ELLE EST TOUTE NUE !

LA VÉRITÉ SUR LA VIE DES COULISSES
EXPOSÉE PAR OUVRARD Père



TABLE DES MATIÈRES
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Préface

A mes lecteurs

Première Partie

Le départ
Mes premiers Débuts
Les grands centres
Paris !

Plessis
Paulus

Arnaud
Sulbac
Les mimes
Vedettes féminines
Les gommeuses
Étoiles... filantes...

Deuxième partie

Journaliste
Les décorés
Puissance d'une chanson
Le genre tourlourou

Les diseurs
Les fantaisistes
Les diseuses
Un document

Les bonnes chansons
Reproduction d'une série de mes articles parus dans divers journaux
Au rideau

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Ouvrard, père

REPRODUCTION D'UNE SÉRIE DE MES ARTICLES PARUS DANS DIVERS JOURNAUX
(Mes impressions)

PROFESSIONS LIBERALES

Avoués, avocats, médecins, artistes, etc., paraissaient, avant la guerre, être les privilégiés, et aussi les enviés, les jalousés. Pour bien des gens, la profession libérale a pour avantage d'assurer une liberté complète à celui qui l'exerce et les moyens d'encaisser sans fatigue de forts émoluments.

L'avocat qui, durant une demi-heure, défend au palais une cause qu'il gagne ou qu'il perd; le médecin qui fait une visite qui ne lui prend pas plus d'un quart d'heure; l'artiste qui encaisse un beau cachet en passant en scène moins d'une demi-heure sont, aux yeuxdes populations ouvrières, moins intéressants, parce que travaillant moins que les citoyens qui passent chaque jour 8 heures à l'usine ou à l'atelier.

Ce raisonnement est pourtant d'une remarquable fausseté, car le public, s'il voulait être juste, se ferait très facilement à l'idée que l'avocat ne se présente pas à la barre du tribunal sans avoir étudié son dossier. Que le musicien ne se permettrait pas de venir exécuter
en public un morceau hérissé de difficultés avant de s'en être rendu maître.

Que le véritable artiste, qu'il soit lyrique ou dramatique, ne pourrait monter sur la scène sans avoir préalablement, non seulement étudié son rôle, mais sans avoir également recherché tous les effets scéniques qu'il peut en tirer.

Et alors, où prennent-ils le temps d'étudier tout cela? Est-ce pendant l'exécution? Ce serait un peu tard ! C'est donc le matin, le soir, c'est la nuit, c'est tout le temps que travaille l'esclave qui est gratifié d'une profession libérale ! Pour lui, pas de repos, pas de
dimanches, pas de fêtes; il faut saisir l'inspiration lorsqu'elle se présente, et le cerveau n'arrête pas, il est tout le temps en action.

Or, je n'ai pas besoin de démontrer ici, que la fatigue mentale est beaucoup plus redoutable que la fatigue physique, car le travailleur de terre, le cultivateur qui peine physiquement du matin au soir retrouve chaque jour l'ardeur nécessaire pour exécuter son travail quotidien ; mais que ce même cultivateur éprouve un gros ennui, soit dans ses affaires ou dans ses affections, qu'il soit victime d'une Tuile inattendue, le voilà désemparé; et il aura beau se reposer, il n'en restera pas moins abattu, déprimé. Son moral aura besoin d'être relevé pour que ses forces physiques se relèvent de même.

Artictes chanteurs ou comédiens ont bu un sacré bouillon pendant la guerre; mobilisés ou non, on ne les plaignait pas comme on aurait été porté à plaindre des ouvriers de la terre ou de l'atelier, personne ne s'occupait de leur venir en aide. Pourquoi? D'aucunsdiront : parce que les théâtres et les concerts qui font vivre les artistes ne sont pas des choses de première nécessité ; on pourrait, à la rigueur, se passer d'eux.

Eh bien ! voilà encore une erreur, une grosse erreur doublée d'ingratitude, car si vous prétendez pouvoir vous passer des artistes lorsqu'il s'agit de leur faire gagner leur vie, pourquoi, dès qu'il surgit une catastrophe, pourquoi, dès que vous voulez organiser une représentation pour une œuvre de bienfaisance quelconque, pourquoi, lorsque cette œuvre de charité semble rendre leur présence indispensable, vous empressez-vous d'aller réclamer leur concours; et leur concours gracieux, c'est-à-dire... à l'œil. quoi !

En conséquence. si vous admettez que l'artiste doit jouer ou chanter pour rien quand vous avez besoin de lui, aidez-le donc à vivre lorsqu'il semble avoir besoin de vous.

A l'issue des représentations où ils n'encaissent rien, les artistes, doivent, le plus souvent, se contenter d'un... merci monsieur ou merci madame, c'est tout... c'est fini... le lendemain on ne songe plus à eux !

Mais il arrive parfois que l'artiste a sa revanche et qu'il peut même, à l'occasion, donner quelque petite leçon de dignité. A preuve la plaisante aventure eue nous raconte notre confrère Candide, aventure dont l'excellente artiste du théâtre du Gymnase, Gaby Morlay, fut l'héroïne.

Une Américaine, très riche, mais très vulgaire, mariée à un homme politique français, vint voir Mlle Gaby Morlay dans sa loge

- Je donne. la semaine prochaine, une grande soirée, lui dit-elle. J'aimerais que vous veniez louer un sketch. Quel est votre prix?

- Cinq mille francs, madame.

- Oh ! comme c'est cher ! Vous allez bien me faire une petite réduction? Non? Oh ! c'est trop cher...

L'Américaine feint de s'en aller, va jusqu'à la porte, puis s'apercevant que Mlle Gaby Morlay, indifférente, continue à se maquiller et la laisse partir sans protester, elle revient sur ses pas.

- Soit, je vous donnerai cinq mille francs. Ah ! seulement, je tiens à vous prévenir. Nous autres, femmes du monde, en Amérique, nous n'aimons pas à être coudoyées par des actrices. Alors, je vous serais très obligée de n'arriver qu'au moment de jouer votre
sketch et de repartir aussitôt après, parce que je ne veux pas que vous soyez mêlée à mes invitées.

- Comment, madame, réplique Mlle Gaby Morlav, je ne suis pas forcée d'assister à votre soirée? Oh ! mais alors, ça n'est que cinq cents francs !

Un rabais à la fois si fabuleux et si rapide stupéfia la riche Américaine...

Compatissante, l'artiste lui présenta un siège qu'elle accepta empressée et... troublée ! Apparemment, Gaby Morlay venait de l'asseoir !

Les Coulisses.

 

DROITS D'AUTEURS
Chronique documentaire

C'était en 1849. Un auteur de chansons, nommé Bourget, passait un soir devant la porte d'un café-concert, lorsqu'il s'aperçut, à la ritournelle qui lui venait aux oreilles, qu'on était en train d'interpréter une de ses chansons.

Il entra dans ce café-concert, ne doutant pas qu'il lui suffirait de faire connaître sa qualité pour qu'on le laissât écouter tranquillement l'œuvre qu'il avait écrite; mais il avait compté sans son hôte.

Quoique l'établissement en question n'eût à payer aucune redevance pour l'interprétation des œuvres qui composaient le programme, on voulut forcer le malheureux auteur à prendre une consommation payante.

Bourget trouva le procédé un peu vif, mais... il s'exécuta...

"C'est un verre d'eau sucrée que je paie, dit-il au patron, mais ce verre d'eau vous coûtera plus cher qu'a moi !..."

De ce futile incident est sortie l'une des sociétés les plus prospères et des plus importantes qui existent aujourd'hui.

En effet, le chansonnier Bourget, comprenant toute l'injustice qu'il y avait à ce qu'une industrie quelconque pût s'enrichir en faisant interpréter des œuvres qui ne rapportaient rien à leurs auteurs, communiqua ses idées à quelques auteurs de son entourage, et bientôt, un petit groupe composé de MM. Bourget, Thys, auteurs; Paul Henrion, Plantade, Parizot, compositeurs; Heugel et Colombier, éditeurs de musique, jeta les bases d'un syndicat provisoire qui tint ses réunions dans les salons de M. Souffiot, facteur de pianos.

