ELLE EST TOUTE NUE !

LA VÉRITÉ SUR LA VIE DES COULISSES
EXPOSÉE PAR OUVRARD Père



TABLE DES MATIÈRES
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Préface

A mes lecteurs

Première Partie

Le départ
Mes premiers Débuts
Les grands centres
Paris !

Plessis
Paulus

Arnaud
Sulbac
Les mimes
Vedettes féminines
Les gommeuses
Étoiles... filantes...

Deuxième partie

Journaliste
Les décorés
Puissance d'une chanson
Le genre tourlourou

Les diseurs
Les fantaisistes
Les diseuses
Un document

Les bonnes chansons
Reproduction d'une série de mes articles parus dans divers journaux
Au rideau

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Ouvrard dans sa première chansonnette
"Le Pifferaro du Boulevard"




























































Ouvrard à 20 ans




Madame Dufresny




Libert dans "L'amant d'Amanda"




Ouvrard à ses débuts à Paris (1876)




Ouvrard à la Scala (1884)




Eugénie Louvel Chanteuse travestie




J. Stainville à 35 ans




Bruet à 40 ans
Aujourd'hui doyen des artistes à Pont-aux-Dames

Ouvrard, pere


PREMIÈRE PARTIE


LE DÉPART

Mon père qui possédait, à Bordeaux, un important magasin de tailleur, situé sur les allées de Tourny, avait fait de mes deux frères plus âgés que moi, l'un de dix ans, l'autre de huit ans, deux excellents coupeurs. De sorte que l'auteur de mes jours en était arrivé à s'imaginer que pour réussir dans la vie il fallait avant tout, savoir tailler des pardessus, des jaquettes et des complets veston. La comédie et les chansonnettes ne devaient venir qu'en supplément, comme passetemps, les ciseaux d'abord et les roucoulades ensuite ! Le cher homme m'adorait, j'étais son Benjamin, et la fermeté qu'il déployait à vouloir m'imposer un métier pour lequel je ne me sentais aucune aptitude, n'était due qu'à l'appréhension qu'il éprouvait à la pensée que si je m'obstinais à vouloir être artiste je prendrais le mauvais chemin ! La carrière qui m'attirait n'offrait pas, je dois le reconnaître, toutes les facilités, tous les débouchés, qui existent de nos jours, puisque je parle de soixante ans !

Donc, un beau matin, il arriva qu'un Monsieur du nom de Danglas, entra dans le magasin de mon père pour commander un vêtement et, pendant qu'il faisait son choix, il entendit, venant de la pièce voisine du magasin, une voix dont la sonorité le surprit.

- Qu'elle est donc la personne qui chante ainsi ?

- Oh... c'est mon jeune fils, lui dit négligemment mon père.

- Quel âge a-t-il ?

- Il vient d'avoir treize ans.

- Comment, c'est un enfant de treize ans qui possède un tel volume de voix ... Ah! je serais curieux de le voir !

Or, ce Monsieur Danglas, qui se trouvait là bien par hasard, n'était autre que le président d'une société lyrique et dramatique et cette futile circonstance décida le sort de toute ma vie.

Il s'en suivit que, tout comme Maurice Chevalier, j'ai commencé très jeune au théâtre.


MES PREMIERS DÉBUTS

En dépit de la désapprobation paternelle, je me plaisais à faire mes premières armes dans cette société dirigée par ce M. Danglas, c'était une sorte de Conservatoire créé à Bordeaux, ma ville natale, et qui exista fort longtemps rue des Menus, sous le nom de Théâtre Molière.

Ce goût pour les planches me faisait négliger mes études, et les remontrances de mes parents devenaient de plus en plus fréquentes, cependant mes débuts furent heureux, cela tenait à mon jeune âge, et aussi à cette curieuse puissance de voix que j'ai perdue, hélas ! par la suite.

Mais je ne tardais pas à me produire devant le public payant. Les artistes, à cette époque, avaient presque tous, dans leur contrat, une clause leur assurant, à la fin de leur engagement une représentation donnée à leur bénéfice et, très souvent, j'étais demandé par eux.

Ils affichaient, Ouvrard, le petit prodige bordelais, âgé de 12 ans, alors que j'en avais déjà quatorze !

