Les frères Isola
SOUVENIRS DES FRÈRES ISOLA
Chapitre 4 - Parisiana
(Voir la note à la fin)
Le "Théâtre des Isola" avait été la première direction des deux frères. Il fut aussi le début de leur fortune puisque non contents d'acheter à M. Louveau le théâtre dont il était propriétaire, ils se rendirent acquéreurs d'un immeuble qu'il possédait 3, rue Jouffroy.
À la place de
Parisiana existant encore comme cinéma sur le Boulevard, il y avait un grand bazar au rez-de-chaussée. M. de Basta supprima le bazar et organisa sur son emplacement, sous le titre de "Parisiana - Entrée libre - Consommation seulement", des concerts qui lui coûtèrent pas mal d'argent.
Les frères Isola allèrent le voir et lui firent part de leur intention d'acheter son établissement, dont il serait sans doute heureux de se débarrasser.
M. de Basta accepta, demandant simplement que ses dettes fussent payées, ce qui fut fait.
En avril 1897, Émile et Vincent Isola s'installèrent donc dans le bureau directorial de Parisiana, abandonnant définitivement, tout au moins le pensaient-ils, la prestidigitation.Le 20 juin seulement, ils cédèrent aux sollicitations de la direction du Casino d'Aix-les-Bains en acceptant d'aller donner deux représentations, voyage payé, pour trois mille francs !
C'était une belle apothéose.
Dans le public, le roi de Grèce, fidèle estivant de la station, applaudissait les deux célèbres illusionnistes-directeurs.Un des premiers spectacles de
Parisiana comprenait la création de"La Chambrée", par Matrat et Fordyce.Pour débuter avec chance de succès, il fallait une bonne troupe homogène et un nom de vedette.Les Isola avaient été obligés de reprendre le contrat de Valdina, devenue ensuite Mme Armand Berthez.
Trois cents francs par mois, mais c'était une excellente artiste.Cependant, il était nécessaire d'avoir un homme qui fît courir tout Paris.Paulus se trouvait à
Ba-Ta-Clan. Ils l'engagèrent.
Quelques jours après, de petites voitures sillonnaient les rues de Paris, annonçant sur des panneaux peints :
Parisiana
Nouvelle direction
PAULUS |
Tout le monde crut que le créateur du "Père la Victoire" dirigeait Parisiana. C'était une publicité adroite qui ne lésait personne, car le public applaudissait en effet Paulus, et le spectacle était agréable. ?gé à ce moment, il possédait encore l'auréole de ses succès passés.
Devenu sourd, il lui était impossible d'entendre le souffleur et ses directeurs lui faisaient préparer des pancartes sur lesquelles étaient inscrites les paroles de ses chansons.Il avait la réputation justifiée de n'avoir guère rencontré de cruelles au cours de sa carrière. Vincent lui demanda un jour :
- Comment faites-vous pour dédommager une petite femme aimable qui vous accorde ses faveurs?
- C'est bien simple. Je place avant sa visite quelques louis dans une coupe et lorsqu'elle s'en va, je lui propose d'un air détaché de prendre ce qui lui convient pour des fleurs.
À la première occasion, Vincent employa le même procédé, et pour jouer au grand seigneur, emplit la coupe, mais la gente personne, audacieuse et pratique, profita de l'invite et... ramassa le tout.Paulus était fort généreux. On dit qu'il gagna trois millions en chantant "Le Père La Victoire" et "En revenant de la Revue" ; mais il tenait table ouverte et fut grugé par de nombreux amis. Une représentation donnée à son profit en 1906 le sauva de la misère.Petite contribution à l'histoire de la chanson.
C'est Paulus lui-même qui eut l'idée de la chanson-marche qui a si bien contribué à la vogue du général Boulanger.Il avait demandé à
Delormel et Garnier de lui trouver des paroles
sur un air entraînant qu'il avait entendu aux
Folies Bergère et, lorsque les paroliers en furent au passage :"Je n'faisais qu'admirer le brav' général...", ils se renseignèrent sur la rime que désirait leur interprète : Général Négrier en l'honneur du Tonkin, Commandant Dominé en souvenir de Tuyen Quan, ou général
Boulanger ? Paulus réfléchit, opta pour Boulanger et créa la marche qui devait être célèbre en 1886.
Nous ne pouvons analyser tous les spectacles présentés à
Parisiana, et nous citerons au hasard "Madame Méphisto", dont Juliette Josserand, dite Méaly, était la vedette.
