Les frères Isola
SOUVENIRS DES FRÈRES ISOLA
Chapitre 7 - Gaîté Lyrique
(Voir la note à la fin)
Gaîté Lyrique
Le ler avril 1903, le théâtre de la Gaîté faisait son ouverture sous la direction des frères Isola, déjà propriétaires de Parisiana, de l'Olympia et des Folies Bergère.
L'ancien directeur, M. Debruyère, venait de connaître des jours défavorables et il était venu solliciter les deux frères de prendre son théâtre à la condition de désintéresser ses créanciers qui devenaient de plus en plus pressants.
Les frères Isola, heureux de posséder une salle o? la musique pût passer au premier plan, s'empressèrent d'accepter la proposition.
Songèrent-ils, lorsqu'ils visitèrent les lieux dont ils étaient les nouveaux occupants, que du balcon donnant sur le square, ils pouvaient apercevoir l'humble banc qui avait accueilli leur fatigue à leur retour d'Amiens, découragés et l'escarcelle vide ?
Quel chemin parcouru !
Les petits "faiseurs de tours", qui en avaient tant raté avant d'acquérir une extraordinaire dextérité, se trouvaient aujourd'hui à la t?te de quatre
établissements, parmi les plus grands de la capitale, reconnus comme les directeurs les plus parisiens ; la fortune leur avait souri et nul ne pouvait leur reprocher une action malhonn?te ou des directives qui eussent pu faire tort à quiconque.
Jalousés par quelques-uns, peut-?tre, mais dans tous les cas, estimés"par le plus grand nombre.
Afin de prendre le temps nécessaire pour innover, ils continuèrent les représentations des Cloches de Corneville, œuvre si plaisante, et qui pourtant ne remportait pas alors un très grand succès.
Le compositeur Charles Lecoq habitait à cette époque rue de Surène. Il leur proposa de monter Giroflé-Girofla, pièce non sans qualité, mais qui n'atteignait pas au chef-d'œuvre.
Ils la gardèrent cependant à leur, répertoire, patientant en attendant les créations du Grand-Lyrique qui était leur but.
La fille de Madame Angot avait été créée aux Folies-Dramatiques en 1872, et Giroflé-Girofla, à la Renaissance en 1874. Pendant plusieurs mois, elles avaient tenu l'affiche et leurs principaux airs sont encore aujourd'hui dans toutes les mémoires.
En 1903, à la Gaîté, les frères Isola engagèrent Luigini comme chef d'orchestre,
Emma Calvé, Maurice Renaud, Gérôme, Pacary, Vinche et demandèrent leurs décors à Amable, Jambon et Rubé.
Emma Calvé, à plus de 80 ans, avait gardé de précieux souvenirs. Ne disait-elle pas à quelqu'un venu lui parler de son 'Journal' qu'elle voulait publier :
"Tant de souvenirs, derrière moi... C'est affreux de vieillir. Tant d'yeux qui m'ont vue, et qui ne sont plus... Pensez que j'ai connu Liszt deux ans avant sa mort. Je me souviens encore de la mûlatresse de Baudelaire.
"Elle avait soixante ans quand je l'ai rencontrée. C'était une toute petite fille...
"Et Augustine Brohan, qui me demandait de chanter pour elle, quand j'étais au Conservatoire; elle était devenue aveugle, et, tout en écoutant, elle caressait ses bijoux, ses bijoux de théâtre amoncelés devant elle, sur une petite table..."
"Je voudrais, soupirait Emma Calvé, que rien de moi ne fût, après ma mort, dispersé au gré des vents. Penser. Oh ! penser que tout ce que j'aurai aimé pourrait tomber entre les mains de n'importe quel indifférent, au hasard d'une vente publique !... Dès maintenant, je donne ce à quoi je tiens le plus... Tenez, mes costumes de théâtre ! Quand je songe à ce manteau de Messaline qui me coûta quinze mille francs avant la guerre...
"Maurice Renaud fut un de nos chanteurs les plus accomplis et ses créations ont toutes été marquées au coin de la perfection.
Né à Bordeaux en 1861, il débuta au Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, puis chanta à l'Opéra-Comique et à l'Opéra à partir de 1891. Il fut applaudi sur toutes les grandes scènes du monde : à Rome, Londres, Milan, Lisbonne et triompha au 'Metropolitan Opera'de New-York.
Maurice Renaud avait conduit l'Art du chant jusqu'au sommet.
