CHAPITRES
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01 - Moi
02 - Je suis née
03 - Rovigo
04 - Mustapha
05 - Maman
06 - Premier contact avec Paris
07 - Famille
08 - Les Bosano
09 - Ma "Mère" Goetz
10 - Mes débuts artistiques
11 - Des Ambassadeurs à la Scala
12 - Premières déceptions sur le théâtre
13 - Claudine
14 - Avec Jean Lorrain au pays de Marius
15 - Dédicaces
16 - Chez les Fous
17 - Le Friquet
18 - Mon voisin
19 - Yves Mirande et "Ma gosse"
20 - Quelques auteurs, quelques pièces
21 - "Le visiteur"
22 - "Au pays des dollars"
23 - Un directeur moderne
24 - 1914
25 - Les bêtes... et les humains
26 - Le Fisc !
27 - Série noire
28 - Mon portrait par la Gandara
29 - Jeux de l'amour... ou du hasard
30 - Ceux qui me plaisent
31 - Au foyer des cigales

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Polaire


Chapitre 30


CEUXQUI ME PLAISENT

Je n'ai aucun parti pris ; je n'en ai jamaiseu. J'espère qu'au cours de ces "Souvenirs" cela se sera révélé selon mes vœux.Quand un être, d'instinct, me plait, je ne m'occupe ni de sa race, ni de sesopinions ; il me plaît, cela suffit. Je ne m'occupe pas de chercher s'il a, deson côté, quelque sympathie pour moi. Je donne mes impressions librement, à nu,ainsi qu'on offre son visage. Ses traits ne vous séduisent pas ? Tant pis : Jeveux donc vous citer, parmi ceux que j'ai pu croiser au cours de ma vie, ceuxqui sont demeurés dans ma mémoire et dans mon cœur. Peut-être en oublierai-je ?Je le déplorerais ! Mais dans ceux dont je parle, il en est que je connais unpeu, d'autres à peine, et certains pas du tout ! (J'ai l'air d'effeuiller unemarguerite).

Depuis l'époque de mes débuts, ou presque, j'aieu l'avantage d'approcher Léon Bailby ; notre populaire Intran setrouvait alors rue du Croissant. La distance n'est pas longue de là à la rueRéaumur ; quel chemin parcouru, cependant ! Et quelle splendide évolution, dela vieille bâtisse quasi vermoulue d'alors au confortable et moderne hôteld'aujourd'hui !

L'idée dominante de Léon Bailby ? Le bien,faire le bien ! Ses "pupilles", quelle œuvre magnifique ! J'eus l'honneur, à lapremière représentation donnée à l'Opéra-Comique ? à son profit, de créer uneallègre chanson qu'Albert Flamant, ce grand écrivain, avait daigné crayonnerpour moi sur l'air de J'ai un p'tit bien, du charmant Polin.

I

On,prétend que les journalistes
sontdes êtres pleins de défauts
qu'orgueilleux,grossiers, égoïstes,
ilsont le cœur et l'esprit faux !
Croireça serait difficile
quandLéon Railby fit le vœu
dedonner un peu de ciel bleu
auxgosses de la grande Ville :

REFRAIN :

Moi,j'ai un p'tit bien,
toil'as un p'tit bien :
enjoignant nos deux biens
onpeu faire un grand bien !
J'ymettrai du mien,
t'ymettras du tien,
en ymettant chacun dit sien,
onfera quelque chos' de bien !

II

Oh !l'air vivifiant des grèves !
Respirerparmi les ajoncs !
Fairedes bonds, vivre des rêves
dansla vallée ou sur les monts !
Chersenfants, vous aurez la joie
d'écouterla chanson des nids
et,parmi les bois rajeunis,
devoir l'aurore qui rougeoie !
(Refrain.)

III

Pourréaliser ces chimères,
entamonsvite nos magots !
Songezdonc au bonheur des mères,
lorsqueleurs petits Parigots
àleur retour, plus forts, plus roses,
leurdiront, dans un grand baiser :
"Ona vu les oiseaux chanter,
etje le rapporte des roses" !
(Refrain.)