Ce n'était pas une petite affaire que d'organiser la défense des droits des auteurs pour des œuvres qui ne semblaient pas susceptibles d'un rapport appréciable; mais les promoteurs du syndicat avaient la foi; ils la firent partager à M. Henrichs, fonctionnaire dont le concours leur fut précieux pour toute la partie administrative.

Bref, le 31 janvier 1851, par - devant Me Halphen, notaire, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique était officiellement fondée ! Le chansonnier Bourget put se dire que le verre d'eau sucrée, qu'on l'avait forcé à payer, allait coûter cher aux cafés-concerts ou autres établissements similaires.

C'est un verre d'eau sucrée, en effet, qui, aujourd'hui ne rapporte pas moins de 25 à 30 millions par an à cette Société.

D'année en année, la Société s'est développée avec une extraordinaire rapidité; elle est dans ses meubles et même dans son superbe immeuble sis à Paris, 10, rue Chaptal. Elle a à sa tête un important comité présidé par mon vieil ami Henri Moreau. Célestin Joubert, qui fut longtemps président actif, est actuellement président d'honneur, de même que M. le ministre Couyba. M. Alpi-Jean Bernard en est le nouveau directeur et je puis vous certifier que cette formidable direction n'est pas une sinécure.

En dehors du régiment d'employés, occupés au siège social, c'est par centaines que se comptent les agents de province et de l'étranger.

Les droits encaissés par la Société sont fournis par un répertoire énorme, ne comprenant pas moins de quinze cent mille titres d'œuvres dans tous les genres.

Dans les grands établissements, une chanson peut rapporter de cinq à dix francs chaque fois qu'elle est interprétée, mais dans les petits établissements de province, elle ne rapporte le plus souvent que quelques centimes. Le droit est partagé par tiers entre le parolier, le compositeur et l'éditeur. Dans ces conditions, on se figure aisément ce que doit être une feuille de répartition des droits d'auteurs. Les additions des centimes arrivent souvent à faire des centaines de francs et des milliers de francs.

Certains chansonniers se sont distingués par une production véritablement extraordinaire; de mon temps, c'était Baumaine et Blondelet, puis Villemer et Delormel qui détenaient le record, ils avaient plus de cinq mille titres à leur répertoire.

Les premiers succès du café-concert avaient pour titre : " Rien n'est sacré pour un sapeur". Cette chanson fut lancée par la célèbre Thérésa qui chantait à la même époque " Les Canards tyroliens". Puis vinrent " Les Pompiers de Nanterre", chanson de Burani et Antonin Louis.

Je ne puis ici nommer tous les refrains qui devinrent populaires, je me bornerai donc à citer les plus retentissants.

En 1876, époque où nous étions ensemble au Concert du XIXe siècle, mon vieil ami Bruet - l'un des rares camarades qui restent de cette génération - se taillait un succès énorme avec La Tour Saint-Jacques, une adorable chanson de Darcier, qu'il interpréta durant toute une saison d'hiver alors que de mon côté je chantais tous les soirs : "La Dent de Sagesse", dont le refrain "Faut la faire a ...rra...cher !" fit un instant fureur. L'année suivante, j'eus la chance de lancer "Les Bidards", joyeux refrain très populaire qui fit encaisser de gros sous à l'artiste-auteur Mathieu ; c'est surtout le mot qui atteignit une énorme popularité, car, pendant de longues années, les Parisiens s'en servirent.

On ne disait plus... c'est un veinard. On disait c'est un bidard !

Un succès qui rapporta gros à ses auteurs et surtout à l'éditeur, avait pour titre "L'Amant d'Amanda", lancé par un des plus sympathiques . interprètes du café-concert, artiste aimé de tous qui avait nom Libert. Puis ce fut " En revenant de la Revue" et " Le Père la Victoire", deux chansons lancées par le célèbre Paulus et qui rapportèrent une véritable fortune. Au même moment la vogue fut également au "Bi du Bout du Banc" et, plus tard, "La Machtagouine", chanson auvergnate dénommée le plus souvent sous le nom de "Layouska", qui précéda "La Fille du Rémouleur" que j'ai interprétée pendant plus de dix ans.

Quelques années plus tard, Mayol lança " Viens, Poupoule !", refrain qui fit le tour du monde, alors que pour ne pas rester en compte le populaire Polin lançait à son tour " La Petite Tonkinoise", sémillante chanson du réputé compositeur Christiné (3) .


(3) Plus précisément de Vincent Scotto.


Et, enfin et surtout, la fameuse " Madelon", chanson de Louis Bousquet, lancée également par Polin et Bach, mais principalement par tous les poilus de France !

De nos jours, une simple chanson de trois ou quatre couplets peut, si elle devient extrêmement populaire, rapporter plus de cent mille francs à son auteur s'il en est en même temps l'éditeur. N'allez pas cependant en conclure qu'il suffit de se mettre à écrire des chansons pour devenir rapidement millionnaire, car, hélas ! on ne met pas dans le mille à tout coup et bon nombre d'auteurs très intelligents, possédant des centaines d'œuvres à leur répertoire, en sont encore à attendre un de ces succès !

La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique ne prélève pas ses droits uniquement dans les salles de cafés-concerts et de concerts. Les music-halls, les cirques, les bals, les dancings, les cinémas, les phonographes, les orgues des chevaux de bois, pour minimes qu'elles soient, lui paient égaleraient une redevance. Les musiques militaires ne sont pas astreintes à payer des droits d'auteurs lorsqu'elles jouent par ordre; quant aux sociétés musicales des départements, la taxe qui leur est imposée ne grève pas beaucoup leur budget tout en venant grossir celui de la Société qui a exactement réparti, au cours de l'année 1927, la coquette somme de trente millions sept cent vingt-sept mille sept cent trente-trois francs soixante et onze centimes.

Je suis assez bien placé pour me rendre compte des progrès toujours croissants de la Société, car c'est en 1879 que j'eus l'avantage de toucher mon premier trimestre au siège qui était alors au n° 17 du faubourg Montmartre, et je vous avoue que je n'eus pas besoin d'avoir recours à un commissionnaire pour porter jusqu'à mon domicile le sac dans lequel je venais de placer la somme représentant la première perception de mes droits d'auteur!...

Cependant, loin de me décourager, je me mis à la besogne et peu d'années après j'étais agréé comme sociétaire définitif ; ce nouveau titre n'était pas sans me procurer une certaine satisfaction, car, en dehors du petit côté honorifique, il m'assurait le droit à la pension.

Hélas ! cette pension était alors tout à fait minuscule... On commença par la fixer à cent francs par an pour les sociétaires définitifs âgés de soixante ans. Ah ! dame, les ressources de la Société étaient très limitées et ne lui permettaient par conséquent pas de faire des largesses. Cependant la pension ne tarda pas à être portée à 200 francs, puis à 400 et finalement à 600 francs.

Enfin, le budget de la Société poursuivant sa marche ascendante, il fut décidé qu'on diminuerait la limite d'âge, et pour avoir droit à la retraite il suffisait d'avoir 58 ans, puis 57 et finalement on s'arrêta à 55 ans. Nous voilà, je crois, au point terminus, on ne peutraisonnablement servir une pension à un sociétaire âgé de moins de 55 ans, surtout si l'on tient compte que la pension portée à 700 francs en 1917 est actuellement à quatre mille deux cents francs.

Bien des gens ne se font pas une idée exacte du respect qu'on devrait professer à l'égard des droits des auteurs, car des milliers de mes confrères ne vivent absolument que de cela, et si les droits de perception ont depuis peu d'années augmenté dans de sensibles
proportions, c'est uniquement parce que la cherté de la vie a fait de même : le minuscule bifteck que le petit auteur ou le musicien obtenait dans son modeste restaurant pour la modique somme de 60 centimes lui coûte maintenant de 3 fr. 50 à 4 francs, et... avec le bifteck, il faut le reste !

