Yvette Guilbert
Conclusion
À l'artiste
Les voyages sont des festins auxquels on participe selon ses appétits et leur qualité...
Veux-tu vivre une très longue et très belle vie ?Mets tes ailes et t'envoles... Cours le monde, associe les palpitations de ton cœur à celles des vivants et des morts, ne te borne pas aux humains que ton œil peut atteindre, que ta main peut toucher, assieds-toi aux tables des présents ; à celles des disparus que leurs œuvres prolongent, de l'éternité amplifie ton génie, du plus inattendu viendra l'inspiration.
L'artiste créateur sert des millions d'artistes et tous les Arts servent son Art.Ne conçois le présent que lié au passé, cet ancien avenir. Chaque demain qui nous attend deviendra nôtre hier. Ne mets pas surtout, oh ! surtout ! ton orgueil à faire vite ta gloire, vivement tu périras obscur. Un art "de saison" n'est pas un art. La plus grosse insulte faite à un artiste, c'est de lui dire qu'il est à la mode. Le génie ne se perd, ni ne se trouve, il est sans âge et sans visage: s'il fut, il est et restera.
Que m'importe que son procureur vivant ait quatre-vingts ans s'il inspire de nouveaux printemps, des résurrections spirituelles !
Génie, si les yeux des vivants ne te voient plus ou ne te voies pas, cela ne signifie pas que tu n'es plus ou que tu n'es pas, mais qu'eux sont déjà morts. Tant s'éteignent avant leur fin !
Ne crains rien, un génie fait éternellement naître d'autres génies. La harpe de Saül chante encore, les voix d'Ovide, d'Homère, du Christ, de Mahomet, de Shakespeare, de Molière, de Victor Hugo, etc..., etc... sont à la porte de nos oreilles.
Plus tu te sens périssable, artiste, plus tes effort pour vivre deviendront généreux ! Et regarde amusé et émerveillé les facteurs, les moteurs créant "Indispensablement" la force de ton cerveau. Le bœuf ! le mouton ! le cochon ! le veau ! l'oie ! la dinde ! le lapin ! les poules ! les herbes ! les légumes ! et les.. fruits ! Et le boucher, et le fruitier tiennent dans leurs puantes échoppes la palpitation du cœur de ton génie. Ne dis jamais. : Ceci ne peut servir cela. Tout sert tout.
Les musées, les voyages, l'histoire humaine que je suis allée prendre aux sources, m'enseignèrent ce que ma petite enfance ouvrière et pauvre me priva de savoir par les livres.
Les histoires politiques et passagères des nations me restent encore inconnues, mais la féérie des races, leurs arts, leurs artistes, leurs plus somptueux efforts contribuant à l'éternité des émerveillements humains, mes yeux les ont en eux, et j'anime mes chansons des millions d'âmes qui font mon âme. Au début de mes voyages, ce dont j'ai le plus souffert, c'est d'avoir à subir l'enseignement des escorteurs tarifés qui durent me tromper souvent, leur science documentaire étant réduite à quelques phrases ; aussi, bien vite, je me passais d'eux et je me laissais "impressionner" tout simplement, sans vouloir rien, de plus, m'apercevant très vite qu'un ARTISTE doit surtout, et avant tout, être plus sensible que savant.
Si j'avais voulu n'être qu'une Artiste "Parisienne" je n'aurais pas quitté "le boulevard" de ma ville, mais mon orgueil fut d'être UNIVERSELLE et j'ai payé de mes fatigues, de ma santé, de mes labeurs encore ardents, la grande joie d'avoir réalisé mon rêve : visiter la Terre.
Les voyages ont discipliné mon cœur, par eux j'ai compris Dieu, son Univers, et fais de mon mieux pour aimer TOUTES ses créatures.
Si j ai aimé qui m'a haï, tant pis !
Si j'ai aimé qui m'a trahi, tant pis !
Si, par amour, souffrir j'appris, tant pis !
Si, sans me rendre, on m'a tout pris, tant pis !
Je suis Terrienne !
Effondrée de reconnaissance, ô Terre, devant ton, offrande divine; je suis ta Passante émerveillée.
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