Désireux de lancer dans un cadre digne de cette innovation la formule du Théâtre Lyrique qui leur tenait tant à cœur, les frères Isola fermèrent pour transformations et, pendant l'été, on habilla la salle de bleu, tandis que les balcons étaient dessinés avec des filets lumineux qu'ils imaginèrent.
Les travaux s'exécutèrent assez rapidement car la réouverture devait avoir lieu dans les premiers jours. d'octobre, toute la troupe étant engagée à partir de ce moment.
Les répétitions étaient déjà presque terminées, sous la direction de M. Sauget, quand les frères Isola re?urent une dép?che de Blida ainsi con?ue 'Père
mourant, venir tout de suite.'
Devant ce malheur, les décisions prises furent rapportées et la réouverture reculée au 20 octobre 1903.
Les deux directeurs mirent une telle hâte à se rendre dans leur pays natal pour revoir ce père tant aimé, qu'ils eurent la consolation de lui fermer les yeux. Le jour de l'enterrement, toute la ville était là, compatissant à la douleur des deux enfants du pays, partis si loin pour revenir célèbres. M. Bérard, maire de Blida, pronon?a un grand discours dans lequel il évoqua la vie probe du petit tailleur qui avait courageusement élevé une nombreuse famille et inculqué à ses fils les principes de l'honn?teté la plus stricte en m?me temps que l'amour de la France.
Le lecteur trouvera à la fin du chapitre, l'importante liste des œuvres créées à la Gaîté, sous la direction des frères Isola ; mais nous devons citer tout particulièrement Hérodiade de Massenet, ayant d'abord vu le jour en Belgique et assez longtemps après, à Paris. A ce moment (1903), M. Paul Milliet, librettiste, avec Grémontet Zamadini, écrivit cette juste phrase dans Le Théâtre : 'MM. Isola viennent de venger Hérodiade du dédain que lui témoignèrent les directeurs de la capitale.'
Le sous-chef d'orchestre n'était autre que Sylvio Lazzari, compositeur de La Lépreuse.
Pour Hérodiade, les directeurs avaient engagé un corps de ballet de quarante danseuses avec Eva Sarcy, comme danseuse-étoile.
L'avant-veille de la générale, la pièce devait ?tre répétée en costumes. L'étoile avait voulu s'occuper elle-m?me de son habillement et au grand effarement des personnes présentes, parut tout à coup en tarlatane, sur le plateau, au milieu de la troupe des danseuses v?tues en égyptiennes. Massenet, furieux, voulait que l'on congédiât Eva Sarcy qui s'obstinait à garder son costume anachronique.
Devant cet incident, les Isola durent engager une danseuse-étoile au pied levé, et bien entendu, l'affaire se termina par un procès. Les directeurs le perdirent car il aurait dû ?tre indiqué dans le contrat que la danseuse devait danser en égyptienne ; sinon, c'était convenir implicitement, qu'elle paraissait en tutu classique.
A cette époque, se présenter autrement pour une étoile, était un peu considéré comme une mascarade et quasiment comme une déchéance. Toutes les personnalités du monde du théâtre écrivirent aux deux frères pour leur donner raison contre la décision du tribunal.
Massenet assistait toujours aux répétitions et c'est lors d'une de celles-ci, pendant la mise au point d'Hérodiade, qu'un monsieur s'approcha innocemment de lui et lui dit :
- Pardon, Monsieur, connaissez-vous la musique et pourriez-vous me dire o? on en est ?
- Non, Monsieur, répondit Massenet, qui n'aimait pas ?tre dérangé, je ne connais pas, la musique.
Le compositeur n'avait pat toujours très bon caractère, mais il ne manquait pas d'humour, ainsi qu'en fait foi cette jolie, lettre qu'il avait adressée au sévère critique du Figaro, à propos d'un de ses comptes rendus.
"Monsieur,
"Vous consacrez à l'exécution de ma 'Symphonie'(qui est une 'Suite d'Orchestre'), un article extr?mement drôle et dont j'ai beaucoup ri. Si vous me trouvez quelque valeur, Monsieur, moi je vous trouve infiniment d'esprit, et il n'est pas un lecteur du Figaro qui ne soit du m?me avis que moi. Seulement, comme tous les gens d'esprit, - lesquels, du reste, ont cela de commun avec les imbéciles, - vous ?tes sujet à l'erreur, et c'est précisément pour rectifier celle qui vous a échappé dans votre compte rendu d'hier, que je me permets de vous écrire aujourd'hui. Ma Suite d'Orchestre (qui n'est pas une Symphonie) a été exécutée dimanche, non pour la première fois, mais pour la seconde ; et, il y a deux ans, j'étais à Rome, o? les jeunes compositeurs vivent dans l'admiration des belles choses du passé et dans la profonde ignorance d'une foule de petits agréments qui les attendent à leur retour à Paris."