C'était une excellente élève du chanteur Capoul, née à Toulouse, qui avait débuté à l'
Eldorado en 1884, était passée aux Menus-Plaisirs en 1890, aux Variétés en 1892 et à la
Gaîté en 1893. Étoile d'opérette, elle avait même fait une saison au Gaity-Theater de Londres.
Dans "Poupées Américaines", on pouvait applaudir Mme Tariol-Baugé , mère d'
André Baugé. Née à Clermont-Ferrand, en 1872, elle avait débuté au grand Théâtre de Bordeaux dans l'opéra comique, puis s'était fait entendre dans de grandes villes de province et même en Russie avant de venir chanter à Paris.
Quand on présentait un spectacle, il y avait en plus de la pièce, une partie de concert. et d'attractions.
Une de celles-ci exigeait que l'artiste qui eu était la vedette parût sur scène avec un cheval et une voiture.
L'animal devait être dételé puis emmené dans les coulisses. Un jour, erreur de direction, il tomba dans la fosse d'orchestre et se tua, sans heureusement atteindre les musiciens.
Une revue dont on parla beaucoup fut :"Les Pétards de l'Année", et certains de ces spectacles gais, alertes, caractéristiques d'une époque heureuse, fêtaient leur centième en un souper réunissant directeurs, auteurs, interprètes et amis.Il ne s'agissait pas encore des soupers de millième.
Toutes les fins d'années, les revuistes spécialisés passaient en revue (de là le titre de ce genre d'ouvrage) tous les faits principaux des douze mois écoulés, et les faisaient défiler devant
le public en une suite de scènes comiques ou sentimentales.Ce n'est que plus tard que des directeurs astucieux eurent l'idée de monter des revues à toutes les époques.
Le 6 avril 1897, le populaire chanteur Fragson écrivait à ses directeurs
"Messieurs Isola," Après avoir signé le traité nous liant ensemble,. il reste convenu que le cachet que je recevrai par jour sera seulement de 40 francs.
"Lu et approuvé : H. Fragson."
En 1898, Volterra qui avait alors une douzaine d'années, vendait le programme à la porte de Parisiana tandis qu'un inspecteur de la salle n'était autre que le père de la future Spinelly.
À la même époque, un monsieur avait la concession de la Société des Distributeurs Automatiques des bonbons du Docteur Gramont, et c'était Gustave Quinson. Comme quoi, dans le théâtre, on se retrouve parfois d'amusantefaçon.
Parmi les pensionnaires des frères Isola à
Parisiana, se trouvait une femme d'un grand talent, morte en 1928 à peu près oubliée : Félicia Mallet.
Son triomphe fut sa création de"L'Enfant Prodigue", pantomime en trois actes de Michel Carré et André Wormser, aux Bouffes-Parisiens, où s'était transporté le Cercle Funambulesque. Son Pierrot fils fut son apogée. Chaque fois qu'une pièce avait du succès, un autre théâtre présentait une parodie bouffonne de l'œuvre applaudie. C'était le moment de "La Dame de chez Maxim's" de Feydeau.
Pas un provincial ne venait à Paris sans aller passer une soirée à ce spectacle. Gardel-Hervé, fournisseur des Isola en pièces et revues, suggéra à ceux-ci de monter une parodie sans méchanceté de ce succès, un acte simplement.
L'accord fut vite réalisé, et pendant plus d'un an, Parisiana maintint à l'affiche : "La Demoiselle de chez Maxim's". On finissait par ne plus savoir quel était l'original et quelle était la copie.
Des gens disaient, montrant l'affiche de "La Demoiselle"
"Tu vois, là-bas, c'est la fausse. Ici, c'est la vraie !"
La salle ne désemplissait pas.
Au cours d'un voyage à Plombières les frères Isola rencontrèrent Feydeau. Celui-ci avant l'habitude de ne jamais se coucher avant deux heures du matin, aimait trouver des partenaires pour faire de longues conversations émaillées d'anecdotes et de reparties spirituelles.
Feydeau ne pouvait laisser partir ces deux interlocuteurs qui tombaient du ciel.
- Mes chers amis, venez, leur dit-il après dîner, nous allons nous promener en racontant des histoires... Dites donc, les frères, à propos... J'ai été chic avec vous. Pendant un
moment, tout le monde me disait :"Il faut arrêter"La Demoiselle de chez Maxim's".
- C'est peut-être nous, au contraire, répondirent-ils malicieusement, qui, avec notre parodie, vous avons fait de la publicité.
