PAGES ANNEXES
________________

Thérésa par Degas
Petits formats
Mémoires
de Thérésa (texte intégral).
Paris Qui Chante
Deux articles de presse
de 1904 et 1913















 

Vue par André Gill en 1867



circa 1870





par Carjat en 1870



Les canards tyroliens
(petit format)













 






Thérésa dans la Chatte Blanche




en costume "de femme de la Halle de 1792"
Thérésa chante la Marseillaise à La Gaîté.
C'est le Régisseur, Baudu, qui eût l'idée de lui
donner le drapeau qu'elle déployait sur
les paroles "Aux armes citoyens".























Thérésa

ette interprète  qu'on surnomma "La Diva du Ruisseau" (Paul Colin) et "La rivale de la Patti" [1] (Alexandre Dumas) est née Désirée Emma Valladon le 25 avril 1837 à La Bazoche-Gouet [2] (28 - Eure-et-Loir). Elle était la fille d'un musicien de guinguette (Michel Valladon) et connaissait de ce fait toutes les rengaines de l'époque. - Continuellement renvoyée des ateliers de mode où elle avait le malheur de se retrouver, elle rêva un jour de devenir une chanteuse à la mode.

Engagée comme figurante au Théâtre de la Porte Saint-Martin, elle passa complètement inaperçue.

Elle débuta, chanteuse, au Café Moka, rue de la Lune -  "Une bien grande bouche pour un si petit établissement" lit-on dans le Tintamarre - et poursuivit avec un tour de chant au Concert du Géant - où elle n'obtient aucun succès.

En 1862, elle se fit entendre à l'Eldorado où elle chanta des romances... avant de se tourner du côté du Tyrol où elle fit ses adieux à Emma Valladon. - Quelques jours plus tard, en Thérésa, elle entrait à l'Alcazar.

Le succès qu'elle y obtint, en chanteuse tyrolienniste, fut aussi instantané qu'il fut prodigieux. - En moins d'un mois tout Paris accourut pour voir et entendre ce phénomène drolatique. Elle a "un petit chic canaille" (Alfred Delvau) qui la distingue immédiatement de toutes les autres chanteuses et  chanteurs.

La critique est désarmée mais très tôt elle n'hésite pas à qualifier cette nouvelle Thérésa d' "artiste"  (Jules Claretie), un qualificatif alors réservé aux seuls chanteurs lyriques.

Jusqu'en 1867, Lorge, le patron de l'Eldorado et Goubert, le patron de l'Alcazar, se l'arrachent : Lorge lui propose 600 francs par mois pour la faire rentrer chez lui ; Goubert y va de mille francs plus la moitié du dédit exigé par l'autre. Ce dernier renchérit : mille cinq cent francs Goubert offrit encore plus. Thérésa lui revient mais elle perd le procès intenté par son ex-ex-ex-employeur. - Peu lui importe car, en 1864, elle gagne déjà deux cent trente-trois fois par jour ce que lui coûte ce procès !

La Princesse de Metternich se déplace pour venir l'entendre. Quelques jours plus tard, elle est à la cour pour débiter son répertoire devant l'Empereur ! - Elle est invitée à chanter dans les salons aristocratiques du Faubourg Saint-Germain. Du jamais vu !

Elle est devenu l'"Alboni [3] de la canaille" ! ...


Et que chante-t-elle ? - Tout d'abord, comme Goubert demanda, en plus de ses curiosités tyroliennes, des romances, mais à sa façon. - Petit à petit, son style se forme et des auteurs et compositeurs arrivent à lui créer des chansons dont les seuls titres, sont des poèmes. Son répertoire est vite à la toute limite de ce qui est permissible sous Napoléon III :

"La gardeuse d'ours" (Hervé), à Alcazar d'Hiver, en 1863

Bastien me parl' de mariage
Mais ça demande réflexion
Toujours près d'soi l'même visage
Vilà z-un' drôle d'invention...

