SOMMAIRE & NOTES

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Eugénie Robert







Gustave Nadaud



















































Eugène Pottier




























Zulma Bouffar






































































































Joseph Kelm





























































Pierre Dupont

Paulus



Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE V

Eugénie Robert - Les goguettes - Les présidentes - Gustave Nadaud - Eugène Pottier - Amiati - Zulma Bouffar - À l'Eldorado de Lyon - Joseph Kelm - La bague du Tsar- Le truc du bourreau - Un artiste pratique - Pierre Dupont - "Ma vigne".


Entre deux engagements de province, je m'empressais d'accourir à Paris pour voir, écouter, apprendre tout ce qui se faisait de nouveau au concert.

En ce moment, au Concert des Porcherons , à Paris, triomphait Eugénie Robert. Une enfant de la balle. À l'âge de dix ans, aux Folies Dramatiques, elle jouait les rôles d'enfants avec une assurance et un goût remarquables.

Un an après, elle était chef de chœurs au Cirque Napoléon [aujourd'hui Cirque d'hiver Bouglione, 110 rue Amelot, 11e] . A onze !... Elle y resta plusieurs années.

Sa mère, artiste aussi, ayant éprouvé maints déboires dans la carrière artistique, voulut les éviter à sa fille et, à quatorze ans, lui apprendre le métier de brunisseuse sur porcelaine.

Mais le brunissage ne fit pas son bonheur et, en 1859, elle débutait au Concert du Géant, chantant la romance. Après une saison au Café Moka, elle entrait à l'Eldorado. À Bruxelles, dans le répertoire d'Opéra-Comique et d'Offenbach, elle fut acclamée. Elle rentra au concert où, jeune, charmante, intelligente, douée d'une belle voix, et d'un jeu très séduisant de comédienne, elle se fit adorer de ses nombreux auditeurs.

Et j'allais aussi dans les goguettes.

La goguette a disparu presque tout à fait, et les jeunes ne se figurent pas ce qu'étaient ces réunions amicales des amateurs de la chanson. Le bon chansonnier, Eugène Baillet, en a fait l'historique de façon très compétente. Son livre, un jour publié, permettra de sauver de l'oubli quelques rimeurs de couplets satiriques, philosophiques et politiques qui valaient mieux que leur notoriété éphémère.

Les goguettes se tenaient dans des cabarets, le plus souvent situés au delà des barrières. Les chansonniers amateurs, pour la plupart des ouvriers, se faisaient entendre dans leurs productions et quelques-uns ont laissé des noms aimés de ceux qui professent le culte du couplet cher à nos grands-papas.

Vous pensez que j'y obtenais beaucoup de succès. Les bravos, les bans, rythmés avec les soucoupes et les verres, m'étaient prodigués. C'était tout ce que ça rapportait ; mais ça faisait connaître le nom de Paulus. J'avais une supériorité sur presque tous les autres goguettiers ; j'avais déjà chanté en public ; et mon aisance professionnelle me permettait de produire des effets ignorés des amateurs.

Les goguettes étaient quelquefois présidées par des femmes, épouses des chansonniers et chansonnières elles-mêmes à l'occasion.

Pierre Dupont avait beaucoup fréquenté les goguettes y chantant toutes ses belles chansons. Gustave Nadaud aussi, et il a conté cette anecdote.

Un soir, les deux grands chansonniers se trouvaient dans un petit restaurant, suffisamment borgne, de la rue Basse-du-Rempart, où l'on se réunissait pour y être à l'aise, à l'abri des oreilles policières.

C'était en 1848. À tour de rôle on chanta. Un des assistants venait de dire la sienne. Le souffle ardent qui animait cette chanson et la beauté des vers surprirent Nadaud qui demanda à Pierre Dupont qui était cet homme.

L'auteur des "Sapins" répondit :

- Ça  ? c'est Pottier. C'est un qui nous dégote tous les deux !


Une soirée-goguette présidée par des dames

La soirée prit fin ; on se sépara. Pendant trente-cinq ans, Gustave Nadaud demanda vainement à tous les échos l'auteur de la Propagande des chansons. C'était le titre de l'œuvre chantée, rue Basse-du-Rempart. Un hasard, un concours à la Lice chansonnière, lui fit retrouver ce Pottier, vieux, courbé, misérable.

Nadaud demanda au bonhomme ce qu'il pouvait faire pour lui. Pottier n'avait qu'un désir, c'était de voir ses chansons imprimées. Nadaud fit les frais d'impression du volume.

Et voilà comment Eugène Pottier, le révolutionnaire, le membre de la Commune, dut au réactionnaire Gustave Nadaud de voir ses œuvres sauvées de l'oubli.

Et on sait qu'Eugène Pottier est l'auteur de "L'Internationale" !

Voilà un bel exemple de confraternité littéraire.


À l'Eldorado, un début sensationnel :

Une belle jeune fille, à la voix superbe, grave, troublante, vient d'y chanter, en jupon court, des chansons paysannes.

