CHAPITRES
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1 - De Blida
2 - À la conquête de Paris
3 - Les Capucines-Théâtre Isola (sic)
4 - Parisiana
5 - Olympia
6 - Folies Bergère
7 - Gaîté Lyrique
8 - Voyages pittoresques
9 - Opéra-Comique
10 - Sarah-Bernhardt
11 - Mogador
12 - Mon frère et moi
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Les frères Isola


SOUVENIRS DES FRÈRES ISOLA


Chapitre 11 - Mogador

(Voir la note à la fin)

Suivons le destin parallèle du Théâtre Mogador dirigé de 1926 à 1936, comme Sarah-Bernhardt, par les frères Isola.

Lors de leur prise de direction, ils étaient riches de plusieurs millions gagnés par quarante ans de travail incessant, riches aussi sur le plan moral, de l'estime et de la considération de tout Paris. Ils pouvaient se permettre de lancer les spectacles les plus éclectiques, d'offrir aux spectateurs les interprétations les plus choisies et les mises en scène les plus somptueuses.

Ils n'y manquèrent point.

La Société Paramount était propriétaire de la salle rue Mogador, mais Louis Aubert était titulaire du bail et y passait des films. Les Isola firent un arrangement avec lui, dont l'une des clauses était qu'ils devaient garder pendant quelques mois le dimanche à cinq heures, les concerts Pasdeloup sous la direction d'Albert Wolff.

En dix ans, Mogador a donné neuf pièces à grand spectacle tant françaises qu'étrangères, qui furent des succès. On les joua des centaines et même des milliers de fois.

Le spectacle d'ouverture fut constitué par La Bayadère, qui avait déjà connu plusieurs réussites à l'étranger.

Cette pièce avait fait les beaux jours de Bruxelles et de Lyon, et les frères Isola engagèrent le chef d'orchestre Diot qui avait conduit l'ouvrage dans cette dernière ville.

Parmi les interprètes, figurèrent Maria Kousnetzof, de l'Opéra-Comique, la charmante Ristori, devenue depuis Mme Maurice Yvain et le ténor allemand Léonard, un des créateurs de l'ouvrage que l'administrateur, M. Chabance, alla engager à Berlin de la part des Isola.

Pendant les représentations de La Bayadère, les frères Isola, en hommes de théâtre avertis, sentaient que le public attendait quelque chose de nouveau. Certes, celui-ci ne concrétisait pas très bien son désir, mais le seul spectacle capable d'émouvoir la masse, d'attirer la foule, était à cette époque l'opérette à grand spectacle, transposition des rêves de milliers de gens ne sachant pas s'analyser, évasion dans la fantaisie des couleurs et des rythmes.

De plus, le cadre même du théâtre Mogador était assez particulier, construit pour représenter des œuvres de music-hall, et beaucoup trop vaste pour de petites opérettes charmantes mais menues sur un tel plateau.

Les deux directeurs ne se résolurent à monter des productions étrangères que lorsqu'il s'avéra impossible de trouver des œuvres nouvelles françaises susceptibles de faire une longue carrière dans leur établissement.

Ils avaient commandé une opérette à André Messager et une autre à Maurice Yvain, mais ces deux excellents compositeurs furent un peu effrayés par le cadre et ne donnèrent pas suite à ces projets.

Les Isola partirent donc pour l'étranger afin de tenter de dénicher l'oiseau rare : une œuvre capable de faire courir tout Paris.

Passant par l'Italie, ils gagnèrent Vienne, puis Berlin où rien ne les contenta pleinement. A Londres, ils assistèrent au Palace Théâtre, à une représentation de No No Nanette, et le lendemain, à Drury Lane, à Rose-Marie. C'était nouveau par une sorte de fra?cheur na?ve, par l'ampleur et le luxe de la mise en scène, ainsi que par les rythmes importés. Les deux pièces avaient été créées en Amérique par les Autrichiens, et elles étaient en train de conquérir la capitale anglaise.

Les deux partitions étaient de valeur, mais celle de No No Nanette supérieure ,à celle de Rose-Marie. André Messager, assistant à Paris aux deux premières, fut enthousiasmé.

Volterra, par contre, se trouvant à Londres en même temps que les frères Isola, tint le pari de cinquante mille francs que ces œuvres ne feraient pas un sou chez nous. Ayant vu le spectacle une deuxième fois, il doubla la mise de son pari, ce qui n'empêcha pas les frères Isola, se fiant uniquement à leur jugement, d'acheter 400.000 francs le droit de représenter No No Nanette à Mogador.

Il est juste d'ajouter que Volterra, dès la première parisienne, reconnut volontiers son erreur.

L'adaptation fut demandée à Rip et à son collaborateur Bousquet, mais ceux-ci, après avoir pris connaissance de l'ouvrage, pensèrent qu'il était indispensable d'en faire une version nouvelle, et que cela représentait au moins deux mois de travail.

Dans le contrat, il était stipulé que la pièce devait être montée tout de suite et présentée dans la version originale. Elle était d'ailleurs livrée telle qu'elle était jouée à Londres.

Dans ces conditions, les Isola s'adressèrent à Roger Ferréol pour le livret français et aux chansonniers montmartrois Paul Colline et Georges Merry pour la rédaction des couplets.

Pour que le spectacle f?t exactement le même, il e?t fallu posséder un double du chef d'orchestre Mackey qui attirait la foule par sa manière fantaisiste de conduire sans baguette, jouant continuellement un véritable sketch en s'aidant de plusieurs instruments, silhouette originale avec lunettes cerclées de noir, gants blancs et grosse fleur à la boutonnière.

Le chef d'orchestre des Isola était M. Diot. Fort capable par ailleurs, mais conduisant à la française.