Vouloir esquiver, quand on le doit, le paiement des droits, ce serait vouloir ôter le pain de la bouche des ouvriers de la pensée !

Cependant nos représentants de province ont parfois beaucoup de mal pour se faire comprendre. C'est même, je dois l'avouer, cette situation qui a motivé le présent article.

Je vais me résumer en vous déclarant que c'est par milliers, vous entendez bien... par milliers, que jugements et arrêts ont été rendus en faveur de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, contre les délinquants récalcitrants ! Et si j'insiste sur ce point, ce n'est certes pas pour étaler ici la toute-puissance de cette très importante Société, mais plutôt, mais surtout, pour ouvrir les yeux aux intéressés :

"Tout propriétaire de salle de spectacles, tout cafetier, tout restaurateur ou aubergiste qui fait appel, pour attirer sa clientèle, au concours d'un orchestre ou même d'un seul musicien, celui-ci jouerait-il de la clarinette, de la guitare, de la vielle ou de l'accordéon,doit, avant toute chose, demander. une autorisation à l'agent local."

Vouloir se soustraire à cette obligation, ce serait aller au-devant d'un procès qui doit être, d'avance, considéré comme perdu par le tenancier récalcitrant !

Que ce soit bal, que ce soit concert ou représentation quelconque, une entente préalable est indispensable pour s'éviter des ennuis.

Ceux qui ne profiteront pas de mon avis auront sûrement à le regretter, et alors... je ferai chorus, car, le cas échéant, je le regretterai aussi pour eux... Mais vous savez bien que lorsque les regrets se manifestent, c'est qu'il est déjà trop tard pour parer le coup !

De plus. et sans être tenus de se montrer courtois à l'excès, les tenanciers d'établissements auraient tort de tenir rigueur à l'agent qui vient percevoir les droits. Cet agent n'est, en somme, qu'un instrument. Il remplit sa fonction, il est donc déplacé de le mal recevoir.

Les directeurs de grands établissements ont des traités ou des abonnements et les difficultés ne surissent le plus souvent que chez ceux qui, dans les petites communes, organisent par hasard une représentation quelconque, lorsque l'agent, au cours de cettereprésentation vient exiger soit le pourcentage, soit une somme fixe.

On pourrait, en parlant de lui, dire à ces organisateurs ignorants : ol est représentant des droits d'auteurs en somme Or, pourquoi discuter ? Evitez par ailleurs Lorsque sur la recette... Il vient ôter la somme De dire : celui-là... vient pour les droits d'auteurs !

Journal de Bergerac.

Désespéré de ne pouvoir obtenir
à la scène l'uniforme militaire


LA CENSURE

Il y a quelques années, il avait été question, à Paris, de rétablir la censure ; j'entends la censsure des théâtres, des music-halls et des cafés-concerts ou établissements similaires.

La censure parisienne exerçait autrefois avec une rigueur excessive. Il me souvient que vers 1876, rue de Valois, le ministère des Beaux-Arts était pourvu de trois censeurs, dont l'un surtout était irréductible.

Ce fonctionnaire avait nom Bourdon ; il était la terreur des auteurs et des interprètes; grâce à lui, le public du moment déclarait, non sans raison que les pièces, les saynètes et les chansons étaient, le plus souvent, dépourvues d'esprit.

Ces réflexions étaient justifiées, car lorsque la censure laissait dans le texte quelques phrases amusantes, c'est parce que ces œuvres, grandes ou petites, avaient eu la chance de passer par les mains des censeurs Julien Sermet ou Gonnet; mais malheur à celles qui subissaient la lecture du farouche M. Bourdon. Il y trouvait toujours des sous-entendus pour lesquels il se montrait impitoyable, des sous-entendus auxquels les auteurs n'avaient même pas songé en écrivant leurs œuvres.

C'est à cette époque que j'avais apporté à Paris la chanson militaire, et ce M. Bourdon était mon cauchemar ! En voilà un qui pouvait se flatter de troubler mon sommeil et mes rêves de jeunesse !

Non seulement il m'interdisait de dire le moindre mot rappelant la caserne, mais encore il me défendait de présenter à la scène le moindre insigne militaire.

J'étais donc contraint, dans mes créations de troupier, de parler de toute autre chose que de ce qui peut logiquement arriver à un tourlourou, et devais, par surcroît, me composer un accoutrement ne pouvant pas trop rappeler celui du fantassin.

C'est ainsi que, de 1876 à 1890 (et ça m'a semblé long), j'interprétais mes créations militaires vêtu d'un pantalon blanc, d'une veste petite tenue, mais à cette veste, pas un seul bouton de cuivre, rien que des boutons en os, et enfin, des gants blancs, puis, comme coiffure, une perruque à cheveux ras, car, tout à fait au début, le képi était interdit. Ah ! ça... c'était le plus dur ! pas de képi... il fallait que le public y mît beaucoup de complaisance pour s'imaginer voir en scène... un troupier ! et, détail paradoxal, du simple pioupiou au colonel, l'uniforme militaire dans sa totalité, était permis dans les pièces.

Vers 1892, Polin fut plus heureux; la censure commençait à faire de larges concessions, et mon camarade Polin put, petit à petit, arriver à chanter en vrai tourlourou, le plus souvent en cavalier.

Il est certain que Polin (en dehors de son mérite personnel) fut extrêmement veinard de ce fait qu'il arriva au bon moment, alors que pendant près de quinze ans je venais de ronger mon frein. en lutte perpétuelle avec un rigorisme véritablement inqualifiable. A mon époque, j'ai vu interdire des chansons dans lesquelles l'auteur avait risqué le mot "cocu" dont Molière avait cependant largement usé.

L'exclamation , "nom de nom" était à peine tolérée, et le Concert du XIXe siècle faillit un soir fermer ses portes parce que dans une chanson intitulée "J'n'ai pas osé", mon camarade Stainville, en parlant de sa voisine, au lieu de dire

J'ai voulu lui prendre un baiser,
Mais d'vant le s'rin qui me voyait faire,
J'n'ai pas osé
,
J'n'ai pas osé.

Le malheureux avait dit

Mais d'vanl le chat qui me voyait faire,
J'n'ai pas osé,
J'n'ai pas osé.

Il fallut recourir à une foule de supplications pour que l'établissement ne fût pas fermé pendant trois jours !

Et la note actuelle me fait, malgré moi, penser aux criantes exagérations dont les meilleurs artistes d'autrefois étaient victimes. Je puis en donner ici une nouvelle preuve.

Vers 1890, les Folies Bergère présentèrent un numéro qui eut une certaine vogue, c'était les luttes de femmes et, les auteurs de la revue annuelle de l'Eldorado, toujours à l'affût des actualités, eurent l'idée de faire une parodie de ces luttes féminines. Ils choisirent à cet effet les deux artistes de la troupe qui, par leur plastique, paraissaient se prêter le mieux à l'exécution de cette scène. L'une de ces artistes s'appelait Mazedier et l'autre Fernande Caynon. Elles épousèrent par la suite deux tourlourous car la première est devenue Mme Polin, et la seconde Mme Ouvrard.

Or, vous devez bien vous imaginer que pour parodier les lutteuses des Folies Bergère, ces deux artistes ne pouvaient se présenter en robe de soirée. Elles entrèrent donc en scène, le soir de la répétition générale et privée, vêtues d'un maillot complet, puis d'une trousse dans le genre de celle que portent les femmes gymnasiarques, la tenue n'avait donc rien qui puisse choquer le regard le plus prévenu.

Cependant j'entends et je vois encore le père Bourdon s'adressant à la directrice, Mme Allemand :

"Mais n... de D..., madame, vous ne doutez de rien... Vous finirez bien par les f... toutes nues vos artistes !..."

