CHAPITRES _____________
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Polaire
Chapitre 13
CLAUDINE
Je venais d'avoir dix-huit ans quand je créai Claudineà l'école, qui me permettait enfin de m'évader de mes petites chansons.Cependant, de taille élancée et compte tenu d'une formation tardive qui nem'avait pas encore permis de me développer beaucoup, j'avais toujours l'aird'une gamine, surtout avec mes cheveux courts. Entre temps, j'avais joué unerevue à la Scala, où je représentais notamment la célèbre danseuse japonaiseSada-Kako, puis à l' "Epatant", cercle des plus mondains, une charmante opérette : l'Ile de Tuli-Patan. A part la bonne Mme Daynes-Grassot et moi, il n'yavait guère au programme que des artistes de la Comédie-Française. Je doisavouer que les comédiennes officielles me considéraient sans aménitédame ! je n'étais que dit "Caf' Conc". Tandis que nous bavardions dans lescoulisses, Daynes-Grassot et moi, un sociétaire avec qui elle était amicalementliée, passa et, par plaisanterie, lui pinça les... enfin, vous me comprenez. Lavieille artiste, minaudant d'irrésistible façon, lui dit sur un ton de reproche : "Oh ! Tu ne m'as pas laissé le temps de les faire dures !"... Elle avaitalors soixante-dix ans !....
J'avais, comme tout le monde, lu les romans deClaudine : "à l'école", puis "à Paris". Quel choc ce fut pour moi ! Il mesemblait retrouver là-dedans mes petites réflexions et, sans songer une secondeque l'on en tirerait un jour une pièce, et surtout que je pourrais être appeléeà la jouer, trouvant de plus en plus que je ressemblais à cette gamine modernetrépidante et ironique, je finis, ma foi, par m'identifier peu à peu avec elle.Au hasard d'une conversation d'amis, j'exprimai un soir mon admiration pour lesdeux romans, en expliquant comment il me semblait, parfois, que je m'y retrouvaismoi-même. Dès la première occasion, les frères Castera, amusés, me présentèrentà Willy ; il habitait alors rue de Courcelles, et m'accueillit aimablement. Ilétait d'ailleurs infiniment préférable à tout ce que l'on a raconté de lui ;plus tard, cependant, je crus comprendre qu'il ne détestait pas, pour sa petiteréclame personnelle, qu'on lui fit une réputation de débauché, quelque peuvicieux. Peut-être, dans ce sens, a-t-il été un précurseur ? Mais, parfois, lesélèves auraient largement dépassé le maître...
Je fus reçue dans une pièce dont le jour étaittamisé et verdi, grâce à un amusant effet de culs de bouteilles qui filtraientcurieusement la lumière ; une longue table et des bancs, le tout de chênesoigneusement ciré, des cuivres, des étains, des faïences villageoises,donnaient à cette salle un aspect des plus pittoresque : Willy a été un despremiers à sentir le charme des ameublements rustiques. Il riait fréquemment,d'un rire aigu, comme les gosses. Colette avait alors une curieuse petitefrimousse pointue ; elle parlait peu, mais que d'expression dans ses regards !quelles intentions dans ses moindres silences ! Vêtue d'un petit tailleurcorrect, elle avança un banc vers moi, et me dit, avec cette pointe d'accentqui faisait rouler les "r", dans sa gorge :
- Mettez votre derrièrre là-dessus !...
