SOMMAIRE & NOTES

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Amiati, en travesti


Villemer








Delormel








Léonide Leblanc, à ses débuts























Gustave Michiels







































































































































































Paula Browns




Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE XVI

"Le Maître d'École Alsacien" - Villemer et Delormel - Amiati en travesti - "Une Tombe dans les Blés" - Alida Perly - Léonide Leblanc - Mme Graindor - "Le Train des Amours" - Gustave Michiels - Les Dames de Vienne - "L'Amour n'a pas de saison" - Paula Browns.


Un tonnerre d'applaudissements ! une salle en délire, des yeux qui brillent, qui pleurent ; des bras qui se tendent frémissants vers un horizon lointain !... c'est la grande Amiati qui vient chanter " Le maître d'école alsacien".

Ceux qui ont blagué le patriotisme des cafés-concerts n'ont pas assisté à ces soirées, au lendemain de la défaite, où les complets douloureux, vengeurs, chantant l'espérance, trouvaient un écho dans tous les cœurs en deuil. Beaucoup de ces chansons pêchaient par la forme, accusaient des auteurs peu érudits, inexpérimentés, mais elles étaient senties, vraies, touchant juste, restaient gravées dans les mémoires et, dès le lendemain, elles étaient répétées dans la rue, dans l'atelier, dans la chaumière, par toute la France. 

Une prosodie plus soignée, des rimes plus riches, n'auraient pas ajouté au succès du "maître d'école alsacien", excellente chanson de Villemer et Delormel, musique de Ludovic Benza, et qui se chanta dans tout le pays... et là-bas.

Villemer racontait que cette chanson lui avait été inspirée par le fait suivant, pendant un voyage qu'il fit, en Alsace, quelques temps après la guerre. 

Il cheminait par la route, quand la pluie vient à tomber. Il cherche un abri et frappe à la première porte du village qu'il a pu atteindre. La porte s'ouvre ;  une douzaine de bambins, à sa vue, courent se serrer autour du vieux maître d'école, dont c'était la demeure, et se mettent, avec une ardeur simulée, à épeler dans la langue de Bismarck.

 - Que désirez-vous, monsieur ? demande le maître d'école, en allemand.

 - Je ne comprends pas... je suis Français. - dit Villemer.

 - C'est un Français !... c'est un Français ! s'écrie le bonhomme ; et tous les gamins d'accourir, joyeux, autour du visiteur, lâchant la grammaire abhorrée.

De retour à Paris, Villemer conta l'anecdote à Delormel, et " Le maître d'école alsacien" était fait le lendemain.

Maintenant, il faut dire que Villemer avait beaucoup d'imagination. Il se peut que la chanson ait été tout bonnement inspirée par la nouvelle d'Alphonse Daudet, la Dernière Classe, qui venait de paraître dans l'Événement, et qu'un ami de Delormel lui montra. Quelle qu'ait été sa cause, la chanson était excellente.

Villemer et Delormel, en collaboration, ont produit un nombre considérable de chansons, dont beaucoup furent de grands succès. Ils ont fait vibrer la corde patriotique, alors qu'elle était tendue à souhait ; ils ont trouvé des interprètes hors ligne comme Chrétienno (voir à Amiati), Amiati et Vialla ; ils ont été servis par les circonstances, par les artistes, mais leur mérite ne doit pas en être amoindri.

Comme je l'ai dit plus haut, leur idée revêtait le plus souvent une forme lâchée, parfois vulgaire, mais ils trouvaient la situation. Ils suppléaient à l'absence de poésie par l'invention ; ils faisaient passer la rime indigente grâce au mot heureux. Ils appartiennent à l'Histoire du café-concert et de la Chanson populaire.

Amiati chantait alors aussi un autre grand succès des mêmes auteurs, digne pendant du " maître d'école alsacien"; c'était " Une tombe dans les Blés", dont Charles Malo avait écrit la musique. 


Une nouvelle parmi nous, Alida Perly [1], qui a conquis tous les suffrages, dès le premier soir, avec sa chanson de début, J'aimons ces p'tits jeux-là. Les yeux des spectateurs répondaient clairement à la charmante artiste : "Nous les aimerions aussi ces petits jeux-là... invitez-nous !" Elle était simple choriste aux Variétés. C'est sur le conseil d' Hortense Schneider qu'elle entra à l' Eldorado pour s'y créer un genre. Or, un dimanche que nous étions allés donner à Asnières une représentation au bénéfice des victimes de l'incendie de Rueil, Alida Perly fut complimentée et embrassée par Schneider qui se trouvait là et qui jugeait des progrès réalisés déjà par sa protégée.