Cet irascible censeur n'avait pas l'air de s'apercevoir que ce qu'il y avait de plus outrageusemen décolletté... c'était son vocable !

C'est égal... quand je songe à cette pruderie outrée à l'endroit de deux artistes qui, en dehors de leur visage et de leurs bras, ne laissaient pas voir deux centimètres de leur épiderme, je me demande ce que cet intempestif Bourdon aurait pensé... des modes
actuelles qui permettent d'en montrer à la ville beaucoup plus qu'on ne lui en présentait en scène ! Et je me fais alors une idée de l'indescriptible état dans lequel eût été mis ce chatouilleux censeur si, à cette époque, on lui avait, sans préambule, offert tel qu'il est de nos jours le numéro de Joséphine Baker ? ! Ah ! alors... c'eût été plus que la colère, plus que la furie... c'était sûrement... l'apoplexie !

Il ne se serait pas contenté de faire fermer l'établissement, bien sûr, il l'aurait fait brûler et... toute la troupe avec !

Journal de Bergerac.

Mistinguett en 1911


IMPARTIALITE SUR MISTINGUETT

Tout d'abord, ce n'est pas sans un certain plaisir que je puis annoncer à nos lecteurs que le Journal de Bergerac compte à Paris un nombre appréciable d'abonnés. Or, parmi ces derniers, il en est un qui m'adresse une longue lettre pour me dire que, connaissant mon impartialité coutumière, il a éprouvé quelque surprise en constatant que dans un de mes précédents articles j'avais l'air de me laisser aller à un tantinet d'acharnement à l'endroit de Mlle Mistinguett : car, ajoute mon correspondant, ce n'est pas la première fois, il me semble, que vous parlez de cette artiste dans des termes peu flatteurs.

Je commence par déclarer que rien, absolument rien, ne m'incite à l'égard de Mlle Mistinguett; je n'ai contre elle aucun grief, et c'est précisément parce que je veux continuer à faire preuve de l'impartialité qui m'est propre, qu'il peut m'arriver parfois de m'insurger contre les exagérations qui se produisent à son profit.

D'ailleurs, je ne m'occupe pas de discuter les petits, ceux qui sont dans l'ombre. Les petits et les humbles ont, au contraire, le droit de compter sur nous. Il est de notre devoir de les aider, moralement et matériellement, et, lorsqu'il nous est impossible de le faire, nous devons tout au moins leur laisser la paix.

Il est certain que les agissements d'un tout petit boutiquier ne me mettraient pas en émoi comme pourraient à l'occasion me mettre en émoi ceux de M. Loucheur ! (Ceci, bien entendu, n'est qu'une figure.)

Or, si je discute sur les qualités artistiques de Mlle Mistinguett, c'est tout simplement parce que Mlle Mistinguett bénéficie à Paris d'une situation véritablement unique ! une situation formidable ! et dont il n'existe probablement pas de précédents !

Ce n'est veut-être pas sans étonnement que mes lecteurs apprendront que l'Opéra et la Comédie-Française ne possèdent pas une pensionnaire, palpant les émoluments de cette artiste de music-hall.

Mlle Mistinguett gagne au Moulin Rouge (tenez-vous bien) cinq mille francs par jour !... Vous avez bien lu : par jour. Et comme elle hausse au paroxysme l'art du commerce, elle palpe, en plus, un pourcentage sur les programmes, puis sur l'édition des chansons qu'elle lance, sans compter tout ce que lui rapportent les réclames commerciales que parfumeurs et autres font autour de son nom.

Elle encaisse donc, à elle seule, plus que les soixante-quinze artistes qui l'entourent dans l'établissement où elle professe. Eh bien, je me permets de trouver cela excessif ! excessif! excessif !

Si elle palpait trois ou quatre billets de cent francs par soirée, je n'en parlerais pas... mais cinquante... non... Ça gueule !

Ce n'est pas pour sa jeunesse. Elle a cinquante six ans !

Pour sa beauté ? la presse parisienne a assez blagué son piano.

Pour sa voix ? Elle se contente d'avoir de l'organe, mais il lui serait totalement impossible de filer un son.

Pour son talent ? Elle retombe constamment, et malgré maints détours, dans ses pierreuses et ses gigolettes, dont elle s'est fait, depuis de trop longues années, une spécialité.

J'entends d'ici certains de mes lecteurs s'écriant étonnés : "Mais... saperlotte, comment peut-il se faire que, dans de telles conditions, une artiste arrive à ,gagner des sommes si fabuleuses? II faut bien tout de même que l'emballement du public vienne aider cette vogue, car... s'il en était autrement..."

Eh bien, voilà précisément l'éclaircissement du problème :

"De nos jours, et à Paris surtout, bien des artistes que le public apprécierait et applaudirait sont assez rarement engagés, alors que d'autres deviennent le véritable objectif, non pas du public, mais des directeurs.

"Au cours de mes nombreuses visites à la capitale, j'ai pu constater, bien tranquillement, bien froidement, sans le moindre parti-pris, que, pour certains artistes en grande vedette, le public ne marchait pas du tout ! Seuls les directeurs de grands music-halls ou de théâtres se font une gloriole de s'arracher à prix d'or tel ou tel artiste... Alors... le tam-tam exécuté par les uns et par les autres sur le nom de cet artiste fait qu'un beau jour, par la puissance de cette réclame, ce nom devient une réelle valeur, une véritable source à exploiter. Voilà toute l'histoire. Il en est ainsi de bien des produits, qui, sans la réclame, n'auraient jamais fait leur chemin !

L'artiste à qui tombe une telle aubaine en fait naturellement son profit, mais il est pour ainsi dire à peu près seul à gagner dans la combine !

Bien entendu, il trouvera ce résultat très naturel et mettra ce qui lui arrive sur le compte de son talent, de son seul talent ! il croit évidemment que... c'est arrivé !

Revenant à Mlle Mistinguett, le reconnais volontiers que peu de femmes de 56 ans pourraient faire preuve d'une aussi extraordinaire souplesse acrobatique. Comme ressort, comme résistance, comme énergie, elle est absolument remarquable.. Elle se fait traîner par les cheveux, rouler dans un tonneau, mais tous ces trucs là n'ont rien de bien artistique. Elle trouverait plus de difficultés à bien dire un simple monologue.

Mais toutes ces javas, toutes ces valses chaloupées, tous ces renversements n'ont rien de si renversant pour motiver le chiffre de cent cinquante mille francs par mois ! La Duse, Réjane et même notre grand Sarah n'ont jamais pu arriver jusque-là ! Et leur talent était bien, je crois, à la hauteur de celui de Mistinguett, sur laquelle je ne dis ici que la vérité, ce qui ne l'empêchera en aucune façon de voir continuer le cours des triomphes que lui valent les coteries d'admirateurs faux ou sincères.

Je ne retirerai donc de mes démonstrations que la satisfaction de ne pas jouer les moutons de Panurge. Je persiste, de la sorte, à me parer d'impartialité, car, tout compte fait, mes déclarations sur cette artiste ne sont pas plus exagérées que si, parlant d'un nègre, je me permettais de constater que son visage n'est pas blanc !

Le Journal de Bergerac.

 

UN PARTISAN

Au lendemain de la publication du précédent article, un lecteur me demande si j'étais officiellement fixé sur les appointements de Mlle Mistinguett ? Je lui réponds que les artistes de music-halls sont pour ainsi dire tarifés et, dans tous les milieux artistiques, Mlle Mistinguett passe pour gagner cinq mille francs par jour; si je l'ignorais ou si j'hésitais à m'en convaincre, la note de mon confrère Clément Vautel serait venu me rassurer, car, dans son " Film" du 30 mars 1928, je lis dans Le Journal :

Un maréchal de France gagne deux cent cinquante francs par jour, Mlle Mistinguett gagne cinq mille francs par jour.