Nous devînmes vite les meilleurs amis du monde.Naturellement, au bout de quelques jours, tout Paris parlait déjà de ménage àtrois ! l'on donnait même les plus extravagantes précisions. Quelles débaucheséhontées ne nous prêta-t-on pas ! On évoqua à notre propos "la maison àl'envers" : peut-être les gens étaient-ils encore impressionnés par le souvenirde cette maison à l'envers qui venait d'avoir son succès à l'Exposition de1900. Pour tous, la rue de Courcelles devint la "rue aux cent mille secousses"; et allez donc ! Ce qui aggrava le cas, c'est que Willy, ayant soudaindécouvert je ne sais quelle obscure ressemblance entre Colette et moi, eut unjour l'idée de nous faire porter à toutes deux un costume identique. Il avaittoujours aimé à se singulariser : ses chapeaux à bords plats lui constituaientdéjà une partie de cette célébrité qu'il méritait pourtant par tant d'autrestitres, moins discutables. Il était d'une érudition surprenante, et dissertaitde tout avec une assurance et une documentation qui me plongeaient dans la plusvive admiration. Je puis dire que dans le développement de mes petitesfacultés, je dois plus au ménage Willy qu'à toutes mes autres fréquentations,avant ou après Claudine. C'est uniquement pour assurer quelque publicitéà cette pièce, qu'il pensait déjà à faire jouer, que Willy nous décida, Coletteet moi, à porter des tailleurs ? fort à la mode à cette époque ? de même coupeet choisis dans le même tissu. Au fond, il nous promenait un peu à la façondont on sort un couple de lévriers ou de danois ; cela attisait une curiositédéjà allumée par ses fameux couvre-chefs. Les gens, pourtant, n'en jasaient quede plus belle : "On ne peut plus les distinguer l'une de l'autre, machère !" s'indignait-on ... "Elles s'affichent... Ce n'est pas surprenantque Willy arrive à s'y tromper !"... Et ces défenseurs d'une morale qui n'avaitjamais été moins en péril, assuraient, avec quelles mines scandalisées, quel'on nous "trouvait tous trois débraillés, pirouettant sans trêve", que sais-jeencore !... C'est tout juste si ces prudes et vertueux bourgeois ne sesignaient pas en nous croisant, ou en passant devant la maison de la rue deCourcelles... Quelles misères !
J'ai toujours pensé que c'est une sorte desadisme hypocrite qui pousse les gens à s'occuper ainsi de sujets scabreux : nefaut-il pas déjà penser au mal, le connaître, même, pour s'en inquiéter avecune telle insistance ? Le fait d'en parler tient peut-être lieu de sensations àceux qui doivent se contenter des seules voluptés de l'imagination ! Dans cetteatmosphère de pudeur exagérée, la création de Claudine fit l'effet d'une fuséepétaradante ; sans doute y avait-il des natures en mal de langueur, car lesréactions furent nombreuses, et rudes !
Quand Willy eut suggéré à Sylvestre, directeurdes Bouffes, que l'on pourrait, des deux romans alors en pleine vogue, tirerune pièce et m'en confier le principal rôle, la proposition fut accueillie avecenthousiasme. Seulement, il fallait que l'on mit en répétition au plus tôt ; etil n'y avait pas une ligne d'écrite ! Willy s'en ouvrit à son ami Lugné-Poë,lequel, dirigeant le Théâtre de l'œuvre, ne devait pas avoir souventl'occasion de rigoler dans le commerce constant qu'il avait avec Ibsen etBJoernstjerne-BJoernson. Lugné-Poë s'engagea à réaliser dans le temps voulu lesquatre tableaux demandés... et courut en parler à son tour, à Charles Vayre, unsympathique bon vivant qui, après être passé par le Conservatoire avec Gémier,de Max, Lutiné et quelques autres, venait de lâcher la comédie pour le romanpopulaire, où il ne réussissait pas trop mal. Je crois bien que c'est lui qui,en moins de huit jours, écrivit la pièce. Elle fut signée Willy et Luvay, deuxdes collaborateurs ayant réuni les premières syllabes de leurs noms.
Les répétitions commencèrent bientôt ; Lugnémettait en scène, avec son sûr instinct du théâtre, Willy, plein d'espoir,faisait des mots, et Charles Vayre riait dans sa grande barbe d'un noir bleuqui lui donnait l'air d'un Landru avant la lettre, mais en moins dangereux. Dèsque les communiqués annoncèrent l'événement, les potins reprirent leur cours :naturellement, les bonnes âmes se refusaient à admettre que le succès pûtaccueillir une telle œuvre, dont beaucoup prétendaient qu'elle était échafaudéesur le vice mais que tous lisaient, plus ou moins en cachette ! Tout de même, Claudine à l'école, n'est-ce pas, en somme, exactement "Jeunes filles enuniforme", film tiré d'une comédie allemande, et à quoi se pâment aujourd'huiles bourgeoises les plus pudibondes ! Il est d'ailleurs commenté, à l'écranfrançais, par un texte, naturellement exquis, de Colette, qui avait apporté àla collaboration de "Claudine" beaucoup plus qu'on ne le sût alors, et qui n'apas dû manquer, en écrivant cette adaptation, de se remémorer quelquessouvenirs...