Le pouvoir de la vocation avait été primordial chez Massenet. Ses parents eurent vingt et un enfants. Il était le dernier né. On le destinait à l'industrie. Mais l'amour impérieux de la musique était en lui. Il partit à pied, tout seul, pour Paris, de Montaud, dans la Loire, on habitait sa famille. On lan?a les gendarmess à ses trousses. Pourtant, devant une manifestation si nette de sa volonté, ses parents cédèrent et le laissèrent partir - en chemin de fer, cette fois.
En peu d'années, il décrocha au Conservatoire toutes les plus hautes récompenses, couronnées par le prix de Rome. Pour subvenir à ses études sans recourir à la bourse de ses parents, le jeune homme gagnait sa vie, à la force... de ses poignets il tenait les timbales à l'orchestre du théâtre de la place du Châtelet.
Un jour, on jouait à ce théâtre un grand drame à spectacle sur Napoléon. Dans cette pièce, l'Empereur apparaissait seulement en silhouette à la fin d'un acte, au milieu des acclamations de ses soldats ; mais il ne parlait pas.
Or, il advint qu'un soir le figurant qui représentait Napoléon rata son entrée. Le régisseur était affolé... 'Vive l'Empereur !' criaient les autres figurants... et l'Empereur était invisible !
C'est alors que Massenet eut une inspiration subite. Empoignant ses baguettes, il exécuta un roulement prolongé. Et ce roulement, qui symbolisait le mystère de la silhouette impériale passant dans la coulisse, produisit sur le public une impression plus profonde que si le figurant s'était montré.
Le petit timbalier avait sauvé la situation.
On sait que Massenet se prénommait Jules et qu'il a toujours exécré ce nom-là.
M. Bastide à raconté ce mot de l'auteur d'Hérodiade :
- Mais, enfin, lui demandait-on un jour, d'o? vient cette phobie ?... Que vous a donc fait ce prénom ?... Et pourquoi défendez-vous qu'on l'emploie ?...
Et le maître de répondre gravement :
- Jules, non !... vous ne trouvez pas suffisant d'avoir été l'élève de Thomas ?
(Massenet avait été, en effet, l'élève favori d'Ambroise Thomas.)
Comme un ami du compositeur le plaisantait sur les déclarations passionnées qu'il adressait, âgé, à ses belles interprètes :
- Peuh ! à mon âge, sourit Massenet en setouant ses longs cheveux blancs, des déclarations de faillite !
Dans le nombreux courrier que les deux frères recevaient quotidiennement, se trouvaient maintes propositions et renseignements sur les révélations artistiques de province et m?me de l'étranger. C'est ainsi qu'une dép?che de Marseille leur annon?a les débuts d'un excellent artiste qui promettait, recommandant de l'engager le plus tôt possible, car il s'était déjà taillé un grand succès sur les scènes locales. Il s'agissait de Mayol, qui devait débuter quelque temps après à Paris, au Concert Parisien.
Une autre fois, on demandait encore, de la m?me ville méridionale, un engagement pour un jeune mime d'avenir : Max Dearly.
Les frères Isola n'ont jamais été des directeurs comme tant d'autres, qui ne le furent que de nom, se contentant de signer des engagements, de donner des billets de faveur à leurs amis et d'empocher les recettes. Tous les jours, ils étaient là, la journée dans leur bureau et le soir, tantôt dans un théâtre, tantôt dans un autre, paraissant à l'improviste dans l'avant-scène directoriale, en frac, avec l'air du Monsieur qui vient simplement pour se distraire.
Leur présence avait un autre but, beaucoup plus utile, car malgré un Secrétariat consciencieux, ils veillaient à tous les détails, surveillaient les plus petites choses, et c'est ainsi que, de leurs exploitations théâtrales, ils firent, en plus de la qualité artistique, ce que commercialement on pourrait appeler de bonnes maisons.
Evidemment, cela ne pouvait se réaliser sans fatigue, et à un moment donné, ils éprouvèrent le besoin de se reposer et de céder à M. Ruez : Parisiana, l'Olympia et les Folies Bergère, pour un versement forfaitaire annuel, tandis qu'ils partaient à Beausoleil comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
A la Gaîté, ils s'étaient décidés, devant les frais grandissants, en raison de la somptuosité avec laquelle les ouvrages étaient présentés, tant dans l'interprétation que dans le décor, à alterner les représentations exceptionnelles avec des spectacles populaires moins coûteux.
