Yvette Guilbert
L'Espagne - Le Portugal
Quand je fus au Portugal en 1898, ce fut la jeunesse des écoles qui me fêta. Je fus engagée par le vicomte de Braga, grand dispensateur des contrats français, et n'amenant à Lisbonne que la Comédie-Française et de grands virtuoses pour les matinées musicales de son théâtre, fréquenté par l''aristocratie de la ville.
Le succès fut énorme ! Engagée pour deux concerts, j'en donnai huit. Les étudiants, le soir de la dernière représentation, m'attendirent à la sortie du théâtre et jetèrent, d'un geste bref et net, leurs grandes capes noires sous mes pieds pour
former un tapis d'honneur à celle qui les quittait. Ce qui me frappa à Lisbonne, ce fut l'absence absolue de police. Dans les rues, aucun sergent de ville, et chaque homme ne buvant que de l'eau, rien que de l'eau.
J'ai dit que je ne décrirai pas les villes européennes laissant cela à ceux qui voyagent en "explorateur", et, puis je souffrais déjà du rein et sortais peu, limitant mes forces à mon travail.
De Lisbonne je fus pourtant à Madrid. Ses musées m'enchantèrent, la ville ne me sembla pas "Espagnole" selon ce que je me figurais être "espagnol". Le roi Alphonse XIII vint m'entendre et me sembla ignare et commun de goûts, car il applaudissait dans mon répertoire les couplets les moins dignes d'applaudissements ; il m'agaçait à rire haut et brutalement là où un sourire seul aurait suffi. Un public habitué à des couplets déhanchés et accompagnés de castagnettes, à des exhibitions de femmes noires à accroche-cœur cirés sur les tempes. Ma pâleur rousse en son immobilité et sa blague froide dans une langue qu'on parlait alors trés peu, le déconcerta, Ce fut un fiasco.
On m'assure que depuis dix ans, Madrid est plus polyglote et accueille mieux les étrangères. Je n'y suis jamais retournée.
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