CHAPITRES
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01 - Moi
02 - Je suis née
03 - Rovigo
04 - Mustapha
05 - Maman
06 - Premier contact avec Paris
07 - Famille
08 - Les Bosano
09 - Ma "Mère" Goetz
10 - Mes débuts artistiques
11 - Des Ambassadeurs à la Scala
12 - Premières déceptions sur le théâtre
13 - Claudine
14 - Avec Jean Lorrain au pays de Marius
15 - Dédicaces
16 - Chez les Fous
17 - Le Friquet
18 - Mon voisin
19 - Yves Mirande et "Ma gosse"
20 - Quelques auteurs, quelques pièces
21 - "Le visiteur"
22 - "Au pays des dollars"
23 - Un directeur moderne
24 - 1914
25 - Les bêtes... et les humains
26 - Le Fisc !
27 - Série noire
28 - Mon portrait par la Gandara
29 - Jeux de l'amour... ou du hasard
30 - Ceux qui me plaisent
31 - Au foyer des cigales

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Polaire


Chapitre 22


"AUPAYS DES DOLLARS"

Après mes créations de Maisons de Danses et de Montmartre, au Vaudeville, M. Butt, directeur du Palace deLondres, me demanda d'aller jouer chez lui un sketch de mon choix. Je pensaiaussitôt à Ma Gosse, mais une artiste anglaise, miss Melon, en avait, jene sais trop comment, acquis le privilège ? que Mirande m'avait cependant promis.? Je dus donc chercher autre chose, et c'est là que l'idée me vint de porter àla scène l'anecdote du Théâtre de Belleville que je viens de raconter, et queGeorges Baud adapta très adroitement. J'aurai lieu de revenir sur ma vie àLondres, car j'y fis, par la suite, un nouveau séjour dont j'ai gardé millesouvenirs, émus et charmants. Cette fois, avec Le Visiteur, je ne passaiguère qu'une quinzaine dans la capitale anglaise. J'y fusse, certes, demeuréedavantage, car les propositions d'engagements ne me manquèrent pas mais, dès lepremier soir, un succès triomphal ayant accueilli mon début, l'impresarioaméricain Maurice Gezt était venu m'offrir pour les Théâtres Hamestein, à NewYork, un contrat des plus avantageux que j'avais, ma foi, presque aussitôtaccepté ; je devais donc rentrer sans retard à Paris pour y préparer cetimportant voyage. La tournée en Amérique était alors le rêve de toutes lesvedettes françaises. La réussite assurait en effet aux élus, en plus de revenusfinanciers mirifiques, une consécration quasi-universelle. Les journaux del'époque fulminaient contre de telles exportations, où ils ne voulaient voirque des appétits de lucre ; peut-être, cependant, a-t-on eu tort de négligerl'intérêt de propagande qui pouvait résulter de belles représentationsfrançaises à l'étranger. Pour moi, je ne prétendais guère à exercer uneinfluence diplomatique dans les rapports internationaux ; j'étais simplementrésolue à faire de mon mieux pour demeurer digne de la confiance que le public,maintenant, nie témoignait sans réserve. C'est dans cet état d'esprit que jem'embarquai...

Ah ! cette arrivée à New-York ! La fameusestatue de la Liberté me fit d'abord l'effet de la bonne hôtesse qui, sur leperron d'une auberge villageoie, accueille des voyageurs attardés on élevantune lanterne au-dessus de sa tête. Une centaine de reporters se trouvaient audébarcadère ; c'est inouï ce qu'il y a de journaux en Amérique ! En attendantde descendre à terre, je jetai un premier coup d'œil autour de moi les quais dece port gigantesque s'étendaient à perte de vue, et j'eus l'impression qu'ilsse prolongeaient au delà de l'horizon : je devais bientôt apprendre qu'ilsdépassaient 40 kilomètres de longueur ! En débarquant, encore ahurie par levoyage, par les mille bruits qui emplissaient l'air d'une inlassable rumeur, onme déclara que toutes mes malles étaient retenues à la Douane, dont les bureauxoccupaient un vaste immeuble.

