ELLE EST TOUTE NUE !

LA VÉRITÉ SUR LA VIE DES COULISSES
EXPOSÉE PAR OUVRARD Père



TABLE DES MATIÈRES
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Préface

A mes lecteurs

Première Partie

Le départ
Mes premiers Débuts
Les grands centres
Paris !

Plessis
Paulus

Arnaud
Sulbac
Les mimes
Vedettes féminines
Les gommeuses
Étoiles... filantes...

Deuxième partie

Journaliste
Les décorés
Puissance d'une chanson
Le genre tourlourou

Les diseurs
Les fantaisistes
Les diseuses
Un document

Les bonnes chansons
Reproduction d'une série de mes articles parus dans divers journaux
Au rideau

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Galipaux




Dranem




Jules Pacra, fondateur de la
Société de Secours mutuels
des artistes lyriques




Dufleuve




Ouvrard fils, uniforme ancien




Ouvrard fils, troupier moderne




Augé en civil




Legende

Ouvrard fils en civil


Polin en civil (1926)




Legende

Polin en tourlourou

Ouvrard, père


DEUXIÈME PARTIE


JOURNALISTE

C'est en 1894 que l'idée me vint de fixer mes souvenir dans un ouvrage intitulé La vie au café-concert.

L'étonnement fut évidemment plus grand que le succès, j'étais le premier artiste de café-concert osant publier ses impressions personnelles.

Seule, la célèbre Thérésa avait édité ses mémoires, mais, écrire ses mémoires, ce n'est plus donner ses appréciations. Un professionnel s'érigeant en critique, voilà une tentative hardie, je l'ai risquée, elle me réussit assez bien et cette petite réussite m'incita par la suite à passer de la scène au journalisme.

Après avoir, pendant de longues années, collaboré à diverses feuilles corporatives, je m'empressai, dès que je pris ma retraite comme artiste, d'apporter ma collaboration au Journal de Bergerac, puisque c'est en Dordogne que j'avais toujours nourri le désir de planter définitivement ma tente.

Mes articles me valurent quelques satisfactions, car ils furent fréquemment reproduits dans les quotidiens du Sud-Ouest, et c'est ainsi que M. Marcel Labbé, éditeur, qui s'était depuis quelques années, assuré l'entière propriété de mon premier ouvrage, décida d'en faire paraître une suite. Je viens de rappeler... le passé, nous allons maintenant nous entretenir du présent et, je ne répéterai jamais trop que je n'ai d'autre but que d'établir ici ma sincère mise au point sans jamais me soustraire à l'impartialité.

Mes amis ne seront pas mieux partagés que les indifférents et, si j'ai des ennemis, je ne m'en souviens plus ! je marche avec ma collaboratrice qui n'est autre que la vérité ! La vérité... toute nue !

Je commencerai donc par :


LES DÉCORÉS

C'est avec une grande satisfaction que j'ai pu, avant de partir dans un monde inconnu, relever sur la liste des promotions de ces dernières années, le nom de divers artistes de théâtres et de music-halls, auxquels on n'a pas craint de décerner une distinction qu'on avait jusqu'à ce jour hésité à leur attribuer.

J'attends maintenant de voir, à la Chambre quelques artistes, députés, j'en connais beaucoup qui, par leur instruction, leur éducation, la souplesse de leur langage et enfin leur discernement, n'y feraient certainement pas mauvaise figure. Ils pourraient même parfois, soit par leurs interpellations, soit par leurs objections, donner un certain "coton" à bien des turbulents qui se prennent pour des AS invulnérables ! Il serait certainement intéressant de voir quelques-uns de ces derniers, aux prises avec un fantaisiste de music-hall ou de café-concert !

À l'Assemblée générale de la Société des auteurs, compositeurs, et éditeurs de musique où les artistes sont en grand nombre, il m'a été donné, maintes fois, d'entendre des dissertations comportant une dose de logique, de bon sens, qu'on ne rencontre pas toujours à la Chambre, chez tous ceux qui créent nos lois !