Ce fut un triomphe ! Depuis, Léon Bailby n'apas une seconde cessé de lutter, de sacrifier toute son énergie, je puis mêmedire sa santé, pour le bien-être de ses tout-petits. Grâce aux effortsinlassables de ce grand journaliste, des milliers de gosses ont grandi, et sontparvenus à des situations qu'ils n'auraient peut-être jamais osé envier ! Parsa ferme douceur, sa bienveillance équitable, Léon Bailby a su grouper autourde lui des écrivains précieux, des collaborateurs à toute épreuve, tels queRené Bizet, qui a fait presque toute sa carrière à l'Intran. EdouardBeaudu cher à tous les artistes, Marcel Sauvage, et tant d'autres ! Quelle merveilleuseorganisation, dans ce puissant journal ! Comme tout y marche régulièrement ! Ah  ! l'on sent bien, là, que chacun aime et respecte cet extraordinaire animateur  : Le grand Patron ! Depuis quelques années, je n'ai fait à Léon Bailby que derares visites... Oh ! ce n'est pas que l'envie m'en manquât ! Mais ladiscrétion la plus élémentaire m'a fait comprendre qu'un homme chargé de tantde besogne et de si lourdes responsabilités n'est guère maître de son temps.Néanmoins, j'ai toujours suivi son œuvre ; parfois, même, le hasard me procurele plaisir de le rencontrer. Charmant, bienveillant. Je sais qu'il seratoujours ainsi...

Comme j'aurais voulu, pour un Bal des Petitslits blancs, rechanter les adorables couplets d'Albert Flamant !... Nesont-ils pas toujours d'actualité ?

CLÉMENT VAUTEL

Ah ! Celui-là ! Si j'avais des enfants, jevoudrais qu'on leur fît lire chaque jour son Film comme on apprend lesfables de La Fontaine. Quel bon sens, quelle honnêteté dans tout ce qu'il juge  ! Comme c'est vrai !...

Et quand une polémique s'engage, quelle dignitéde ton il sait garder, en dépit de la violence que tant d'autres lui témoignentsouvent ! C'est la marque du vrai courage. Parfois, en tournée, après lalecture de son papier quotidien, je me sentais si près de lui qu'emballée, jelui griffonnais aussitôt quelques lignes enthousiastes : c'était plus fort quemoi ! Oh ! je ne cherchais pas, certainement, à lui être agréable ; je sensbien qu'il se moque éperduement des compliments qu'on peut lui adresser, et quela satisfaction de sa conscience lui suffit si tels de nos gouvernantsraisonnaient ou agissaient comme lui, il me semble que bien des choses n'eniraient que mieux...

Je ne connais pas Clément Vautel. Je lui aicependant demandé un jour de bien vouloir m'écrire un sketch à la manière deses Films. Il me répondit, car il répond toujours aux lettres qui ont unbut précis. Hélas ! ce fut pour m'avouer qu'il se désintéressait du théâtre.D'après ce qu'on voit, depuis quelque temps, de l'étrange évolution de l'artdramatique, je ne puis que lui donner raison, une fois de plus ! Je ne l'aiaperçu qu'une fois dans les coulisses de l'Odéon, lors de la générale d'une deses pièces ; il était si entouré que je n'ai pas pu me faire présenter. Aufond, cela a peut-être mieux valu : je n'aurais pu m'empêcher de lui exprimermes sentiments, et j'ai l'impression que les patati et patata, il s'en moque !

SÉVERINE

Elle vient de mourir et beaucoup de gens ontseulement découvert alors son grand cœur. Notre commun amour pour les bêtesnous avait rapprochées. Elle consacra plusieurs de ses chroniques à ma premièrepetite chienne. Elle venait parfois me rendre visite ; si je n'étais pas chezmoi, elle y demeurait tout de même et, pendant de longs instants, tenait avecmes toutous une véritable conversation. Un jour, elle me laissa son magnifiquelivre Sac à tout, avec cette précieuse dédicace :

Pour Polaire, dont la sensibilité frémissanteaimera "Sac à tout" sans l'avoir connu, comme j'aime le cher petit compagnon qu'ellepleure.

Mieux que personne, en effet, elle comprit monchagrin à la mort de ma petite chienne. A cette époque, où je cherchais tousles dérivatifs pour oublier la pauvre bête je me rendis à Bue et demandais àrecevoir le baptême de l'air, on me fit préalablement, signer une déclarationpar laquelle je reconnaissais que c'était de ma propre volonté que je montaisen avion, et sur ma demande expresse. Cette précaution laisse à penser queles appareils d'alors offraient tout de même moins de sécurité que ceuxd'aujourd'hui. Le lendemain, à ma grande surprise, j'appris par les journauxque j'avais reçu le baptême de l'air sur un Renault-Pelleterie, piloté par lejeune lieutenant Bailly qui devait, hélas ! se tuer trois jours plus tard !...