Ses directeurs l'envoyèrent à Londres étudier Mackey afin de l'imiter à Paris. Dès qu'il le vit, il apprécia ses talents, tout en avouant qu'il ne pourrait jamais conduire un orchestre de cette manière là.

Une femme engagée chez Lyons, à Londres, fut essayée, mais "ce n'était pas ça". Après bien des hésitations, la direction du Palace Theater prêta pour un mois son chef d'orchestre à Mogador, et l'on sait le succès qu'il obtint auprès du public de Paris. Le mois terminé, Mackey regagna son pays, nanti de trente billets de mille, montant de ses appointements. Devant l'engouement manifesté par les spectateurs pour le jeu du chef anglais, Diot l'avait mieux étudié et était parvenu à l'imiter d'une façon si parfaite, que le lendemain du départ de Mackey, il monta au pupitre avec la même silhouette, conduisant avec des gestes décalqués sur ceux de son prédécesseur.

C'était tellement vrai que le public ne se douta pas une seconde qu'il y avait eu substitution de personne. Pour représenter une Nanette exacte, il avait fallu trouver une artiste jeune, espiègle, chanteuse et danseuse. Les Isola se souvinrent d'une artiste tout à fait indiquée pour jouer ce rôle, mais elle était en Amérique.

Dès qu'ils apprirent qu'elle en revenait, Roger Ferréol fut délégué pour aller l'attendre au débarquement du bateau, et c'est ainsi qu'après quelques difficultés fut engagée Loulou Hégoburu. Les autres rôles furent distribués à Ristori, Renée Devilder, Jeanne Fusier, Germaine Charley, Paule Merly, Oudart, Adrien Lamy, Cariel.

Le succès fut immense, mais les représentations durent être arrêtées après une année, pour laisser le plateau à Rose-Marie, dont la date était fixée par contrat. L'adaptation en avait été confiée à Roger Ferréol et Saint-Granier.

Les frères Isola firent venir d'Amérique la créatrice de la ?Danse de l'Eventail? : June Roberts, et engagèrent Cloé Vidiane, Cécilia Navarre, Boucot qui fut remplacé par Dréan, ayant été obligé de satisfaire aux obligations d'un contrat signé antérieurement, Oudart, Robert Burnier. Ce dernier avait été demandé par André Messager pour créer Coup de Roulis au Théâtre Marigny et les Isola avaient promis qu'ils le rendraient libre dans six mois.

Au bout de ce temps, André Messager, accompagné de Volterra, vint rappeler aux directeurs leur promesse, mais c'était alors le plein succès de Rose-Marie que Burnier jouait délicieusement.

Les Isola n'hésitèrent pas. Ils avaient promis. Ils tiendraient leur parole. Ils permirent à Burnier de partir créer Coup de Roulis et engagèrent Géo Bury pour le remplacer.

Les auteurs et acteurs de Mogador à cette époque, ont gagné des fortunes... tandis que les directeurs perdaient la leur, en grande partie pour les raisons énoncées au chapitre précédent.

L'excellent artiste Félix Oudart joua toute une année No No Nanette et douze cents fois Rose-Marie dans le rôle du sergent Malone.

La danseuse June Roberts, avec un cachet de mille francs, toucha un million deux cent mille francs pour douze cents représentations sans interruption.

Nous citons au hasard, mais toute la troupe et le personnel profitèrent de la durée de ces deux spectacles.

A chaque succès, les frères Isola augmentaient les appointements de leurs collaborateurs. Le chef d'orchestre Diot, entré à Mogador en 1926, à dix-huit cents francs par mois, touchait, lorsqu'il est parti en 1936, cent mille francs par an.

Au cours du séjour de l'aviateur Charles Lindbergh à Paris, en 1927, Louis Blériot donna une fête en l'honneur du héros de la traversée de l'Atlantique. Les frères. Isola y furent invités, mais ne pouvant y assister, adressèrent à Lindbergh un album contenant les photographies dédicacées de toutes les girls américaines dansant dans Rose-Marie, album qui fut remis à son destinataire au cours de la fête.

Après les quatre premiers mois, au cours de l'été, les recettes baissèrent, sans doute à cause de l'époque peu favorable aux spectacles, et les directeurs allaient songer à la reprise d'une autre pièce, quand elles remontèrent brusquement jusqu'à atteindre le maximum.

Tous les soirs : 45 à 50.000 francs; le dimanche, le total de la journée s'éleva jusqu'à 105.000 francs.

Ainsi fut doublé le cap de la millième, puis de la douze cent cinquantième et, en reprise, fut atteint le chiffre considérable de quinze cents représentations.

Les frères Isola avaient résolu de consacrer cent mille francs pour fêter la millième de Rose-Marie. Malgré toute leur bonne volonté : plaquettes artistiques offertes, magnifique souper, concert, bal qui dura jusqu'à cinq heures du matin, etc... ils ne purent dépenser que quatre-vingt-douze mille francs !

Chaliapine télégraphia :

"Mes chers amis frères Isola. Je regrette infiniment de ne pas pouvoir être avec vous et vos amis ce soir, mon concert me retient. Vous embrasse et espère vous voir personnellement au deuxième mille de votre charmante Rose-Marie."

Pendant trois ans, toutes les personnalités françaises et étrangères défilèrent à Mogador pour applaudir Rose-Marie, entre autres le Sultan du Maroc et ses deux fils dont l'a?né est sultan aujourd'hui.

On aura une idée de ce qu'a pu être la passion du public pour cette opérette, quand on saura que les spectacles parisiens et ceux de province, totalisèrent depuis la création jusqu'à l'année dernière, quarante-sept millions de recettes.