Parmi les légionnaires de la scène, nous voyons maintenant Max Dearly, le prince des comédiens, qui a failli un instant se lancer dans la politique (c'est ainsi que l'on commence... en figurant dans une municipalité), mais il s'est arrêté à temps ! Jadis, je disais à mon ami, le professeur Pozzi, qui en pinçait pour le Sénat :

"Quand on s'appelle Pozzi, on n'a plus le temps d'aller au Sénat, vous êtes plus utile ailleurs..."

Je dirai à Max Dearly :

"Laissez la mairie à d'autres... les postulants ne manquent pas. Nous aurons toujours plus de maires... que de Max Dearly !"

LUCIEN BOYER

Oui, Lucien Boyer, l'auteur, le compositeur, le chanteur, Lucien Boyer, celui qui possède un bagage formidable, un nombre incalculable de revues, de sketches, de chansons, Lucien Boyer, encore un compatriote, l'auteur de "Valencia", "Le trompette en bois", "Mon Village", " Mont' là d'ssus".

Enfin l'auteur de "Cousine", quoi ! de cette sacrée Cousine qui ne peut se décider à laisser en paix le cœur de ce pauvre Mayol, puisque voilà plus de 15 ans qu'il nous dit qu'elle le lui piétine !

Lucien Boyer est la crème des camarades, il est bon père, bon fils, bon frangin. Vous le voyez d'ici, n'est-ce pas ?

Toutefois, malgré l'énormité de ses productions j'ai remarqué que c'était immédiatement après l'édition d'une chanson qu'il avait intitulée "La Madelon de la Victoire", que ce brave Lucien fut décoré ! Alors que Louis Bousquet, auteur de la véritable
"
Madelon", cette délicieuse chanson qui fut chantée pendant quatre années terribles, par la France et par ses Alliés, par les poilus et par les civils, par les vieillards et par les enfants, Louis Bousquet, dis-je, de même que son camarade et collaborateur Camille Robert, attend encore le ruban.

Un jour Bousquet prit le chemin d' l'oubli Son carnarad' fit la mêm' chos' que lui !

Il est vrai qu'on ne pouvait rougir la boutonnière des auteurs de toutes les Madelons ! pas vrai ?

________

Feu Gerny, le fidèle collaborateur de Jules Jouy, me racontait un jour la petite histoire suivante :

Deux copains avisent un groupe de quatre individus, dont trois ont le ruban violet sous le menton.

Un des copains questionne

- Tu connais ces... officiers d'académie ?

- Oui, répond l'autre, il y a d'abord le fils de mon concierge, dont le cousin est attaché dans un ministère. puis le grand brun est photographe en province. Quant au troisième, c'est un coiffeur de mon arrondissement.

- Mais le quatrième... qui n'a rien à sa boutonnière ?

- Oh... celui-là, c'est insignifiant, il est professeur au Lycée.

- Ah ! et comment se fait-il qu'il ne soit pas titulaire des palmes?

- Ah ! ben mon vieux... s'il fallait les f... à tout le monde !

GALIPAUX

Félix Galipaux, mon compatriote, le frétillant bordelais... le talentueux Galipaux, nous a un instant étonnés avec... les étonnements de ses nombreux amis qui, nous disait-il dans "La Petite Gironde", avaient été très surpris lorsque la Presse annonça qu'il venait d'être décoré ! car, nous avoue modestement Galipaux, tous mes amis croyaient que je l'étais... depuis longtemps ! ! ! ?

Ça c'est vrai... Il y a de ces lenteurs surprenantes et impardonnables !

DRANEM

Le camarade Dranem, de son véritable nom Armand Ménard, fut certainement le premier artiste de music-hall qui se trouva bombardé du titre de chevalier de la Légion d'honneur.