C'est à ce moment qu'Hertz et Coquelin, résolus à quitter la Porte-Saint-Martin, vinrent leur proposer de s'associer avec eux, pour prendre la Gaîté, et ils apportaient aux deux frères, l'intéresant répertoire de leur théâtre, plus la création que l'on supposait prochaine de Chantecler. Un dédit de 100.000 francs fut m?me signé pour le cas o? cette création n'aurait pas lieu sur la scène de la Gaîté.
On sait que la pièce d'Edmond Rostand, toujours annoncée et jamais jouée parce que pas terminée ou sujette à des retouches, fut créée à la Porte-Saint-Martin, mais plus tard.
Emile et Vincent Isola, las d'attendre ce qu'ils escomptaient comme un succès, avaient d'ailleurs déchiré le contrat qui les liait, non sans que leur scène eût vu la reprise de Cyrano de Bergerac, ainsi que Scarron, Les Bourgeois gentilshommes de Sardou, La Montansier de de Flers, etc...
Les règlements relatifs à leurs scènes de music-halls ne s'effectuant qu'irrégulièrement, les frères Isola décidèrent de rentrer à Paris, et reprirent la triple direction de l'Olympia, des Folies Bergère et de la Gaîté, ne laissant à M. Ruez que Parisiana.
C'est alors qu'ils montèrent Paul et Virginie et engagèrent la grande cantatrice Marie Delna, pour chanter La Vivandière. Elle n'était plus reparue sur les planches depuis, plusieurs années, s'étant mariée à Bruxelles.
Delna avait eu ce qu'on pourrait appeler un début foudroyant en 1892, chantant, pour ainsi dire an pied levé, le rôle de Didon dans Les Troyens, l'artiste qui tenait ce rôle étant subitement tombée malade.
Elle avait si longtemps entendu répéter la pièce, qu'elle la connaissait par cœur, et on la vit, âgée de seize ans, chanter à l'improviste, avec une assurance étonnante.
Albert Carré a pu justement écrire :
"Jamais mouvement plus spontané ne se produisit dans une salle de spectacles que celui qui fit de Delna, en un soir, une grande artiste."
Hélas ! ayant perdu la voix, ruinée par une catastrophe financière, la grande Marie Delna mourait à l'Hôpital de la Pitié, en 1932.
A la centième de La Vivandière, Emile et Vincent Isola pensèrent pouvoir profiter du succès de leur pensionnaire pour créer L'Attaque du Moulin d'Alfred Bruneau, qui parvint aussi à la centième.
F?tant ce succès au cours d'un dîner, le compositeur, très ému au dessert, fit un discours aux amis qui l'entouraient, et commen?a par cette phrase aussitôt rectifiée :
"C'est la première fois que je f?te la première d'une de mes pièces !"
En 1907, la Direction de l'Opéra étant devenue vacante, Charles Humbert avait pensé ?tre 'utile aux deux frères en prenant rendez-vous, pour eux, avec Bunau-Varilia, directeur-propriétaire du journal Le Matin, pour appuyer la candidature de ses amis.
Ils devaient se rendre à Orsay pour trois heures de l'après-midi, mais le hasard voulut qu'ils arrivassent un peu en retard.
Introduits dans un immense et somptueux salon, ils attendirent longtemps, 'très longtemps, si longtemps qu'ils pensèrent qu'on les avait oubliés.
Enfin, ils virent descendre par le grand escalier, Bunau-Varilla une montre à la main. Ils se dirent que sans doute c'était pour s'excuser de les avoir fait, attendre. Mais dès, qu'il les aper?ut, leur hôte leur dit :
"Devinez ce que j'ai là-dedans ?"
Ils se souvinrent tout à coup qu'au Théâtre des Capucines, quelque vingt ans auparavant, ils faisaient penser une carte aux spectateurs et la carte pensée se trouvait gravée dans le boîtier de la montre qu'ils tenaient. Bunau-Varilla était venu assez souvent les voir, et avait conservé précieusement cette montre.
Sans hésiter, Vincent Isola affirma : "C'est la Dame de Carreau."
Bunau Varilla ouvrit la montre, et regardant dans le boîtier, s'écria avec stupeur : "Vous avez trouvé ! C'est exact !"