Un brave homme d'employé était le vieux Stainville qui avait été autrefois directeur de spectacle mais n'avait pas réussi. Il reçut un jour une lettre d'Ouvrard dans laquelle il lut :

"Je n'ai pas l'occasion de voir mes anciens amis Isola, mais dites-leur que je leur signale un artiste qui sera la plus grande vedette du music-hall Georgius.? Vint ensuite Le Chant du Désert, avec les mêmes adaptateurs français. La partition était charmante et réclamait de jolies voix, aussi les directeurs engagèrent-ils Couzinou et Marcelle Denya, tous deux de l'Opéra.

Puis Hit the deck, dont la version française de Ferréol et Saint-Granier porta le titre de Halleluia.

Les premiers artistes engagés furent Cécilia Navarre, Rose Carday, Louvain, Géo Bury, Dréan, Oudart, Bever. Manquait encore une petite danseuse excentrique d'un genre particulier. Les Isola, toujours à l'aff?t, entendant parler d'une artiste originale qui se produisait au Château de Madrid, près du Bois de Boulogne, assistèrent à un souper pour voir son numéro.

Il les enchanta. L'engagement fut signé peu de temps après et la jeune artiste est devenue une grande étoile de cinéma : Olympe Bradna.

Le même soir, les convives furent surpris par les acrobaties d'un jeune soupeur qui grimpait aux arbres comme un singe, faisait des rétablissements périlleux et inattendus, mille fantaisies aériennes extraordinaires.

On s'enquit de son nom. Nouvellement arrivé à Paris, Roland Toutain commençait sa carrière.

Pour corser le spectacle, furent adjoints à la troupe, les fameux comiques musicaux Borah Minevitch, à cinquante mille francs par semaine, et l'on se souvient de la mise en scène de la fête sur le pont du cuirassé, avec cent matelots, les girls et les artistes, qui constitua une des plus belles réalisations scéniques.

Après ces ouvrages étrangers, les frères Isola donnèrent une reprise de La Vie Parisienne qui n'avait pas été jouée depuis vingt ans. Ils firent appel comme metteur en scène et principal interprète, à Max Dearly que l'on entoura de Mmes Jane Marnac, Saint-Bonnet, Danielle Brégis, Rose Carday, et de MM. Oudart, Dréan, Henry Laverne.

Ce fut un véritable régal artistique et la mode s'en montra si influencée, que plusieurs modistes firent fortune en relançant les chapeaux du Second Empire.

Un gala eut lieu au cours duquel less spectatrices des loges étaient habillées suivant la mode de 1867. La salle semblait ainsi prolonger la scène et on ne savait plus séparer le public des artistes. Le coup d'ceil d'ensemble était féerique.

Un soir que l'Ambassade d'Espagne avait loué une loge, le roi Alphonse XIII vint, accompagné de son ambassadeur et de quelques amis. Deux rangées de fauteuils restèrent vides devant la loge royale afin que les spectateurs ne pussent s'approcher trop près du souverain.

Un attentat était en effet toujours à craindre. Le lendemain, le roi quittait précipitamment Paris ; la révolution venait d'éclater dans son pays, mais il emportait de sa soirée un fort agréable souvenir dont il fit part aux deux frères.

Le succès de La Vie Parisienne incita ceux-ci à continuer dans ce genre et ils montèrent Orphée aux Enfers, toujours avec Max Dearly et une distribution de premier ordre comprenant : Muratore et Maryse Baujon, de l'Opéra ; Oudart, Adrien Lamy, etc...

Comme les Ballets russes étaient au Théâtre Sarah-Bernhardt sous la même direction, ils furent introduits dans Orphée aux Enfers et contribuèrent au succès de la pièce.

Sur le conseil de Serge Lifar, les Isola chargèrent le ma?tre de ballets Balanchine d'engager un certain nombre de danseuses et d'organiser les ensembles pour Mogador. La musique se prêtait parfaitement à ce genre de chorégraphie.

Vénus était personnifiée par la Reine de Beauté Raymonde Allain et la mignonne Mouette Dinay était adorable en amour.

Pendant une des représentations d'Orphée aux Enfers, Vincent Isola reçut dans son bureau du Théâtre Mogador, un coup de téléphone de Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, qui mandait immédiatement les deux frères au ministère pour leur apprendre, annonçait-il, "une bonne nouvelle". Vincent monta aussitôt en automobile, passa prendre Emile au Théâtre Sarah-Bernhardt, et quelques instants après ils étaient introduits auprès de Paul Léon.

- Messieurs, leur dit celui-ci, vous vous souvenez sans doute de la phrase de Louis Barthou vous nommant directeurs de l'Opéra-Comique : ?Acceptez ce poste. L'Opéra-Comique est l'antichambre de l'Opéra.? Aujourd'hui, le ministre vous offre la direction de ce théâtre.

- M. Rouché démissionne-t-il ?
- C'est-à-dire qu'il vient d'envoyer au ministre une lettre datée du 15 décembre, que celui-ci ne peut accepter. M. Rouché demande pour la fin de l'année trois millions de subvention supplémentaire. S'il ne les obtient pas, il déclare qu'il s'en ira. C'est un ultimatum inacceptable.
- Monsieur le Directeur, dirent les deux frères, nous remercions sincèrement le ministre et vous-même de cette offre magnifique, mais il nous est difficile de répondre affirmativement dans ces conditions. Nous n'avons pas à juger la façon d'agir de M. Bouché pour tenter d'obtenir une subvention dont il a peut-être besoin, mais cela nous place dans une situation délicate vis-à-vis de lui. Vous nous comprendrez certainement et le ministre, à qui nous téléphonerons demain matin, ne nous en voudra certainement pas de décliner cet honneur qui, en d'autres temps, nous e?t ravis.

Voilà pour quels scrupules les frères Isola ne furent pas directeurs de l'Opéra.