Gardel-Hervé écrivit un certain nombre d'autres parodies, dont"Le nouveau vieux jeu", au moment où Henri Lavedan faisait jouer"Le nouveau Jeu".Comment citer cette pièce sans évoquer Jeanne Granier, créatrice du "Nouveau Jeu"?
À la Renaissance, dans "Madame le Diable", un personnage de la pièce arrivait sur la scène avec une valise de petite dimension à la main. Il ouvrait cette valise et Jeanne Granier en sortait costumée en diable. Son extrême minceur lui permettait de réussir cette acrobatie.
L'admirable artiste a ainsi conté ses débuts d'amusante façon :
C'est par la Renaissance que je débutais à la scène, sans être passée par le Conservatoire... Au vrai, je me destinais au classique, je travaillais pour le théâtre italien, et nul n'imaginait chez moi que je dusse"tomber"dans l'opérette....
Ça n'allait pas très bien à la maison, on avait perdu beaucoup d'argent ; aussi me semblait-il qu'il y avait pour moi obligation à me mettre au plus tôt à l'ouvrage.
Sans rien dire à quiconque, je demandai une audition à Vizentini ; il l'accorda, m'entendit : je l'étonnai un peu.
Mais, mon enfant, vous avez une voix admirable.
- Je le sais bien, c'est pour ça que je suis venue !
- ... Mais que puis-je vous donner à jouer ici ?
Rien pour l'instant.
- Donnez-moi un rôle à doubler, en attendant mieux !
- Voulez-vous
celui de Théo ? - Pourquoi pas ... - Apprenez-le !
En quatre jours je le sus...
C'était celui de "La Jolie Parfumeuse". Oui, mais l'ouvrage était à son début, et je risquais d'attendre, si tant est que Vizentini eût songé à moi sérieusement pour doubler l'étoile.
Par bonheur, excusez-moi, je le dis comme je le pense, Théo tomba malade ; la nouvelle en arriva au théâtre à l'heure où le rideau allait se lever et Vizentini était fort ennuyé.
- Voulez-vous que je le joue ? Je le sais.
Je n'avais pas vingt ans, à cet âge on ne doute de rien, j'eusse aussi bien offert de chanter les"Huguenots.
Vizentini, faute de mieux, accepta mon offre.
- Entendu, dit-il, mais on va faire une annonce : ceux qui sont venus pour Théo, repartiront si cela leur plaît.
On fit l'annonce, je parus, je chantai et ce fut un succès tel... que Théo guérit en quatre jours..."Nous pourrions longuement parler de la célèbre comédienne qui enchanta toute une génération, mais tracer la biographie de l'ensemble des artistes que connurent les frères Isola, ce serait s'atteler à la rédaction... d'une bibliothèque. Nous n'omettrons cependant pas celui en compagnie duquel l'auteur de ces lignes passa de si agréables moments sur la Côte d'Azur : Vilbert, grande vedette comique, comédien jovial et propriétaire à Théoule.Les anecdotes sur Vilbert sont légion.
En voici une retrouvée et, croyons-nous, peu connueVilbert n'avait pas encore conquis la grande popularité que lui valut sa merveilleuse création de "Mon Curé chez les riches". Il
aurait donné tous les rôles où il s'était révélé acteur comique de premier ordre pour égaler la notoriété que "Les Petits Pois" et "Le Fils d'un Gniaf" valurent à Dranem.
"Descendant un jour de taxi à la porte du théâtre, il veut donner le pourboire habituel."
- Oh ! non ! pas vous, répond le chauffeur en jetant sur l'artiste un regard d'admiration déférente.
"Tout heureux d'être enfin reconnu, Vilbert insiste, mais se heurte au même refus."
- Non. Non. Pas vous, monsieur Dranem !
"Sur le quai de la gare de Théoule, l'infatigable ténor Codon me conta un jour ceci :Au cours d'une Revue que Vilbert jouait à
La Cigale, après avoir
fait une imitation fort réussie de Fallières, il mimait le célèbre Caruso et apparaissait sur une sorte de roulade assez facile. Un soir, Codou qui était dans une loge, s'absenta un moment et se
rendit dans les coulisses.