Je suis au regret d'ajouter qu'en décorant Dranem on attribua cette distinction au mutualiste plutôt qu'à l'artiste de café-concert. C'est du moins la nuance que ne manquent pas de faire ressortir la plupart des quotidiens parisiens.

Toutefois, mon éminent confrère Clément Vautel s'étonne quelque peu que la chancellerie ait pris tant de formes pour faire entendre que c'était bien au mutualiste et non à l'artiste que la distinction était décernée.

Et moi je me permets de supposer que si pour commencer, Dranem avait été complètement dans l'ombre comme artiste, on n'aurait jamais songé à le distinguer d'aussi éclatante façon.

Or, c'est précisément parce que je prise suffisamment le mérite artistique de Dranem que je me permets également d'ajouter qu'en tant que mutualiste, ses droits au ruban rouge me semblaient discutables.

Je vais donc, aujourd'hui, servir à la galerie quelques petits détails qu'elle ignore peut-être et que moi, vétéran, j'ai pris soin d'enregistrer.

Le véritable fondateur de la société de secours mutuels des artistes lyriques de Caf' Conc' n'était autre que feu mon vieil ami Jules Pacra.

C'était donc Jules Pacra qui avait fondé cette Société dont il était le président et cela bien avant que Dranem eût même l'idée de monter sur les planches ! !

C'était Jules Pacra qui, envahi par son sincère esprit de solidarité en prit l'initiative en faisant appel à tous les camarades qui avaient à verser la somme de deux francs par mois! Les membres étaient donc déjà très nombreux lorsque Dranem se substitua à Pacra qui pendant de longues années avait dépensé sans compter tout son temps, toute sa persuasion, puis aussi l'éloquence dont il n'était certes, pas dépourvu.

Alors... en retour de ce long dévouement pour ses camarades, Jules Pacra reçut un jour, sur le tard (il approchait de quatre vingts ans), les palmes académiques ! ! par suite de mes sollicitations réitérées auprès de divers sénateurs de mes amis. (Je le prouverai plus loin).

Donc, en quelque sorte, l'œuvre de Jules Pacra était passée dans les mains de Dranem qui frappa directement à la Grande Porte, pour arriver à se mettre en évidence et créer au plus vite la maison de retraite des artistes lyriques, c'est-à-dire faire en petit ce que Coquelin avait fait en grand à Pont-aux-Dames, pour les artistes dramatiques.

On organisa une foule de représentations dont les bénéfices ne donnaient pas très fort, malgré l'énormité des recettes, et c'est alors que l'idée vint d'organiser une loterie en faveur des futurs pensionnaires de la Maison de retraite qui existerait... on ne savait où !

Ce qui demeure certain, c'est que la loterie eut lieu, je me souviens avoir pris des billets et en avoir même placés et réglés.

La maison de retraite fut achetée à Ris-Orangis, alors que le placement des billets n'était même pas terminé.

Un nommé Bloch, intime de Dranem, fut institué directeur, secondé par sa femme, qui se trouva aux prises avec mille difficultés et qui, m'a-t-on affirmé, mourut peu après. Le suicide de Bloch suivit de près le décès de sa femme.

Les premiers pensionnaires recueillis ne dépassaient pas le nombre de six ou sept parmi lesquels un vieux comique du nom de Garçon et une chanteuse, appelée Albertine Fabre.

Ces détails pour démontrer que l'élan philanthropique était vraiment restreint ! En tout cas, d'autres camarades se dépensèrent pour le moins, autant que Dranem, je citerai tout particulièrement Fréjol, un garçon plein de valeur que j'apprécie beaucoup, Blon-Dhin, et aussi Portal, décédé depuis, après avoir rendu à cette œuvre d'inoubliables services !

Le vulgaire cependant, s'imaginait que cet amusant Dranem avait véritablement créé le paradis terrestre pour ses camarades alors que les conditions de la réception rendent la chose assez difficile, si bien, que le nombre des pensionnaires est toujours extrêmement limité !