"Rien n'est sacré pour un sapeur" (Louis Houssot - Auguste de Villebichot), en 1864

Car je n'recevrai plus personne
Du moins ça n's'ra pas un sapeur !...
Non, je n'recevrai plus personne
Du moins
Du moins ça n's'ra pas un sapeur !...

Note : Cette chanson dite chansonnette bouffe fut endisquée, en 1927, par celle qu'on surnomma, à son époque, "La Thérésa moderne "Henriette Leblond. - Elle méritait d'être citée au complet. Et, bien sûr, nous y avons joint l'enregistrement de Madame Leblond.

Paroles.

"La femme à barbe" (Élie Frébault - Paul Blaquière),
à l' Alcazar d'Été, en 1865

Vous pouvez toucher, n'craignez rien
Ça n'vous rest'ra pas dans la main,
Touchez, voyez qu'c'est pas des frimes,
Et ça n'vous coût' que dix centimes.

Entrez, bonn's d'enfants et soldats,
Tâchez moyen d'fair'ployer c'bras :
On f'rait plutôt ployer un ar-be !
C'est moi que j'suis... la femme à bar-be !

"C'est dans le nez que ça m'chatouille" (Hervé), à l'Alcazar d'Été, en 1866

Sur terre hélas ! tout n'est pas rose
Hier j'rencontr' un' amie d'pension
Qui m'dit : Tu sais Monsieur Chos' ?
M'a laissé dans un' fauss' position.
Ma foi ! tant pis, faut qu'je m'édbrouill'
Ne parlons plus de ce pandour !...
Et toi ? ... Moi ? ... j'n'crains pas l'amour
C'est dans l'nez qu'ça m'chatouille !

"La déesse du Bœuf gras" (Élie Frébault et Paul Blaquière), à l' Alcazar d'Hiver, la même année

Mes deux biceps sont roug's comm' des carottes
Et mes jarrets, c'est plus dur que du fer
D'mandez-en donc d'pareils à vos cocottes
On n'en vend pas comme ça, ça s'rait trop cher...


Bien des critiques la conspuent : elle fait vulgaire, peuple, ruisseau. "Il faut être Parisien pour saisir l'attrait de son chant, Français raffiné pour en savourer la profonde et parfaite ineptie." (Louis Veuillot - Les odeurs de Paris, 1866)

 Rossini n'hésite pas cependant à lui faire un clin d'œil : "La chanson du bébé"

"Pêchés de vieillesse" (sur des paroles d'Emilien Pacini, 1861)

Maman, le gros Bébé t'appelle, il a bobo:
Tu dis que je suis beau, quand je veux bien faire dodo.
Je veux de confitures, c'est du bon nanan ;
Les groseilles sont mûres, donne-m'en, j'en veux, maman,
Je veux du bon nanan, j'ai du bobo, maman.
Atchi! Papa, maman, ca-ca.

 Bébé voudrait la chanson du sapeur
Dans Barbe-bleue, un air qui fait bien peur.
Maman, ta voix si douce en chantant ça,
Enfoncerait Schneider et Thérésa.
Atchi! Pipi, maman, papa, ca-ca.

 Ma bonne, en me berçant, m'appelle son bijou,
Un diable, un sapajou, si j'aime mieux faire joujou.
Quand je ne suis pas sage, on me promet le fouet!
Moi, je fais du tapage, le moyen réussit bien.
Je veux du bon nanan, j'ai du bobo, maman.
Atchi ! Papa, maman, ca-ca.


1867 c'est la catastrophe : Thérésa n'a plus de voix. - Elle doit quitter momentanément la scène.

Elle est "remplacée" par Suzanne Lagier, une comédienne saluée comme "l'égale de Mlle George" (Boccage), qui a récemment défrayé la chronique en quittant le drame pour l' Eldorado le 5 janvier 1865 (voir sa page).

