Paulus
Notes
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CHAPITRE XXI
Je suis expulsé de l'
Eldorado - "
Le Clairon" - Paul Déroulède - Une enfant prodige - Jeanne Bloch - Henriette Bépoix - Debailleul - "Le rossignol n'a pas encor chanté !" - Lucien Collin - Au Château de Fleurs de Marseille - La Cadichonne - Uzès - Je débute à la
Scala - Aimée Chavarot - Dora.
L'année 1878 est marquée par un des gros événements de ma carrière artistique, Le 20 juillet eut lieu ma résiliation, ou, pour dire plus vrai, mon expulsion, manu militari, de l'
Eldorado.
la Scala, la voisine d'en face, prenait son essor et cherchait à combattre l'
Eldorado par tous les moyens possibles, dont le plus pratique était de lui enlever ses meilleurs artistes.
Cette Scala était le cauchemar de notre directeur. Était-il en difficultés avec un de ses pensionnaires, celui-ci répondait invariablement : "Si vous ne voulez pas, je vais à la Scala, où l'on me demande". Cette réponse clichée horripilait M. Renard et le faisait sortir de son caractère, si courtois d'ordinaire.
Mon contrat arrivait à son terme. Vu mon succès grandissant, j'allais avoir des prétentions tout autres que les anciennes. M. Renard le savait, mais, lui voulait renouveler sans modifications.
Avait-il eu vent des offres qui m'étaient faites ailleurs ? C'est probable, car il changea tout à fait de manières à mon égard. Il me fit plusieurs petites crasses, dans le but évident de déprécier ma valeur aux yeux du public et de la direction de la Scala qui me guignait et me voulait chez elle.
On me mit au jour au programme, et sans m'avoir prévenu, à huit heures et quart. Moi qui ne paraissais jamais que juste avant
Amiati et
Perrin ! J'arrivai, me croyant en avance, juste au moment où il me fallait entrer en scène. Je n'eus que le temps d'enfiler mon habit ; l'orchestre entamait déjà la ritournelle et je bondis par dessus la passerelle des loges pour ne pas manquer mon entrée. Furieux, essoufflé, tout à la colère qui grondait en moi et voilait ma gorge, je fus déplorable. Le public le constata... en me sifflant.
Je sortis de scène sans finir ma chanson ; sanglotant, anéanti, je m'affalai sur une chaise. Puis, pris d'un accès de fureur, je courus chez le directeur, réclamant ma résiliation immédiate. Froidement, il me répondit que, de par notre traité, il était en droit de me faire chanter au tour qui lui plaisait. Mon naturel violent ne me permettait pas la discussion calme qui aurait eu raison de sa prétention ; des mots, j'en vins à l'injure et je lui sautai au cou avec l'intention évidente de l'étrangler.
Heureusement pour lui, et pour moi, Capet, le régisseur, et Hurbain se trouvaient là et m'empêchèrent de commettre ce directoricide !
Quelques jours après, c'était la répétition à l'orchestre. La régie m'avait indiqué quatre heures pour mon tour. J'arrivai à l'heure juste. Je répétai une scène musicale de Chaudoir que je possédais assez bien, mais dont quelques mesures ad libitum m'embarrassaient un peu. On dut recommencer plusieurs fois. Les musiciens de l'orchestre qui avaient hâte de s'en aller - il y avait trois heures qu'ils répétaient - commencèrent à manifester leur mauvaise humeur. Le bon Malo me fit observer qu'il était tard et comme j'acceptais tout de sa bonne grâce habituelle, j'allais en rester là, quand un des musiciens dit tout haut : "Quand on ne sait pas sa chanson, on ne vient pas à la répéter. Nous ne sommes pas ici pour suppléer à l'ignorance musicale des chanteurs" . C'était la goutte d'huile jetée sur le feu. Je répliquai, avec colère, ne pouvant pas me contenir plus longtemps :
- Les répétitions ne sont faites que pour ça. Vous êtes ici pour me faire répéter tant qu'il me plaira.