Je protestai, mais l'on m'assura que mesbagages me seraient rendus en temps utile ; j'ai su, quelques heures plus tard,que c'était là un des moyens fréquemment employés par les impresariitransatlantiques pour que les journaux ne manquent pas de parler de la vedetteattendue...

Cette ville immense, avec ses gratte-ciel dequarante étages dominant des maisons qui en avaient à peine dix, ou deux, mefit comme première impression celle d'un peigne gigantesque auquel il eûtmanqué des dents. Dans une auto d'une proportion invraisemblable, même pourl'époque, j'arrivai enfin au théâtre. Un nouveau sujet d'étonnement m'yattendait :

L'usage était déjà, en Amérique, pour attirerl'attention sur une artiste, de répandre à son propos les histoires les plusabracadabrantes, et de l'affubler d'un titre propre à frapper l'imagination.Comme maintes comédiennes ou cantatrices avaient déjà été appelées la "belle"par-ci, la "belle" par-là, on n'avait rien trouvé de mieux que de m'afficher,en lettres énormes, avec ce qualificatif :

THE UGLIEST GIRL IN THEWORLD
(Lajeune fille la plus laide du monde)

simplement !
Sans songer à me froisser de cette trouvaille,qui enrichissait du moins mon maigre vocabulaire anglais, je fis cependantremarquer qu'elle me semblait tout aussi prétentieuse que celles qu'elleremplaçait : nul n'est jamais le recordman d'une qualité ou d'un défaut. Maisce qui me causa, par exemple, autant de stupeur que de franche rigolade, ce futde voir comment on me présentait sur ces placards. Imaginez un gros édredon deplume, serré au maximum en son milieu par un fil, et vous n'aurez encore qu'unefaible idée de cette ridicule image de l'impresario, supposant que ma taille,seule, était d'une circonférence inusitée, avait fait dessiner le reste dans lanormale des femmes de l'époque, celles, comme disait la chanson, qui avaient"de ça et de ça !..." Le haut de mon corps rappelait Jeanne Bloch, et le basévoquait nos plus robustes percherons !

Le directeur m'assura que c'était là unepublicité fructueuse, dont la location s'était brillamment ressentie. De fait,bien que le prix du fauteuil ait été porté à 60 dollars, la salle fut, le soir,pleine à craquer. Pensant brusquement à cette épithète de "femme la pluslaide", j'eus l'idée soudaine de me présenter d'abord en tournant le dos aupublic ; je ne sais s'il devina mon intention, mais cette tactique eut un effetcertain : avant que je me fusse montrée, des applaudissements éclatèrent.Enfin, je me retournai, et descendis à la rampe pour le salut d'usage ; alors,ce fut du délire : je n'exagère rien en assurant que les exclamations m'empêchèrent,pendant plus de dix minutes, de placer le moindre mot !

Fouettée par l'extrême bienveillance de cetaccueil, je jouai mon sketch ? où Georges Baud et Mlle Dinard me donnaient laréplique ? avec ma plus vibrante sincérité ; tour à tour féline, autoritaire,suppliante, peureuse, angoissée, joyeuse ou désespérée, je me prodiguai, detout mon cœur. Si la femme était laide, du moins voulais-je témoigner que jepouvais donner à un public les émotions qu'il attendait de l'artiste. Lerésultat dépassa mes espérances ; dès le lendemain les journaux étaientd'accord pour dire : "Est-elle belle ou laide, grosse ou mince ? Nous ne lesavons pas, mais nous sommes sûrs d'une chose : depuis Sarah Bernhardt, c'estla plus émouvante artiste française que nous ayons vue !... Elle est d'unesouplesse extraordinaire : elle chante, elle danse, et nulle chanteuse, nulledanseuse ne feraient mieux !..." Les spectateurs, eux, avaient tout desuite protesté contre l'étrange publicité qui m'était faite : "Ça,disaient-ils, la femme la plus laide ? Elle a des yeux splendides, et le visagele plus expressif du monde !" Du coup, les fameuses affiches de l'édredon nouéen son milieu disparurent ; on les remplaça par d'autres, hâtivement exécutées,où l'on me représentait avec une silhouette tout de même plus vraisemblable.Engagée pour quinze jours, je jouai à New-York pendant douze semaines ; à sixmille francs par jour. Le directeur n'eut pas à se plaindre : la salle étaitcomble aux deux représentations quotidiennes. L'après-midi, en effet, lespectacle se déroulait dans le théâtre, tandis que le soir, on le donnait surle "roff", sorte de vaste terrasse aménagée en jardin. Une véritable fermes'étendait autour de l'établissement où, parmi le public, vaches et pouless'ébattaient en liberté. On trouvait cela fort amusant.