Mais on ne pouvait éternellement me présenter comme prodige ! et je ne pouvais non plus atteindre ma majorité, en continuant à prétendre n'avoir que douze ans !

Si bien que vers seize ans, s'affirma l'âge ingrat, c'était vers 1871, les grands établissements étaient à l'époque, extrêmement rares et, ne voulant pas être à charge à ma famille qui me boudait, tenant absolument à lui prouver qu'à l'aide du chant je pouvais me suffire,- J'en fus réduit parfois à me rabattre sur des concerts d'ordre secondaire.

J'attendais impatiemment le moment où j'aurais l'air d'un homme, je n'espérais pas être autre chose qu'un petit homme, mais enfin il me tardait de ne plus avoir l'air d'un gosse. De sorte qu'après avoir passé des années à me rajeunir pour motiver cette fantaisiste appellation de... petit prodige, je m'évertuai alors à me vieillir pour éviter qu'on me prit pour un moutard !

Bref, le moment arriva où, en possession de ma nouvelle note, j'obtenais un résultat satisfaisant dans les établissements où l'on m'engageait.

Certain jour me voilà à Montluçon, dans un café concert qui traitait ses affaires par l'intermédiaire d'un agent lyrique de Toulouse, lequel renouvelait la troupe tous les mois et palpait des honoraires en conséquence.

Or, non seulement je n'avais pas traité avec l'aide de cet agent toulousain, mais on ne me remplaça pas à la fin du premier mois. Toute la troupe fut renouvelée excepté moi et, me voyant gobé de sa clientèle, voilà qu'à la fin du deuxième mois, le directeur me dit que je pouvais rester chez lui tant que cela me plairait !

Si j'étais heureux de cette déclaration il n'en était pas de même de l'agent de Toulouse, la situation ne faisait pas son affaire car, à cette époque, l'argent était comme les grands établissements, extrêmement rare.

Habitué à toucher tous les mois les honoraires du comique, il n'admettait pas que la direction pût s'obstiner à en garder un qui ne lui rapportait rien !

C'est alors que je fus victime d'une extravagante manigance. Elle se produisit au commencement de l'été, cette fripouille d'agent lyrique, abusant de ma complète inexpérience, me fit une proposition pour Vichy en m'offrant le double de ce que je gagnai à Montluçon. Sa lettre contenait deux copies de contrats qu'il me priait de signer et de lui retourner par courrier.

J'eus la naïveté de lui donner satisfaction, puis je m'empressai de prévenir mon directeur de Montluçon lui annonçant que je comptais partir dans les quinze jours.

Le directeur engagea alors mon remplaçant par l'intermédiaire de ce gueusard d'agent qui, bien entendu, ne me fit jamais parvenir le contrat du pseudo-directeur de Vichy !

Le tour était joué, j'étais délogé et... remplacé !

Cette mésaventure me servit de leçon car depuis, si l'on me demandait ma signature sans m'envoyer celle de la direction, j'avais soin de stipuler que si dans les quatre jours, je ne recevais pas mon contrat signé du directeur, l'engagement pris par moi n'aurait aucune valeur et je ne donnais congé dans l'établissement où j'étais, que lorsque j'avais en poche le futur engagement. Cette précaution m'a souvent évité des ennuis et je la signale à mes amis les artistes.

Mais mon histoire de Montluçon eut un autre épisode :

Après avoir vainement attendu pendant deux semaines et, l'engagement de Vichy ne venant pas... ce qui me vint, ce fut l'idée d'organiser aux environs, des soirées à mon compte.

Pour cela. il me fallait une troupe et seule, une chanteuse qui avait terminé ses représentation voulait bien consentir à me suivre.

Mais... quel genre d'accompagnement aurons-nous ? me dit-elle...

La pianiste de Montluçon possédait chez elle un petit harmonium qu'elle mit à ma disposition, j'en jouais tant bien que mal... plutôt mal ! Mais suffisamment cependant, pour accompagner la chanteuse qui ne pouvait me rendre la pareille, ne connaissant pas une seule note du clavier !

Ça ne fait rien... nous voilà partis pour Commentry-Bézenet, etc., etc., jusqu'à Moulins.

Nous nous présentâmes aux tenanciers de salles de bal, de grandes brasseries et autres.

