ELLE EST TOUTE NUE !

LA VÉRITÉ SUR LA VIE DES COULISSES
EXPOSÉE PAR OUVRARD Père


TABLE DES MATIÈRES
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Préface

A mes lecteurs

Première Partie

Le départ
Mes premiers Débuts
Les grands centres
Paris !

Plessis
Paulus

Arnaud
Sulbac
Les mimes
Vedettes féminines
Les gommeuses
Étoiles... filantes...

Deuxième partie

Journaliste
Les décorés
Puissance d'une chanson
Le genre tourlourou

Les diseurs
Les fantaisistes
Les diseuses
Un document

Les bonnes chansons
Reproduction d'une série de mes articles parus dans divers journaux
Au rideau

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Arnaud à l'Éden-Concert


Sulbac


Rouffe en pierrot

Rouffe à la ville en 1875


Mon vieil ami Séverin


Amiati


Madame Graindor


Maria Rivière


Valti à la Scala


La belle Rosalba


Bonnaire à l'Eldorado


Jeanne Bloch et Ouvrard en 1876


ÉmilieBécat en 1876


Kam-Hill en copurchic

Ouvrard, père

ARNAUD

Parmi les vedettes disparues, nous devons citer Arnaud, dont très peu de lecteurs se rappelleront le nom et la finesse. Arnaud a cependant fait un millier de créations au café-concert. C'était le plus consciencieux des interprètes. En 1876 il passait pour le premier comique de Paris, il s'était spécialisé dans les chansons de pochards, mais rien du poivrot repoussant ou attristant, c'était plutôt le type du Roger Bontemps... légèrement émêché !

Autant de chansons, autant de costumes, car à cette époque, les artistes n'en donnaient pas plusieurs à la file. Il détaillait de longs dialogues et trouvait le moyen de soutenir l'intérêt. Il faisait rire autant qu'il était possible de faire rire. Il était parfait !

Mais son genre qui avait fait fureur, parut un jour démodé, de même que bien d'autres d'ailleurs. Car - comme le disait fort judicieusement le fantaisiste Elvell au cours d'une chronique parue le vendredi 16 mars 1928, dans "Les Coulisses", chronique que j'ai ma foi beaucoup appréciée : "Les genres n'existent pour ainsi dire plus"...

Les poivrots, les sergots, les paysans, les naïfs, les gommeux d'autrefois, ont fait place à la fantaisie et à la danse. Pour l'interprétation des chansonnettes il n'existe plus de genres bien déterminés, de sorte que tous arrivent à se ressembler précisément parce qu'ilsn'indiquent rien !


SULBAC

Sulbac a eu son heure de succès, il n'était pas sans originalité, une tête amusante, un organe très cuivré, il possédait son public à l' Eldorado et aux Ambassadeurs avant de passer au théâtre.

Sulbac était de ceux qui aiment à se payer la tête des gens, mais le plus souvent, il cherchait ses victimes parmi ses camarades, après toutefois, s'être rendu compte qu'il pouvait se risquer à les "charrier".

Un superbe baryton nommé A., sortant de l' Éden-Concert, fut engagé un jour par Mme Allemand et fit son entrée à l'Eldorado où Sulbac ne fut pas long à s'apercevoir que ce beau baryton, malgré sa prestance et le soin qu'il apportait à sa mise, aurait beaucoup de mal à se faire passer pour un professeur de langue française.

Alors il s'évertuait à prendre un air bonnasse et réussissait à faire jaser ce baryton pour venir ensuite nous faire part de la dernière perle qu'il avait pu cueillir !

Un soir il nous dit que ce farceur de A. venait de l'entretenir sur la propriété qu'il possédait... en Avignon, propriété acquise entièrement à l'aide de... ça ! disait-il en se tapant la gorge avec son médium. Tu parles, lui disait A., le plaisir que j'éprouve quand j'ai un petit congé et que je me retrouve dans ce vieux domaine entouré d'arbres qui ont plus de cent cinquante ans ! des arbres... circulaires !

C'est surtout lorsque j'étais à l'Eden qu'il me tardait d'y aller, car, à l'Éden-Concert j'étais obligé de me produire aux soirées classiques. Ah ! mon vieux ! c'était la barbe ! j'étais forcé de chanter un tas de vieilles chansons tombées depuis longtemps dans l'abdomen public !

Et il fallait en apprendre à tout la rigot !

Et Sulbac, continuant à le faire marcher, lui demanda un jour ce que signifiait ce mot "Contentieux" qu'il venait de lire en passant devant les bureaux d'une administration et l'autre, ne voulant jamais avoir l'air d'être pris au dépourvu, lui répondit d'un air entendu : "Contentieux  ... c'est un nouveau truc pour guérir les maladies de nerfs.., comprends bien Sulbac... contentieux c'est... pour contenir !" (sic)


LES MIMES

Parmi les grosses vedettes, nous avions aussi les mimes.

J'ai connu Paul Legrand, j'ai connu Débureau fils, les Onofri, Chiarini, Barbarani. J'ai connu plus tard, Félicia Mallet. Mais le véritable chef de file, le roi des mimes, le roi des pierrots c'était Rouffe, le merveilleux Rouffe.