Pas un succès égal à celle dont elle doit prendre la relève mais le public l'adopte, sauf que :

...en 1869, Thérésa est de retour. Et comment ! Elle crée cette année-là, au Théâtre de la Gaîté, ce qui restera sans doute son plus grand succès :

"Les canards tyroliens" (Cogniards frères - Musique de Thérésa arrangée par Léon Fossey) 

Quand les canards s'en vont deux
C'est qu'ils ont à causer entre eux.
Les passants n'y comprennent rien ;
Mais eux. malins s'entendent bien,
Y's'disent comme'ça des jolis riens :
            Coin, coin, coin
Quand c'est des canards tyroliens :
             La y tou, la y tou,
 
Quand les canards s'en vont en tas,
C'est qu'ça leur plaît, ça nous r'gard' pas..
.

À propos de ces Canards

On a longtemps cru que le premier enregistrement de cette tyrolienne, tirée de la féerie "La chatte blanche" avait été fait par Thérésa elle-même (un de ces fameux cylindres Lioret). - Il n'en est rien : celui qui chante sur ce cylindre est Guérin Brabant.

Cet enregistrement est disponible, avec 33 autres titres, en un CD chez Truesound Transfers (numéro TT-1904) : Christian Zwarg, Pfälzer Str. 2, D-76297 Stutensee - Allemagne.

http://www.truesoundtransfers.de
(Site pas toujours fonctionnel)

En voici un extrait :

"Les canards tyroliens" - Lioret n° 3 - Paris - vers 1898

Et il existe un enregistrement encore plus ancien - déniché et restauré par notre collaborateur, Jean-Yves Patte - un cylindre anonyme enregistré vers 1893-1895 par Rozic de l'Éden-Concert. - À propos de ce cylindre, Monsieur Patte nous écrit :

"C'est un petit cylindre jaune, qui n'est pas un Pathé de 1895, ni des années suivantes (il n'a jamais enregistré chez eux) - C'est sans doute un "Columbia", ou plutôt un "Fauvette", ce qui le fait remonter vers 1893/95. - Hélas il est plus que malade. Malgré mes efforts, il reste plutôt une archive qu'un document agréable a entendre. Il est cassé et recollé, fendu, assez usé et, de plus, présente quelque zones de moisi. Tout ce qu'il faut pour déplaire ! Cependant il est assez passionnant, car l'accompagnement diffère des autres versions plus connues et surtout l'annonce fait clairement référence à "Thérésa", qu'on voit parfois écrit "Térésa""

Le voici :

"Les canards tyroliens" - par Monsieur Rozic de l'Éden-Concert

(Voir également la page de Monsieur Patte à propos des Tyroliennes et tyroliennistes pour en entendre une version chantée par Bergeret.)


Et la Guerre vint - celle de 1870

"Quand la guerre éclata, j'étais à la Bourboule [Puy-de-Dôme] depuis une douzaine de jours. J'avais joué plus de deux cents fois de suite "La Chatte Blanche" à la Gaîté, chanté sept cent fois les couplets des "Canards tyroliens", intercalés dans mon rôle de Pierrette, et que le public, chaque soir, bissait et trissait. Et je recommençais mes coin, coin ! et mes laï-tou ! et les canards se suivaient "par deux, par trois, en tas" dans la chanson et, à la fin, dans ma voix. Comme j'y allais bon jeu, bon argent (on me payait bien), jugez quelle fatigue quand s'acheva la saison. Aussi j'eux bientôt pris congé de la Chatte Blanche, de Pimpondor, de mes canards, et m'acheminai vers la Bourboule [...] Il m'arriva [à ce moment-là] de Paris la dépêche suivante :   

"Marseillaise autorisée par force ; Agar aux Français, Marie Sasse à l'Opéra, le peuple dans la rue la chantent. T'attendons demain pour la chanter chez nous ? Vinzentin"i [4].

"Allons donc ! Cette liberté que je revendiquai pour que mes canards puissent dire enfin leurs jolis riens, on nous l'accordait enfin [?] En un tournemain ma malle est bouclée et me voilà en route pour Paris" [5].