Il est juste de dire que les spectacles de Mogador connaissaient la plus grande vogue et qu'il leur e?t fallu abandonner un établissement en pleine prospérité pour se plonger dans les soucis de l'incertitude.

A ce moment, on jouait à Londres une opérette genre revue tyrolienne qui avait obtenu un grand succès à Berlin. La partition en était populaire, le livret comique, et l'ouvrage ne ressemblait à aucun de ceux montés à Mogador.

Le titre en était : L'Auberge du Cheval Blanc. Les deux directeurs virent la pièce et furent enthousiasmés, ils se mirent en rapport avec les auteurs, traitèrent, puis confièrent l'adaptation à Lucien Besnard, tandis que René Dorin se chargeait des couplets.

L'Auberge du Cheval Blanc restera comme un événement marquant de l'Histoire du Théâtre et une preuve du souci constant des frères Isola, de toujours chercher du nouveau pour leurs établissements.

L'interprétation parfaite réunissait entre autres les noms de Gabrielle Ristori et Rose Carday, Monette Dinay et Regelly, Jean Paqui, qui avait alors douze ans et est devenu un grand artiste, (il fallut même une dispense d'âge pour lui permettre de jouer), A. Goavec, Robert Allard, l'inénarrable Charpin, la troupe des Tyroliens et mon ami Milton, remplacé après huit mois par Lucien Dorval qui imitait la sortie de Chevalier à la perfection.

Milton avait signé un engagement antérieur l'obligeant,à partir tourner un film en Afrique.

L'engagement de Jean Paqui ne fut pas chose aisée. Erik Charrell, metteur en scène que les, auteurs avaient exigé parce qu'il avait fait dans un des principaux théâtres de Berlin, une mise en scène remarquable, était un homme de grand talent mais possédant un caractère difficile. Il avait déjà fait défiler une centaine de gosses sans trouver celui qui lui convenait pour le rôle de Piccolo. Les Isola s'impatientaient et le lui dirent. Alors il demanda à revoir un petit pâle et timide dont on rechercha les nom et adresse.

C'était Jean Paqui, fils de M. d'Orgeix.

La chanteuse de la fameuse tyrolienne, Mme Reverelly, était une Allemande que l'on engagea à Zurich.

Tout le monde se souvient de l'amusante scène des bagages jouée par Charpin en truculent Marseillais, de l'arrivée de l'Empereur à Saint-Wolfang, du défilé des corporations, de toute cette ga?té, de cette couleur qui transportait vraiment le spectateur dans un pays de rêve.

Tout le théâtre était transformé pour la circonstance, depuis la façade jusqu'au hall et aux loges. Un plateau tournant avait été construit afin de faciliter les changements de décors rapides.

Les avant-scènes continuaient la scène et aux fenêtres du premier étage apparaissaient de nombreux interprètes, de sorte que toute la salle se sentait mêlée à l'action.

On n'a pas oublié le défilé des 175 artistes, figurants, danseuses, musiciens, et la fête foraine qui terminait les vingt tableaux, avec ses balançoires, son manège de chevaux de bois et sa foule bigarrée. Malgré l'arrangement conclu avec les auteurs, le metteur en scène voulait trouver une scène plus vaste que celle de Mogador pour représenter L'Auberge du Cheval Blanc. On fut obligé de supprimer deux avant-scènes pour le contenter et agrandir le plateau.

Les frères Isola envoyèrent à Vienne où se trouvait Erik Charrel, leur directeur technique M. Ramelet pour mettre tout au point.

Cette opérette était tirée d'un vieux vaudeville allemand.

L'ouvrage fut joué pendant deux ans avec un triomphal succès. Le public go?ta l'opérette tyrolienne gaie où étaient évoquées les mœurs d'une région que beaucoup de touristes connaissaient.

L'Auberge du Cheval Blanc n'est pas une fiction, elle existe réellement, et tous les ans, l'empereur François-Joseph d'Autriche allait s'y reposer ainsi que d'autres souverains et grands personnages. La propriétaire, âgée de quatre-vingts ans, vint à Paris applaudir la pièce et félicita les frères Isola d'avoir représenté son établissement avec autant de couleur locale.

On se souvient qu'au cours du spectacle, des enfants venaient à l'avant-scène. Parmi eux, une jolie fillette aujourd'hui connue sous le nom d'Irène de Trébert. La danse du ?Totem Tom Tom? surprit par son originalité qui fit école. Les danseuses, par les dessins et les teintes de leurs costumes, traçaient elles-mêmes des arabesques colorées qui devenaient hallucinantes.

On allait fêter la centième de L'Auberge du Cheval Blanc quand Mme Vincent Isola décéda en quelques jours d'une crise d'urémie. Les amis et gens de théâtre l'appelaient Madame Annette et savaient quel soin elle apportait dans mille détails de mise en scène, surtout dans l'élaboration et la réalisation de nombreux costumes que comportaient les opérettes montées au Théâtre Mogador.

Elle fut aussi la compagne dévouée, de bon conseil, pendant ses trente-trois ans de mariage où elle vécut avec son mari, 27, rue La Boétie, au quatrième étage, tandis qu'Emile occupait le troisième.

A son enterrement, plusieurs chars furent nécessaires pour porter les magnifiques couronnes. Tout Paris était là, apportant aux deux frères un hommage attristé. Renard, préfet de la Seine, et Chiappe, préfet de police, étaient présents. Ce dernier dit à Vincent :

"Une reine n'aurait pas eu un plus bel enterrement."

Un jour, Mario Roustan, ministre de l'Instruction Publique et des, Beaux-Arts, parlant avec les deux directeurs, fit une discrète allusion à leur promotion à l'échelon supérieur dans l'ordre de la Légion d'honneur.

