Yvette Guilbert
L'Amérique
La jeunesse américaine
Une fillette de seize à dix-sept ans Américaine est déjà unie petite femme, un garçon de dix-sept ans est encore un enfant qui correspond, cérébralement, à un garçonnet de douze ans en France. Ses études sont en retard de cinq à six ans sur celles de nos petits garçons, et quant à sa pudeur, elle est très souvent, à dix-huit ou vingt ans, encore dans toute sa fleur...
Les collégiens sont adorables en Amérique, les affaires n'ont point encore endurci leurs ailles et le "jeune homme" avec sa timidité, on pourrait dire "nationale", sa gaîté enfantine et fraîche, a quelque chose d'exceptionnellement charmant quand ii est bien élevé.
Rien n'est plus exquis que de voir "une partie" de cinq ou six de ces riches adolescents, bien lavés, les peaux sèches, propres, saines, les cheveux savonnés, brillants, les mains bien tenues, dans leur "premier smoking", arriver au théâtre et s'amuser et rire, et rire ! Le sport les rend sveltes et souples, les jeunes filles s'en amourachent, et leurs vingt ans s'unissent à des fiancés de vingt-trois à vingt-cinq ans, et souvent purs.
Mais les affaires les prennent, alors c'est le coup de talon écrasant les charmes des deux à la fois... Le garçon devient dur, inflexible, tenace ; sa bouche se ferme hermétiquement, son menton proémine ; il n'y a plus de soleil sur sa face ; il ne rit plus, il compte... Elle, qui a étudié un peu de tout, sans s'attacher à rien, délaisse vite les grâces de la vie, pour ne penser qu'au luxe, et à vivre richement "entretenue".
Et l'adorable jeune fille, douée de toutes les belles curiosités, des grands désirs de tout savoir, devient une femme séchée, qui ne s'intéresse plus à rien, qu'à bien vivre, richement vivre, sans la volonté haute (n'ayant pas de soucis matériels) d'élever son caractère, de donner une belle nourriture à son cerveau, à son âme, de se parfaire pour parfaire ses enfants.
Le mariage tue les splendides vertus de la jeune fille américaine. C'est de 1915 à 1922 que j'ai pu faire connaissance avec la vraie Amérique, avec son caractère, ses vertus, ses vices, sa générosité, son avarice, ses surprises et ses routines, ses millionnaires et ses pauvres, ses artistes, ses artisans.
AVIS
Comme l'argent fait commettre tous les crimes pour l'obtenir, on a le devoir d'exiger toutes les Vertus des riches Américains qui le possèdent exagérément. On ne sera donc jamais assez sévère pour ceux exagérément qui se refusent à devenir supérieurs...
Parmi d'adorables Américains se glissent des types inférieurs - chaque pays a les siens. - Je m'amuserai à dépeindre quelques polichinelles de la finance et des salons de New York, qui étalèrent devant moi les curieux profits de leurs âmes.
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