CHAPITRES
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01 - Moi
02 - Je suis née
03 - Rovigo
04 - Mustapha
05 - Maman
06 - Premier contact avec Paris
07 - Famille
08 - Les Bosano
09 - Ma "Mère" Goetz
10 - Mes débuts artistiques
11 - Des Ambassadeurs à la Scala
12 - Premières déceptions sur le théâtre
13 - Claudine
14 - Avec Jean Lorrain au pays de Marius
15 - Dédicaces
16 - Chez les Fous
17 - Le Friquet
18 - Mon voisin
19 - Yves Mirande et "Ma gosse"
20 - Quelques auteurs, quelques pièces
21 - "Le visiteur"
22 - "Au pays des dollars"
23 - Un directeur moderne
24 - 1914
25 - Les bêtes... et les humains
26 - Le Fisc !
27 - Série noire
28 - Mon portrait par la Gandara
29 - Jeux de l'amour... ou du hasard
30 - Ceux qui me plaisent
31 - Au foyer des cigales

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Polaire


Chapitre 28


MONPORTRAIT PAR LA GANDARA

Lors de la vente de la Villa Claudine, ainsique j'ai eu l'occasion de le dire, Mme Chollet, ma dévouée voisine, qui étaitaussi bonne que belle, avait pu arracher aux pirates du fisc, outre quelquesmenus objets, un meuble de grand prix et mon portrait par La Gandara. Elle mefit parvenir ces épaves à Paris : "Tâchez de vendre tout cela, disait-elle,vous en tirerez de quoi vivre en attendant un bon engagement". Hélas ! malgréses vœux, le contrat sauveur ne vint pas. Il est juste de répéter que, vaincuepar la ruine et le deuil, prostrée dans mon accablement, je ne me sentais guèrele courage d'aborder les directeurs ou les auteurs... Je continuais à vivreseule, devant les suprêmes débris de ma splendeur...

Mon portrait, surtout, m'était précieux ; je lecontemplais souvent, et les souvenirs qu'il évoquait me revenaient en mémoire.La Gandara était un fort bel homme, brun, aux beaux yeux de méridional. Ilvenait d'achever les portraits de la Comtesse de Noailles et de Mme d'Annunzioquand il entreprit le mien, dans son grand atelier de la rueMonsieur-le-Prince. Quelle que fût ma joie, la pose m'énervait au delà de touteexpression ; le grand artiste le comprit, et termina l'œuvre rapidement. Tandisqu'il peignait, il recevait de nombreux visiteurs. Son atelier, aux environs de1910, vit défiler les personnalités les plus célèbres de l'époque. La toile,exposée aux Artistes Français y obtint un vif succès.

Parmi mes plus fervents admirateurs de cetteépoque, était le baron Maurice de R... ; empressé, rieur, il me rendait fréquemmentvisite dans ma loge. Ma situation se faisant désespérée, je me rappelai un jourl'intérêt qu'il avait si souvent paru me témoigner ; je crus pouvoir enconclure qu'il serait peut-être disposé à m'aider : sa fortune, une des plussolides de France, lui permettait, en m'achetant le fameux portrait, de faireune bonne affaire en même temps qu'une bonne action. Je lui écrivis donc à sonhôtel de la rue de Monceau pour lui en soumettre l'offre, exposant trèsfranchement tout ce que je venais de subir, et le désastre qui en étaitrésulté. Je lui avais en même temps fait porter l'œuvre de La Gandara, afinqu'elle pût être examinée, expertisée au besoin. Ma lettre, déchirante, devait,à mes yeux, attendrir même ceux qui ne m'eussent point connue... Six moispassèrent sans que la moindre réponse me parvint... J'allais alors moi-mêmeporter un mot de rappel au Sénat où M. Maurice de R... était parvenu à siégerdans l'intervalle. Un jour, je reçus rue de la Ferme, à Neuilly, la visite d'uncommissionnaire ; il me remit une enveloppe cachetée en me déclarant, selon laformule, qu'il n'y avait "pas de réponse". Le message contenait deux billets demille francs, et la carte d'une Mme Ed. de R., rue Saint-Florentin !

Je ne compris pas, tout d'abord, mais je savaisassez de quelle légitime réputation de générosité jouissait cette femme de bienpour voir dans son geste autre chose qu'une manifestation de sa bonté. Ah ! sile baron Maurice de R... avait été comme elle, ou comme son cousin Henri deR... ce docteur mécène si hautement estimé des artistes, mon offre eûtcertainement été mieux accueillie. En me demandant ce qui s'était passé,j'aboutis à une conclusion, évidemment, mais qui ne devait pas être loin de lavérité. M. M. de R... avait sans doute parlé, dans son entourage, de lasupplique où je lui dépeignais ma détresse, mais en se gardant de dire quelleproposition l'accompagnait. Mme E. de R..., inépuisablement secourable n'avaitvu là qu'une occasion de soulager une infortune, qu'elle pouvait supposer passagère.Je l'en remerciai, par une lettre pleine de gratitude, mais on lui donnant surcette aventure les détails qu'elle semblait ignorer. Je glissai dans mon motles deux billets de mille francs ; pour faire excuser ce que ce geste aurait pusembler avoir d'inélégant, j'empruntai cent francs au frère de mon peintre ?celui-ci étant mort en 1917, l'antiquaire La Gandara, avec lesquels j'achetaides fleurs que j'envoyai à Mme E. de R... Le lendemain, l'excellente femme mefaisait tenir un mot charmant, qui m'émut aux larmes. Son grand cœur avaitcompris : M. Maurice de R... à qui j'avais proposé une affaire s'était arrangéepour me faire envoyer, par d'autres, une aumône !... Il eût suffi, cependant,de bien peu, à ce moment, pour me sauver !

Plus tard, je me résignai à faire reprendre monportrait, rue de Monceau. Ce fut un charmant camarade, l'émouvant comique Michel Simon, qui me prêta quelques milliers de francs, afin que je ne soispas, une fois encore, jetée à la rue ! Mes bijoux, à quoi je tenais tant, furentmis en gage : il me fallait vivre, malgré tout ! Ceux dont je ne pus renouvelerles avances, furent vendus, un dixième de leur valeur ; des mercantis les ontrachetés, qui ont dû en tirer un énorme bénéfice. J'en ai encore quelques-uns,pareillement menacés, si je ne parviens pas à les retirer à temps, ce serafini, je n'aurai plus rien ! Je n'ai plus besoin de grand chose ! Que mespetits chiens ne souffrent pas de ma détresse, je n'en demande pas davantage...Alors, voilà, si je puis encore espérer, j'attends un film, une pièce. Je neveux pas me résigner à croire que le temps des artistes dignes de ce nom soitdéfinitivement périmé, au seul profit des intrigants d'une publicité tapageuse.


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