ans ses souvenirs, Georgius nous a laissé de cet auteur, compositeur et interprète un portrait savoureux :
"Il arrivait le premier au théâtre, vers huitheures alors qu'il ne chantait qu'à onze heures. Il était nerveux, inquiet. Il surveillait l'arrivée des voitures et, avant d'aller revêtir son habit, il venait dénombrer, par le trou du rideau, les gens qui garnissaient la salle. - Il appelait le régisseur : "Quelle recette a-t-on fait mercredi dernier ?" - L'autre lui répondait par un chiffre qui, en général, était sensiblement égal au chiffre de la recette réalisée sans lui. Alors il était ulcéré. Il incriminait le froid, la pluie. - À chaque représentation, il trouvait un motif précis pour expliquer l'abstention des spectateurs : Le vendredi : "C'est un mauvais jour... Et puis il y a une fête foraine à côté, ça nous retire du monde." Le samedi : "Il a plu toute la journée, ça écœure les gens. Ils ne sortent pas." Le dimanche : "Il fait trop beau. Tout le monde est sur les Boulevards." Le lundi : "Les gens n'ont plus d'argent. Ils ont tout dépensé hier." Le mardi : "Il fait froid. Il y a une épidémie de grippe dans le quartier." Le mercredi : "La publicité a été mal faite. Des concurrents jaloux ont fait recouvrir mes affiches." Le jeudi : "On commence seulement à savoir que je suis là. Les spectateurs viendront demain..." Mais le lendemain il n'était plus là. Le programme avait changé..."
Et parlant de lui-même au tout début de sa carrière, Georgius ajoute :
"Vers 1910, il y avait quatre chefs de file au café-concert :Mayol, Fragson, Dranem, Polin. À l'étage au-dessous arrivait Dalbret. - Il aurait bien voulu parvenir à l'étage supérieur mais il n'y parvint jamais. [...] Vous vous souvenez, il y a quelques années, de ces chanteurs inconnus qui, de Belleville à Montparnasse et à Ménilmontant, prenaient l'accent corse pour roucouler à la manière deTino Rossi : "Ah ! veni-veni-veni"... De même que nous avons eu hier des sous-Tino Rossi, il y eut autrefois des sous-Fragson, des sous-Dranem, des sous-Polin et des sous-Mayol. - J'étais un sous-Dalbret."
De ce Dalbret (Paul), né Auguste Paul Van Trappe, à Paris le 2 avril 1876, décédé à Château-Gombert (Marseille,13e - 13 - Bouches-du-Rhône) le 3 mars 1927, la petite histoire de la chanson française a peu retenu. En lisant des bas-de-pages - qui souvent se contredisent - on apprend qu'après avoir exercé divers métiers dont celui de sellier-tapissier, il aurait débuté vers 1895 - à dix-neuf ans donc, mais après avoir exercé plusieurs métiers - au Trianon[*].- On y apprend également que, de là, il aurait poussé la romance, jusqu'aux débuts des années vingt, un peu partout (ce sont les programmes qui nous renseignent) : à la Pépinière, aux Fantaisies Saint-Martin, à la Gaîté-Rochechouart, au Concert Européen... non sans avoir été sérieusement blessé (attaque au gaz moutarde) en 1915 pour être déclaré "rétabli" plusieurs mois plus tard.
Pendant quelques années, il se serait tourné vers la revue pour mourir à l'aube de ses cinquante ans des reliquats de son expérience militaire sans jamais avoir atteint la gloire qu'il visait.
Une rue dans le 13e arrondissement de Marseille porte son nom.
[*] La réalité est que ses véritables débuts auraient eu lieu à Marseille (on avance l'Alcazar [?]) en 1904.
Son répertoire
... (voir ici) est jalonné de chansons inoubliables, la plupart oubliées.
Quelques-unes ont été reprises par Berthe Sylva (dont "La légende des flots bleus") - Piaf a même enregistré ses "Hiboux" - mais le tout est resté là où il les a laissé, dans ces innombrables salles de spectacle où, sans trop savoir à quoi s'attendre, la clientèle allait se pointer la semaine prochaine.
Il enregistre dès 1904 chez Odéon : "Ma jolie" (Gaston Maquis), "La noce à Jeannette" (Adhémar Sablon), "C'est bon !" (Georges Charton), "La Marche des souliers crottés" (Dérouville), "La polka des petites femmes" (Tassin & Mario Lud), "L'amour malin" (Neil Moret, Maurice Gracey, Léo Lelièvre & Henri Christiné), "Je n'osais pas" (Auguste Bosc), "Tendresses d'amants" (Harry Fragson)....
Il continuera ainsi jusqu'en 1925-1926.
C'est en 1907 qu'il enregistre à la fois chez Pathé et l'année suivante chez Edison, ses deux plus grands "succès" : "Ton cœur a pris mon cœur" (Scotto-Chapelle-Plébus ) et "La légende des flots bleus" (Henri Christiné et Le Peltier) qui devint un des poncifs de l'époque au point que Paul Marinier et Jean Lenoir n'hésitent pas à en citer un passage dans leur délicieux "Bateaux parisiens" (voir ici) que Mayol créera en 1921.