Certains pronostiquaient un désastre. Centcinquante représentations suivirent et l'on eût aisément dépassé ce chiffre, siArthur Meyer qui avait un ours à caser, dont il faisait les frais, ne s'étaitmontré impatient d'obtenir le four noir qui le devait accueillir. Combines,déjà ? Mon Dieu, oui ! mais elles étaient alors rarissimes, et Sylvestre setrouvait précisément être un de ceux qui ne les dédaignaient pas.
Le grand soir arriva, clans un affolement derépétitions insuffisantes et précipitées, des décors bâclés, la moitié desaccessoires oubliés, même les plus essentiels. Dans ma grande scène avec Marcel? la première "nièce" portée au théâtre ? on avait simplement omis delui remettre le portefeuille révélateur que je devais fouiller ! Je m'en tirai,heureusement : tournant le dos au public, j'affectai, avec une attentionfiévreuse, de me livrer aux investigations prévues... dans un calepinimaginaire. Quelques-uns s'en aperçurent, Nozière, par exemple, qui murmura :
- Pour une gosse qui n'a jamais fait deConservatoire, et qui débute dans la comédie, ça promet !
Je ris encore quand je pense à la gêne quej'éprouvais dans mes scènes avec ce Marcel, outrageusement fardé, ondulé,oxygéné, et paré de cravates trop vives... Dire que tant de légendes ont pus'échafauder sur moi, alors que je n'ai jamais pu comprendre les mœursanormales !...
La générale me réservait d'autres surprises ;au dernier acte, je devais m'abattre furieusement sur mon lit : comme, déjà, jene ménageais pas ma fougue, le meuble qu'on avait installé en scène ?hâtivement improvisé, comme la plus grande partie du spectacle ? s'écroula sousmon élan ! J'eus cependant la présence d'esprit de paraître ne pas m'enapercevoir, et je demeurai, tout le temps qu'il fallut, effondrée sur ce litqui ne l'était pas moins. Quand l'action me permit enfin de me relever, je vousjure que j'avais quelque peu mal aux reins, et aux genoux, donc !
On sait comment se déroulaient les tableauxsuccessifs de la pièce : le premier représentait le préau de l'école deMontigny, avec ses agrès de gymnastique. Le second, c'était le bureau de papa,"docteur ès-malacologie" : pyramides de bouquins énormes et tombereaux d'escargots ! Que ce pauvre Garbagni était donc comique, dans son inénarrable compositionde Maria !... Puis, venait l'intermède fameux du Cabaret de la Sourisconvalescente où, naturellement, on me faisait chanter. ...En a-t-on vu,depuis, au théâtre, de ces boîtes de nuit, avec leurs joueurs d'accordéon,leurs poules de luxe et leurs gigolettes en sarrau noir, col blanc, une mècherabattue sur ! Gril ! Et, même, quand je considère les modes actuelles, jegarde l'impression d'avoir, moi aussi, été un précurseur, en grande partie, dumoins : les cheveux courts, les sourcils obliques, les chapeaux de sport, lesdessous réduits à leur plus simple expression, les robes courtes alors que lamode imposait les falbalas abondants et compliqués, sans parler de la lingerie,multiple et empesée, des bandeaux et des nattes épaisses à la Maeterlinck !Seulement comme, à cette époque, les femmes n'osaient pas encore copierservilement les "actrices", je pus conserver assez longtemps cette sorted'originalité, toute spontanée.
Enfin, l'on arrivait au dernier tableau : lagrande séance dans ma chambrette de Claudine, mes angoisses, mon trouble aprèsles aveux publics sous l'influence du champagne, l'exaltation, trop longtempscontenue, de mon profond amour pour Renaud... Les répliques fusaient etportaient, comme des balles ; le public s'amusait franchement, ce qui semblaitle changer un peu de tant de pièces à l'eau de roses... Ce fut une ruée dans maloge : mes amis pleuraient et riaient à la fois ; Willy exultait, tandis que Lugné,à son habitude, demeurait impassible. Quant à Charles Vayre, il triomphait avecson robuste optimisme de méridional, il ne doutait jamais de la réussite aussibien pour Claudine que pour tout ce qu'il entreprenait. Heureux homme !.... A propos de la tendresse d'une gamine de dix-sept ans pour un de plus dequarante, on se cabra un peu, mais on évoqua "La souris" de Pailleron.