Au reste, quelle que soit la forme sous laquelle on présente la chose, ce n'est pas abaisser une artiste que d'étaler l'énormité de ses appointements, c'est au contraire augmenter sa réclame. Et dès qu'il s'agit de Mistinguett, Clément Vautel ne rate que très rarement cette occasion. Oh ! il n'en dit pas très long... Rien qu'un petit mot par ci, par là, mais il le place avec une telle adresse... Ah ! le brigand ! Une adresse incomparable, parbleu !...

- Possible, me dit mon interlocuteur, mais vous dites qu'elle a 56 ans !

- Et alors  ...

- Alors, permettez-moi de vous dire que lorsqu'elle est en scène, moi, je lui donne trente ans..

- Vraiment !... Eh bien, monsieur... C'est vous qui allez fort !

- Parce que ?

- Parce que trente ans que vous lui donnez... avec les 56 qu'elle a... Voyez où ça va ! !


TRIOMPHE DU MUSIC-HALL

La victoire du café-concert sur les préjugés s'est affirmée depuis de longues années. Toutefois, cette victoire du café-concert, qu'on appelle aujourd'hui music-hall, n'a jamais été aussi éclatante que de nos jours.

En parlant ainsi, mon allusion ne s'adresse pas au café-concert lui-même, car, en l'occurrence, ce qui m'intéresse, ce sont les bons artistes de café-concert.

De beaucoup supérieurs aux artistes "moyens" qui professent dans les théâtres, ceux du café-concert ont pu, en bien des circonstances, constater avec amertume le peu d'importance que bien des spectateurs ignorants attachaient jadis à leur personnalité.

Il suffisait, autrefois, qu'un artiste déclarât qu'il chantait au café-concert pour voir aussitôt une moue plus ou moins caractéristique se dessiner sur le visage de son interlocuteur, tout comme s'il s'agissait d'une déchéance !

Par contre, lorsqu'une chanteuse (bien que très mauvaise) pouvait déclarer qu'elle venait de jouer Faust à Carpentras ou La Juive à Pézenas, elle voyait autour d'elle s'exorbiter des yeux admiratifs ! Cependant, en bien des cas, le meilleur des deux était l'artiste de café-concert.

Malheureusement, et de tout temps, bon nombre de spectateurs confondent entre l'importance de l'œuvre et celle de l'interprète. Pour la plupart, il suffit qu'un artiste joue une tragédie en quatre actes ou bien un opéra, pour qu'ils s'imaginent que ce doit être forcément un grand artiste ! Alors qu'un artiste pourvu d'une extraordinaire abondance de moyens viendra dire une chansonnette ou un monologue, ces mêmes spectateurs le considéreront comme un petit artiste !

La logique, le plus souvent, exigerait une appréciation absolument opposée.

Dans l'ouvrage de 300 pages que j'ai publié en 1894, je disais, au chapitre qui se rattache à cette question :

"L'art est un. Il n'y a pas le grand et le petit art; pour faire de l'art, il faut être artiste, et nous avons de réels artistes au café-concert."

Cette affirmation pouvait, à l'époque, être discutée; or, j'ai la satisfaction d'avoir vécu assez longtemps pour la voir aujourd'hui admise et même applaudie. Mais seulement, il est vrai, dans les milieux où l'intelligence et la sincérité ont aboli le parti-pris !

Je ne pouvais pourtant pas, jadis, nie donner en exemple, puisque je faisais les deux, tantôt du théâtre, tantôt du concert. Il m'arrivait même parfois - dans la même soirée - de jouer une pièce ou bien une revue, précédée de mon numéro de chant. Eh bien, je tiens àdéclarer que, seul, mon numéro de chant me préoccupait. Lorsqu'il était terminé, je disais: "Ah ! maintenant... je respire, je n'ai plus que la pièce à jouer... C'est moins important. Ça ira tout seul !"

Avant de terminer, voyons un peu ce qui se passe à Paris depuis quelques années.

André Antoine, le plus autorisé de nos critiques parisiens et qui trouve, lui, un grand talent aux as du café-concert, eut un jour, alors qu'il était directeur de l'Odéon, l'idée d'essayer le comique Dranem dans Le Malade imaginaire. Ce fut un succès. Après Dranem, il essaya mon regretté camarade Vilbert. Ce fut un triomphe ! Et voilà que Gémier, actuellement directeur de notre seconde scène, se souvenant des précédents, vient de présenter le comique Boucot dans Les Fourberies de Scapin.

Je pourrais encore vous citer mon camarade Polin, qui fut longtemps au café-concert mon interprète et qui, à côté de Guitry et de Sacha Guitry, obtint au théâtre les plus brillants succès !

Nous avons aussi Tramel, le sympathique Bouif, qui fit pendant des années les délices de divers concerts avant de passer au théâtre. Le désopilant Sinoël en fit autant; Raimu, Dorville, Morton et Pauley sont partout recherchés !

Il me serait facile de vous servir plusieurs exemples du résultat contraire, car pas mal d'artistes de théâtre, croyant qu'ils seraient portés en triomphe au music-hall s'ils daignaient l'honorer de leur présence, ne tardèrent pas, étant donné les difficultés qu'ils avaient à vaincre, à s'apercevoir, un peu tard, qu'ils avaient été victimes de leurs illusions.

Conclusion :

Je ne prétends pas qu'un artiste de café-concert pourra s'imposer au théâtre s'il est "quelconque", mais s'il est bon, il y réussira d'emblée.

Tandis que j'attends encore l'artiste de théâtre capable de révolutionner, pendant de longs soirs, le public du café-concert.

Journal de Bergerac.
reproduit dans Les Coulisses
.


TOUT SEUL

Et maintenant, laissez-moi vous déclarer que parmi les vedettes actuellement au théâtre et sortant du café-concert, certaines n'avaient pas totalement réussi autrefois, dans ce qu'il est convenu d'appeler... "un numéro de chant".

Le public ne se fait pas toujours une idée exacte de la difficulté inouïe que comporte un intéressant ? numéro de chant ?, qui consiste pour un artiste à se présenter seul en scène et à tenir ses auditeurs en haleine pendant vingt, vingt-cinq ou trente minutes.

Tout seul !...

Ce qui signifie que, contrairement à ce qui se produit dans une pièce théâtrale, cet artiste n'a plus à compter sur le concours de ses partenaires pour l'aider sur une réplique et servir des effets parfois irrésistibles (résultat d'une bonne collaboration scénique), pas plus que sur de désopilantes situations créées par le ou les auteurs de cette pièce, car n'oublions pas qu'au théâtre les effets produits par une situation heureuse dépassent, la plupart du temps, ceux que l'on peut attendre du texte.

Or, lorsqu'un artiste se présente seul, qu'il opère seul et qu'il termine seul, il n'a vraiment qu'à compter sur lui, tant pis s'il se trompe sur le choix de ses chansons, le public n'entre pas dans ces détails.

Il faut donc à cet artiste une assurance complète, une confiance en lui-même tout à fait spéciale, une conception remarquable dans l'interprétation.

En un mot, il a besoin de mettre dans le mille à tout coup, autrement il est perdu !

Combien d'artistes de théâtre très recommandables, qui vous ont intéressé pendant trois heures à l'aide d'une pièce en quatre actes, vous auraient probablement lassé si vous aviez eu à les écouter isolément durant vingt minutes.

Au reste, les erreurs "d'impressions" sont fréquentes au théâtre. Il fut un temps où le public ne trouvait, en réalité, du talent qu'aux interprètes de la tragédie, du drame, etc... de sorte que pour avoir le respect de ce public, pour gagner sa considération, il était presque indispensable de servir la note sérieuse et même triste parfois !

Les temps ont bien changés. C'est la note gaie qui de nos jours l'emporte, puisque les très gros cachets sont encaissés par les Max Dearly, les Dranem, les Chevalier, etc., déjà nommés.

Ce qui prouverait que ceux qui savent trouver le chemin de la rate ont tout autant de mérite que ceux qui visent à trouver constamment celui du cœur.

Faire "rigoler", mais alors bien franchement, cela est, en effet, tout aussi difficultueux que de faire pleurer.