Elle déploie sa fougue, quête pour les blessés et est même invitée à chanter dans la rue - jusque sur l'impériale d'un omnibus ! - lorsqu'elle est reconnue... - Sa gloire est telle, que Thérésa est même invitée parJacques Offenbach pour la création d'une pièce bouffe qui devait à jamais ridiculiser les Prussiens présomptueux et leur Guillaume Ier.- Hélas la chute de l'Empire, le 2 septembre 1870, ajourne à jamais cette création dont l'un des couplets confiés à Thérésa - qui devait ypersonnifier un Kaiser grotesque - était :

O Vaterland ! Sigmaringen, Osnabruck,
Baden-Baden, Hohenzollern, Hohenloh !
Zwei Bock-bier, Kirschwasser, Offenbach,
Choucroutausen, Saucissonausen, Cervelag !
 
Laï-tou...
 
Notre roi nous a dit : mes enfants,
L'Allemagne sera toujours l'Allemagne,
L'Allemagne des Allemands.

Après la défaite française, faute d'engagement, Thérésa doit quitter Paris. Elle se rend à Grenoble puis à Marseille où elle trouve du travail. -  Elle devait n'y rester que peu de temps, mais dut s'y produire pendant plus de trois mois dans l'attente de la réouverture des théâtres parisiens.  Elle y est de retour à la fin de mai 1871. 
 
La guerre,  la Commune, sa répression et son cortège de misères incitent Thérésa à se tourner, sans renier son répertoire de franche gaîté (elle allait créer "La femme canon" de Clairville sur une musique d' Auguste de Villebichot en 1877), vers des chansons plus réalistes ou, plutôt, humanistes. En un instant, elle sait, en changeant son attitude, ses gestes, glisser vers un autre répertoire. Elle peut alors chanter les choses les plus réalistes, proche des soucis du peuple dont elle sait se faire porte parole, et osées aussi : la prostitution, la sexualité, voire la triste obscénité.

Elle chante sans choquer - sans en "avoir l'air" - car elle reste "honnête" dans ses dires. C'est alors qu'elle apparaît souvent comme une menace à l'ordre social. Cependant on ne peut rien retenir contre elle : tout est très décent (du point de vue de la censure) mais ses sous-entendus, ses gestes, en disent bien plus, avec un réalisme cru. Cette leçon fera long feu auprès de la génération suivante, dont Yvette Guilbert est le plus brillant exemple.


Elle crée, à partir de 1880

"J'ai passé par-là" (Paul Burani, Maurice Ordonneau et Edouard Okolowicz) en 1880 au Théâtre des Arts, une chanson que n'aurait pas dédaigner Fréhel :

L'amour fait pas le bonheur
C'est bien souvent tout le contraire
On soupire, on rêve, on espère
Et le réveil brise le cœur...
[...]
Croyez-moi, j'ai passé par là.

"La Toussaint" (Paul-Émile André et Paul Lacome) en 1881, à l'Alcazar d'Hiver

Ce sont les soldats de France
Qui reviennent tous les ans
pour nous crier : Espérance !
C'est un conte bleu
Un conte bleu
Qu'en Alsace
À voix basse
On raconte au coin du feu

"Le bon gîte" (Paul Déroulède et Gustave Michels) en 1883, au même endroit

Pourquoi tant me gâter ? Pourquoi ?
Et la bonne vieille de dire
Moitié larme, moitié sourire
J'ai mon gas, soldat, comme toi...

 "La glu" (Jean Richepin et Georges Fragerolle), en 1884, à l'Alcazar d'Hiver, cette complainte qu'allaient reprendre Yvette Guilbert et Polaire :

Y avait un' fois un pauv' gas
Et lon lan laire,
Et lon lan la,
Y avait un' fois un pauv' gas
Qu'aimait un' qui n'l'aimait pas... 

(Voir à Jean Richepin pour les enregistrements de cette chanson par Yvette Guilbert et Polaire).

"Les enfants et les mères" (Jules Jouy et Henri Chatau) en  1888, à l'Eldorado 

Alors faisant des rêves d'or
Pleins de merveilles, de chimères
Dans ses langes, bébé s'endort.
Les enfants font chanter les mères...