On daigna écrire que Mlle Polaire, connue dansles music-halls pour ses chansons excentriques et ses dessous suggestifs,célèbre pour ses 42 centimètres de tour de taille, faisait ses débuts dans lacomédie avec le rôle de Claudine... "Montrant de l'intelligence et de lafinesse, elle a très agréablement réussi". ...Ah ! Nous n'étions pas alors enproie à l'actuelle maladie des superlatifs, où abondent si complaisamment lestalents "formidables", les compositions "de premier ordre", les créationsinoubliables, géniales, fantastiques" et tant de super-spectacles etd'hyper-acteurs ! En tout cas, chacun eut son succès dans la réussite de Claudine,surtout cette brave Madeleine Guitty qui se montra si cocassement émouvantedans le rôle de ma nourrice Mélie !...
Toutes les représentations se déroulèrent dansune atmosphère délirante ; venus le plus souvent aux Bouffes par seulecuriosité, parfois un peu gênés même de s'y montrer, les gens finissaient parêtre pris : tour à tour amusés et remués, ils marchaient comme un seul homme.Si l'on parla beaucoup de moi à ce propos, ce ne fut pas toujours, certes, avecbienveillance les uns demeuraient aussi haineux que les autres se montraientadorables. Que voulez-vous que j'y fasse ? Je n'ai jamais pu inspirer unsentiment modéré ! Courant tour à tour de flamme ou de glace, on m'aimait ou medétestait ! Le succès n'en allait pas moins croissant, pour la plus grande joiede Willy, celui qui en exultait le plus. Chaque soir ? s'étant, d'un coup d'œilqu'il s'efforçait de rendre détaché, renseigné sur la recette ? il venait dansma loge, où il s'amusait à décacheter et à lire mon courrier. Je n'en avaisguère le loisir, avec ce rôle écrasant et les changements de costumes qu'ilm'imposait ; et puis, ce n'est pas au théâtre que j'attendais beaucoup demessages privés. J'étais habituée, et n'ignorais pas ce que l'on m'y envoyait :des lettres d'adorateurs, parbleu ! Cependant, à partir de là, il vint s'ymêler, et de plus en plus, des missives, combien enflammées ! d'admiratrices.Willy, très amusé, me les montrait, avec un sourire goguenard. Une jeune fillem'écrivait :
Mademoiselle,
Je venais jusqu'à, ce jour vous admirersecrètement au Palais de Glace, mais cela m'est devenu impossible : maman s'estfâchée et a donné des ordres pour que je n'y aille plus aux mêmes heures. Jesuis désolée : comment pourrai-je vous voir, maintenant ? Je vous en supplie,écrivez-moi !... Je voudrais tant vous respirer, ne fût-ce qu'uneminute...
SimoneP...
J'allais, en effet, tous les jours au Palais deGlace, où sévissait la première vogue du patinage. Je m'adonnais avec frénésieà ce sport, de même que je pratiquais tous ceux qu'il m'était possibled'aborder ; au volant d'une auto, j'éprouvais, déjà, l'impression de faire,comme l'on disait alors, de l'aéroplane. Il est authentique que la direction duPalais de Glace reçut les doléances de quelques douairières, scandalisées de lacuriosité dont j'étais l'objet. Non mais, des fois ! allait-on aussi me priverde ma liberté ?
Une autre adoratrice, mariée, celle-là,m'adressait ce message :
Je vais tous les soirs vous applaudir dans Claudine ; mais mon mari, qui m'a suivie, a fini par me surprendre.Furieux de me voir tant vous applaudir, il m'a broyé le petit doigt... J'ailoué un petit entresol rue de Courcelles (ah ! cette rue décidément !) ;je vous en supplie, venez demain, mardi, à cinq heures...
A.de P...
La pauvre détraquée était en effet l'époused'un Russe, qui se montrait fort jaloux, et extrêmement brutal. L'aventure dudoigt broyé ne tarda pas à défrayer la chronique, et prêta à de nombreux échos.