Ils causèrent assez longuement, exposant en détail comment ils concevaient la direction de l'Opéra et ce qu'ils tenteraient de réaliser s'ils étaient nommés. Ils furent attentivement écoutés, encouragés m?me et le lendemain, dans Le Matin, sans qu'ils eussent eu à payer un centime de publicité, paraissait un article de quatre cents lignes, indiquant leurs projets, et les désignant comme les meilleurs candidats parmi ceux présentés.
Toujours poursuivis par, l'idée du Grand Lyrique Populaire, ils crurent un moment cette création possible dans la salle de Gaumont près de la place Clichy, o? ils pouvaient obtenir un bail de trente ans avec 140.000 francs de loyer. L'affaire fut poussée assez loin, les maquettes dessinées, les, premiers programmes établis, mais, les transformations à exécuter dans ce théâtre se révélant trop onéreuses, ils abandonnèrent le projet et restèrent à la Gaîté.
Ils demandèrent à la Ville de Paris, dont dépendait l'établissement, l'autorisation de donner des représentations de théâtre populaire à bon marché, c'est-à-dire avec des places de 50 centimes à 5 francs, à condition qu'ils fussent exonérés de loyer, et qu'on mît à leur disposition les artistes et le matériel nécessaires des théâtres subventionnés.
L'Opéra-Comique, en la personne de M. Albert Carré, son directeur, accepta, ce qui leur permit de prendre toutes les pièces de son répertoire, sauf Manon et Carmen.
En compensation de ces spectacles moins coûteux, ils organisèrent de splendides galas, entre autres, avec l'extraordinaire Chaliapine qui joua Don Carlos.
On a beaucoup écrit sur l'existence fantastique de ce grand chanteur que l'on a appelé "Le Tragédien du Chant". Il fut, en effet, prodigieux et ses interprétations qui me frappèrent le plus furent celles de Boris Godounov et Don Quichotte.
Voici une plaisante anecdote inédite :
Chaliapine se rendait parfois avec les frères Isola chez une riche personnalité amie du théâtre, o? l'on jouait au bridge fort avant dans la nuit. Lorsque les invités regagnaient leur domicile, ils emportaient chacun une bouteille de vieille fine, cadeau du maître de maison.
C'était au moment o? le grand chanteur, malade, était préoccupé par l'analyse d'un liquide... tout à fait personnel, dont il devait remettre le lendemain un flacon à son pharmacien.
Pendant la partie, il lui arrivait de s'absenter quelques instants, et Vincent Isola qui jouait avec lui, s'énervait de ces sorties dont il ne soup?onnait pas la cause.
Chaliapine habitait avenue d'Iéna et les Isola s'offrirent à le reconduire dans leur voiture, chacun portant avec soin sa bouteille de fine.
Deux heures du matin peut-?tre. Le tragédien lyrique descend d'automobile, dit au revoir à ses amis, et machinalement, avant de rentrer chez lui, regarde les deux flacons qu'il porte.
Horreur ! Tous deux contiennent l'eau-de-vie la plus pure qui soit.
Mais alors il s'est trompé et a laissé dans la voiture la bouteille destinée au pharmacien ? Justement, elle porte une étiquette d'excellent cognac et en moins d'une seconde, il entrevoit le drame 'gastronomique'dont sa méprise pourrait ?tre cause.
Heureusement, l'automobile a quelque peine à reprendre sa vitesse ; il court, appelle, s'essouffle, mais est assez heureux pour attirer l'attention des Isola qui s'arr?tent et sont mis au courant de l'incident.
Ils l'avaient échappé belle !
Homme de théâtre extraordinaire, on dit, mais la phrase est-elle exacte tant elle dépeint bien l'artiste ? que ses dernières paroles sur son lit de mort furent :
"Je suis sur la scène, mais comment vais-je prendre mon souffle ?"
Original aussi, il avait composé son épitaphe peu banale et assez longue. En voici le texte :
"Passant, arr?te-toi.
Ici est mon tombeau, le tombeau de Chaliapine.
Chaliapine est parti pour laisser la place aux [autres.
Il a vécu, souffert, aimé, haï.
Il a maudit, versé des larmes, juré et menti.
Maintenant il a trouvé, enfin, le repos éternel.
II est étendu ici, immobile, sous une lourde dalle.
Et il s'est tu pour jamais.
Pleuré par sa femme et ses enfants.
Célèbre et estimé par beaucoup de gens, il est maintenant oublié de tous.
Tel est le sort du chanteur !"
Une des pièces les, plus importantes montées par les frères Isola sur la scène de la Gaîté, fut le Don Quichotte de Massenet, qui avait d'abord connu les feux de la rampe à Monte-Carlo, avec l'inoubliable Chaliapine.