Vilbert allait entrer en scène. Codon enleva rapidement son faux col et chanta un passage de"La Vie de Bohème", appuyé contre un portant. Vilbert fut couvert d'applaudissements car toute la salle crut que c'était lui le ténor. Les frères Isola assistant au spectacle, l'un dit à l'autre :"Je ne connaissais pas une pareille voix à Vilbert"...Une autre fois, celui-ci ayant à accabler son adversaire des épithètes les plus variées, dans une scène de dispute homérique, l'appela "Gorgonzola !"
Après la représentation, le directeur vint trouver l'artiste et lui dit :
"Ce n'est pas gentil. Pourquoi avez-vous cité le nom des Isola au cours de vos insultes ? Vous risquez de me faire avoir des ennuis. Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ? "
Vilbert dut expliquer que le fromage italien n'avait aucun rapport avec les deux célèbres directeurs.
En 1905, fatigués, désirant aller se reposer sur la Côte d'Azur, les frères Isola cédaient à M. Ruez
Parisiana et leurs deux autres théâtres :
Olympia et
Folies Bergère, comme nous le verrons par la suite,
La Gaîté passant en association sous la directionHertz et Coquelin.
OUVRAGES JOUÉS A"PARISIANA" (1897-1905)
- Le Petit Don Juan
- Les Petits Trottins
- Le Roi Carnaval
- Le Tonneau des Danaïdes
- Le Nouveau-Vieux Jeu
- La Demoiselle de chez Maxim's
- Un Client sérieux
- La Chambrée
- Le Coup de Minuit
- Madame Méphisto
- Poupées Américaines
- Les Pétards de l'année (revue)
- Il y a de la Femme (revue)
- J'en veux encore (revue)
- La Sauterelle
- La Peur des Coups
- Enfin Seuls.
AUTEURS, COMPOSITEURS et CHEFS D'ORCHESTRE
collaborateurs de ces ouvrages
- Blondeau
- Matrat
- Montréal
- Courteline
- P. L. Flers
- Gardel-Hervé
- Gavault
- Breton
- De Cottens
- Henri Moreau
- Fordyce
- Clément Bonnel
- Peter Carin
- Oudat
- De Gorsse
- Xanrof
- Quinel
- André Wervoart
- Laurent Hallé
- Colat
- Bonnet
- Jubin
- Thébla
- Jaulat
ARTISTES AYANT JOUÉ A"PARISIANA"
- Méaly
- Germaine Gallois
- Anna Thibaud
- Lydia (Mme Vilbert)
- Paule Delys
- Marie Perret
- Félicia Mailet
- Gietter
- Valdina (Mme Berthez)
- Bianca
- Paula Brébion
- Dora
- Tariol-Baugé
- Simon-Girard (Mme Huguenet)
- Marcelle Yrven
- Yahne d'Argent
- Suzanne Derval
- Jane Derval
- Pâquerette
- Paulette Fillaud
- Zina Ruby
- Mary-Hett
- Griniori
- Tanoni
- Giralduc
- Blanche Kerville
- Miette
- Madeleine Guitty
- Thérèse Cernay
- Zandoza
- Blanche Delière
- Silio
- Helynette
- Loulou Devriel
- Debièvre
- Yvonne Derick
- Blanche Thiébaud
- Clara Faurens
- Berka
- Marfa Darvilly
- Marthe Dermony
- Nine Pervenche
- Zinonce
- Brézina
- Paul Marly
- Allens
- De Valmont
- Sicard
- Andrée Alvar
- Musidora
- Lantenay
- Jeanne Doé
- Odette Dulac
- Violette de Chaume
- Merindol
- Blondinette d'Alazac
- Montbron
- Stelly
- Maryse
- Féré
- Lucette Deverley
-
Alice de Tender
- Blanche de Castillon
- Paulus
- Fragson
- Bourgès
- Ouvrard (père)
- Rivoire
-
Baldy
- Freddy
- Villé
- Debaillent
- Chaillier (le bossu)
- Strit
- Gibard
- Jacquet
- Max Illy
- Maxime
- Isabelle Toisin
- Hébins
- Bosset
- Ichooff
- Boucot
- Féréal
- Mercadier
- Raiter
- Yvain (le chanteur)
- Aristide Bruant
- Mansuelle
- Stainville
- Girier
- Chavat
- Franvel
- Bosset
- Leprince
- Royus
- Dufleuve
- Gabin (père)
Note : Le texte qui précède est tiré de "Souvenirs des Frères Isola - Cinquante ans de vie parisienne recueillis par Pierre Andrieu" et ont été publiés chez Flammarion en 1945. - Les textes de ces souvenirs peuvent encore faire l'objet de droits d'auteurs.
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