Elle a nom : Amiati !

Plus tard, en 1871, nous la retrouverons, chantant les deuils de la Patrie, électrisant la salle par sa beauté et son talent.

Pas loin de moi, dans une loge, une jeune femme l'applaudissait à en faire craquer ses gants. Je demandai à un de mes amis qui la saluait quel était son nom.

- Vous ne la connaissez pas ? C'est  Zulma Bouffar ; elle a été des nôtres. Toute jeunette elle a chanté au Pavillon des Ambassadeurs, puis le père Bouffar, homme pratique, l'emmena courir les cafés-chantants d'Outre-Rhin où elle récolta succès et thalers [unité monétaire des pays germaniques du XVIe au XIXe siècle]. Offenbach l'entendit à Cologne, et la fit engager aux Bouffes, du passage Choiseul, où elle est devenue vedette. Elle a plu au public parisien, attiré par son chien, sa crânerie et aussi par ce nom bizarre qui faisait écrire à Paul de Saint-Victor [1] : "Zulma ! - Bouffar - quel bizarre assemblage !... On dirait une plume d'oiseau de Paradis sur un bonnet de coton".


[1] Paul [Bins] [comte] de Saint-Victor.
Écrivain né et mort à Paris (1827-1881), critique dramatique au Pays (1851), à la Presse (1855), à Liberté (1866) et au Moniteur Universel en 1869. -À la fin du Second Empire, en 1870, il fut inspecteur-général des Beaux-Arts.


J'étais engagé pour un mois au concert de l'Eldorado, à Lyon.

J'y trouvais Joseph Kelm, en représentations. L'extraordinaire comique était au bout de sa carrière, mais en avait-il eu des succès !

Né à Rouen, en 1802, il s'appelait de son vrai nom Joseph Cahen. Le secrétaire de son premier directeur avait entendu Kelm, au lieu de Cahen, et avait ainsi inscrit son nom sur l'engagement. Kelm trouva la modification à son gré et l'adopta pour toujours. C'est comme premier ténor qu'il courut la France et l'étranger, chantant Lucie de Lammermoor et tout le répertoire d'opéra. Il lâcha le théâtre et on peut dire qu'il fut un des créateurs du café-concert. Aux Folies-Mayer (Mayer était son beau-frère), il jouait des pièces bouffes, avec Hervé, leur auteur.

Comme il était défendu, au concert, de jouer des pièces à plus de deux personnages et qu'il s'en trouvait comportant trois rôles, nos compères tournèrent la difficulté ; un mannequin figurait le troisième acteur et Kelm, qui avait un joli talent de ventriloque, parlait pour lui.

En Russie, le tsar Nicolas 1er, ravi de l'avoir entendu, le fit venir et lui demanda quel cadeau pouvait lui être agréable.

- Sire ! - répondit le roublard qui fixait la main impériale où scintillait, un joli diamant - si je possédais une bague de votre Majesté, je la porterais, reconnaissant, toute ma vie.

L'autocrate sourit : il avait suivi le regard de Kelm. Retirant la bague de son doigt, il la lui donna.

Plus tard, dans un moment de dèche, Kelm porta la souvenir impérial chez cette bonne tante, qui compte tant de neveux. On lui prêta cinq mille francs dessus. Le cadeau était joli !

Il était d'une force herculéenne. Avec ça, maître d'escrime, de boxe, de canne, et fumiste comme Romieu et Sapeck [2] réunis.


[2] François Auguste de Romieu (1800-1855), sous-préfet à Quimperlé en 1831, célèbre pour ses facéties rapportées par Alexandre Dumas dans ses Mémoires, et Eugène Bataille dit Sapeck, peintre, auteur de "La Mona Lisa fumant une pipe."


Quand il voyageait en chemin de fer il s'arrangeait pour avoir, la nuit, une banquette à sa disposition.

S'abouchant avec un autre voyageur qui se prêtait volontiers à la combinaison puisqu'elle lui profitait, il bavardait au départ, si haut et si bien, que tout le monde était persuadé que c'étaient le bourreau de Paris et son aide qui s'en allait opérer en province.

On les laissait seuls. Quand, aux stations, on demandait au chef de train un compartiment peu garni, celui-ci répondait :

- Il y en a bien un qui n'a que deux occupants, mais c'est le bourreau et son aide. On n'insistait pas.

En avait-il eu du succès avec toutes ces drôleries qu'il interprétait si originalement : "La belle Polonaise", "Le sire de Framboisy", "Le pied qui r'mue", "Madame de Carabas", "Le docteur Izambart" (chanson qu'il avait entendue en Allemagne et traduite).

Quand je le connus à Lyon, encore très amusant (il avait soixante-six ans) son pouvoir sur le public était toujours très grand.

Il chantait alors avec un succès fou Ma charmante Rosalie.

Il avait une façon de rouler les r en chantant, et prononçait :

Madame de Carrrrrrabas
Rrrrrrrraccomodez-lui ses bas !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

ou :

Ma charrrrrrrmante Rrrrrrosalie !