Massenet assistait aux répétitions à la Gaîté, toujours très nerveux et inquiet. Il ne voulait lire aucun journal pendant ce temps de mise au point, car il était visé par certains critiques, Lalo particulièrement, et sa sensibilité souffrait trop des appréciations défavorables. Vanni Marcoux tenait le rôle créé par Chaliapine.
La scène de l'attaque des moulins à vent exigeait qu'un cheval blanc traversât le plateau à vive allure. Disposant de peu d'espace dans la coulisse pour arr?ter son élan, le compositeur ne voyait pas d'un très bon oeil cette espèce d'acrobatie et craignait un accident.
Ce n'est que lorsqu'on lui eut affirmé que le coursier serait monté par un excellent cavalier doublant l'artiste, qu'il consentit à venir juger le résultat.
Dans cet opéra-comique, le cheval devait ?tre cause d'un autre incident.
Au début, l'animal était très maigre, comme Rossinante, se doit de l'?tre ; mais à la cinquantième, bien nourri, sans exercice, la monture avait engraissé au, point de ne plus ?tre du tout.., dans la peau de son personnage.
On le maquille donc, peignant à la colle de pâte, des côtes ombrées sur le pelage pour simuler la maigreur.
Ce que l'on n'avait pas prévu, c'est que l'âne de Sancho Pan?a trouvant délectable ce maquillage, lécha consciencieusement son camarade, et au fur et à mesure que disparaissaient les côtes creuses, le cheval semblait engraisser à vue d'œil, aux éclats de rire des spectateurs.
Don Quichotte fut créé à la Gaîté le 29 décembre 1910, et le lendemain, Emile Isola, aîné des deux frères, était nommé Chevalier de la Légion d'honneur. Vincent, parce que cadet, était décoré à la promotion suivante. C'était la juste récompense que le Conseil municipal accordait aux deux frères pour avoir créé le Théâtre populaire de la Gaîté Lyrique.
Dix-huit ans après, directeurs de l'Opéra-comique, ils étaient promus officiers, mais toujours pour observer le règlement, à une promotion de distance.
En 1912, le ténor Caruso était engagé à l'Opéra et on avait fait précéder ses représentations d'une publicité formidable.
Il demanda aux frères Isola de venir l'entendre et leur offrit sa loge.
Quelques instants avant le spectacle, il avoua aux deux frères qu'il avait un 'trac' fou. Surpris, les deux directeurs lui firent part de leur étonnement, et Caruso leur répondit :
"Que voulez-vous... C'est cette publicité qui m'effraie ! Tout le monde fait de moi un dieu, mais je ne suis qu'un homme, un chanteur..."
A la m?me époque, les Isola présentaient un artiste du nom de Caraza.
"Qu'est-ce que c'est que ce ténor Caraza qui est votre pensionnaire, demanda Caruso ? Je voudrais bien l'entendre."
*Le lendemain, il était dans l'avant-scène directoriale, et quand son lointain émule eut terminé son premier morceau, le chanteur alors dans toute sa gloire, dit à ses deux amis :
"Vous pourriez dire à ce jeune homme qu'au lieu de prendre mon nom, il aurait mieux fait de prendre ma voix."
Caruso, après avoir connu touss les triomphes que peut ambitionner un artiste, après avoir créé en 1912, à l'Opéra de Paris, La Fille du Far-West avec un succès formidable, éprouva le plus grand désespoir : celui de ne plus pouvoir chanter.
En 1920, alors qu'il se trouvait engagé au Metropolitan Opera de New-York par un contrat de un million de dollars, une veine se rompit dans sa gorge et c'en fut fini de cette carrière prestigieuse.
Il revint tristement ,à Naples, son pays natal, et y mourut le 2 août 1921, laissant un héritage d'environ trente millions de lires.
Parmi les engagements les plus retentissants signés par les frères Isola pour la scène de la Gaîté, figure celui de la Galvani, célèbre cantatrice italienne, qui parut dans La Somnambule et Le Barbier de Séville.
La création de Quo Vadis est encore dans la mémoire de tous les vieux Parisiens, et l'incendie de Rome frappa les spectateurs par son ampleur, sa mise en scène grandiose qui, avec le talent des interprètes, fit oublier une partition musicale pas toujours de première qualité.
Ceux-ci avaient nom : Jean Périer, Séveilhac, Marie Lafarge, Martinelli, Marvini, Codou, Vallandri, etc...