Les intéressés répondirent :

- Monsieur le Ministre, nous sommes déjà officiers. C'est très beau. Mais il y a une grande, très grande artiste, qui attend le ruban rouge depuis vingt ans et qu'une chute malencontreuse de ministère a privée de cette joie.

- Qui est-ce ?

- La créatrice d'Hérodiade à Paris : Emma Calvé.

- Comment ? Mais nous sommes du même pays !

C'est chose entendue. Vous pouvez le lui annoncer.

Les Isola étaient un peu gênés de faire conna?tre leur démarche à la cantatrice, mais sur l'insistance du ministre, ils se décidèrent :à lui téléphoner.

Impossible. Elle était à l'étranger.

Mario Roustan tint parole. Sur la liste des décorés de la promotion suivante, figura le nom d'Emma Calvé.

Il y a quelques années, présentant au Casino de Nice leur numéro d'illusions, ils virent venir vers eux, parmi les nombreux amis les félicitant, leur ancienne pensionnaire portant sa décoration au corsage.

Ils sourirent, émus, se rappelèrent la conversation avec le ministre, mais se turent. Emma Calvé n'a jamais su qu'elle leur devait la réparation d'un oubli.

A peu près vers la même époque, Willy Thunis remportait un grand succès à la Gaîté, dans Le Pays du Sourire.

Etant à l'aff?t des vedettes à la mode, les directeurs de Mogador l'engagèrent en principe, sans fixer de date, car ils ne voulaient pas interrompre la série de représentations d'une pièce qui connaissait la faveur du public.

Le contrat portait cependant que Willy Thunis ne pourrait se produire dans aucun endroit autre que le théâtre de la Gaîté.

Pourtant, on le vit plusieurs fois affiché ailleurs avant de s'être mis à la disposition de ses nouveaux directeurs.

Quand il fut entièrement libre, le créateur du Pays du Sourire prétendit remplir immédiatement son contrat, alors que L'Auberge du Cheval Blanc faisait des salles combles tous les soirs.

Devant les raisons parfaitement logiques invoquées par les Isola pour retarder l'engagement définitif du ténor, celui-ci les attaqua au tribunal des Prud'hommes, en 800.000 francs de dommages-intérêts.

Après avoir pris connaissance du dossier, le président du tribunal avoua que c'était plutôt le demandeur qui aurait d? verser des dommages-intérêts à ceux qu'il attaquait.

Willy Thunis, bien conseillé cette fois, préféra retirer sa plainte.

Petite contribution à l'Histoire du Théâtre :

Un mois avant la première du Pays du Sourire, les auteurs n'étant pas d'accord avec le directeur, voulaient retirer leur pièce de la Gaîté pour la donner au Théâtre Sarah-Bernhardt. La vérité oblige à dire, d?t en souffrir la modestie des frères Isola, qu'ils refusèrent pour ne pas désobliger un confrère. Ils se privaient ainsi de magnifiques recettes qui, peut-être, leur auraient évité la débâcle financière ultérieure.

Tel est leur caractère.

Si un certain nombre d'opérettes étrangères ont été représentées sur la scène de Mogador, il ne faut pas oublier que tous les adaptateurs furent français, ont touché de ce fait des droits élevés et continuent d'en encaisser chaque fois qu'une scène reprend une de ces œuvres.

Cependant, les Isola tinrent à monter une pièce entièrement francaise.

Le titre : Mandrin.

Pour réaliser cette création, Emile et Vincent Isola abandonnèrent une avance importante sur des droits futurs, qu'ils avaient versée pour pouvoir jouer à Paris Rio-Ritta, opérette de grande réputation en Amérique.

Rien ne fut épargné pour assurer à Mandrin une mise en scène digne de celle des ouvrages qui l'avaient précédé. Elle co?ta 800.000 francs. Vingt tableaux et douze cents costumes.

C'est dans cette pièce que débuta Jouatte, artiste de concert jusqu'alors et devenu depuis un des principaux chanteurs de l'Opéra. La vedette femme était Solange Renaud, du même théâtre.

Ensuite, reprise de L'Auberge du Cheval Blanc qui avait été arrêtée en plein succès et celui-ci se maintint, puisque les dix dernières représentations totalisèrent 300.000 francs de recettes, soit une moyenne quotidienne de 30.000 francs.

Pour succéder à Mandrin, les directeurs de Mogador comptaient sur une pièce qu'ils avaient vue à Marseille et dont ils avaient engagé tous les interprètes, Fernandel en tête. Il s'agissait d'Ignace, dans lequel le comique marseillais était irrésistible. La première était prévue vers le 15 décembre, mais pour une raison de famille, Fernandel recula son arrivée à Paris, si bien que les grosses recettes escomptées à la fin de l'année 1935 ne purent être effectives.

En raison de ce que co?tait Sarah-Bernhardt, les rentrées de Mogador ne faisaient que retarder le dénouement sans le supprimer.

Le drame se précisait tragiquement à mesure que le temps passait.

Bien s?r, quand un membre est gangrené, une radicale opération chirurgicale, si douloureuse soitelle, vaut mieux que de laisser tout le corps se contaminer.

S'il avaient lâché Sarah-Bernhardt quand sa gestion s'avérait quasi impossible, quitte à perdre quelque chose, ils pouvaient sauver Mogador et rattraper ensuite leur perte. Mais ils étaient tous les deux des opiniâtres, travailleurs extraordinaires, profondément artistes, gardant malgré tout confiance dans l'avenir.

Les frères Isola n'ont jamais été à proprement parler des hommes d'affaires, sinon ils auraient su qu'en formant une société différente pour chaque théâtre, celle qui était perdante n'aurait pas entra?né la gagnante dans sa chute.

D'ailleurs, l'auraient-ils su, qu'ils n'auraient sans doute pas accepté de se prêter à des combinaisons de paravents.