L'effet était irrésistible ; on l'acclamait.

Il sortait à tout propos sa langue hors de la bouche, comme à bout d'haleine ; le public ne résistait pas à ce gros effet et étouffait de rire. Des coulisses, nous lui faisions le même succès.

L'artiste était doublé d'un commerçant de premier ordre. Il joignait l'utile à l'agréable. Entre deux représentations, il était commis-voyageur et plaçait du phénol. Il en avait toujours une centaine de flacons dans sa valise et faisait l'article aux camarades et spectateurs, avec un luxe d'éloges, sur la valeur de son produit, qui forçait l'acheteur hésitant.


Il m'avait pris en amitié, me racontait ses triomphes d'antan et les traditions qu'il avait trouvées. Je l'écoutais avidement et j'ai mis plus d'une fois lesdites traditions à profit.

Son voisinage me nuisit un peu ; mes débuts furent modestes ; cependant ma voix fut remarquée dans cette salle immense.

Un mois se passa ainsi sans grand éclat pour mon nom.

On ne me connaissait pas, les journaux du Midi, qui auraient pu parler de moi, n'arrivaient pas à Lyon ; Joseph Kelm m'impressionnait à l'instar de Perrin naguère ; et j'avais peur de ce public lyonnais qu'on m'avait dépeint comme difficile à l'excès.

J'eus le bonheur, pendant mes derniers jours à Lyon, d'y rencontrer Pierre Dupont.

Il était vieilli, usé, presque sordide, courant les cabarets, la guitare au bras, prodiguant les filles de son génie pour quelques sous, vite échangés contre des petits verres de tord-boyaux.

Un ami m'avait présenté à lui, dans la rue. J'offris d'aller achever la connaissance chez un cafetier voisin ; il accepta avec empressement.

On causa chansons. Il me chanta la Vache blanche, le Tonneau et Ma Vigne, qui a tant été acclamée partout, qu'elle a sa place ici.

Tout en faisant se succéder les tournées, on bavardait beaucoup. Je lui disais mon trac inimaginable.

- Bah ! s'écria-t-il, vous n'en aurez jamais un, égalant celui que je possédais à votre âge et que j'ai gardé pendant si longtemps. Il était invraisemblable et m'a valu, pour beaucoup, de n'avoir pas doublé la cigale d'une fourmi.

-Vraiment ?

- En voulez-vous un exemple - continuant-il en riant. Écoutez celui-là. À mes débuts j'étais lié d'amitié avec Gounod. Un jour que je lui témoignais le désir d'avoir un article de Sainte-Beuve, le célèbre critique, il me dit :

- Va le trouver, il te recevra à merveille.

- Je n'oserai jamais lui parler.

- Eh bien, ne parle pas, chante lui quelque chose, il sera emballé et tu obtiendras ton article.

Pour me donner du courage, j'emmène avec moi Gustave Mathieu, le chansonnier. Nous arrivons rue du Montparnasse, où habitait le critique. Devant la maison le trac me prend et je dis à Mathieu :

- C'est inutile, je ne suis pas en voix.

- Essaie toujours, me répondit-il

Alors, dans la rue, je lance le premier couplet des "Bœufs". La voix était bonne ; j'allais pénétrer dans la maison, quand une fenêtre s'ouvre, une femme paraît et me jette deux sous.

- Merci, madame, balbutiai-je, en me sauvant à toutes jambes, suivi de Mathieu qui me criai en riant :

- Il fallait au moins ramasser les deux sous.

Pauvre Pierre Dupont. Un an après, en 1870, il mourait, toujours aussi gueux.


Marseille avait quelque peu assombri mes espérances ; Lyon avait achevé la besogne. J'étais fatigué, moralement surtout.

J'avais une envie folle de voir ma mère, Quand on a eu quelques peines, en pense toujours à sa mère.

J'allai me reposer auprès d'elle à Bordeaux, pendant près de trois mois. Ce qu'elle fut heureuse ! Me reposer... autant que le vif argent qui coulait dans mes veines le permit.

Sur ces entrefaites, M. Lassaigne, le directeur du Jardin Oriental de Toulouse vint à Bordeaux pour compléter sa troupe d'été et me dit :

-Vous savez que nous comptons absolument sur vous !... et, plus que jamais, vous ferez partie de la famille. Ma femme et Rosa vous confectionneront de ces petits plats dont vous étiez si friand.

- Je ne vous ai pas dit qu'en outre de sympathiques papa et maman Lassaigne, il y avait une belle jeune fille, l'aînée des enfants, Mlle Rosa. Et je me suis senti si bien de la famille que, plus tard, Mlle Rosa devint... Mme Paulus.

Ils retournèrent à Toulouse et moi je restai encore quelque temps à Bordeaux, apprenant les nouvelles chansons qu'on m'envoyait de Paris et dont j'essayais l'effet sur les camarades.

 

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