Nous avons même de joyeux comiques qui, me rappelant ceux du bon vieux temps, atteignent à la fois les deux résultats...

Ceux qui arrivent à nous faire pleurer de rire !

Journal de Bergerac,
reproduit dans La Petite Gironde.


ETOILES MODERNES

Parmi les étoiles du moment, et en dehors de toutes celles déjà nommées, nous devons, du côté des dames, citer tout particulièrement Mme Turcy en possession d'un talent très solide. Mme Damia, à la fois tragédienne, diseuse et chanteuse. Mme Paulette Darty, dont la récente réapparition a comblé de joie ses très nombreux admirateurs.

Du côté du sexe fort, j'ai remarqué Aimé Simon-Girard, aux moyens multiples, au visage sympathique, à l'allure distinguée tout en étant absente de prétention, ce qui est à considérer.

Vous parlerai-je de Cariel ? Ce dernier n'a pas d'âge, il fait partie des étoiles anciennes, présentes et... futures. Dans son numéro personnel, il est extrêmement intéressant.

Mlle Olga Chassaigne


Le Couple Birdiski


DANSEURS

Depuis une dizaine d'années, la danse - je n'ai pas besoin de l'affirmer - a pris une considérable extension.

A Paris et aussi en province, le nombre des dancings semble... incalculable ! mais au Music Hall, ce fut une frénésie qui, malgré tout, commence un peu à se calmer. Cependant on a toujours dansé plus ou moins et, plus ou moins, l'on continuera, c'est fatal !

A Paris, les revues nous ont présenté des couples véritablement stupéfiants, mais les émules de Terpsichore se révèlent un peu partout... voire sur le sol bergeracois !

En mars 1924, j'ai été, je crois, le premier à signaler les remarquables dispositions de la très jeune Olga Chassaigne et lui prédire le plus riant avenir; mes appréciations pouvaient à ce moment-là paraître un peu... prématurées, car Mlle Chassaigne avait à peine treize
ans. Mais voilà que trois ans après, elle était engagée comme première danseuse travestie au Grand Théâtre de Bordeaux. Puis, cette année, dans un grand concours organisé dans cette riante ville, Mlle Chassaigne obtint le 1e prix de beauté, agréable détail qui, chez unejeune artiste, ne peut qu'ajouter à sa gloire.

Bergerac a également donné le jour au sympathique Bordieu qui tout gosse s'escrimait à faire des pointes et des ronds de jambes et qui, finalement, a débuté au Music-Hall sous le nom de Birdiski dans un numéro à transformations pour lequel j'avais composé les
couplets qui précédaient la danse.

Il avait le don de pouvoir faire des pointes tout comme une danseuse-étoile d'opéra, difficulté dont un homme n'arrive que très rarement à se rendre maître.

Enfin il épousa, il y a deux ans, une exquise danseuse avec laquelle il créa un numéro qui leur permit de faire avec succès, non seulement le tour... de la scène, mais aussi... le tour du Monde !

Oscar Dufrenne


OSCAR DUFRENNE LE PHILANTROPE MODERNE

Je consacre ce chapitre à M. Oscar Dufrenne, et mes lecteurs, je l'espère, applaudiront mon idée, étant donné l'indiscutable valeur de ce philantrope qui, malgré l'écrasante charge à laquelle il fait face dans ses nombreuses entreprises commerciales, ne cesse de faire le plus de bien possible à ses semblables.

Oscar Dufrenne est simplement un ex-artiste de théâtre et de café-concert, doublé d'un homme de cœur et doué d'une intelligence remarquable. C'est donc au service de son bon cœur qu'il n'a cessé de mettre les étonnantes facultés de son cerveau.

Émile Labbé, violoniste de talent, qui était devenu grand propriétaire en Dordogne, m'avait, en 1920, parlé de ses débuts difficiles et également de ceux de son camarade Dufrenne.

Evidemment, sur le pavé de Paris, les ressources ne manquent pas, mais, pour les découvrir et les mettre en œuvre, il faut être actif, énergique, et surtout sympathique.

Or, Oscar Dufrenne, réunissant toutes ces qualités, devint un jour directeur du théâtre qui me rappelle mes débuts à Paris. Ce théâtre s'appelait alors le XIXe Siècle, et devint le théâtre du Château-d'Eau lorsque Dufrenne en prit la direction. Il le céda en 1913 à MmeBenoit, éditeur, pour devenir directeur du Concert Mayol.

L'étonnante transformation qu'il opéra dans ce deuxième établissement le mit en vue du Tout Paris s'intéressant aux questions théâtrales, et, en très peu d'années, Oscar Dufrenne devint consécutivement directeur du Concert des Ambassadeurs, aux Champs-Elysées, du Casino de Trouville, puis en collaboration avec le réputé revuiste Varna, directeur du Palace, il créa l' Empire, qui est bien le plus colossal music-hall de Paris. Il fut entre-temps élu président de la Chambre syndicale des Directeurs de spectacles de France.

Enfin, j'arrive au but principal du présent article, car il vient d'accomplir un acte unique, un acte évidemment sans précédent et dont les complications exigent une ténacité véritablement prodigieuse !

Personne n'ignore qu'il existe à Pont-aux-Dames une maison de retraite pour les vieux artistes. Cette maison a été fondée par feu Constant Coquelin, le célèbre artiste.

Les pensionnaires, hommes et femmes, y sont nombreux, et, dans ces derniers temps, vu la cherté de la vie, le bien-être pour ces vétérans tendait à disparaître. C'est alors que Dufrenne en devint président d'honneur et qu'à l'aide de ses propres deniers il sut pallierla situation; il fit, de plus, un pressant appel à la générosité de grands restaurateurs de Paris, dont la plupart adressent maintenant, chaque mois, un dîner chaud aux soixante artistes de la maison. Certains que je connais en province font aussi d'aimables gracieusetés.

Mais Oscar Dufrenne, une fois encore, ne s'en tint pas là. Un beau joui, il se rait en quête, fit la revision de tous ses amis. Il en choisit cent parmi les plus fortunés, il les réunit et les décida à... Écoutez çca ! il les décida à donner à la maison de vieux artistes cent mille francs par an pour que les vieux copains ne soient pas trop malheureux ! Cent mille francs, soit mille francs que chacun doit verser. Mais ce n'est pas tout !

Il les décida du même coup à s'engager par testament au perpétuel versement de cette somme que leurs héritiers auront à continuer après leur mort !

Imaginez-vous la dose de persuasion que ce brave Dufrenne a dû déployer pour convaincre ses cent amis, pour les amener à s'associer à cette aimable donation. Il ne suffisait pas, en effet, de frapper à la bourse d'une collection de richards, il fallait surtout que ces richards soient de nature à partager ses bons sentiments, car n'oublions pas que lui s'est inscrit dans les mêmes conditions pour dix mille francs par an ! Pour entreprendre une chose aussi grandiose, il fallait être... Oscar Dufrenne, et vous vous rendez compte de la façon dont il faut être placé à Paris et l'abondance de bonnes relations qu'il faut y avoir !

Eh bien, ce geste sublime qui devrait servir d'exemple, a pris naissance chez un ex-artiste de théâtre et concert. Messieurs les gros industriels, et vous aussi les grandissimes producteurs, vous voilà devancés. Mais ne vous en formalisez pas, retrouvez votre sourire; il n'est jamais trop tard pour bien faire. Vos nombreux collaborateurs de la classe ouvrière (ouvriers et cultivateurs) attendent de votre part quelque chose d'équivalent.

La coterie des artistes a toujours eu pour devise : A bas l'égoïsme ! Vive la confraternité !

Dans ce superbe concours d'harmonie, c'est Oscar Dufrenne qui vient de donner le la, certainement d'autres suivront.

Le Journal de Bergerac.

C'est Ouvrard qui est dans levrai
J'avais oublié d'en informer Rivollet.




DES PREUVES !