(Voir ici pour les paroles et à Mercadier pour un enregistrement de cette chanson, datant de 1898)


Et pendant de longues années, encore, Thérésa continua de cultiver son image populaire et sympathique de la chanteuse bonne vivante et sincère, puis, à 56 ans, estimant qu'elle avait assez chanté, elle décide de prendre sa retraite. - Sa représentation d'adieu, elle la fait au Théâtre de la Gaîté à l'automne de 1893.

En 1894, elle remonte un soir - ou peut-être quelques jours - une dernière fois sur scène. - Au Chat Noir. - Armand Masson est là. - Il écrit dans le Journal de cet établissement :  

Or, ce jour-là, ce fut au Chat Noir grande fête :
Dans la petite salle où naquit maint poète
La bonne Thérésa, reine de la chanson
Ce jour-là parmi nous vint chanter sans façon ;
 (...)
...ce drame immortel,
Ce poème saignant de l'amour maternel
Qu'écrivit Richepin dans un jour de génie,
"
La Glu". Le cœur serré d'une angoisse infinie,
J'écoutais dans un coin, très humble. Elle chantait
Je ne sais même plus si l'on applaudissait ;
Mais la salle vibrait tout entière avec elle,
Et la chanteuse en eut une émotion telle
Qu'elle se prit soudain à pleurer avec nous.

En 1895, elle se retire dans la Sarthe - on la dit très riche. (voir l'article paru dans Paris qui Chante n°88 du 25.09.1904.

Fermière, Thérésa meurt dix-huit ans plus tard le 14 mai 1913. Son décès est déclaré par François Frédéric Poëy Valladon, 38 ans, capitaine de chasseurs d'Afrique, son fils adoptif.

Voir aussi à Les étoiles du café-concert.


Enregistrement

(ajout - janvier 2007)

La voix  de Thérésa a-t-elle été enregistrée ? On dit que non. Évidemment, si elle a pris sa retraite en 1895, il est presque certain qu'elle ne se soit pas pointée dans un studio au moment où les enregistrements commerciaux étaient non seulement rares mais de très mauvaises qualités.

Pénet (voir bibliographie) nous assure que le premier enregistrement de la chanson qui suit a été fait par Madame Rollini en 1898, suivi cinq ans plus tard par Dutreux et Grisard. Celui qui suit date cependant d'avant les Dutreux et Grisard et, quand on connaît la voix de Madame Rollini, on sait que ce n'est pas d'elle. De qui donc peut-il s'agir ? D'un de ces légendaires cylindres-tests refusés par l'interprète dont on dit que même Paulus en aurait faits ? - Difficile à dire. Mais jugez par vous même. Après tout, Thérésa s'est bien laissée filmer en 1910...

"La gardeuse d'ours" d'Hervé (1863)

Enregistrée en 1895

A voir

Thérésa vers la fin de sa vie filmée par Gaumont.

Le mot de la fin revient au critique Touchatout (cité par François Caradec [6])

"Thérésa a fait école. Beaucoup de grues ont cherché à l'imiter ; mais il est arrivé ce qui arrive toujours en pareil cas : elles n'ont, le plus souvent, réussi qu'à copier ses défauts, et ont créé l'ère funeste des prima-gueula de la chope..."


Biographie

Thérésa - Première Idole de la Chanson Française

Jacqueline Blanche

Imprimerie Auffret - Mamers - 1981

À signaler également Thérésa, la diva du ruisseau de Pierre-Robert Leclercq, aux éditions Anne Carrière - 2006.