Bientôt, les invitations commencèrent àpleuvoir, ce qui me procura, outre quelques agréables distractions, le plaisirde connaître un peu cette immense cité et l'occasion d'en observer leshabitants.

La société me conviait, et les gens, pour peuqu'on leur fut sympathique, prodiguaient la plus charmante amabilité. LesAméricains, les gens arrivés par eux-mêmes, sont simples et ne s'embarrassentpas de nos mondains protocoles. La fortune, d'ailleurs, est souvent éphémère,là-bas : tel milliardaire sera gueux demain, et tel mendiant peut devenir "roi"de quelque chose. Ils trouvent tout cela normal, et la richesse ne lesimpressionne nullement. Les Schweister qui étaient les Rotschild de là-bas, etAdolf Pawenstead ? cet Allemand dont on parla tant pendant la guerre ? sedisputaient la faveur de me distraire. Ils n'avaient pas été longs à remarquerma prédilection pour les roses rouges, et m'en envoyaient chaque jour plusieurscorbeilles, qui luttaient de magnificence. A leur première visite, je les reçu,ensemble, dans ma loge ; je devrais dire : mon appartement. Au lieu du réduitétroit, et si souvent malsain, qui porte ordinairement ce nom dans trop dethéâtres de chez nous, j'avais, en effet, une loge extrêmement vaste, àlaquelle étaient adjoints un grand salon et une salle de bain. Cette dernièrepièce se retrouve d'ailleurs là-bas, dans les moindres appartements, lesAméricains étant férus, avant toute chose, d'hygiène et de confort.

J'expliquai tout de suite à mes visiteurs, avecmon habituelle franchise, que je n'étais venue à New-York que comme artiste,sans autre pensée que celle de mes obligations professionnelles ; j'ajoutai, enriant, qu'au surplus, il y avait en France assez de beaux garçons pour qu'on nes'imposât pas un aussi long déplacement dans le seul but d'en découvrirailleurs. Cette sincérité, qui me parut leur plaire infiniment, les mît à leuraise ; ils n'en furent que plus empressés et se montrèrent charmants, aussibien pour moi que pour mes camarades, que je faisais emmener avec nous le plussouvent possible. Pawenstead ressemblait à mon père, ce qui m'inclina peul-êtreà préférer sa compagnie. Il m'appelait sa petite princesse française. C'étaitun homme extraordinaire : intelligent et résolu, il avait réalisé trois foisdes fortunes considérables, bientôt englouties dans de nouvelles affaires, sansse décourager aucunement. A mon sens, comme pont, beaucoup de businessmen,c'était là la vraie vie ! Les Américains, une fois libérés des obligations deleurs affaires, n'en soufflent plus un mot dans la conversation, ce qui la rendmoins aride, et tout de même plus attrayante. L'épouse elle-même ne s'eninquiète pas : le mari est là pour "faire de l'argent", il en fait, rien deplus naturel. Ce sont, ainsi, des unions calmes : son business terminé, l'épouxs'empresse de rejoindre sa femme au restaurant ou au club, sans même prendre letemps de changer de vêlements ; madame, elle, a eu tout le loisir de passer unerobe de soirée, ce qui confère à ces couples un effet de contraste assezsaisissant.