Quand on se permet d'apporter des contradictions, il est bon en même temps d'apporter des preuves. Récapitulons :

A propos de Maurice Chevalier, j'ai dit que M. André Rivollet avait commis erreur ou oubli, or, la photo comportant la dédicace et la signature de Maurice est venu confirmer mes déclarations, c'est une preuve.

A propos de "La Madelon", tout le monde sait bien que la véritable est de Louis Bousquet.

A propos de Dranem, il est encore de nombreux survivants qui confirmeront ce que j'ai dit au sujet de la fondation de la Société de Secours mutuels des artistes lyriques par Jules Pacra, qui, pour son œuvre, n'aurait obtenu, lui, aucune distinction si je ne m'en étais pas très sérieusement occupé, comme le prouve la lettre de remerciements reproduite ci-dessous et signée dudit camarade Pacra père.

A propos de Paulus, je possède toute une correspondance indiquant à quel degré notre amitié était établie et combien, mieux que personne, je suis autorisé à donner sur lui des détails démolissant de fantaisistes légendes et cette dédicace, sur la photo de sa fille,
suffirait à justifier cette prétention de ma part :

A M. et Mme Ouvrard
Les sincères et meilleurs amis du... Polpulaire
La filler reconnaissante
Henriette PAULUS.

A propos de Mistinguett. Beaucoup m'ont avoué penser exactement comme moi. Ils ont fait plus... Ils me l'ont écrit.

En 1894, je la vis à l'Eldorado chantant une chanson comportant l'imitation d'un chef d'orchestre, et, à cheval sur la boîte du souffleur, se livrant à des excentricités exagérées.

Je la perdis de vue pendant de très longues années, mais sa gigantesque réputation me laissait rêveur ! J'eus enfin l'occasion de la revoir un soir au Moulin Rouge où je la retrouvais avec sa chevelure courte et sa voix... idem, et malgré toute ma bonne volonté, je jure ici que je n'ai pu me convaincre qu'elle eût fait un pas dans l'affirmation d'un talentréel !

Ah ! pardon... Elle a eu celui de se créer des "à côté" fabuleux ! Les meilleures scènes dans les revues, des costumes d'une richesse imposante, un entourage se sacrifiant totalement pour assurer tous ses effets scéniques, des trucs, des décors, des machinations à n'en plus finir pour l'aider dans tout ce qu'elle désire atteindre. Sans compter que la Presse, sachant que depuis longtemps cette grosse erreur est admise, ne cherche même plus à discuter la valeur intrinsèque de l'artiste, pour laquelle il est convenu que l'encensement est de tradition, et que, vouloir éviter cet encensement, deviendrait presque téméraire !

Le judicieux Antoine a cependant, mais doucereusement, lancé un jour une toute petite pierre dans la mare aux grenouilles; son article du 29 juillet 1925 dans Le Journal et ayant pour titre : On demande autre chose, nous disait :

"Pour ne nommer personne, Mlle X... ou M. Z... restent persuadés que les scènes d'apaches et de gigolettes, les quiproquos obscènes qu'ils commandent et inspirent à leurs fournisseurs habituels assurent les succès les plus certains, sans s'apercevoir que même le public des promenoirs en est las, et que leur action sur lui s'affaiblit !"

Et plus loin... parlant des grands music-halls

"Donc, si nos étoiles qui, bien mieux que les comédiennes, font ce qu'elles veulent dans leur brillant royaume, cherchaient sérieusement autre chose, elles trouveraient et, pour nous, quelle joie de ne plus voir déparer ces spectacles magnifiques où éclatent l'invention et le goût de Paris, par des pauvretés et des niaiseries."

________

 

Les remarques de l'éminent critique n'ont pas été prises en considération et les scènes de gigolette ou quelque chose de très approchant, continuent de plus belle à ternir la beauté de ces revues, car cette note sied à Mlle Mistinguett qui ne peut se résoudre à la sacrifier.

Elle feint de ne s'être pas reconnue dans l'artiste visée par Antoine; la chose me paraissait pourtant assez facile.

Quelle serait donc l'autre artiste, faisant ce qu'elle veut dans nos plus grands music-halls et ayant un faible pour l'interprétation des pierreuses ou des gigolettes?

Je demande à faire sa connaissance...

Je pourrais d'ailleurs vous donner ici, sur Mlle Mistinguett, les appréciations formulées par d'autres journaux, notamment par mon confrère Candide, mais à quoi bon insister...

Je me bornerai donc à reconnaître que Mlle Mistinguett a depuis longtemps tout ce qu'il faut pour bourrer le crâne de ceux qui ne connaissent rien du métier et qui s'extasient devant les dimensions d'une queue de robe dorée, argentée, ou pailletée, en s'écriant:
Quelle belle artiste !

Et l'extase s'amplifie lorsqu'ils ont l'occasion de dire : "Comme elle descend bien les escaliers ! ! ! " Et sa descente s'accentue tous les jours !

Sa veine, sa réussite ont fini par lui donner une maîtrise qui s'explique, elle en use, elle en abuse, mais je me demande quelle est celle qui, se trouvant à sa place, n'en ferait pas autant?

On la dit d'ailleurs fort intelligente, je n'en doute pas le moins du monde; il ne m'est jamais venu à l'idée de la surnommer Miss Dinguette ! Mais tout ceci n'a rien à voir avec une valeur artistique. Je connais des gens extrêmement intelligents qui ne pourraient pasarriver à faire un artiste même médiocre, et par contre, parmi les disparus des deux sexes, j'en ai connus, tenant à grands fracas la vedette sans posséder une intelligence transcendante. J'ai même pu remarquer que certains "as" de la scène étaient affligés d'une légère piqûre !

Le très regretté Fragson s'amusait parfois à avaler les morceaux de savon qui traînaient dans les cuvettes des loges et il n'était pas rare qu'en pleine rue il absorbât quelques bouchées de crottin de cheval. D'aucuns trouvaient cela désopilant, moi je ressentais la pénible impression qu'on éprouve en présence d'un type qui n'est plus en possession de son axe !

Cela n'empêchait pas Fragson de se montrer en scène d'une irréprochable correction et de charmer sans effort son auditoire.

Il en était de même de l'illustre Villé que maintes fois l'oncle Francisque Sarcey se plaisait à désigner comme étant le plus fin diseur de son temps, ce qui n'était que justice. Or, Villé, malgré les intempérances dont j'ai été témoin, arrivait en (scène avec une stupéfiante assurance, ce qui indiquait bien que ses libations ne lui enlevaient pas la possession de ses moyens.

A ce point de vue, Villé ressemblait au grand Frédérick Lemaitre, qui ne jouait jamais mieux que lorsqu'il avait copieusement fêté Bacchus !

Certain soir cependant, son état d'ébriété était tel, que le public commença à murmurer puis, petit à petit, la houle s'accentuant... l'emboîtage survint ! Mais Frédérick Lemaitre, habitué aux chaleureuses ovations, ne s'expliquant pas, lui, l'enfant gâté du public, que celui-ci osât manifester autrement qu'en sa faveur, s'avança devant le trou du souffleur et, d'une voix formidable, lança... le mot de Cambronne !

Alors un tumulte indescriptible s'ensuivit ! et pendant un quart d'heure, la salle entière, sur l'air des lampions, se mit à chanter, à crier, à hurler : Des excuses !... des excuses !... des excuses !. ..

Du coup Frédérick se trouva dégrisé et, comme le directeur, craignant une véritable émeute, vint le supplier de calmer le public en lui donnant au plus vite satisfaction, l'artiste revint en scène au milieu d'un silence impressionnant puis, après avoir fait les trois saluts et d'un accent plein de conciliation, il dit aux spectateurs attentifs :

- Je vous ai insultés... C'est vrai... Je vous fais des excuses... j'ai tort.