Depuis, on a donné des fêtes, on a organisé de somptueuses réunions à Ris-Orangis, on a fait pas mal de tam tam et certains personnages officiels ayant pris part à ces manifestations, il est facile de concevoir que Dranem ait pu nourrir l'espoir d'être un jour décoré.

Ce jour est arrivé, mais je suis tout à fait de l'avis de Clément Vautel lorsqu'il déclare que, très probablement 'Dranem a fait plus de bien par le rire qu'il a provoqué sur la scène qu'à l'aide de ses œuvres philanthropiques !

Aussi, comme je suis ennemi des détours, je ne m'explique pas bien pourquoi la distinction dont il a été l'objet n'a pas été de préférence attribuée à l'artiste Dranem qu'au mutualiste Ménard.

Dranem est un des plus amusants comiques de France et lorsqu'il m'est donné d'assister à l'une de ses représentations je me paie, grâce à lui, une pinte de rigolade car, je vous le confesse, je suis extrêmement gobeur, dès que j'ai confiance dans les réelles capacités d'un artiste et je mêle vite mes chaleureux applaudissements à ceux du public...

Conclusion :
Dès qu'un artiste entre en scène il devient un être à part, s'il est bon, applaudissons-le ouvertement, et s'il est mauvais... nous n'avons pas de concessions à lui faire, même si l'on nous affirmait qu'il aime bien sa mère !


PUISSANCE D'UNE CHANSON

On ne se fait pas une idée de la puissance que peut avoir le succès d'une chanson, d'une seule chanson, sur toute la carrière d'un artiste de Café-Concert. Il suffit très souvent de cette chanson pour le... populariser.

Evidemment il ne la chantera pas durant sa vie entière, mais si la vogue de cette chanson a été assez grande pour lancer l'artiste, celui-ci en bénéficiera dans une large mesure, pendant très longtemps.

Puis, quand le public connait son artiste, il se montre plus confiant et partant de là, moins exigeant, de sorte que toutes les autres chansons succédant au succès qui a rendu l'artiste populaire, sont accueillies avec une sympathie que ce même artiste ne motivait pas avant le lancement de son gros succès.

Dans le succès populaire, le déshérité c'est souvent... l'auteur ! On ne s'occupe que de l'interprète, de l'artiste qui a... présenté la chose, cela tient beaucoup à l'étrange façon dont on a pris l'habitude de livrer au public l'édition des chansons.

Vous lirez sur "La Petite Tonkinoise" : chanson créée par Polin.

Or, cette chanson est de Rimbault, musique de Christiné [1]

Vous lirez sur "La Madelon" : créée par Bach. Cette chanson est de Louis Bousquet, musique de Robert.

Mais rien d'étonnant à ce que le lecteur qui s'en tiendra au nom du chanteur sans prendre le soin de regarder au bas de la partition, demeurera convaincu que c'est l'artiste qui a écrit la chanson. C'est ainsi que dans le public, tout le monde attribue "Viens, Poupoule !" à Mayol, alors que "Viens, Poupoule !" est de mon adroit confrère Alexandre Trébitsch [2] qui, dans la question, se trouve le moins bien partagé...

Mayol eût le succès,

L'éditeur la galette,

Et l'auteur.., rien.., ou presque !

D'ailleurs il est à remarquer que parmi les anciennes vedettes du Concert ou de Music-Hall, il n'en existe pas beaucoup ayant écrit leur répertoire. Paulus, Libert, Mayol, Polin, Dranem, etc., etc., n'ont jamais, que je sache, enfanté un quatrain !

Contrairement aux vedettes de mon époque je composais la presque totalité de mon répertoire. Si je le déclare c'est parce que j'aurai la franchise de dire qu'à côté de quelques bonnes chansons j'en ai eu aussi de médiocres et pas mal de mauvaises.

Mais enfin bonnes, médiocres, ou mauvaises je vivais sur mes compositions. Je buvais dans mon verre et lorsque j'avais écrit les paroles et la musique d'une chanson qui me valait un franc succès, il est facile de s'expliquer que ma joie était... triplée !