Ces lutteurs allaient-ils devoir s'avouer vaincus sans qu'Etat ou particuliers tentassent quelque chose de possible, car ce l'était alors, pour permettre aux deux directeurs auxquels le Théâtre devait beaucoup, de doubler le cap des difficultés ?

Après cinquante ans de vie probe, toute dévouée à la cause artistique, les frères Isola grâce auxquels tant de gens avaient gagné une fortune, allaient-ils renoncer ? Ces deux hommes de plus de soixante-dix ans qui, au_ cours de leur carrière avaient versé trente-six millions à l'Assistance publique, qui avaient largement donné autour d'eux avec une générosité parfois même imprudente, déposèrent leur bilan le 3 janvier 1936.

S'ils avaient été des malins, ils auraient réuni leurs créanciers dont aucun n'était exigeant et obtenu dix ou vingt ans pour régler, mais ils n'étaient que d'honnêtes gens qui s'affolèrent un peu et que la plupart de leurs obligés lâchèrent sans élégance au dernier moment, quand un appui se révèle si nécessaire, quand une preuve d'estime ou d'encouragement fait du bien au cceur.

Les vrais amis se comptèrent alors, les sincères, qui réalisaient cette injuste et fatale conclusion, avec une immense peine, avec aussi le mépris pour l'indifférence et la muflerie. Voici la lettre que Léopold Marchand adressa aux frères Isola :

?96, Bd. de la Tour-Maubourg : le 3o-I-36.

?Chers Messieurs Isola,

?Devant les déclarations que vous avez faites à la Presse, je tiens à venir vous apporter l'expression de ma très vive et très déférente sympathie, et vous assurer des vœux que je forme pour vous. ?Mon nom, au bas de cette lettre, vous rappellera ceux qui l'ont porté avec honneur et conscience, comme vous-mêmes, dàns ce beau métier de théâtre. ?Je suis certain de vous écrire au nom de mon père et de ma mère, sachant la profonde et affectueuse estime qu'ils vous portaient. ?Veuillez agréer, cher messieurs Isola, l'assurance de mes sentiments bien dévoués.

?L?OPOLD MARCHAND.?

Jean Guitton écrivit :

?12, rue du Maréchal Joffre, Le Vésinet (S.-et-0).

?Mes chers amis,

?Je n'ignore rien des graves difficultés qui, momentanément, risquent de priver Paris de deux grands directeurs. ?J'ai toujours gardé de votre aimable accueil à ?Sarah-Bernhardt? le plus chaleureux souvenir. ?Croyez que toute ma sympathie vous est acquise et permettez-moi de vous transmettre mes vœux les plus sincères pour un rapide redressement, qui vous permettra de continuer au théâtre le grand effort qui vous fait honneur. ?Je vous prie de croire, mes chers directeurs, à mes sentiments bien cordiaux.

?JEAN GUITTON?

Albert Carré, qui avait été sept années co-directeur de l'Opéra-Comique avec les deux frères, leur envoya cette émouvante missive le 13 janvier 1936 :

?Mes chers amis,

?Je connaissais la triste nouvelle que vous m'annoncez et j'en étais navré. Il ne faut pas que vous vous découragiez. Vous avez l'estime de tout le monde et vous êtes encore d'âge à pouvoir travailler et à vous refaire la situation que vous méritez.

?Le bel exemple de courage et de probité que vous avez donné pendant tant d'années est un capital que vous n'avez pas perdu et que vous ne pouvez perdre. La liquidation d'un théâtre que vous aviez rendu si florissant, comme Mogador, jointe à la cession du théâtre Sarah-Bernhardt que vous aviez miraculeusement fait vivre pendant dix ans, devront vous donner, j'en suis s?r, de quoi pouvoir vous attacher à une nouvelle entreprise. Peut-être, les théâtres vont-ils être moins sacrifiés à l'avenir. Les bons directeurs sont rares. Il n'est pas possible que votre savoir et votre expérience soient inutilisés.

?L'amitié que j'ai toujours eue pour vous ne peut que grandir à vous voir, avec une si noble franchise, faire face aux difficultés actuelles. ?Je ne puis, à mon très grand regret, recommencer avec vous les sept années que nous avons passées ensemble à l'Opéra-Comique, car ces sept années-là sont parmi les plus belles de nia vie. ?Je vous envoie nos fidèles amitiés pour vous et mesdames Isola.

?ALBERT CARR?.?

Un volume serait nécessaire pour reproduire tous les hommages adressés aux deux directeurs dont la carrière fut unique et que le malheur frappa alors qu'ils avaient droit à une tranquillité amplement méritée. Nous n'en citerons encore que deux. Pierre Chéreau, directeur artistique de la scène de l'Opéra, qui avait été leur collaborateur, adressa ces mots simples et sincères :

?Théâtre National de l'Opéra, Paris, 1er février 1936.

?Mes chers directeurs amis,

?Il y a longtemps que je voulais vous écrire et vous assurer de l'émotion que j'ai ressentie quand j'ai appris que vos deux théâtres avaient interrompu leurs représentations.

?Surmené par un travail de plus en plus bousculé, je n'avais pu trouver le moment de venir m'entretenir avec vous et je m'en excuse.

?Je n'ai pas oublié les cinq années passées sous votre direction et les relations excellentes que nous n'avons cessé d'entretenir dans des conditions souvent difficiles.

?Il est désolant de voir combien des efforts comme les vôtres, et une activité qui groupait autour de vous tant d'éléments que vous faisiez vivre, ne soient pas mieux récompensés.

?La crise ? Mais non, l'étranglement par l'Etat et par la ville des malheureux théâtres qui ne peuvent et ne pourront plus vivre !

?Je suis s?r qu'aujourd'hui tous vos amis vous entourent de leur affection et vous nous permettrez de nous joindre à eux.