Des rires ironiques accueillirent ma protestation. Une observation, plus blessante encore, d'un autre, mit le comble à la mesure. Je voulus qu'il retirât une expression dont il s'était servi ; il refuse. Malo eut beau s'interposer, supplier, ordonner, il était trop tard !... Je devenais fou furieux ! Je bondis, de la scène dans l'orchestre, et giflai mon insulteur. On nous sépara, non sans peine.
Vous entendez ce qui se passa, le soir, dans la Régie, entre le Directeur et moi. Je dus lui débiter toutes les injures qui passèrent dans ma tête affolée, voire même des menaces, car il envoya chercher des agents de police qui me déposèrent, incontinent, dans la rue.
Le lendemain, sur le conseil de mon avoué, je me présentai à l'heure habituelle à l'
Eldorado. J'y fus reçu par toute une escouade d'agents qui me barrèrent la porte. J'intentai un procès à M. Renard. On nous renvoya dos à dos et la résiliation fut prononcée.
J'ai longtemps regretté de n'avoir pu maîtriser ma violence native et d'avoir quitté le nid de mes premiers succès. J'aurais, je crois, courbé un peu mon échine, pourtant si rétive, afin de rentrer en grâce, mais M. Renard répondait invariablement à ceux qui lui disaient mes regrets :
- La Maison s'effondrera avant que Paulus y rentre.
La Maison ne s'est pas effondrée, je n'y suis pas rentré, mais plus tard nous sommes redevenus bons amis, M. Renard et moi.
Mon cœur, fort heureusement, valait mieux que ma tête qui s'est toujours comportée comme une soupe au lait oubliée sur un feu ardent.
Un nouveau triomphe pour la grande Amiati !
Et son nouveau succès n'est pas mince ! il sera universel ! Le château et la chaumière, le salon, l'atelier et la rue s'en empareront.
Il s'appelle "Le Clairon" ! Sur les beaux vers Patriotiques de Paul Déroulède, le compositeur Émile André a écrit une superbe et sobre musique que l'organe généreux de la belle artiste lance au public frémissant.
L'enthousiasme est à son comble ! À la première, un zouave qui était aux galeries supérieures, empoigné, ne sachant comment exprimer son admiration, a jeté sa chéchia sur la scène et, si on l'avait retenu à temps, il se précipitait, - non pour reprendre ce bouquet d'un nouveau genre, mais pour baiser les mains de celle qui venait de faire vibrer son cœur et mouiller ses yeux.
C'est à cette époque que débutait Jeanne Bloch au concert.
Une Jeanne Bloch, déjà potelée du haut en bas, dans des proportions appétissantes, chantant et jouant avec le diable au corps.
Elle porte de préférence la jupe courte et qui lui permet de ne pas trop cacher une jambe faite au tour, que le plus difficile des statuaires tiendrait à se payer comme modèle de quelques bacchante. Elle possède déjà ses planches à fond, ayant débuté à l'âge de neuf ans avec Déjazet qui s'y connaissait en dispositions artistiques et choyait la petite Jeanne.
C'était une enfant-prodige. Elle a conté dans Fantasio ses débuts amusants et de sa plume alerte, et sans façons comme elle, écrit cette courte autobiographie :
"Pas plus haute qu'une botte de garde municipal, je connaissais tous les refrains de la rue et du concert et je les roucoulais du matin au soir à la maison où j'épatais les parents et amis. Comme j'étais timide, je me blottissais sous la table pour chanter ; c'était là une scène et je m'y tenais debout. C'est dire si j'étais petite, hein !... Quoi ? vous avez l'air de penser que je n'ai guère changé - Si, monsieur !... Seulement comme je n'aime pas fait comme tout le monde, j'ai grandi... en largeur. Non, je ne fais pas comme les autres, mais j'adore les imiter parfois. Étant toute gamine, dans un petit théâtre, j'ai imité Thérésa, dans la Chatte Blanche. (On pouvait déjà deviner que plus tard je pourrais singer Sarah Bernhardt, Coquelin, Yvette Guilbert, et vingt autres, de la façon qu'on sait).
"Un jour, Déjazet, la grande Déjazet, ayant entendu parler de moi, voulut voir le petit prodige et m'engager dans son théâtre, un matin pour jouer un petit rôle le soir même. Ah ! il ne me fallait pas beaucoup de temps pour apprendre ! Je savais tout par intuition, sans avoir jamais rien appris.