Les américains apprécient surtout la femme quitravaille, celle qui est libre, naturellement, celles qui sont mariées vivantsous la protection totale de l'époux, ?n'ont qu'à se promener, le soin du ménage etdes enfants étant abandonné aux serviteurs. Ainsi vont-elles dans les thés, auspectacle ou quelquefois au dancing, mais sans autre but que le plaisir dedanser. Elles s'y abandonnent complètement, peu soucieuses de leur cavalier oudes admirateurs qui les entourent ; comme elles ne se maquillent en quelquesorte jamais, on ne voit guère, dans ces réunions, la manœuvre de la houppetteou du bâton de rouge interrompre un bines ou une conversation. Habituées à desmaris qui ne vivent que pour leur assurer une existence idéale, elles semblentdédaigner le gigolo et l'éphèbe : l'homme, à leurs yeux, doit être un "mâle",authentique, plus râblé que séduisant. Le sexe fort, du reste, m'a paru semontrer plutôt petit garçon devant les femmes. En revanche, on ne rencontrepas, dans les rues ou les lieux publics, de ces jeunes personnes isolées,accueillant ou sollicitant, moyennant finances, la compagnie dit premier venu.Le monsieur qui s'aviserait d'aborder une femme dans la rue avec une intentiongalante commettrait d'ailleurs une dangereuse erreur : au premier appel de ladame offensée, un policeman accourt à son aide. Ces gardiens de l'ordré publicsont de grands et solides gaillards, auxquels il ne doit pas faire bon sefrotter. Ils discutent du reste fort peu, et toujours très courtoisement. Cetterigidité des mœurs de la rue ne m'a pourtant pas empêchée de rencontrer àNew-York de jolies filles qui, sans plus se renseigner, s'étaient imaginé qu'aupays des dollars, le commerce de leurs charmes ne pouvait manquer de leurassurer une fortune rapide et mirifique. Elles avaient lâché Paris, vendu toutce qu'elles possédaient, et elles crevaient de misère.

La considération que l'homme porte là-bas à lafemme qui travaille est une des impressions qui m'ont été les plus agréables.D'autres constatations m'ont plongée dans un profond étonnement, à des titresvariés. Les ascenseurs, par exemple, qui fournissent un service considérable,étant donné le nombre des étages, ne sont pourtant jamais en panne ; pas une fois,je n'ai vu sur aucun d'eux la fatale annonce "Arrêt momentané". Et ce n'est pasdans les hôtels de New-York qu'on vous empêcherait de vous en servir la nuit,sous prétexte que cela peut gêner le sommeil des voisins. Quant au téléphone,je fus émerveillée ; le temps de demander une communication et vous avezaussitôt votre correspondant.

Une chose, cependant, m'a péniblement choquée :la haine méprisante où les blancs tiennent les gens de couleur ; j'avoue que jen'ai pas pu m'y habituer. Un soir, au Théâtre Hamestein, arriva le boxeur Siki,qui venait de gagner son premier match ; impulsive comme toujours, je lefélicitai et lui serrai la main. Quelques minutes plus tard, mon directeur mepriait, en termes fort courtois, mais énergiques, de m'abstenir, désormais demanifestations semblables :

- Quelle que soit, me dit-il, votre légitimepopularité ici, vous vous mettriez la ville à dos si l'on vous voyait seulementadresser la parole à un colouredman !

C'est cependant sous la conduite de mescompagnons habituels que je visitai le quartier chinois et le faubourg deHarlem ; réservé aux noirs ; mais j'y remarquai, effectivement, que beaucouptraitaient ces malheureux comme de véritables bêtes, ce qui me fendait le cœur.Peut-être les choses ont-elles changé : n'est-ce pas d'Amérique que nous sontvenus les bruyants nègres de jazz ? J'espère que cette vogue a supprimé poureux l'interdiction de pénétrer même dans un café où fréquentaient des blancs !

Beaucoup d'Américaines sont journalistes ;elles apportent dans cette profession autant d'audace, de désinvolture queleurs confrères masculins. Je me souviens d'une intervieweuse qui, tout en meposant quelques questions pour son article, taquinait, du bout d'un stick quine la quittait jamais, le bas de mes jupes :

- Je voudrais tant voir vos jambes de près !expliquait-elle.

Curiosité féminine, ou professionnelle ? Lesdeux, peut-être ; en tout cas, je puis assurer que nulle arrière-pensée ne secachait derrière ce désir, pour étrange qu'il pût me paraître.