Le chapeau haute forme étant à la mode, je n'en portais pas d'autres, ce genre de coiffure me donnait un peu plus... d'autorité et je n'avais pas trop l'air purée ! sans quoi on nous aurait éconduits.

Mais... imaginez-vous ma tête lorsque le patron de l'établissement me dit : Vous voulez donner une série de représentations, mais au fait... Combien êtes-vous ?

Cette question me fut posée, pour la première fois, un matin à Commentry et j'eus le culot de répondre :

- Il y a deux autres artistes et le pianiste qui arriveront ce soir par le train de cinq heures.

- Alors, ça va... affichez votre soirée...

Car, il faut vous dire que j'avais fait préparer de petites affiches imprimées sur lesquelles il n'y avait qu'à ajouter à la plume la date et le nom de l'établissement.

CE SOIR...

Représentation extraordinaire donnée par

OUVRARD

et sa troupe

...Oui, décidément, j'avais du culot ! Et aussi l'inconséquence de mes dix-huit ans !
Puis, pour donner le change, nous allions, la chanteuse et moi, au train de cinq heures pour voir si... les autres... arrivaient ! ! !

Bien entendu le train repartait sans avoir déposé ni artistes, ni pianiste !

Retour au café avec visage consterné, et d'une voix angoissée je n'écriai : Ces idiots ont manqué le train ! nous voilà jolis ! que faire ?

Le patron finissait par venir au devant de mes désirs.

Puisque tout est affiché, me disait-il, faites une petite annonce et... à vous deux... arrangez la soirée comme vous pourrez... débrouillez-vous en attendant demain.

Mais le lendemain... C'était le même truc, naturellement...

Cependant je me rendais consciencieusement à l'arrivée du train de cinq heures car, semblable au Marseillais qui se rendait au port pour voir si réellement une sardine le bouchait, j'en arrivais à m'imaginer qu'un pianiste pourrait bien, après tout, nous tomber du ciel !

Mais hélas ! il ne tombait ni du ciel ni du train. Il fallait tous les soirs recommencer la petite annonce et chanter quinze fois chacun ! Puis, pour ne pas attaquer un ton ou deux tons... à côté, lorsque c'était mon tour... d'opérer, je collais un petit bout de papier sur la touche de l'harmonium, que la chanteuse devait taper à mon entrée en scène pour me donner la tonalité ! Vous voyez ça d'ici !

Vous vous faites une idée de concert vocal et... instrumental !

Je me souviens même qu'un soir, en guise de ritournelle, il lui vint l'idée originale de me gratifier d'un interminable coup de sonnette, entre chaque couplet ! Cet instrument, bien que très sonore, n'avait rien de particulièrement harmonieux.

Je préférais de beaucoup les entraînantes ritournelles que douze ans plus tard, me faisait feu Deransart avec son brillant orchestre des Champs-Elysées, alors que le petit comique de Montluçon était devenu la vedette des Ambassadeurs de Paris.

J'ai appris depuis, que les débuts de mon ami Laurent Halet, le talentueux chef d'orchestre-compositeur, avaient eu une remarquable analogie avec les miens.

Fils d'un tailleur qui ne voulait rien entendre à la musique. Laurent Halet quitta vers 16 ans la maison paternelle et trouva le moyen, en se dirigeant tout seul, d'arriver à diriger les orchestres de nos meilleurs music-halls parisiens.


LES GRANDS CENTRES

Mais avant d'aborder Paris, et après avoir fait deux saisons d'hiver au théâtre de Blois où je touchais un peu à tout puisque je jouais indistinctement du Labiche ou du Sardou, je ne tardais pas à être engagé dans les grands Centres. Je fis des stages importants dans les plus beaux établissements de Toulouse, Lyon et Marseille.

C'est à Marseille que j'ai senti naître en moi l'espoir de pouvoir un jour sortir du rang. Car ayant passé près de six mois à l' Alcazar où j'étais en faveur auprès des habitués, l'occasion me fut donnée de me mesurer avec les étoiles parisiennes du moment, qui venaient donner une série de représentations et je m'aperçus que leur voisinage n'atténuait en rien mon succès habituel.