Mon vieil ami Codou, dont l'accent était un rayon de soleil et qui lan?ait ses cascades de notes claires comme son ciel proven?al, par delà la clôture de son petit jardin de Théoule...
Pendant trois ans, enfant gâté, il fut "le ténor des Isola".
Il savait conter l'anecdote comme pas un, avec une telle fougue, un tel lyrisme, une telle ardeur convaincante, qu'on ne pouvait douter que la plus énorme galéjade fût l'expression de la vérité.
Il fallait l'entendre raconter son voyage à Marseille pour l'enterrement de la belle-mère d'un de ses vieux amis. En arrivant au cimetière, ils prirent le chemin du dépositoire. Codou s'en étonna et dit à son ami :
- O? allons-nous ?
- Au dépositoire.
- Mais ta belle-mère s'était fait construire il y a longtemps un tombeau
de douze places !
- Ah, oui, c'est vrai. Mais tu ne sais pas, "es plen de veisins"(C'est plein de voisins).
- Hein !.
- Oui. Comme tu sais, ma belle-mère qui était poissonnière est morte à quatre-vingts ans passés. Or, chaque fois qu'une poissonnière mourait dans le quartier, sans tombeau, elle disait : "Vai, pechère ! Mettez-la dans le mien, il y a douze places."Es plen de veisins, te digue. "(C'est plein de voisins, je te dis !)
Pendant l'hiver 1910-11, malgré les inondations, la salle de la Gaîté était pleine tous les soirs et les places se retenaient quinze jours d'avance.
C'est à ce moment qu'apparurent les marchands de billets, louant au contrôle des rangs entiers de fauteuils et les revendant ensuite jusqu'à vingt francs. Leur bénéfice était considérable, le spectaleur déboursait la forte somme mais les directeurs devaient se contenter de leur recette habituelle.
Les frères Isola eurent beaucoup de mal à faire cesser ce trafic et c'est grâce à leur ténacité qu'une loi fut votée, interdisant la vente des billets à l'extérieur des théâtres subventionnés.
Avant d'avoir atteint ce résultat, ils aper?urent un soir Clemenceau, assis sur un strapontin.
A l'entr'acte, ils demandèrent au Tigre pour quelle raison ii avait choisi une place aussi inconfortable.
"Obligatoirement, répondit Clemenceau. Tout était loué. J'ai dû m'adresser aux marchands de billets !"
Au hasard des créations éclectiques : Ivan le Terrible, créé par Bourbon et Marguerite Carré.
Martha, avec Alvarez, ce parfait chanteur bordelais, qui débuta dans Faust à l'Opéra, le 14 mars 1892, et remplit une splendide carrière.
La Bohème de Léoncavallo, nullement comparable à celle de Puccini. Les Girondins de Le Borne, dont un passage était tous les soirs salué des m?mes applaudissements.
Les frères Isola, un peu étonnés de cette tradition, remarquèrent que le compositeur avait introduit dans sa partition quelques mesures de la Marseillaise.
L'idée était-elle intentionnelle ?
On ne sait, mais le résultat ne s'était pas fait attendre.
Une mention spéciale doit ?tre: accordée à la création des Contes de Perrault, de Fourdrain, puisque c'est dans cette pièce charmante que débuta Yvonne Printemps.
De nombreuses œuvres, comme on le verra à la fin de ce chapitre, prirent leur vol du plateau de la Gaîté, depuis la Salomé de Mariolle, que créa Lucienne Bréval avec Jean Perier, remplacé ensuite par Aquistapace, jusqu'à Hernani et Le Petit Duc que les frères Isola avaient demandé à Charles Lecocq pour introduire de la gaîté dans leur répertoire.
Le jour de la première, Hébrard tint à y assister et les directeurs le placèrent dans la loge du compositeur. Tous deux avaient quatre-vingts ans passées et pendant l'entr'acte, Vincent Isola murmura à l'oreille d'Hébrard :
"C'est la loge des octogénaires."
"Vous dites cela pour lui", repartit Hébrard en désignant Lecocq.
Nul amateur de musique n'oubliera que les Isola montèrent à la Gaîté La Flûte enchantée avec Fugère, Alyce Verlay et Périer, ce qui fit dire
"Il a fallu que ce soit eux qui réveillent Mozart."