?Avec mes respectueux hommages et l'assurance de ma bien vive sympathie et de mon souvenir le plus fidèle et le plus dévoué.

?PIERRE CH?REAU.?

Henry Dangès, de l'Opéra, écrivit :

?Ce 20-3-36.

?Mes chers directeurs, ?C'est en souvenir des cordiales relations que nous avons eues au début de ma carrière que je vous adresse ces lignes.

?J'ai été sincèrement attristé, lorsque j'ai appris les raisons de la fermeture de Mogador.

?Vous qui avez tant fait pour le théâtre ?lyrique?, vous qui avez pendant de si longues années fait conna?tre et travailler tant de chanteurs, utilisé tant de personnel vivant du théâtre ; vous enfin, qui avez connu de si brillantes réussites dans vos multiples directions, vous ne méritez pas un tel coup du sort.

?Je vous exprime en cette pénible circonstance toutes mes vives sympathies. Vous avez certainement reçu beaucoup de lettres de ce genre émanant de ceux qui vous doivent un nom au théâtre ou une petite fortune.

?Le sentiment que je vous exprime n'est pas intéressé, puisqu'hélas vous n'êtes plus directeurs ; et qu'en somme, depuis les temps lointains d'Hérodiade à la Ga?té, je n'ai pas rechanté sous votre direction. Je l'ai du reste, regretté maintes fois, lorsque j'ai vu dans certaines pièces que vous montiez, que j'aurais pu être l'interprète répondant aux qualités physiques, scéniques et vocales de ces rôles.

?Le Destin ne l'a sans doute pas voulu...

?J'ai gardé néanmoins de votre courtoise amabilité le meilleur souvenir ; et c'est à ce titre que je vous assure, mes chers directeurs, de mes sincères sentiments, et que je forme des vœux pour que vos affaires s'arrangent au mieux de vos désirs.

?HENRY DANG?S, de l'Opéra.?

D'autres, beaucoup d'autres, se joignirent à eux pour adoucir la peine des deux frères toujours unis, dans les jours fastes comme dans les heures pénibles.

Quand Max Viterbo apprit que les Isola avaient déposé leur bilan, il pensa qu'ils étaient fous, et Volterra, dans un moment de franchise brutale, les traita d'imbéciles. Parbleu, ils pouvaient ?passer au travers? comme tant d'autres ; mais régler leur situation en truquant ou en finassant, leur aurait semblé une atteinte à leur honneur.

Le dépôt de bilan n'ayant pas réduit leur activité, les deux frères songèrent à former une société de gérance de Mogador, afin de pouvoir monter Ignace, affaire déjà traitée comme nous l'avons vu, et dont le succès était certain. Les personnes pressenties se ?défilèrent? sous un prétexte ou sous un autre, et ils s'adressèrent alors à leur conseil juridique Durand-Villette, pour trouver quelqu'un capable de reprendre le théâtre qui avait connu tant de vogue.

Maurice Lehmann se porta acquéreur pour 1.200.000 francs, puis discuta et obtint que le prix f?t abaissé à un million. En fin de compte, il ne donna pas suite aux pourparlers, mais monta à la Porte-Saint-Martin, Ignace que les Isola lui cédèrent, et la pièce fit fortune.

Il est bien clair que si le bilan n'avait pas été déposé, les bénéfices de cette création eussent passé ,à l'actif des Isola, ainsi que le montant de la dette que I'Etat avait envers eux, relativement aux décors de l'Opéra-Comique.

C'était là une vieille affaire.

Une des clauses du cahier des charges de ce théâtre est que le concessionnaire doit acheter le matériel et les décors de son prédéceseur, valeur fixée à dire d'expert, et les céder de même façon à son successeur lors de son départ.

Lorsque les frères Isola quittèrent l'Opéra-Comique, le matériel représentait une valeur d'environ cinq millions.

Le ministre François Albert, favorisant MM. Masson et Ricou, ne fixa la redevance qu'à un million et demi.

Les Isola et M. Albert Carré se trouvant lésés, engagèrent un procès. Après plusieurs années, le Conseil d'Etat reconnut le bien fondé de leur réclamation et leur alloua un million de plus.

Hélas, ils n'en profitèrent en aucune façon, car la partie leur revenant fut touchée par le syndic. Avant cela, les deux frères avaient tenu à ce que les artistes et le personnel fussent intégralement payés.

Sans éloquence littéraire, mais avec une précision brutale, les chiffres montreront la situation financière exacte qui n'avait rien de désespéré si on l'avait quelque peu voulu, au lieu de laisser huissiers, syndics et autres individus du même genre se précipiter à la curée :

ACTIF
Achat du droit au bail ? Louis Aubert????.???????????... 2.200.000
Costumes et mat?riel des ouvrages............................................................... 3.000.000
D?p?t du loyer de Mogador et destinations diverses?.?.????............ 200.000
Achat de Sarah-Bernhardt ? Maurice Bernhardt??.???????......... 800.000
Travaux exig?s par la Ville de Paris?????????.???????.. 800.000
D?p?t du loyer de Sarah-Bernhardt et autres?????.?????.?.... 150.000
Total??.... 7.150.000
PASSIF ?
Environ????????????????????????.??......... 1.600.000
Diff?rence en faveur de l'actif???????..????..??................... 5.550.000

Le dépôt de bilan réduisait considérablement les droits aux baux, et de plus, le matériel, les décors, lès costumes, furent vendus pour une bouchée de pain.

La Ville de Paris, en la personne de certains conseillers municipaux incompréhensifs, devant lesquels M. Colombani défendit avec cœur et courage les deux directeurs, ne voulut pas se souvenir des millions encaissés par elle grâce aux spectacles qu'ils avaient montés, des créations magnifiques qui ajoutaient à son prestige, d'une double existence entièrement consacrée au théâtre sans les collusions fréquentes en politique.