En ai-je reçu, alors, de ces lettresenthousiastes, ardentes ou simplement folles ! Les unes, qui m'exaltaient duseul point de vue artistique et m'encourageaient à poursuivre mes efforts, metouchèrent profondément ; elles me consolaient, en tout cas, de celles que demalheureuses "tapées"" m'écrivaient, bien que je n'y répondisse jamais.Seulement, n'est-ce pas, on avait chuchoté que Claudine était une pièceà scandale. A l'époque, l'œuvre parut osée ; est-ce pour cette raison qu'onfit, un tel succès au livre et à la comédie ? En tout cas, je trouve amusant deconsidérer cela avec te recul actuel, en notre temps où les "nièces" les"prisonnières" et autres amateurs d'interversions et de désordres stupéfiantss'affichent ouvertement.
J'aurais beau jeu, en cette année 1906, sij'avais voulu m'indigner de l'exploitation volontairement ignomineuse quis'organisait autour de Claudine ; il arriva en effet un moment oùl'audace ne connut plus de limites. Dès le début, mon personnage avait étépopulaire, au bon sens du mot tout d'abord. Mais, bientôt, les entremetteusess'en mêlèrent ; quel défilé, Seigneur ! Il n'était pas de jour, pas de soir oùl'une d'elles ne vint me solliciter, celle-ci de la part de tel grand magnat dequelque chose, richissime, naturellement, cette autre au nom de je ne sais quelduc ou prince, comme si les gens de qualité avaient besoin de ces proxénètes !L'une d'elles tenta de me persuader :
- Venez donc, mon enfant, vous n'aurez pas à leregretter... Si vous saviez quelle élite je reçois : rien que des femmes dumonde !
- Je ne suis pas une femme du monde !
- ...les plus jolies artistes !
- Ce ne sont pas des artistes !
La "Claudine" était l'article à la mode ;toutes les marchandes d'amour ambitionnaient dune de se la procurer. Seulement,s'il est facile de trouver, pour ce hideux commerce, la négressetraditionnelle, il l'était moins de me pousser malgré moi dans une déchéancequi me répugnait par-dessus tout ! Alors, mon Dieu, c'est bien simple : onlança des ersatz ! Parfaitement : les boîtes de nuit, les lieux de rendez-vous,les bouges mêmes, jusqu'aux plus misérables, eurent chacun leur "Claudine",sarrau noir, large col blanc et lavallière rouge, sans oublier les cheveuxcourts. Willy, qui fréquentait ces endroits en dilettante, pour observer descaractères ou noter des détails susceptibles de lui servir dans quelque roman,m'assura qu'il y avait souvent rencontré un de mes portraits, alors vendusn'importe où, à quoi une figurante s'efforçait de ressembler le plus possible.Un industriel danois, à l'époque, versa dix mille francs à une matrone pour unenuitée avec une malheureuse prostituée, dont il adora jusqu'au matin les"grands yeux de fallahine". Celui-là, évidemment, retourna dans son pays assuréque je lui avais accordé mes dernières faveurs ; celles qu'il avait payées sicher ne valaient pas cent sous, au premier des coins de rue... Pauvre homme !
Vous vous rendez compte s'il est commode dedéfendre sa réputation avec de pareilles histoires !.... Aujourd'hui encore, ilse trouve des godelureaux qui ne m'ont jamais connue, qui, n'étant même pas,alors, à Paris, en admettant qu'ils fussent nés, n'en soutiennent pas moinsavec assurance les légendes qui couraient jadis, et dont ils ont le front degarantir l'authenticité !... Willy, lui, s'amusait beaucoup : dame, ça leflattait au fond ; en tant que père de Claudine, il se montrait mêmeassez fier de cette vogue, quelles qu'en fussent les manifestations.
Sur ces entrefaites, Arthur Meyer, quienrageait de voir retarder la création de son ours par le succès persistant de Claudine,finit par montrer les dents. Sans doute fit-il valoir à Sylvestre des"arguments irrésistibles", car le changement de spectacle fut bientôt décidé.Le résultat devait en être désastreux : à peine huit représentations, alimentésen grande partie par les amis de l'auteur. Sylvestre pensa bien à reprendre Claudine,mais on avait offert à Willy une intéressante série de représentations àMarseille, et, sans hésiter, il nous avait tous emmenés là-bas... Pendant,qu'aux Bouffes on montait en hâte une opérette : Madame la Présidente,nous voguions vers les rives phocéennes : la Provence, la Méditerranée.
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