C'est alors qu'une forte chanteuse qui s'appelait Dufresny, excellente camarade qui était très cotée, voulut bien s'intéresser à moi, car elle avait été impressionnée de rencontrer un tout jeune artiste, assez amoureux des études pour s'offrir, en le payant sur ses appointements, le concours d'un professeur qui venait deux heures par jour lui donner des leçons appelées à parfaire son instruction. C'était mon cas.

Témoin des efforts ininterrompus que je faisais pour arriver et reconnaissant les facilités que j'avais pour apprendre et servir à jet continu toutes les nouveautés auxquelles je me permettais souvent d'ajouter quelques couplets de mon cru. Cette camarade me dit un jour:

- J'espère que tu vas t'occuper d'aller à Paris, tu y feras ta place, au reste j'y pars moi-même dans quelques jours et je te recommanderai...

Nos engagements terminés à Marseille, elle partit en effet pour Paris, alors que je me rendais au Casino de Clermont-Ferrand où j'avais signé un engagement de trois mois.

Le troisième mois de cet engagement touchait à sa fin et, n'ayant reçu aucune nouvelle de la camarade Dufresny de laquelle j'ignorais même l'adresse, je commençais à douter de la sincérité de ses protestations à mon endroit lorsqu'un beau matin je reçus d'un agent lyrique parisien une lettre conçue en ces termes :

"Monsieur,

"Sur la recommandation de Mme Dufresny qui était en même temps que vous à l'Alcazar de Marseille et ayant la plus grande confiance dans les appréciations de cette excellente artiste qui tient la première place au Concert du XIXe Siècle, je viens vous proposer, pour le même établissement, un engagement de trois années consécutives et irrésiliables aux conditions de 500 fr. par mois la première année, 600 fr. la seconde et 700 francs la troisième.

"Veuillez me fixer au plus vite sur la date à laquelle vous pourriez débuter au cas où ma proposition vous sourirait et agréez mes salutations empressées."

Signé : CLERY.

Imaginez-vous un artiste parcourant la province, n'ayant jamais présenté le bout de son nez dans la capitale et recevant une proposition de ce genre, cela juste au moment où il tire des plans pour se rendre à Paris dans le but de donner des auditions gratuites, jusqu'à ce qu'un directeur veuille bien l'engager... Au lieu de cette inquiétante perspective, voilà que, cinq jours après la réception de cette lettre, j'avais en poche un contrat m'assurant trois années de tranquillité !... Vraiment, j'étais ravi ! Car, même à cette époque, il eût été facile de compter sur ses doigts les artistes que Paris faisait venir de la province, surtout pour un établissement de l'importance du XIXe Siècle qui venait alors immédiatement après l' Eldorado.

Je bénissais ma camarade Dufresny et si j'étais très ému le soir de mes débuts, c'était moins pour moi-même qu'en songeant à la grosse déception qu'elle éprouverait si je venais, par malheur, à faire fiasco !


PARIS !

Il faut vous dire qu'en province je chantais un peu de tout, nais à mon arrivée à Paris l'administrateur Villemer me posa cette question

- Quel est votre genre ?

- Mon genre ? mais je n'ai pas de genre... je chante n'importe quoi... je sais danser, je joue de la guitare, je fais des équilibres, je joue dans les pièces...

- Oh là là !... n'allons pas si vite... je ne vous en demande pas tant. Ici, il faut avoir un genre, et s'y tenir...

Nous avions Arnaud qui chantait les pochards, mais il n'en faut plus. Vous ne seriez pas de force à le faire oublier. Il ne faut pas non plus chanter les "gommeux", car Libert est incomparable dans cette note.

Vous me dites que vous dansez, mais nous avons M. Stainville qui est engagé ici comme comique danseur.

- Alors.... quoi ? Sur quelle note puis-je me rabattre ?

- Eh bien, vous chanterez en habit.

- En habit ... Mais je ne serai pas amusant du tout, je préfère chanter en troupier.

- Mais l'uniforme est interdit à Paris, dans les chansonnettes. Enfin, je verrai la censure à ce sujet...

Et ce fut dans un accoutrement spécial, dont j'aurai l'occasion de parler plus loin, que pendant trois mois je chantais tous les soirs "L'Invalide à la tête de bois" qui produisit un effet énorme. La presse en parla, et l'on entendit souvent fredonner le refrain :

Il faut le voir pour le croire
Allez donc le voi... re
Allez donc le voi... re...

