SOMMAIRE & NOTES

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Adolphe par Seligman










Léon Vasseur




Constant par Amand
























































Claudia (ph. Nadar)
























Gabrielle Rose









































































































Charles Constant, par Amand

Paulus



Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE VII

Baumaine et Blondelet - Hortense Schneider - Rentrée à Toulouse - "Le Toqué" - Adolphe - Les Cocardiers font du pétard - L'autorité s'en mêle - Judic et Lafourcade - Claudia - Gabrielle Rose - Charles Constant.


C'était Blondelet, le chansonnier, qui du XIXe siècle m'avait fait entrer à l' Eldorado où j'eus les piteux débuts que l'on sait.

Blondelet et son inséparable Baumaine ont pondu une quantité invraisemblable de chansons ; la quantité en était médiocre, mais c'était plein d'idées comiques. Leur collaboration a été féconde comme devait l'être plus tard celle de Villemer et Delormel. On les appelait au concert, les beaux-blonds, en jouant sur les premières syllabes de leurs noms.


Baumaine et Blondelet


Revenons au mois de mai 1869. Avant mon départ pour Toulouse, je suis allé voir la Grande-Duchesse [de Gerolstein de Meilhac, Halévy et Offenbach - 1871] aux Variétés. Je ne connaissais ni Hortense Schneider, niJosé Dupuis. Quel régal pour moi ! comme j'ai compris l'engouement du public pour de pareils artistes ! Oh ! pouvoir donner la réplique à une Schneider ! être José Dupuis à mon tour ! Des rêves bien ambitieux, dira-t-on ? Mais tous les jeunes artistes en ont eu de pareils et ils leur sont nécessaires pour stimuler chez eux l'envie de parvenir. 

Hortense Schneider fut la triomphatrice du second Empire. Sa cour était aussi suivie que celle des Tuileries... et plus amusante. Les souverains, en visite à Paris, s'empressaient d'y accourir, aussitôt les hommages officiels rendus et venaient quêter, de la belle étoile, un sourire... et le reste. Or, comme le cœur était aussi hospitalier que la maison, on l'avait surnommé plaisamment le Passage des Princes.

Me voici pour la deuxième fois à Toulouse.

Le directeur avait commandé un festin gargantuesque à Marenguo, établissement très fréquenté par les fêtards toulousains. On y but ferme à mes succès futurs et aux recettes qui en découleraient forcément. 

Quelques jours après, je faisais cette rentrée tant attendue.

La Presse avait de nouveau été charmante pour moi. J'avais préparé quelques bonnes nouveautés, entr'autres Le Toqué, que chantait en ce moment à l' Eldorado de Paris [4 boulevard de Strasbourg, 10e], Adolphe [1], un parfait diseur et un bon comédien. C'est lui qui avait fondé les concerts hebdomadaires de la banlieue de Paris et y excellait dans les chansons, fort à la mode, de Gustave Nadaud.

Sa création principale fut ce Toqué [Paroles de A. Morancé, Musique de Louis Abadie], chanson que j'appris aussitôt la lui avoir entendue. Elle a fait son tour de France et se chante toujours.



[1]
Aucune trace de cet Adolphe dans les documents que nous avons consultés sauf une présence, peu après 1868 à la Gaîté-Montparnasse, 24, rue de la Gaîté, 14e. - À moins qu'il ne s'agisse d'Adolphe Jaime(1824-1901) qui fut un vaudevilliste et un dramaturge de tout premier plan et qui a écrit, seul ou en collaboration, les livrets de nombreuses opérettes : "Le petit Faust", musique d'Hervé, "La cour du roi Pétaud", musique de Delibes, "La timbale d'Argent", musique de Vasseur, "La reine Indigo", musique de Strauss, etc.


Au deuxième tour, j'avais mis au programme "Les Cocardiers".

Ici surgit un des premiers épisodes tumultueux de ma carrière.