[1]
Peu de renseignements disponibles sur cette Alida Perly qui ne semble pas avoir fait long feu. Chauveau (voir bibliographie) l'a retrouvé sud divers programmes de 1878-1880 à l'Horloge mais rien d'autre.


Parmi les spectatrices qui ne nous ménageaient pas leurs bravos, il y avait aussi Léonide Leblanc, qui était alors dans tout l'épanouissement de sa beauté grassouillette. 

Depuis son début, aux Variétés, à l'âge de dix-sept ans, elle avait parcouru du chemin dans le monde où l'on s'amuse ; jouant un peu partout, s'essayant à forcer les portes de la Comédie-Française, qui ne voulurent pas céder [2], éblouissant Paris de son luxe, de ses bijoux merveilleux, auxquels s'ajouta bientôt le fameux collier de perles du duc d'Aumale qui fut, quelques temps, son généreux seigneur... accompagné de plusieurs autres. Spirituelle, passée maîtresse en l'art d'aimer, elle captiva les cœurs et croqua les fortunes. Femme d'ordre, sachant compter, elle ne mourut pas sur la paille, comme tant de ses consœurs. À cinquante-deux ans, elle s'est éteinte dans son hôtel où, à défaut de sa beauté partie, son esprit attirait encore un cercle d'amis... et de curieux. 


[2] Mistinguett, dans ses Mémoires ("Toute ma vie") dit qu'elle était pensionnaire de cette Comédie, de ces pensionnaires qui servaient de harem aux ministres. Elle ajoute qu'elle fut la maîtresse du duc d'Aumale et du duc de Chartres avant de se démocratiser (sic) avec Clémenceau...



Mon tour fini, j'entre un instant à la Scala, en face. J'y applaudis, et de tout cœur, une charmante jeune femme, Mme Graindor

C'est une diseuse émérite ; la voix est peu étendue, mais chaude et pleine ; la diction est nette, prenante le geste, naturel, vrai.

Elle nous vient de Liège. Partout où elle a passé, le public lui a témoigné satisfaction par des bravos nourris. 

Elle est très bonne, elle deviendra excellente. Nombre de succès qu'elle créera deviendront populaires. Je citerai, parmi les plus connus, " Le Train des amours", d'A. Siégel, musique de Gustave Michiels

L'auteur de cette chansonnette, A. Siégel, a compté parmi les paroliers en vogue de cette époque. Il est mort, jeune encore, cloué depuis de longues années dans son fauteuil, par une cruelle infirmité.

Gustave Michiels, l'auteur de la musique, ne peut être séparé de Mme Graindor pour cette bonne raison qu'il était - qu'il est toujours - son ami. De la collaboration du compositeur et de l'interprète sont nées des choses charmantes (sans compter les enfants), de bonnes chansons qui leur ont valu la notoriété. 

Michiels, excellent musicien, n'a pas seulement souligné des couplets avec esprits, mais il a fait des opérettes, des œuvres symphoniques, des morceaux de danse sans nombre. Il est célèbre par ses fameuses Czardas qui sont au programme de tous les Concerts dans le Monde entier. 

Sympathique et bon camarade. L'amour de la potée liégeoise, que Mme Graindor-Michiels cuisine à ravir, a développé chez lui un embonpoint de première classe... ce qui ne l'empêche pas de travailler comme un nègre - qui travaille - et d'émettre, entre deux feuillets qui sèchent, d'atroces calambours, qui n'ajoutent rien à sa gloire.



Parodie de l'orchestre des dames de Vienne

Le premier orchestre des dames de Vienne venait d'arriver à Paris et on se pressait à ce spectacle qui avait tout l'attrait de la nouveauté. On courait applaudir ces virtuoses du beau sexe, pourvues de charmes plantureux, et s'initier aux mélodies de Strauss, de Gongl' et de Fahrbach. 

L'un de nous ayant été les entendre, s'amusa à la parodier, un soir, dans la loge. 

L'effet ayant été jugé hilarant, chacun de nous voulut faire sa dame de Vienne. De là à composer l'orchestre il n'y avait qu'un pas. 