Ah, la politique !

Les frères Isola n'en connaissaient ni les secrets ni les ressources. Certes, ils fréquentaient des ministres et des parlementaires, mais uniquement parce que leurs fonctions les mettaient en rapport avec ces personnages. Ils ne furent pas des habitués d'antichambres ministérielles et ne se sont jamais déguisés en agents électoraux.

Ils se sont contentés des maigres subventions reconnues insuffisantes par leurs successeurs, ont respecté scrupuleusement les clauses du cahier des charges qui leur était soumis, au point de créer par saison plus d'actes qu'il ne leur était enjoint. Nul ne fut plus qu'eux directeur dans le sens à la fois le plus complet, le plus strict et le plus honnête du mot.

Aux yeux des fantoches au pouvoir qui mettaient la France à l'encan, ils ont eu le tort, il est vrai, de ne pas accepter les petites amies des députés ou conseillers, plus aptes aux jeux du divan qu'aux vocalises, dans une troupe de professionnels. Ils ont respecté la mission d'artiste et n'ont pas été comme tant d'autres, parce qu'ils étaient loyaux et francs à une époque où cela semblait ridicule, les souteneurs d'une république en déliquescence.

On a vendu leurs immeubles, leurs valeurs, leurs autos, leurs bijoux, le résultat de cinquante ans de travail probe accompli simplement.

Bien des gens ont difficilement cru qu'ils n'avaient pas mis quelque chose "à gauche".

C'était en somme assez facile.

Pourtant, non, tout a été saisi.

La France nouvelle, dont on parle tant sans malheureusement en voir beaucoup les réalisations, se doit de protéger le travail et même la vie de ceux qui œuvrent, en supprimant les messagers de ruine et de misère.

Plus que des inutiles, ils sont des destructeurs, et nous ne pouvons plus admettre que ce qui est constructif ou productif soit constamment leur proie.

Ces jours-ci, les journaux publiaient : ?Une veuve et mère d'ancien combattant, jetée à la rue par l'huissier, le notaire et les gendarmes.?

Puis : ?Un coiffeur de Cognac se noie parce qu'il avait reçu une sommation d'huissier.? La lamentable série pourrait s'allonger indéfiniment. Si nous avions honoré le travail et mis les parasites dans l'impossibilité de nuire, nous n'aurions pas eu la honte de voir les frères Isola, à leur âge et avec leur passé, se demander non sans angoisse ce qu'ils mangeraient le lendemain.

Moralement, ils sortaient indemnes de l'aventure et pouvaient passer partout la tête haute, mais matériellement, ils étaient ruinés.

Ayant tout donné, ils n'avaient plus rien à recevoir et s'ils avaient profité des agréments de la vie pendant les années heureuses, ils risquaient' eu se laissant abattre, de conna?tre une vieillesse particulièrement pénible, tragique même. Ecœurés devant l'ingratitude et la bêtise, mais nullement décidés à jeter le manche après la cognée, les frères Isola allaient faire face à l'adversité avec un courage souriant.

PI?CES AYANT ?T? JOU?ES ? "MOGADOR"
La Bayad?re La Vie Parisienne?
No No Nanette? Orph?e aux Enfers?
Rose-Marie L'Auberge du Cheval Blanc
Le Chant du D?sert? Mandrin
Halleluia  
AUTEURS ET COMPOSITEURS
Bertal? Saint-Granier?
Maubon Dorin
Kalmann Erik Charell
Ferr?ol Hans Muller
Merry Lucien Besnard
Colline Ralph Benasky
Robert Stolz Rodolphe
Robert Gilbert Hebert Stolhart
Max Rivers Mechach
ARTISTES AYANT JOU? A "MOGADOR"
Max Dearly Ristori
Milton Daniel Br?gis
Muratore Maryse Baujon
F?lix Oudard Kousnezoff
Dr?an Regelly
Boucot Cecilia Navarre
Friant Rose Carday
Couzinou Reverelly
Jules Oudart Monette Dinay
Laffon Clo? Vidiane
Urban Rachel Lauwers
Laverne June Roberts
Lemercier Loulou H?goburu
Dorval Everkieff
R. Allard Liton Lancyl
Bever Ren?e Devilders
Ren? Evrard Fernand Albarri
Maiterie Laure Diana
Jean Paqui Freskin
Derbil Dorville
Jos? Dupuis Adrien Lamy
Max Jame Fernand Fray
Jean Debac Robert Casa
Nelson Cervatins
Despuech Robert Burnier
Nabas Jo Burg
Gerbert? Lacaste
L?onard Emile Combe?
J. Marnac? Roque
Robert Hasti? Fernande Raynal?
Lache Mixandra
Charpin? Lausain
Vilbert Henriette Leblond?
Paul Dullac? Mac?
Lecl?zie? Hougeorges
Robert Rose? Lucie Barant?
Goavec? Florelly
Pierrel? Germaine Duclos?
Lambert Porterat Rose No?l
Les Borath Minevitch Suzanne France?
Brouet Doubrowska?
Wanda de Boncza Baronowa
Deva Dassy Raymonde Alain?
Ali Stern? Nolda
Rose Amy? Mussy
Gregori Mona Pa?va?
Jane Saint-Bonnet Freddy
Alice Youlie? Solange Renaud?
Maude Burgane Jenny Golder

 


Note : Le texte qui précède est tiré de "Souvenirs des Frères Isola - Cinquante ans de vie parisienne recueillis par Pierre Andrieu" et ont été publiés chez Flammarion en 1945. - Les textes de ces souvenirs peuvent encore faire l'objet de droits d'auteurs.

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