C'est Rouffe qui, à Marseille, avait donné un essor formidable à cet art, c'est lui qui avait véritablement fait école, ayant sous sa coupe une trentaine d'autres mimes de valeur, c'est lui qui avait produit le plus grand nombre de pantomimes dans tous les genres, rehaussées par de très brillantes musiques de Trave, chef d'orchestre de l' Alcazar et du Palais de Cristal.

Doué d'une intelligence supérieure, s'appuyant sur une solide instruction, ajoutant à cela une surprenante fécondité, il travaillait sans relâche à la glorification de l'Art muet, et il était à juste titre, admiré des foules. Il avait, comme auteur et interprète, un talent qu'on peut, sans les amoindrir, comparer à celui des Mounet-Sully, des Guitry ou des Coquelins.

Sa mort fut vraiment prématurée, il avait à peine trente-cinq ans, mais, la pénétration de ses conseils était telle, qu'il fit avec les Virgile, Franck, et surtout Thalès et Séverin, de remarquables successeurs.

C'est parce que je les connais tous, c'est parce que je suis fixé sur leurs sentiments que je puis par anticipation, assurer, à ceux qui auraient l'occasion de s'entretenir, soit avec Thalès, soit avec Sèverin, qu'ils les trouveront prêts à s'incliner respectueusement devant la mémoire de Rouffe qui fut un de mes plus fidèles amis, en même temps que leur grand Maître !


VEDETTES FÉMININES

AMIATI

Parmi les étoiles disparues, nous avons, du côté des dames : la belle Amiati qui, pendant et après la guerre de 1870, fit vibrer la corde patriotique en interprétant les œuvres de Paul Déroulède et surtout de Villemer, dont le bagage était vraiment formidable. Je rappellerai quelques titres parmi les milliers qu'il avait au répertoire :

"Le Maître d'Ecole Alsacien", "Vous avez pris l'Alsace et la Lorraine", "La Servante d'auberge", "Les Rubans d'une Alsacienne", "Le chien du Sergent", "Ne dansez plus, des Français dorment là", "Les cuirassiers de Reichshoffen", "L'Enfant de Paris".

Et tant d'autres dont le tirage a été fabuleux.

Amiati était l'interprète rêvée pour ce genre de chansons et son succès à l'Eldorado pendant de nombreuses années, a été prodigieux !

MADAME GRAINDOR

Une autre artiste qui fut également en grand succès, s'appelait Mme Graindor, c'était une di. seuse émérite, elle détaillait ses chansons avec un art consommé. C'était pour les spectateurs un régal sans mélange que de lui entendre chanter "Le train des amours", pour ne citer que cette création parmi les centaines qu'elle eût à son actif. Car elle brilla longtemps au firmament des meilleurs cafés-concert où elle avait, sans effort, succédé à Judic.

Quand on songe que des artistes de cette trempe avaient beaucoup de peine à gagner 30 ou 40 francs par jour et qu'on voit de nos jours... mais n'anticipons pas, nous agiterons plus tard cette grave question.

MARIA RIVIERE

Une Bordelaise à la frimousse piquante, qui fit de sensationnels débuts, en 1872, à l' Eldorado. Elle possédait plus de deux octaves dans la voix, amoureuse du café-concert, elle refusa les offres que lui firent maintsdirecteurs de théâtres. Son succès à l' Eldorado était indescriptible. Maria Rivière n'était plus seulement une chanteuse elle fut l'unique cantatrice du concert. Voix fantastique, science du chant, rien ne lui manquait, toute la Presse de l'époque faisait chorus avec le public pour la fêter.

Bruet devint son mari et composa, pour l'interpréter avec elle, une superbe collection de duos, grâce auxquels ils firent leur tour d'Europe et d'Amérique.

Le couple Bruet-Rivière se fit rapidement une réputation qui ne fut jamais égalée par d'autres duettistes.


LES GOMMEUSES

La créatrice du genre se nommait Henriette Bépoix, aussi agréable artiste que bonne camarade, mais c'est avec la superbe Méaly d'abord et Valti ensuite que ce genre de gommeuses atteint son apogée.

Puis petit à petit, les costumes excentriques, les gigantesques chapeaux des interprètes n'offrirent plus à la scène qu'un ensemble se rapprochant absolument de la tenue des commères de revues.

Il y avait aussi Rosalba qui disparut à la même époque que Valti ; avec leur départ, ce genre s'est éteint.

Valti quitta la scène pour épouser un prince Russe, je l'ai retrouvée à Nice, veuve et cent fois millionnaire... oui, cent fois millionnaire !
Mais follement éprise des tables de jeux, elle faisait perpétuellement et éperdûment la navette entre Nice et Monte-Carlo... Alors... n'est-ce pas... on ne sait plus ?

Rosalba n'a pas épousé un prince russe, mais bien un très opulent châtelain.

Il n'est pas à regretter qu'elle ait trouvé une existence heureuse, car Rosalba, magnifique personne, était aussi méritante et aimable que jolie.