On fit choix des instruments qu'on connaissait le mieux. Nous étions tous, peu ou prou, musiciens. 

Perrin et Bruet choisirent le violon ; Fusier le cor ; Delobel, la guitare ; Guyon fils, la contre-basse et moi, la clarinette. Quant à Guyon père, il fut promu cheffesse d'orchestre. 

Chaque soir, pendant les entr'actes, nous répétions, la porte rigoureusement close aux visiteurs. Et c'était des rires ! Vous pensez - nous rivalisions de drôlerie, rien que pour nous amuser, et nous nous applaudissons avec sincérités. 

M. Renard, intrigué par ce charivari musical et ces rires bruyants, monte à la loge, et cogne à la porte, d'un doigt discret, - car le directeur même devait demander la permission d'entrer dans notre boudoir

- On n'entre pas ! hurle le semainier. 

M. Renard insiste, de sa voix câline. 

- Oh ! laissez-moi fumer une cigarette avec vous ? 

On a reconnu l'organe directorial ;  on se consulte rapidement, à voix basse..., M. Renard est si gentil !... On ouvre la porte. 

Il nous voit, les instruments de musique en main. 

- Qu'est-ce que c'est que ça ? 

- Ça !... c'est les dames de Vienne

-  ? 

- Vous en doutez ? écoutez. 

Et nous exécutons, M. Renard riait aux éclats. 

- Mais c'est du plus haut comique !... cette parodie est tordante !... il ne faut pas garder ça pour vous... je la veux pour le public. 

- Comment ça ? demandons-nous. 

- C'est bien simple. Après demain, Guyon joue une revue à lui seul. Il fait une portière qui raconte les évènements du jour. Il invitera les portières du quartier à venir dans sa loge, et là, toutes sous le costume de Mme Pipelet, vous parodierez le succès du moment : les dames de Vienne. 

- Bravo !... ça va ! 

Et deux jours après, l'affiche annonçait qu'au cours de la revue de Jouchaud Pas bégueule, forte en gueule, on entendrait la parodie de l'orchestre des dames de Vienne par Mmes Guyonnette, Perinnette, Paulussonnette, Bruette, Fusiérine, Delobinette et Mlle Alexandrine.


Ce fut un succès étourdissant ! Pendant cent représentations tout Paris vint nous entendre. 

Il fallait nous voir, avec nos robes et nos coiffes ! et Guyon, cheffesse d'orchestre ! et Fusier tirant de son cor des bouquets, des lapins ! Tous, enfin, rivalisant d'effets comiques et toujours renouvelés.

Butscha, le dessinateur, a croqué ce mirifique orchestre, et vous pouvez juger de la cocasserie du tableau. Vialla n'a pu trouver place dans l'orchestre des dames de Vienne. Il en est tout désolé ! 

Que voulez-vous !... il a dû avouer qu'en fait d'instrument il ne connaissait que le mirliton et l'orchestration n'en comportait pas.

Il vient de se venger en remportant un nouveau grand succès avec une chanson que tous les ateliers vont apprendre et chanteront toujours. 

C'est l'Amour n'a pas de saison, de Georges Baillet (un bon chansonnier, mort trop jeune), musique de Leriche.


Adolphe, l'ancien et excellent comique de l'Eldorado, est malade, sans ressources. On n'a jamais fait appel en vain au cœur des artistes de cafés-concerts, en faveur des confrères dans la gêne. Il peut y avoir entre eux des rivalités grincheuses, des rancunes mesquines, la solidarité n'en est pas ébranlée ; elle s'affirme à toute occasion. 

Nous avons organisé une grande matinée musicale, le 22 mars 1873, à la Gaîté-Montparnasse. La recette a été bonne. 

Tous les camarades de l'Eldorado y ont obtenu leur succès habituel, entre autres une nouvelle pensionnaire, Paula Browns, bonne diseuse et fort jolie fille. Les dames-artistes apportent très souvent un gros atout dans la partie qu'elles veulent jouer. C'est leur beauté, ou leur charme. 

Nous, du sexe... moins beau, nous ne luttons pas avec elles à armes égales.


Il nous faut remplacer par le travail ce que la nature a négligé de nous donner. Le public met vite au premier plan celles qu'il a plaisir à contempler de près. Une bouche peut dire ou chanter médiocrement, elle sera fort écoutée et applaudie, pour peu que les lèvres soient roses comme des cerises et tentent à la cueillette.

 

 

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