Yvette Guilbert
L'Amérique
La femme enfant
La femme-enfant chère à XXX, la femmee-nfant... n'est-ce point délicieux ? Puérilité, en Amérique ton nom est femme !...
Certaines Américaines riches, oisives, ont l'esprit d'une fillette de seize ans, jusqu'à cinquante ans. À partir de cinquante ans, elles rajeunissent et meurent enfants. Dieu doit les accueillir dans sa nursery du ciel, car elles n'ont fait de mal à personne, elles furent trop adorablement puériles, et, leurs maris, s'ils ne furent jamais leurs amants, furent leurs papas et souvent leurs mamans.
Pour quinze Américaines sur vingt, une belle journée, qu'elles appellent a jolly good time, consiste en un déjeuner dans le restaurant de l' "hôtel à la mode", où leur seront offerts une salade de homard, une salade de poulet, de la glace et du café, nu gros bouquet de violettes et une boîte de bonbons...
Ah ! les "candies" des confiseurs, ce qu'elles en mangent ! et ces énormes bouquets qui sont de toutes les fêtes, accrochés à leurs robes, comme d'énormes choux odorants, quels regards d'amour ils reçoivent, de la fillette de quinze ans à la vieille dame de soixante-quinze ! Adorable puérilité... qui commence à la "children party", XXX, assises autour d'une table du Ritz, vingt petites filles, d'une extrême élégance, âgées de douze à quinze ans, ont "un déjeuner" offert par l'une d'elles à ses petites amies, comme leurs grand'mères en auront un, après-demain, "entre vingt femmes" de leur monde.
La conversation de ces deux "parties" sera la même, les grand'mères américaines, restées des petites filles, rient à leurs gros bouquets... à leurs belles robes... et à leurs candies...
Puérilité qui fait peur à la vieillesse, car celle-ci ne met jamais sa griffe brutale sur les têtes, il n'y a pas de vieillardes aux États-Unis, que, parmi celles qui travaillent et celles qui pensent, mais les autres, quel miracle !
Pour les artistes, elles sont précieuses ces "Puériles" ; elles bouclent les théâtres de la matinée, elles sont là, en troupeau docile, charmantes, pomponnées, rieuses, aimables, et pouvu que l'héroïne de la comédie soit sweet, c'est-à-dire d'aspect "gentil", "captivant", elles ne lui demandent aucun esprit, aucun talent, car elles ne l'écoutent pas, elles la regardent.
L'actrice sweet du cinéma est comme l'autre ingénue à tête enfantine, aux audaces lascives, vierge impudique, savante en manœuvres sensuelles, qui saura troubler l'homme, lui sauter aux lèvres, tout en baissant les yeux, et l'ayant affolé par les audaces calculées, dosées, de sa trouble innocence, se fâchera, s'indignera avec le public, si son petit jeu de perfide femelle contraint le pauvre mâle à tomber dans ses pièges... Oui, le public vertueux le sifflerait... Ah ! mais ! Le célèbre "jeu de l'amour et du hasard" est inconnu en Amérique. Tout s'organise, pour l'amour, et rien n'est laissé au
hasard.
En Amérique, la vierge qui faute est la seule vraiment pure. La jeune fille américaine est un gros élément dans la clientèle des théâtres. En France, les familles, avec raison, hésitent à laisser la jeune fille assister aux élucubrations cantharidées des problèrnes charnels, que nos scènes éternisent, où toutes les fantaisies tournent autour d'un unique sujet... mais en Amérique, sur dix scènes, il en est sept où la jeunesse peut se rendre. De là ce goût du théâtre qui, cès l'enfance, est inculqué et reste toute la vie un véritable besoin.
Chanter devant des salles où des jeunes filles sont en grand nombre est, en Amérique, une vraie joie. Elles sont adorablement enthousiastes, elles sont bonnes et très loyales clans leurs amitiés. La création d'une École des arts du théâtre, organisée par mes soins, me mit en perpétuels et longs rapports avec elles, et ayant habité sept années consécutives l'Amérique, je fus à même de voir la différence entre la jeunesse masculine et féminine.
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