Laissant à part les chansonniers montmartrois, j'ai été succédé par plusieurs camarade comme Amelet, Jean Peheu, par Dufleuve, bon interprète et très adroit chansonnier, par Georgius, bon artiste et bûcheur infatigable, et enfin par Ouvrard fils qui accompagne ses trouvailles de musiques originales, grâce aux facilités que lui procure son brio de pianiste. Il avait pris ma suite dans le genre troupier, il avait fait de très bons débuts au Concert Mayol en 1911.

Puis après la guerre il remplaça son uniforme ancien par le bleu horizon et s'intitula "Le troupier moderne", sa remarquable volubilité dans le débit, le mit en bonne place dans les plus grands Music-Halls.

MAIS REVENONS À LA PUISSANCE D'UNE CHANSON

Je me souviens qu'à mon premier engagement au Concert des Ambassadeurs, en 1885, alors que venant de terminer la saison d'hiver à la Scala où mon répertoire produisait le meilleur effet, j'eus le tort énorme de vouloir imposer ce même répertoire aux Champs-Elysées, devant un public terriblement bruyant. Or, si les pétardiers, comme on les appelait, ne "m'emboîtèrent" pas, ce fut tout juste ! et parmi les bons petits camarades, certains se réjouissaient déjà de ma défaite qui paraissait absolument inévitable !
J'étais la vedette de la troupe et je sortais de scène accompagné seulement de quelques rares applaudissements...

Or, la froideur excessive de ce public tapageur allait s'accentuant depuis quatre jours, qui me parurent quatre siècles, lorsque Deransart, le chef d'orchestre de l'établissement qui avait été témoin de mes succès précédents me dit : "Vous avez été mal inspiré dans le choix de vos chansons, nous ne sommes plus ici dans une salle fermée où les détails et les jeux de physionomie font apprécier votre jeu. Dépêchez-vous de changer votre fusil d'épaule, donnez à cette jeunesse turbulente des refrains endiablés et... déployez tout votre brio."

Le lendemain, je m'empresse de répéter avec l'orchestre une de mes compositions qui dormait dans mes cartons et que je ne pensais jamais à lancer. Cette scie avait pour titre : "Le bi du bout du banc" ! Après la répétition, le chef d'orchestre vint vers moi et me dit en souriant : "Çà y est... vous tenez le plus gros succès de la saison !"

En effet, dès la première audition ce fut un triomphe, j'étais sauvé ! Le marchand de programmes et de chansons, un nommé Caron, en vendait plus de 500 formats à chaque représentation. Il gagnait plus que n'importe quel artiste de la troupe ! Vous pensez s'il avait le sourire. Il jubilait, et celui qui aurait osé lui dire que je n'étais pas le plus intéressant comique de Paris aurait été bien reçu !

Bref, la vogue de cette baliverne dura trois ans, et le motif est encore fréquemment utilisé dans des revues. J'en ai de meilleures qui n'ont jamais fait parler d'elles !


LE GENRE TOURLOUROU

On prétend que les blagues de caserne ne sont plus à la mode... Ça dépend... Il s'agit de savoir si ces blagues sont drôles ou ne le sont pas, car les mauvaises n'ont jamais été à la mode, et les bonnes amuseront toujours !

Les gourdes, les pochetées, les ballots, dont le nombre était assez conséquent autrefois parmi les nouvelles recrues, tend, et c'est tant mieux, à s'amoindrir. Mais il y aura toujours des types bornés, des illettrés et lorsque dans ses brillantes et très fructueuses tournées, mon désopilant ami Augé joue diverses pièces dans la même ville, c'est encore la note militaire qui l'emporte sur les autres.