"Déjazet, enchantée de sa petite pensionnaire, me prend sur ses genoux et me dit de lui chanter quelques chose. Je m'exécute et je lui sers une imitation de... Déjazet, dans Monsieur Garat. Non ! ce qu'elle m'a félicitée, embrassée, cajolée, tout en riant et me faisant bisser et trisser ! Comme remerciement, elle m'a donné son portrait avec cette belle dédicace : "Tous mes vœux pour votre avenir", prédisant mes succès futurs. Vous pensez si je garde précieusement un souvenir comme celui-là !
"Depuis ce temps-là, j'ai fait du chemin, cherchant toujours à innover, à créer des types. Avant que les femmes aient songé à s'émanciper, j'ai chanté les femmes-avocates, les femmes-cochères, les femmes-soldats, je suis la précurseuse du féminisme, moi !... je le dis sans modestie... et puis, zut ! pour la modestie !... c'est presque toujours de l'hypocrisie et je ne tiens pas cet article-là".
Elle a abandonné le théâtre pour le concert ; notre public ne s'en plaint pas.
Jeanne Bloch, c'est le rire, la gaîté, la santé, l'exubérante joie de vivre ! Elle empaume le public ! Une mobilité extraordinaire de physionomie, une intelligente compréhension de la scène lui permettent d'aborder tous les rôles, donne d'enfant, cocotte, ingénue, ouvrière, femme du monde, pipelette. Sa carrière sera brillante.
À l'heure qu'il est, Jeanne Bloch est encore la coqueluche du public bon enfant qui aime les gros effets et le comique fort en gueule.
Dès qu'on me sut libre, les propositions d'engagements affluèrent.
J'acceptai celle de la Scala pour l'hiver prochain. Les conditions étaient excellentes et, c'était satisfaire ma rancune contre l' Eldorado.
J'avais deux bons mois d'été de libres ; je désirais les utiliser en province et j'optai pour Marseille.
Pendant les quinze jours qui précédèrent mon départ, j'eus le loisir d'aller entendre les camarades et de me procurer quelques nouveautés à succès pour enrichir mon répertoire.
Libert, avec qui je déambulais, un soir, de concert en concert, m'emmena voir sa rivale, la première gommeuse qui ait paru au concert, à l' Alcazar d'Hiver, la charmante Henriette Bépoix.
C'est elle qui ose arborer le gigantesque chapeau fantaisiste et la toilette excentrique que tant d'autres depuis ont revêtus.
Qu'elle était jolie, gracieuse, cette Henriette Bépoix ! Elle l'est toujours, mais elle a privé, prématurément, ses innombrables admirateurs de la joie de la voir et du bonheur de l'applaudir. Du concert elle a passé au théâtre, réussissant dans l'opérette, en province et à l'étranger ; puis est revenue à Paris créer la Mouquette dans Germinal et la Princesse Giboulée dans le Petit Chaperon rouge, au Châtelet.
De l'Alcazar d'Hiver nous allâmes au XIXe Siècle où Debailleul venait de créer une chanson qui eut un énorme succès.
C'était "Le rossignol n'a pas encor chanté", paroles de Villemer, musique de Lucien Collin.
Debailleul, était alors le chanteur favori des dames. Sa jolie voix de baryton, caressante, charmeuse, prenait les oreilles et les cœurs. Il roucoulait des chansonnettes que les ateliers répétèrent à l'envi.
Ses grands succès populaires ne se comptent pas. Qui n'a fredonné "Un déjeuner sur l'herbe", "Chapeau rose et fin mollet", "Le Vin de Marsala", "Songe rose", "La Chanson des Clochetons","Laisse-moi t'aimer, ma belle" ! et surtout ce fameux "Le Rossignol n'a pas encor chanté" ! qu'on sera content de voir ici. Je dois quelques lignes au compositeur de cette jolie musique.