À son tour ma camarade Dufresny était ravie !

Il ne se passait pas un soir sans qu'elle ne lance fièrement au directeur : "Eh bien ... Que vous avais-je dit  ..."

Et c'est ainsi que, bien qu'il me soit imposé par les circonstances, je venais de créer à Paris le genre Tourlourou (1876).

Ce qui me préoccupait, c'est que je venais aussi de m'affirmer dans une note où les éléments étaient extrêmement limités, car c'est à peine s'il existait cinq ou six chansonnettes militaires. Mais aucune, à vrai dire, n'était désopilante. Je me mis donc à l'œuvre en collaboration avec l'administrateur Villemer, et deux ans plus tard ce genre de chansons se comptait par douzaines. C'est grâce à ce premier bagage que je fus reçu membre de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (1879).

En 1881, je passais à l'Éden-Concert situé 17, boulevard Sébastopol, établissement qui fut absorbé quinze ans plus tard par les grands magasins Pygmalion. Le directeur de l'Éden-Concert s'appelait Castellano ; ancien artiste du théâtre du Châtelet, il connaissait à fond son métier, si bien que la bonne tenue de cet établissement le fit rapidement jouir d'une vogue qui inquiéta sérieusement M. Renard, directeur de l' Eldorado.

En 1884, je passais à la Scala qui était devenu le premier concert de Paris, et je fus remplacé à l'Éden-Concert par Polin, qui fit ses premières armes avec les chansons militaires que je créais à la Scala, où je me produisis pendant dix saisons d'hiver, passant l'été aux Champs-Elysées, au Concert des Ambassadeurs.

Toutes les scènes de concert de cette époque ont eu ma visite : je me suis produit aux Folies Bergère, à Parisiana, sous la brillante direction des frères Isola, au Concert Parisien (devenu Concert Mayol), à la Gaîté-Rochechouart, à Ba-Ta-Clan, et, le plus souvent, à l'Eldorado.

Mais je n'ai jamais oublié mon vieux Concert du XIXe siècle, situé 61, rue du Château-d'Eau, et transformé depuis en théâtre d'abord, et en cinéma ensuite.

J'ai toujours conservé mon amitié aux excellents camarades dont deux seulement sont encore de ce monde et qui, avec une originale et intelligente chanteuse travestie qui a nom Louvel, et le très courageux septuagénaire Maader qui continue à se faire applaudir, constituent la courte liste des survivants de cette génération.

L'un de ces vétérans s'appelle Stainville. il est à juste titre apprécié de MM. Isola qui le connaissent depuis fort longtemps; il fait partie du personnel du Théâtre Sarah-Bernhardt, et cet ex-comique, qui a aujourd'hui quatre-vingts ans, fait preuve, en y allant de son petit charleston, d'une légèreté que pourraient envier bien des moins de trente ans !

L'autre a... quatre-vingt-sept ans ! c'est mon vieil ami Bruet, mon ex-compagnon de chasse. Car, on peut être artiste... et aimer la chasse, c'est mon cas, la chasse est encore mon unique passion.

Bruet est le doyen des pensionnaires de la maison de Pont-aux-Dames, fondation Constant Coquelin, bon musicien, pianiste, guitariste, violoncelliste, excellent chanteur, Bruet y va encore à l'occasion de sa petite chanson, puisqu'il n'y a pas si longtemps qu'il prêtait son gracieux concours au gala donné au bénéfice du mime Thalès.

Quand nous nous rencontrons, nos conversations sont souvent les mêmes. À mesure qu'on avance en âge, si l'on admire parmi les nouveaux ceux qui le méritent, cela n'empêche en aucune façon de se souvenir de la valeur des disparus.

Je vais donc avant de donner ici mes impressions sur les artistes à la mode, vous parler des grandes vedettes du temps passé, et mes descriptions me permettront de mettre au point, sinon de les démolir, des légendes qui ne sont pas toujours d'accord avec la vérité.

Il suffit qu'un artiste soit en vogue pour qu'on trouve trop souvent intéressant de raconter sur sa vie les histoires les plus fantaisistes, et ces histoires font tâche d'huile, elles s'étendent, s'amplifient, elles ont plusieurs éditions ! Or, je veux continuer à dire... la Vérité !


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