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Gl?ck |
Despani |
Emma Castel |
La Fille du R?giment |
Gondinet |
Doucet |
Eva Sarcy |
La Fille du Tambour-major |
Gounod |
Duc |
F?lia Litvinne |
La Flamenca |
H.F?vrier |
Dufriche |
Fi?rena |
La Fl?te enchantée |
Hansen |
Dupeyron |
Garska |
La Juive |
Hennequin |
Dutelloy |
Germaine Gallois |
La Loi de Pardon |
Henri Meilhac |
F?odoroff |
Gina Relly |
La Navarraise |
Jacques Hal?vy |
F?raud de Saint-Pol |
Helda Simson |
La Petite Mariée |
Jean Noug?s |
-Fernal |
Henriette Focké |
La Somnanbule |
Jean Perval |
Foy |
Jackson |
La Traviata |
Jules Barbier |
Francell |
Jane Margyl |
La Vie de Boh?me (de Puccini) |
Lecocq |
Georges Petit |
Jane Marignan |
La Vivandi?re |
Lelorrain |
Gerbert |
Jane Mercz |
L'Africaine |
Lena |
Germa |
Jeanne Favier |
L'aigle |
Leneka |
Gérôme |
Jeanne Petit |
Lakm? |
Léo Delibes |
Ghasne |
Jenny Passama |
L'Attaque du Moulin |
Léoncarvallo |
Gilly |
Julia Duval |
Le Barbier de Séville |
Lockroy |
Granier |
Korzof |
Le Ch?let |
Lucien Lambert |
Guillamat |
La Galvani |
Le c?ur de Floria |
Mascagni |
Henri Simond |
Lamarre |
Le Grand Mogol |
Massenet |
Huberdot |
Lenepveu |
Le Petit Duc |
Michel Carré |
Jean Bourbon |
Lina Pacary |
Le Proph?te |
Mme Urgel |
Jean Perrier |
Lise d'Ajac |
Le soir de Waterloo |
Mozart |
Kardek |
Lovely |
Le Trouv?re |
Nerini |
Landrin |
Lucie Relly |
Les Cloches de Corneville |
Nuitter |
Lucien Fugère |
Mady Thery |
Les Contes de Perrault |
Oscar Wilde |
Lucien Noël |
Marie Delna |
Les noces de Jeannette |
Paul Février |
Maguenart |
Marie Fairy |
Les Dragons de Villars |
Paul Mariotte |
Martinelli |
Marie Lafarge |
Les Girondins |
Payen |
Marvini |
Marie Magnier |
-Le Jongleur de Notre-Dame |
Pierre Desansy |
Maurel |
Marie Thierry |
Les Huguenots |
Pierre Veber |
Maurice Renaud |
Mariette Sully |
Les mousquetaires au couvent |
Puccini |
Mondon |
Marquetti |
Les Noces de Jeannette |
Robert Planquette |
Nivette |
Mathilde Gomez |
Les Saltimbanques |
Rossini |
Not? |
Mayne Doria |
Lucie de Lamermoor |
Saint-Saëns |
Ogereau |
Mazely |
Maguelonne |
Scribe |
Palau |
Mme Chambellan |
Martha |
Sienkiewicz |
Paty |
Mme Henriquez |
Messaline |
Siraudin |
Polin |
Mme Isnardon |
Mignon |
Verdi |
R. Allard |
Nina Retti |
Mireille |
Victor Hugo |
Racca |
Rachel Launay |
Na?l |
Victor Massé |
Reichal |
Rahna |
Orphée |
Victor Rogé |
Riddez |
Ren?e Danth?s |
Paillasse |
|
Saams |
Romandzu |
Panurge |
|
Saimprez |
Rose Caron |
Paul et Virginie |
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Salignac |
Rynald |
Paysans et Soldat |
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Sandieu |
Vallandri |
Philémon et Baucis |
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Sardet |
Vuillaume Lambert |
Quo Vadis |
|
Servi?re |
Yvonne Dubell |
Rip |
|
S?veilhac |
Yvonne Printemps |
Robert le Diable |
|
Simary |
Zina Brozia |
Salom? |
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Soulacroix |
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Si j'?tais Roi |
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Stacciari |
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Surcouf |
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Sterny |
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Tais-toi mon cœur |
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Tirmon |
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Les danses d'Isadora Duncan |
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Tita Ruffo |
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Vanni marcoux |
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Viaud |
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Winche |
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Zequien |
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Note : Le texte qui précède est tiré de "Souvenirs des Frères Isola - Cinquante ans de vie parisienne recueillis par Pierre Andrieu" et ont été publiés chez Flammarion en 1945. - Les textes de ces souvenirs peuvent encore faire l'objet de droits d'auteurs.
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