En voici la préface :

"La mémoire collective est capricieuse. Par des détails plus ou moins exacts, elle garde le vague souvenir de certains personnages - sans la culotte à l'envers, elle ne se souviendrait pas plus de Dagobert que de Sigebert III, son fils qui savait s'habiller - et elle en efface d'autres qui valent, voire qui surpassent, ceux et celles qu'elle retient. Il en est ainsi de tous les arts. La chanson ne fait pas exception. On fredonnera bientôt "Elle est à toi cette chanson" sans penser à Brassens, comme on fredonne "Il pleut bergère" sans une pensée pour Fabre d'Eglantine ; les "tubes" du XVIIIe siècle de Charles Panard n'ont rien à envier à ceux du XXIe ; Cora Madou et Nita Jo avaient autant d'abattage que Mistinguett ; autant que Béranger, Botrel ou Bruant, Thérésa mérite d'être inscrite au panthéon de la chanson.

Une chanteuse. Une de plus. A ce détail près que celle-là se révèle exceptionnelle. "Jusqu'à elle, rien de pareil n'existait.Laurent Tailhade résume ainsi l'arc-en-ciel des trente années de carrière de Thérésa que jalonnent bien des "première fois" . Johnny dans un stade, des milliers de bras qui se tendent vers Madonna, cela n'étonne plus, mais une chanteuse de caf'conc' qui réunit ceux qui sortent de leurs palais et ceux qui sortent de leurs taudis pour lui faire des triomphes, cela en étonna plus d'un quand une jeune apprentie modiste révolutionna le monde de la chanson populaire.

D'Yvette Guilbert qui fut la première à lui succéder, jusqu'à la jeune inconnue qui collectionnera demain les disques d'or, toutes les chanteuses sont les héritières de celle qui, la première, en fit un métier avec tout ce que cela comporte d'adulations et de détestations, de gloire et de déchéance, de fortune et de misère, d'angoisse avant l'entrée en scène et de bonheur à entendre une salle ponctuer de ses bravos la dernière note d'une chanson.

A quoi tient l'oubli qui a couvert Thérésa dont j'ignorais même le nom il y a une dizaine d'années, que j'ai rencontrée une première fois en écrivant la vie de son amie Céleste Mogador, et une seconde par le travail de Jacqueline Blanche ? A quoi tient l'oubli de ce personnage qui fut le sujet de tant de caricatures signées de grands noms du genre, de tant d'articles signés de grands noms de la littérature, de tant d'éloges signés de grands noms de la musique dite classique ? A quoi tient l'oubli de celle qui illustra la vie et la mort du caféconcert ?

Peut-être à ceci qu'il n'existe aucun enregistrement de sa voix - il faut se fier aux connaisseurs de son temps pour en imaginer les qualités, connaisseurs qui sont des professeurs de chant du Conservatoire ou des admirateurs qui ont nom Offenbach, Fauré, Gounod qui écrit : "Personne n'a, pour chanter, une meilleure méthode que Thérésa, si ce n'est Mme Viardot " ; peut-être à ceci qu'elle n'a pas eu d'aventures tumultueuses avec des amants venus des royaumes voisins ; sans doute à ceci que la mémoire collective est capricieuse. Mais ne demande qu'à être ravivée. Ce à quoi, ici, on s'applique."


Notes :

[1] Adelina Patti, cantatrice italienne (Madrid 1843 - Brecknock, Angleterre 1919). Elle étudie le chant à New York, début dans Lucia de Lammermoor (1859) et pousuit sa carrière au Covent Garden de Londres. Elle triompha pendant 56 ans sur toutes les scènes de l'Europe et d'Amérique.
[2]Georgius, lui-même, n'eut pas trouvé mieux.
[3] Marietta Alboni, cantatrice italienne (Cesena 1823 - Ville d'Avray 1894). Contralto célèbre. Sa voix couvrait deux octaves depuis le sol grave.
[4] Directeur de La Gaîté.
[5] Les citations de Thérésa sont extraites d'une interview - sa dernière - accordée à J.L. Croze en 1911.
[6] Le Café-Concert - François Caradec † et Alain Well - Hachette-Massin (1980)


Cette page est en majeure partie redevable à Jean-Yves Patte qui nous en a fourni la plupart des photos, des citations et des enregistrements. - Merci également à Monsieur Patrick Ramseyer pour certaines précisions (dates, noms, etc.)