Il est vrai qu'Augé n'a pas été pour rien su nominé le roi du Rire, d'autres se sont servis même titre, mais c'est bien à lui qu'il faut l'attribuer, car sa nature heureuse, ses attitudes, s intonations, ses gestes font d'Augé le type hilarant par excellence. Indiscutablement, Augé,un as ! même parmi les as !

Et puis dans une pièce l'apparition d'un truffard naïf ou loustic conserve encore une appréciable portée, car l'artiste qui représente ce tourlourou est alors aidé par des situations souvent irrésistibles et le public se laisse encore prendre aux fumisteries du simple troubade faisant des blagues à son supérieur.

Mais la question change dans ce qu'il est-convenu d'appeler un numéro de chant, l'artiste, dans cette note unique ne peut déployer tous les talents dont il pourra donner des preuves en civil, c'est donc en civil qu'Ouvrard fils se produit actuellement et son succès confirme l'heureux résultat obtenu par sa décision. Et puis, comme disait Maurice Barrès, "La notoriété est une conquête qui doit se renouveler sans cesse."

Toutefois il faut reconnaître que certains artistes qui sont loin d'être sans valeur n'ont pas encore voulu abandonner le genre troupier, je citerai Monray qui possède une nature comique, heureuse, de même que Delpierre et aussi Bridet. Enfin et surtout, Rollin dont la physionomie et l'accoutrement sont extrêmement amusants, sans compter que Rollin possède une puissance de voix comme on en trouve rarement parmi les comiques et c'est un avantage qui lui permet de faire valoir des chansons dont un autre ne pourrait tirer un parti appréciable. Et puis chez un chanteur, qu'il soit comique ou sérieux, une bonne voix n'a jamais rien gâté !

Quand je vois lâcher par mon fils l'uniforme militaire, je ne puis m'empêcher de faire un retour vers le passé en songeant combien j'avais eu, moi, de peine à l'obtenir !

J'ai créé le genre en 1876 et ce n'est qu'en 1891que j'ai pu enfin avoir la permission de paraître en fantassin. Polin ne tarda pas à en faire autant en cavalier. Dès 1891 il chante à l' Éden-Concert les chansons que je lance à la Scala

J'irai revoir ma famille.
Devant la colonne Vendôme.
Rien ! Rien ! Rien !
Son camarade fit la même chose que lui,
etc., etc.

Jusqu'au moment de ses débuts à l'Alcazar d'Été (1893) où commença vraiment sa réputation, qui fut aussi grande que méritée.

Si l'abondance de ses moyens comiques était limitée et finissait par donner l'impression d'une certaine uniformité, il possédait par contre une bonhomie des plus attirantes, puis une très agréable voix de trial qui contribuait dans de larges proportions à la finesse de son jeu. Voilà un détail que je n'ai pas souvent vu exposer. La finesse de Polin venait surtout de la finesse de sa voix.

Le chanteur qui est affligé d'une voix dure aura beau s'escrimer à mettre de la finesse dans son jeu, dans son débit, dans ses gestes... si la voix est dure... rien à faire... on ne dira jamais de lui : qu'il est fin.

La gentille voix de Polin apportait un très intéressant contraste à la forte constitution de l'artiste et, c'est précisément cet ensemble que le public ne s'attardait pas à analyser, qui faisait de lui un type unique, qui lui permettait en somme d'être Polin !

Il a d'ailleurs prouvé autrement que dans ses chansonnettes, comme j'aurai l'occasion de le dire plus loin.

En perdant Polin, la scène n'a pas simplement perdu un bon chanteur comique, elle a perdu un véritable artiste.


[1] Les paroles sont de Georges Villard, adaptées parHenri Christiné. Quant à la musique, elle est de Vincent Scotto.
(Note de l'éditeur ? présente édition.)

[2] Cette chanson, d'origine allemande est d'Adolph Spahn, pour les paroles originelles ("Kom Karoline") et la musique. Les paroles françaises sont d'Alexandre Trébitsch et Henri Christiné . La musique a également été adaptée par Henri Christiné. (Idem)

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