En ce temps-là - nous sommes en 1869 - le Censure impériale veillait. Les préposés à la morale publique et au respect des institutions régnantes fouillaient, d'un œil attentif et prévenu, les manuscrits destinés au théâtre et les chansons de café-concert. Les cerbères de la rue de Valois faisaient bonne garde. Tout sous-entendu visant la grivoiserie - ou qui leur semblait tel - toute allusion aux hommes et aux actes du pouvoir, étaient impitoyablement rayés. Le gouvernement de Napoléon III et la Pudeur semblaient pouvoir dormir tranquilles.

La chanson Les Cocardiers, de Paul Mérigot, musique de Victor Boullard, avait obtenu le


Lafourcade et Judic, dans Paola et Pietro.

visa de la Censure. C'est vous dire que la farouche Anastasie  [2] n'y avait trouvé rien de blessant pour le régime, ni pour les mœurs.



[2]
Symbolisée par une horrible mégère armée de ciseaux immense, la censure fut, tout au long du XIXe siècle connue sous le nom d'Anastasie sans doute en référence au au pape Anastase 1er à l'origine de la censure religieuse qui interdit la lecture des livres d'Origène, auteur d'une cosmologie jugée non conforme avec la vision imposée par la Bible.


La chose n'aurait occasionné que des rires inoffensifs, mais l'interprétation que je lui donnai la transforma du tout au tout dans l'esprit du public. J'éprouvais déjà à cette époque l'envie de dépasser l'idée des auteurs, d'agrandir leur œuvre, de la comprendre à ma façon, d'y voir ce qu'ils n'y avaient pas soupçonné. Je cherchais dans tout, des types à composer, des personnages en dehors. 

Pour chanter "Les Cocardiers" j'avais imaginé un type de vieille culotte de peau : redingote longue, boutonnée, serrée à la taille ; pantalon blanc à la houzarde ; chapeau haut de forme à la d'Orsay, cravate-carcan : tel était le costume. À la main, en guise de canne, un solide gourdin. Ajoutez à ça une perruque soigneusement étudiée, une grosse moustache, une impériale grisonnante, et le public trouva que je m'étais fait la tête ressemblante de... l'empereur Napoléon III ! 

À cette époque, des idées libérales, des aspirations républicaines, hantaient les esprits ; les partis d'opposition devenaient chaque jour plus puissants. Tout ce qui constituait une allusion aux hommes en place, une satire ou raillerie contre l'Empire, était accueilli avidement par les frondeurs. On préludait par toutes les petites escarmouches, que le hasard créait, au grand assaut qu'on devinait proche. 

Quand je parus en scène, ainsi grimé, une longue rumeur courut par la salle. Elle grandit à chaque couplet. À la fin de la chanson ce fut un tumulte épouvantable. 

La grande majorité du public me couvrit de bravos enthousiastes ; la minorité protesta énergiquement. Le commissaire central de Toulouse, venu ce soir-là en simple curieux, au Jardin Oriental, dut ceindre son écharpe pour établir un peu d'ordre dans le public. Il ne put empêcher qu'on me bissât et me trissât ! Il était furieux ! À la sortie, les spectateurs ennemis disaient bien haut qu'ils reviendraient le lendemain, les uns pour acclamer, les autres pour huer. Tous les journaux furent pleins de scandale... ou de la manifestation, (on prononçait suivant ses opinions). 

Mon directeur, M. Lassaigne [voir au chapitre 4] exultait ! En bon commerçant, il voyait la salle comble pour de longues soirées et sa caisse devait profiter, à en crever, de cette réclame imprévue.

Toute la famille m'embrassait, me prodiguait des caresses, j'étais plus que jamais l'ami, le frère, le porte-bonheur de la maison. 

On ne prévoyait nul ennui. La chanson n'avait-elle pas été visée par la terrible Censure parisienne ? Alors que pouvait-on craindre ? 

À mesure que le soir du deuxième jour approchait, ma nervosité augmentait. Des bruits de violentes protestations couraient dans la ville. On disait que des étudiants, des officiers en grand nombre viendraient manifester contre Paulus et le rappeler aux convenances.