Quelques mois avant son mariage, c'est chez elle que me fut présenté le réputé chef d'orchestre-compositeur Poncin, qui se mit aimablement au piano et nous donna la primeur de sa célèbre chanson "Le Chemineux", qu'il interprétait, cela va sans dire, en musicien consommé.

Voilà qui, remontant assez loin, confirme la fidélité de ma mémoire... Pas vrai, Poncin ?

BONNAIRE

Née de parents et de grands-parents faubouriens. Celle dont l'étoile brilla du plus vif éclat était une parigotte pur sang, à l'œil vif, à la réplique rapide, et comme naturel... oh ! alors... elle était remarquable ! Ses jeux de physionomie accompagnaient avec justesse toutes les phrases des chansons qu'elle interprétait, ils les soulignaient de la plus heureuse façon. Enfin elle était comique... comique... comique !

Je l'avais connue à Bordeaux, en 1870, alors qu'elle était toute jeune, jolie, éveillée, délurée et débordante de fraîcheur. On l'appelait Huerta. Puis, elle fit la province, se servant simplement de son prénom... Eléonore et Eléonore était frénétiquement applaudie dans tous les établissements où souvent ensemble nous nous produisions.

Elle devança mon arrivée à Paris, elle s'y fit remarquer à l' Alcazar d'Hiver (qui n'existe plus aujourd'hui), et c'est alors que M. Paul Renard, directeur de l' Eldorado, mis au courant de ses triomphes, l'engagea pour la saison suivante sous le nom de Bonnaire.

Bonnaire se fit immédiatement une des premières places parmi les étoiles de la maison.

Elle obtint, et cela pendant de très nombreuses années, un succès des plus soutenue.

Mais il était dit qu'elle devrait une quatrième fois changer de nom, car, certain jour elle quitta Paris... pour toujours... Nous ne l'avons plus revue ! Elle alla habiter Toulouse..., elle venait d'épouser feu M. Coussinet, directeur de La Dépêche, le très important quotidien de cette ville.

JEANNE BLOCH

Enfin nous avons eu Jeanne Bloch, La grosse Bloch, disait-on d'elle couramment. Comme exubérance elle était un peu là ! Je me trouvais avec elle au XIXe Siècle, dès mes débuts à Paris, elle avait alors 18 ans, elle était encore fluette, mais déjà sa fougue était intarissable ! Toutes les semaines nous avions à jouer ensemble une petite pièce qu'il fallait changer tous les samedis. (Vous parlez d'un boulot). Mais ces piécettes dont les données ne variaient guère, finissaient toujours par un mariage, de sorte qu'après cinq saisons d'hiver au XIXe Siècle, nous nous étions bien mariés six ou sept cent fois... en scène, bien entendu.

Par exemple, comme partenaire, elle était terrible ! Lorsqu'on trouvait un effet scénique, il était rare qu'elle ne s'en empara pas illico et... et le lendemain soir... c'est elle qui le servait ! De nos jours, les professionnels ne s'arrangeraient peut-être pas très bien de ce système, mais de mon temps, la camaraderie était telle, que tous ces détails s'aplanissaient... en famille ! La victime en riait autant que l'accapareur ! Je me souviens même qu'à cette époque j'avais mis la main sur "Les Bidards", très gros succès que me valait une chanson de mon camarade Mathieu. Jeanne Bloch en maigrissait... (ce qui était dommage). "C'est pas moi", gémissait-elle, "qui aurait jamais la veine de tomber sur une machine comme ça" ! "Est-c'qu'on peut savoir ?"... lui répondis-je.

Et trois jours après, elle chantait avec moi "Les Bidards" que, pour sécher ses pleurs, j'avais arrangé en duo !


ÉTOILES... FILANTES

La première fut Emilie Bécat. Elle arrivait en droite ligne de Marseille vers 1874, elle conquit Paris !

Tapageusement applaudie au XIXe Siècle, elle passa l'été à l' Alcazar des Champs-Elysées. Elle tenait la grosse vedette du programme... Il n'y en avait que pour elle ! ! !

Puis... tout à coup, en 1877... rien ne va plus ! Et ce fut fini... fini... fini ! !

Au cours de ma carrière, je n'ai relevé qu'un autre cas semblable à celui d'Emilie Bécat. Il se manifesta à la suite de l'impétueux succès obtenu par Kam-Hill, l'homme à l'habit rouge. Le copurchic, comme on le dénommait.

Pendant trois ans, quatre ans au plus, son nom fit grand tapage, il brillait aux programmes de nos plus grands établissements.

Homme charmant, très correct, possédant un bon organe, Kam-Hill avait certainement apporté une note bien personnelle et ce fut de la part du public un engouement spontané, mais tout à fait passager.

Lorsqu'il quitta la scène et revint à ses premières occupations, il n'avait rien perdu de ses moyens artistiques, il dit adieu au public, parce que le public se désintéressait de son répertoire qu'il n'interpétait cependant pas moins bien que le premier jour !

Non... Il y a des faits qui s'enregistrent et, qui ne s'expliquent pas. Tantôt ce sont des chutes rapides et injustifiées, tantôt des vogues interminables et... incompréhensibles !


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