Lucien Collin était un parisien pur sang. Lauréat du Conservatoire où il avait fait des études complètes : solfège, harmonie, fugue, contre-point, composition et cor d'harmonie. Il avait obtenu quatorze nominations dont trois premiers prix ! Entré comme premier piston-trompette à l'Opéra-Comique, il monta un jour de l'orchestre sur la scène et chanta le rôle de Girot du Pré aux Clers. La nature, prodigue de ses faveurs, lui avait encore octroyé une bonne voix de baryton, un peu sourde, mais qu'il conduisait à merveille.
Tout en faisant applaudir sur la scène, il trouvait le temps de composer des bijoux musicaux. Ses succès ont été très nombreux.
Il se reposait de ses multiples travaux avec le noble jeu de billard ; il variait les séries de ses succès au concert avec celles du carambolage. C'était, et c'est plus que jamais, un amateur de première force faisant ses cent points à la file sans avoir l'air d'y toucher.
Signes particuliers : joli garçon et excellent homme.
Parachèvera son bonheur en 1884, en devenant l'époux de la toute charmante Juliette Baumaine.
Me voilà sur la Cannebière, dans la ville des beaux cafés, des plantureux corsages et des joyeuses exubérances. Je suis engagé pour quinze représentations au Château des Fleurs, direction Rosenbaum.
Admirablement accueilli par ce public, tout en dehors, qui ne cache pas ses impressions, j'y chante le répertoire créé par moi à l' Eldorado, sans oublier la chanson de Collin, empruntée à Debailleul, et si ce brave ami m'entendait, il verrait que je fais autant que lui d'effet, mais autrement.
Le Château des Fleurs est un immense parc dans l'Avenue du Prado où tiennent à l'aise dix mille personnes, et c'est plein les dimanches et jour fériés.
Il n'y a pas à dire, mon nom est déjà connu, la Renommée l'a apporté aux oreilles des Phocéens. On attendait donc beaucoup de moi, on fut satisfait puisqu'on me le prouva. Et les battoirs marseillais ont une sonorité particulière ; on dirait qu'ils ont l'assent.
Dès lors je fus consacré étoile ; je suis retourné bien souvent depuis à Marseille et ma popularité n'a fait qu'y grandir.
Oh ! la dernière représentation ! J'en ai gardé un souvenir orgueilleux. Dès huit heures du soir, le Château des Fleurs était envahi. À neuf heures, un service de police dut barrer les entrées : tout était comble.
L'impatience de m'entendre une dernière fois produisait une bruyante effervescence chez le public.
Mon entrée en scène fut saluée par des acclamations qui firent que je me surpassai, chantant dix chansons de suite. Et encore on me fit bisser "Le rossignol n'a pas encor chanté".
Le lendemain, les journaux me comblèrent d'éloges et évaluèrent la recette à dix mille francs. C'était exagéré, car, dans les bousculades qui s'étaient produites à l'entrée, le contrôle n'avait pu bien fonctionner et beaucoup d'amateurs s'étaient régalés du concert à l'œil.
Mais la recette fut encore fort belle puisque, pour ma part, on me versa 2 500 francs, - joli denier que, certes ! je n'espérais pas.
Le lendemain, je bouclai mes malles pour Paris. Plusieurs de mes admirateurs tinrent à me reconduire à la gare où j'en trouvai un autre, plus enthousiaste encore et employé aux bagages, que me dit, confidentiellement, et tout troublé sans doute de parler à ma personne :
- Môssieu Paulusss ! si vous avez des antécédents de bagages, comptez sur moi... hé !
À cette époque existait à Paris une réunion de Bordelais notables qui, chaque mois, festoyaient chez Voisin.
La politique était bannie de ces agapes ; la chère y était exquise.
Tout en dégustant les meilleurs crus de Médoc, on y dépensait beaucoup de bonne humeur, énormément d'esprit.
Aurélien Scholl, le délicieux chroniqueur, qui venait souvent aux concerts des Champs-Élysées, m'invita un jour à une de ces réunions. Vous pensez si j'acceptai avec enthousiasme. Il n'y avait là que des personnages connus, célèbres, voire illustres.
