Polaire
Chapitre 18
MONVOISIN
Avenue des Champs Elysées, j'avais un voisincharmant : Paul? L... Il habitait avec samère un hôtel particulier, dont elle occupait les deux premiers étages, ayantrelégué son fils au troisième, le dernier. Cette ravissante demeure étaitmitoyenne de la mienne qui abrite actuellement les automobiles Renault ; c'estune des rares qui subsistent encore de l'harmonie, chaque jour plus fuyante, decette voie unique. Les autres, hélas, disparaissent peu à peu, pour faire placeà ces blocs modernes, casernes affreuses, sans intimité, comme sans grâce !...Ah ! Comme on se rend compte, en comparant leurs architectures, des différencesde mentalité entre deux époques pourtant si proches l'une de l'autre !...
Paul? !... que notre voisinage me faisait rencontrer souvent, s'était prispour moi d'une fervente amitié. Peut-être son sentiment était-il en réalitéplus tendre, mais il se gardait de le manifester. Ce garçon, du meilleur,monde, était spirituel et fin ; je n'avais aucune raison de ne pas le trouvercharmant. Nous sortions souvent ensemble, avec une bande de ces amis sûrs etcorrects, comme on en avait alors. Son plus vif désir eût été de me recevoirchez lui, mais sa mère s'y fût opposée. Non point, certes, que l'excellentefemme, pour intraitable qu'elle se montrât sur les principes, nourrît lamoindre prévention contre le monde artistique ; seulement j'étais, parmi lescomédiennes en vogue, celle qu'elle jugeait la plus susceptible de donner del'inquiétude aux familles... trop de sex-appeal, comme on dit maintenant. Cesdignes personnes avaient pareillement tort, mais je n'y pouvais rien :cataloguée femme troublante, je subissais les effets de cette réputation,quelque excessive qu'elle fût.
Je finis cependant par rendre visite à mongentil voisin ; il avait imaginé un mode poétique et charmant de correspondance : quand le vestibule du petit hôtel était parsemé de pétales de roses, celasignifiait "Maman est sortie, vous pouvez monter".
Un jour, la fantaisie me prit de lui jouer untour... Il venait à mon intention de joncher de fleurs son seuil ; je grimpai àpas de loup jusqu'à son troisième étage. Là, au lieu de frapper, je me faufilaiet me cachai derrière une petite porte que j'ignorais être celle de la salle debains. Je n'y étais pas depuis deux minutes que mon voisin en sortit nu commeun ver...
Comme lorsque je jouais à cache-cache, jepoussai un cri avant qu'il m'eut aperçue et m'écriai : "Ah ! Là là ! Ousqu'estmon mât de cocagne !" Je n'en avais encore vu que sur les places foraines àRovigo et à Mustapha...
Le plus drôle c'est que ce fût moi la plusattrapée. L'histoire avait fort amusé Paul?L... qui s'empressa de la conter à ses amis ; j'étais d'ailleurs lapremière à en rire.
Bien qu'il eût à peine dépassé vingt ans, moncharmant voisin était presque complètement chauve ; avec son esprit habituel,il s'en amusait, tout le premier. Une après-midi, nous étions en bande auPré-Catelan ; un des Rothschild y arriva :
- Tout de même, murmura Paul? L..., ça ne le gênerait pas, celui-là, de medonner quelques-uns de ses millions... Je n'en demanderais pas beaucoup : unpar cheveu... Je n'en ai plus que trois !
Il écrivit plus tard des œuvres délicieuses : LesJouets de Paris... Bise. Il m'envoya celui-ci avec, comme dédicace : "Bise,à Polaire"... Et puis, les années ont passé... La dernière fois que j'airencontré Paul? L... c'était au casino deSaint-Raphaël, quelque temps avant mon désastre... Je ne l'ai plus revu? !... Qu'est-il devenu ... Se souvient-ilseulement de la confiante amitié qui nous unissait ... Tout cela s'estpeut-être envolé avec ses trois derniers cheveux.
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