y en a comme ça des tas dans Paris !" Des noms encore ? Fanny Robert qui avait créé ma devise Sans surprise car rien, en effet, ne m'étonnait déjà... Fanny était à ce moment, ma grande conseillère. Toute sa philosophie tenait dans ces simples mots : "Quand quelque chose ne va pas, faut traverser l'eau !" Le trio Suzanne Derval ? La Générale Rothviller ? Jeanne de Bélhune. Cette dernière demandait à Lesbos les joies que la nature semblait lui refuser par ailleurs, et qui passait sa langue sur ses lèvres d'une façon par trop ostensible et significative ; Mary Louise Marsy qui épousa plus tard Louis de Vassart d'Hozier ; Anna Thibaud, qu'on voyait avec le Comte J. de Lahens ; Francine Delaroche dont la joliesse ne rachetait point l'incommensurable bêtise, comparable à celle de la Maréchale Lefèvre. C'était elle qui, complimentée au cours d'un dîner par un de ses galants, qui venait, en termes élégants, de la comparer à La Du Barry, lui répondit sans aucune espèce d'hésitation : "Ah ! c'est pas une femme chic ! Je ne la connais pas !" La marquise de Belbœuf, sœur du Duc de Morny, qui disait : "mon frère et moi nous avons eu les plus jolies femmes de Paris" ; Suzanne Néry, Marthe Elly devenue Princesse Collorado, Berthe d'Egreville devenue Baronne de l'Espée, un couple fameux : la danseuse Ricotti et son amie la Princesse Poniatwska. Mais les noms succèdent aux noms, les figures se pressent dans ma mémoire ! Quelle cohue d'apparitions, quelle confusion, quel vertige ! que de fantômes ! Marie Beckmann, et enfin Katinka, cette troublante enfant de bohème qui, un soir, à l'issue d'un dîner qu'elle offrait, nous dit, en désignant Louis de Biré : "Je vous présente mon financier !" Sa langue avait vraisemblablement fourché ! ; elle avait voulu dire "mon fiancé" et tout le monde de rire, comme à l'audition des pataquès de Francine Delaroche. N'avais-je pas moi-même commis une de ces bévues regrettables comme il en échappe aux mieux intentionnés ? Je n'ai jamais perdu le souvenir de la gaffe énorme que je fis, certain soir, lors de mes débuts dans le demi-monde, à Aix-les-Bains, à l'heure du Casino où les plus hautes personnalités échangent des propos aimables et des saluts cérémonieux. Je me trouvais dans un groupe très chic ; j'étais fort entourée. Un des hommes les plus élégants m'offrit une coupe de champagne : "Avec plaisir, lui dis-je ! Vous savez, moi je ne suis pas fière !" Celui à qui je venais d'adresser cette réponse assez cavalière n'était autre que le Roi Georges de Grèce. J'entendis autour de moi des petits gloussements d'hilarité. Ma gaffe fit le tour du Casino. La presse locale s'en inspira pour rédiger des échos. J'appris que l'indulgence n'est pas la qualité dominante de l'humanité. Une familiarité voulue vaut certes mieux qu'une étourderie de ce genre. Laure Hayman dont je parlais tout à l'heure avait coutume de déclarer : "Je dîne avec De Galle" pour dire avec le Prince de Galles. C'était beaucoup moins respectueux, mais ça faisait beaucoup plus chic !
Si, au lieu d'écrire ces mémoires, qui sont avant tout le récit d'une vie d'artiste errante que hanta toujours la chanson, je m'étais imposé la tâche, plus grossière, de divertir un public amateur de peintures érotiques, d'anecdotes frivoles ou de révélations scandaleuses, je n'aurais que l'embarras du choix. Ce ne serait certes pas l'annuaire de la haute aristocratie française, ni le Gotha que mes lecteurs auraient en mains. C'est plutôt le Bottin de la galanterie ou l'Agenda d'Éros dont ils tourneraient les pages, non sans curiosité ni sans surprise sans doute, car ils y découvriraient des choses étonnantes dont personne ne peut avoir idée. Rien que le chapitre des surnoms serait digne de rivaliser avec les pages les plus hardies de Crébillon ou de Brantôme. Au hasard de l'Alphabet, on trouverait Jacques Hennessy qui répondait à la douce appellation de "saint Vincent de Paul de la Prostitution" ! On apprendrait que Marie Quinaud ornait son luxueux et odorant papier à lettre d'une appétissante majuscule : la lettre Q qu'elle accompagnait de cette simple profession de foi : Tout pour lui ! Je regrette d'avoir oublié le nom de cette Hétaïre qui embellissait l'entête de ses missives d'une vignette représentant ce vautour de l'Amérique du Sud que les naturalistes connaissent sous le nom de Condor. Sa devise : à qui vous voudrez. La devise de Marion Delornie : Je m'ouvre la nuit.
Ah ! j'allais oublier la jolie Ninette Desmelay. Ninette Desmelay surnommée prends-moi toute. C'était son cri d'amour. Elle était bien gentille, cette Ninette, et elle minaudait des réponses dont la spirituelle malice ne manquait point de nous divertir. A quelqu'un qui, autour d'une table de Baccara, à cinq heures du matin, lui demandait : "A quelle heure on te couche !" elle répondit : Quand on me lève !
Terminons, si vous le voulez bien, cette énumération qui risquerait de blesser quelques pudiques oreilles.
Amen !
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