Yvette Guilbert
L'Amérique
La femme et l'amour en Amérique
Adorables épouses qui m'avez confié vos amertumes amoureuses, je n'oublierai jamais les cris de votre chair...
L'amour, en Amérique, est conçu d'une façon par les femmes, et d'une autre façon par les hommes ; ceux-ci sont persuadés qu'ils attachent une étiquette honorable et vertueuse au mariage, en accomplissant ce qu'ils appellent leurs devoirs conjugaux, comme un sport, où la vitesse l'emporte sur la durée.
L'épouse, pour être respectée et respectable, doit se prêter à ce sport sans y prendre part autrement que comme ustensile reconnu par la loi.
Les maris déclarent ne point vouloir obtenir de leurs épouses les élans amoureux qui les attachent à leurs maîtresses, de sorte que la maternité arrive comme une conséquence brutale et bestiale à cette pauvre épouse, qui ne gagne jamais rien à la course amoureuse, son mari arrivant toujours seul au poteau...
Ah ! j'en ai entendu des plaintes contre la brutalité maritale, contre les élans froids de commande, à ces jolies jeunes femmes, qui toutes, toutes avaient l'intuition qu'il faut de la grâce et de la beauté, dans le geste d'amour, pour en cacher pudiquement la laideur... comme elles sentaient l'impureté de leur passivité !
J'empêchai l'une d'elles de divorcer, car elle avait un enfant de deux ans ; elle criait : "Mais les prostituées ne font pas autre chose que de prêter leur corps, je suis devenue une prostituée, madame, mon mari m'emprunte mon corps..." et c'était des crises terribles. Chaque fois qu'un divorce pour brutalités, coups, etc., etc... se lisait dans les journaux, elle exultait, comme si c'était sa propre libération ! Le mari était un gaillard solide, qui semblait aimer sa femme, du moins à l'américaine, car elle avait des bijoux et "Son Car", son auto, et pour tant d'Américaines avoir "un car" c'est mieux que d'avoir "l'amour".
« Retour à la page d'introduction » |