Une véritable ovation souligna cette dernière phrase; le spectacle suivit son cours mais, à la sortie et après réflexion, bien des auditeurs dirent entre eux :

Avouons que Frédérick s'est bien payé notre tête ! Pour commencer, il nous a dit m..., puis il revient ensuite pour dire : Je vous fais des excuses... J'ai tort !

Evidemment, cela peut se prendre de deux façons, mais il appert que ce sacré Frédérick nous a déclaré qu'il avait tort... de nous faire des excuses !

Cette petite aventure fut tout à fait exceptionnelle car, je le répète, Frédérick n'était dans la plénitude de ses moyens que lorsqu'il n'en était plus à son premier verre !

Et puis, tous les artistes ne sont pas aussi facilement victimes des effets produits par le champagne ou autres boissons, que l'a été certain soir, Mlle Vandzan, l'inoubliable interprète de Carmen, qui, à l'Opéra-Comique, nous fit un soir dans Le Barbier de Séville,
assister à un petit scandale dont l'excellente artiste, malgré son indéniable talent, n'a jamais pu se relever... à Paris, bien entendu.

 

LE MAQUILLAGE

Le maquillage, indispensable à la scène, est tout à fait déplacé à la ville.

Indispensable à la scène car, au feu de la rampe, la femme la mieux dotée, en ce qui touche à la clarté du teint, paraîtrait avoir le visage sombre. Il faut donc l'éclairer à l'aide d'une légère couche de blanc gras ou liquide, et tant qu'on y est, le bâton de noir ou debleu doit agrandir les yeux et le bâton de rouge apporte aux lèvres un éclat d'agréable fraîcheur.

Mais tout ceci, je le répète, n'est admissible qu'à la scène, ce qui veut dire... à distance.

Hélas ! depuis quelques années de charmantes jeunes filles sont atteintes de l'idiote obsession du maquillage, et alors... ce n'est plus à distance... c'est à bout portant qu'elles vous imposent effrontément une frimousse disparaissant sous une couche de couleursdiverses !

Mélangez-moi dix jolies filles avec dix pécheresses carrément sur le retour, si toutes les vingt sont uniformément et outrancièrement maquillées, ma foi... je ne saurais établir mes préférences, je les classerai toutes ex-aequo !

Et je ne serai pas le seul !

Voilà le résultat obtenu par cette triste habitude de se peinturlurer la face !

C'est donc déplorablement maladroit de la part du beau sexe, en herbe, que de remplacer la fraîcheur enviable de la jeunesse par l'application brutale des peintures; de ces peintures qui, malgré les boniments de ceux qui les vendent ou les fabriquent, laissent leurs traces sur les vêtements de ceux qui s'en approchent.

De mon temps, la femme avait assez de retenue pour s'en tenir à la poudre de riz, dont elle ne faisait usage qu'avec modération. Aujourd'hui, cela tourne à la frénésie. En chemin de fer, en autobus, au café, au spectacle, ces dames exhibent leur sac à main, semirent un instant dans la glace qu'il contient et... en route pour un petit raccord !

En plein public, l'opération se manifeste : la poudre, le noir, le rouge, sont employés avec dextérité, on dirait que la "maquillée" met un certain orgueil à démontrer à quel point elle en connaît l'usage !

II y en a même qui vont fort !... Dans un cinéma, j'ai vu l'autre semaine une de ces excentriques transformer en appartement... oui, oui, en appartement, la loge qu'elle occupait d'ailleurs à elle seule...

Elle commença par absorber gâteaux, bananes et oranges; la loge était de ce fait transformée en salle à manger.

Ensuite, elle grilla deux cigarettes à bout doré; ça... c'était le fumoir.

Puis, au moment où la séance allait commencer, la daine se rafistola, se... réajusta et se poudra copieusement. Ça... c'était le cabinet de toilette.

Enfin voilà que le film se déroule, les lumières s'éteignent, si bien qu'un instant après, plongée dans la plus complète obscurité, je compris que mon excentrique voisine... roupillait !

Ça... c'était la chambre à coucher !

La belle maquillée ronflait absolument !

Une heure après, la lumière fit sa réapparition. Alors, aussi discrètement que rapidement, je risque un œil sur la belle, et... intérieurement, je me suis tordu car, à la suite de ce petit coup de sommeil, elle avait les yeux très gonflés ! Moi... c'était la rate...

Hélas ! le sommeil ne convient pas au maquillage, tout le travail était à recommencer...

Entretenir du matin au soir ce fastidieux subterfuge, cela devient donc une véritable corvée, un genre d'esclavage, et tout ça, je le répète, pour se donner un aspect qui n'a rien de bien sympathique.

Vivent les visages nature !

Mesdames, Mesdemoiselles, croyez-en l'impression générale. Tous ces fards, toutes ces poudres, toutes ces crèmes, c'est très... toc allons !...

La Liberté du Sud-Ouest.


QUESTION D'APPRECIATION

Je sais bien qu'il faut un certain courage pour s'attaquer à des réputations consacrées. D'aucuns diront que c'est plutôt de l'audace.

Cependant les Parisiens ne sont pas exempts d'erreurs et les leurs ont ceci de terrible, c'est qu'elles s'imposent souvent très longtemps !

A ceux qui s'en aperçoivent, à ceux qui ne partagent pas l'engouement créé à Paris, on reprochera d'être... province, de n'être plus... à la page, de s'épaissir...

Cependant, lorsqu'on a passé près de quarante ans dans la capitale et qu'on lui fait annuellement quatre ou cinq visites d'une durée de quinze jours chacune, on est tout de même autorisé à formuler ses petites impressions dont la qualité n'est peut-être pas inférieure à celle des appréciations que peuvent émettre les critiques permanents.

L'habitude, la terrible habitude, peut parfois nous trahir. Prenons, par exemple, le mari d'une très jolie femme; petit à petit ce mari arrive fatalement à ne plus s'apercevoir de la beauté de sa moitié.

De même que le mari d'une femme laide finit également par s'habituer à cette laideur qui impressionnera celui qui verra cette femme pour la première fois !

Alors, pourquoi voulez-vous que l'auditeur qui ne voit pas fréquemment une artiste ne la juge pas, s'il est qualifié pour cela, avec plus d'impartialité que celui qui ne va la voir qu'avec la conviction bien arrêtée qu'il la trouvera parfaite?

Le triomphe de Mlle Mistinguett n'est selon moi qu'une longue et grosse erreur. Je répète que je parle en toute franchise, sans le moindre parti pris; cette fantaisiste n'a absolument qu'uni voleur commerciale par suite de l'incommensurable réclame faite sur son nom par des impresarios successifs et emballés ! et je ne consentirais à juger la chose autrement que si Mlle Mistinguett effectuait avec succès une tournée européenne, mais une tournée Mistinguett non truquée, ce qui veut dire : présentant une Mistinguett toute seule,une Mistinguett non accompagnée en scène par une troupe de comparses, une Mistinguett laissant à Paris ses millions de décors, ses millions de costumes et d'accessoires et aussi son régiment de machinistes !

En un mot, je voudrais lui voir faire une tournée comme Paulus, moi, et bien d'autres en faisions dans le temps, et comme en font encore les Perchicot, Bertin, Georgel, Yvette Guilbert, etc., qui partout obtiennent en se présentant seuls en scène, le maximum du succès.

Eh bien.., si Mlle Mistinguett réussit à se faire applaudir au cours d'une tournée de ce genre, je consentirai à reconnaître que moi seul me suis trompé, que moi seul suis un fou, et je consentirai alors à ce que l'on m'attache... n'importe où... même dans une ambassade !


AU RIDEAU !

Et voilà, c'est je crois le moment de baisser la toile.

Je m'étais tracé un programme, je l'ai suivi de mon mieux, exposant mes impressions personnelles tout en ayant soin de ne pas m'écarter de la vérité, espérant de la sorte intéresser mes lecteurs car, jugeant les autres d'après moi, je tne suis imaginé que toute vérité était bonne à lire !


FIN

Établissement Busson, 117, r. des Poissonniers, Paris (18e) - Tél.: Nord 18-31


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