Et je continue à vous citer, à la volée, ceuxqui me plaisent et que j'admire, bien que, pour la plupart, je ne les connaissepas davantage.

Claude Farrère, Abel Faivre, La Fouchardière,Raoul Sabatier, Rondel, ce charmant ami du théâtre et des artistes. Quel chic typeque celui-là ! Un déjeuner nous réunit à Marseille, jadis. Quel délicieuxcompagnon et quelle compréhension de l'art dramatique !

Curnonsky, la bonté même ; quel esprit ! queltalent ! Tout le monde en aura profité, sauf lui peut-être ! Mais il restera ungrand gosse ! Il sera toujours jeune !... Claude Farrère, François Porché, G. dePawlowski, critique admirable et toujours juste ; Lucien Descaves, un dessuprêmes défenseurs du vrai théâtre. Son frère, officier de paix, dirigeait auxcourses le service des voitures ; quels souvenirs ! Le bon Gabriel Reuillard,écrivain probe, dont les livres témoignent de tant de cœur !

Parmi tant de camarades, grandes artistes :Géniat, Jeanne Cheirel, la gentille Marie Dubas qui créa avec le grand AbelTarride, une opérette de Nozière et Fernand Raphaël ; elle y témoignait déjà detout le talent qu'on lui découvre enfin ; ... Joséphine Baker : je ne puis quela deviner, car je ne lui ai jamais parlé ; elle est si naïvement charmante quemême sa nudité reste chaste. La délicieuse Elvire Popesco, Betty Daussmond, Yvonne Printemps, Gaby Morlay, Carletta Conti, etc... et l'adorable JulietteDarcourt, Marcelle Yrven, Germaine Risse.

Je veux citer également une charmante créature,toute jeune pour avoir tant de talent dans ce qu'elle écrit : c'est AiméeBarancy.

Et Michel Simon, Max Dearly, Harry Baur, VictorBouclier, Dranem, Pierre Blanchar, Debucourt, Alcover, Grétillat, Garat, PaulBernard, André Lefaur, Marcel Levêque. Pierre Fresnay et notre cher André Baugé dont personne ne peut soupçonner la bonté inépuisable tant elle est discrète.Et quel artiste ! ? Notre admirable Jean Périer... et Mayol, qui vient dedonner une nouvelle preuve de son cœur généreux en recueillant dans son clos, àToulon, une artiste vieillie et malheureuse : Paula Brébion que l'Union des Artistes ne pouvait aider... Je me trouvai, avec Mayol, mêlée à une amusanteaventure ; il l'a lui-même contée dans ses "Mémoires" mais je ne puis pas nepas la répéter, puisqu'elle nous fut commune.

Aux environs de 1910, un rédacteur de Fantasio,s'amusa à jeter à la poste, en des bureaux différents, quatre lettres sansadresse. Pour toute indication de nom et de domicile, il y avait, en effet,dessiné sur l'enveloppe, un portrait fort ressemblant représentant le grandsculpteur Rodin, Madame Curie, Mayol et moi... et écrit au-dessous : Paris,sans autre décision... Mayol et moi, seuls, avons reçu notre message. Jetrouvai surprenant qu'un artiste comme Rodin et surtout un être génial commeMme Curie ne fussent pas davantage popularisés par l'image...

J'oublie certainement quelques artistes dignesde la plus franche admiration : quelques-uns seulement, car la belle race qu'onen a connue semble en voie de régression ; il y a bien des valeurs relatives etdes gloires discutables...

Quels auteurs j'aurais voulu jouer ? HenryBernstein, Sacha Guitry, Willemetz, Jacques Deval, La Fouchardière, TristanBernard, Edouard Bourdet, Maurice Rostand, René Fauchois, Pagnol... Quant auxdirecteurs : Bernstein qui a fait du Gymnase la salle la plus réputée, MauriceLehmann, Max Maurey, L. Benoit-Deutsch, Léon Volterra, Trébor... Les autres   ... On ne sait plus...


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