Le Maître me présenta un Président, le Comte de Lur-Saluces, un beau vieillard de stature imposante, propriétaire du fameux Château-Yquem et qui fit une impression profonde sur moi. Je ne pouvais détacher mes regards de cette superbe tête, auréolée de cheveux blancs, empreinte d'une noblesse majestueuse. Puis me serrèrent la main MM. de Lanessan, le futur ministre de la Marine ; Catulle Mendès ; Lalande, député et richissime viticulteur de la Gironde ; Lafitte, un savant, un charmeur ; le peintre Guignard ; le sculpteur Granet que me fit plus tard un buste en bronze ; l'aqua-fortiste Lalanne ; Raoul de Saint-Arroman, l'aimable et spirituel secrétaire-général de la Société ; Durand d'Acier, grand propriétaire bordelais ; Théodore de Graves (du Figaro) ; baron de Vaux (du Gil Blas) ; Braquessac ; Crosti, le célèbre chanteur, professeur au Conservatoire ; Raynal, le grand chapeler et dix autres.
J'étais ébaubi ! jamais pareille débauche de saillies fines, de récits humoristiques, de discussions brillantes n'avaient retenti à mes oreilles.
On me fit un cordial accueil et je dus conter mes débuts à Bordeaux. Je dus aussi promettre de revenir à ces dîners. Vous pensez bien que je n'eus garde d'y manquer.
Ben-Tayoux et Uzès, les excellents compositeurs de musique, étaient au nombre des commensaux de cette aimable Cadichonne.
Cornélie vient de mourir [14 avril 1876].
On se rappelle la tragédienne qui avait révolutionné l' Eldorado en 1867, en y venant réciter les Imprécations de Camille et avait été la cause de cette innovation : le costume au Café-Concert.
Elle n'avait pas réussi à la Comédie-Française ; non qu'elle manquât de talent, elle aurait en revendre à des camarades plus applaudies, mais parce qu'elle était laide.
Cornélie était l'épouse, très légitime, d'un aimable homme, bohême à tous crins et auteur intermittent. Il avait eu un certain succès dans une pièce au Châtelet : Le comte d'Essex [pièce écrite par son mari, M. Couturier]. Sa femme y jouait le rôle de la reine Élizabeth et si bien, ma foi ! qu'on l'applaudissait à tout rompre. On ne voyait plus la disgrâce physique de l'artiste : le talent la transfigurait aux yeux du public.
Au mois d'octobre, je débutai à la Scala.
Ce superbe établissement s'était édifié sur l'emplacement du café-concert du Cheval Blanc et Mme Roisin en était la directrice.
Une excellente troupe y figurait déjà sur le programme. Il y avait Mme Patry, une forte chanteuse, à la voix puissante, qui chantera les premiers rôles d'opéra, en province ; puis Aimée Chavarot, une bonne comique, fort goûtée du public, et qui réussissait bien les types de gommeuses. À côté d'elle, sa fille, Dora, débutait. Une enfant encore, toute mignonne avec ses bras nus graciles et bien tournés ; des yeux vifs, intelligents, chercheurs, une diction déjà fort nette qui fait présager l'excellente artiste que nous retrouvons plus tard, en vedette, à l'Éden-Concert.
Il fallait que Mme Roisin eût une énorme confiance dans l'effet que produirait mon nom sur la recette, car elle me donnait quatre-vingts francs par jour, somme énorme à cette époque.
Elle qui rappelait, à tous propos, que le meilleur artiste comique qu'elle ait eu jadis, Constans, n'était payé que dix francs par soirée.
À la Scala commença l'ère de mes gros appointements.
Il me fallait des nouveautés, car, certainement, une bonne partie du public de l' Eldorado franchirait la rue pour me revoir et teindrait à entendre un autre répertoire que celui qu'il connaissait par cœur.
Je créai une scène très importante, musique de Charles Malo, Les Chanteurs peints par eux-mêmes, qui consacra ma réputation de virtuose.
Je tenais la scène pendant quarante minutes, faisant défiler, du ténor à la basse-taille, et chantant leurs morceaux d'opérette, d'opéra-comique et d'opéra.
La maman Roisin ne regrettait pas les quatre-vingts francs qu'elle m'octroyait chaque soir ; elle faisait des affaires d'or!
Il ne me manquait qu'une chose : les journaux ne s'occupaient pas beaucoup de moi, - c'était une lacune dont souffrait mon amour-propre.
Cette lacune allait être comblée, au delà de mes vœux.
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