Naturellement, je n'avais pu recueillir detelles observations qu'en courant la ville avec mes fidèles cicerones. Elle meplut beaucoup, parce qu'on y respirait largement. Elle est très belle, mais ilserait puéril de vouloir la comparer à Paris : il n'y a pour ainsi dire aucunpoint commun. Notre capitale, riche d'un considérable passé historique, offrecertes des monuments incomparables, dont on chercherait en vain l'équivalentdans le Nouveau Monde. Mais quand on pense, cependant, que New-York n'a pas troissiècles d'existence, on ne peut qu'admirer ce qu'en ont fait ses habitants.Pour créer des bois, qui sont ravissants, ils ont tout transporté, arbre pararbre, et de fort loin, parfois : il y a là le témoignage vivant d'une volontétenace qui force l'enthousiasme. Comme je m'étonnais devant les gratte-ciel, onm'expliqua qu'ils abondaient surtout dans la ville basse : celle-ci ne pouvants'étendre autour de ses limites, on s'était rattrapé en hauteur ; c'estpratique. Les coins que je préférais étaient le Central Park, le plusbeau jardin de New-York, et le magnifique Metropolitan Museum. Beaucoupde grands édifices publics sont un marbre blanc, comme l'hôtel de Ville deBrooklyn ; je me suis, naturellement, attardée souvent, au cours de mespromenades, sur ce fameux pont de Brooklyn, que le cinéma a depuis faitconnaître à tout l'univers. A cette époque, je demeurais stupéfaite d'y voirutiliser en même temps deux voies de chemin de fer, deux routes carrossables,sans que les piétons, qui avaient aussi leur chemin particulier, en fussentgênés le moins du monde !

Par exemple, si j'évoluais à l'aise dans lahaute ville, j'en aimais infiniment moins les rues tracées comme au cordeau,avec leur tracé géométrique de maison, si justement appelé "blocs". Il mesemblait que de là-haut, ces quartiers devaient avoir l'air d'un damier ; c'estsans doute l'impression qu'en ont aujourd'hui les aviateurs. Que voulez-vous,pour les villes comme pour les jardins, je préfère un certain fouillis, quijette au moins une note de fantaisie sur la monotone ordonnance de tant dechoses trop pareilles...

Quelque agréable que me fût l'existence àNew-York, il me fallut penser à regagner Paris... Mon départ fut magnifique :Pawenstead avait retenu pour moi le plus somptueux appartement sur le KaiserWilhelm II ? ce lut un des premiers navires allemands coulés au début de laguerre. Ma cabine était remplie de fleurs, de bonbons, de présents. LesScheister m'avaient envoyé un magnifique écrin contenant le drapeau américainmonté en boucle de ceinture : brillants, saphirs, et rubis... Pawenstead vintme saluer au moment du départ ; à ma grande surprise, il était accompagné d'unpetit noir de quatorze ans, Jimmy, qu'il avait acheté pour moi. Jimmy, l'airmutin et éveillé, riait de toutes ses dents éblouissantes ; il portait au couune longue chaîne au bout de laquelle pendait une médaille d'argent massif, surlaquelle on lisait : "J'appartiens à Polaire"... Pawenstead, toujours trèsgentleman, s'inclina pour me baiser la main, et me dit :

- Ma petite princesse, j'espère pouvoir allerbientôt vous applaudir en France... Jimmy vous remettra tout à l'heure uneenveloppe : elle contient un petit chèque pour vous acheter des fleurs enarrivant à Paris... Puissent-elles vous faire penser aux amis de New-York, àqui vous laissez une si grande impression..."

Le "petit chèque" était de cent mille francs  !...

Je gardai quelque temps Jimmy auprès de moi ;il riait toujours, mais il était effronté comme un page, et gourmand comme unechatte : quinze morceaux de sucre dans une tasse de café ! La vie de Paris luitroubla quelque peu la cervelle, et je fus obligé de m'en séparer... Pawensteadavait peut-être raison quand il assurait que l'atmosphère des grandes villesétait souvent néfaste aux gens de couleur...

Je n'ai plus revu ce bon Adolf Pawenstead, maisje n'ai pu m'empêcher de penser à lui quand la guerre fut déclarée... Cetallemand aimait la France, je vous le jure !... Et je n'ai jamais cessé de merappeler mes heureux jours à New-York que j'aimais tant, et où je fus sigentiment fêtée... Quand j'ai appris la fin atroce du "baby Lindbergh", j'aipleuré...


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