M. Lassaigne me rassurait. Il avait la certitude que tout se passerait le mieux du monde. Un peu de chahut ?... tant mieux ! 

La foule avait rempli la salle dès l'ouverture.

Je paraissais à dix heures. J'avais mis "Les Cocardiers" au premier tour.

Danberny, le chef d'orchestre, attaque la ritournelle ; je fais mon entrée. J'avais perfectionné mon maquillage et accentué la ressemblance avec l'Empereur. Bravos et sifflets m'accueillent, étourdissants ! Cinq fois, les musiciens recommencent l'introduction ; on ne les entend pas ! Le pétard infernal couvre le son des instruments. 

Le commissaire central, venu tout exprès cette fois, le bedon tricoloré, essaye vainement d'apaiser la salle.

Les protestataires le conspuent ! Des spectateurs le prennent à partie, entr'autres un membre de la famille de Cassagnac, sous-officier d'artillerie. Ils sont appuyés par quelques journalistes.

Que faire ? le vacarme s'accroît ! Je décide à commencer, malgré les vociférations ; l'audition dure une demi-heure ! 

Au deuxième jour, je chante "Le Maître Nageur" [Paroles de Bedeau, musique d'Hervé] et je suis applaudi par tout le monde. J'étais éreinté quand je me suis couché ce soir-là.

Le lendemain, le commissaire central nous fit appeler, M. Lassaigne et moi. Un entretien des plus sérieux eut lieu dans son cabinet, et vous devinez que les bruyants Cocardiers en firent le sujet.

On s'était ému en haut lieu. Des instructions sévères étaient arrivées du Procureur impérial de Paris, que le commissaire avait tenu au courant des événements tumultueux de ces deux jours. Il fallait mettre un terme à l'agitation causée par un artiste irrespectueux.

Le moyen s'offrait, radical, c'était de supprimer "Les Cocardiers" du programme. La cause n'existant plus, l'effet ne se produirait pas.

M. Lassaigne était navré !  C'était la ruine de ses calculs dorés ! Il protesta, pria, implora ; le commissaire fut inflexible.

J'eus une idée, je n'étais pas fâché de retrouver les beaux jours de calme et de succès général. Je proposai de commencer, ce soir-là, par une autre chanson et de me retirer, au deuxième tour, après le Maître Nageur. Le public réclamait certainement les Cocardiers, je me ferai tirer l'oreille, faisant mine de refuser ; puis je m'exécuterais, sans ma tête perturbatrice. J'affirmai que, dans ces conditions, le tapage n'aurait pas lieu.

Le plan sourit au commissaire qui en référa au préfet et au Procureur impérial, lesquels approuvèrent. Tout se passa comme je l'avais prévu, Naturellement, le public, encore plus surexcité par les bruits qui avaient couru dans la journée, réclama sa chanson. Le régisseur vint annoncer que je la chanterais, en bis au deuxième tour. Les spectateurs calmés, attendirent patiemment, ne se doutant pas du subterfuge projeté.


J'exécutai le Maître Nageur. Un tonnerre d'applaudissements et de rappels retentit. Je rentrai en scène, je fis les révérences d'usage et... je sortis de nouveau.

 - Les Cocardiers ! hurla la moitié de la salle.

- Non ! Non ! ripostèrent les opposants.

Je reparus, avec l'air très gêné, faisant le geste d'un homme obligé de refuser, bien malgré lui. Alors le commissaire fit un signe au chef d'orchestre qui entama la ritournelle tant attendue. J'eus l'air de me résigner et, dans mon costume de maître nageur, je chantai "Les Cocardiers".

Jamais je ne les ai avait mieux interprétés, mais l'effet prodigieux n'y était plus... la chanson devenait banale...

Certes, le public m'applaudit fort, en se retirant, il maugréait, se sentant mystifié. Les journaux contèrent la chose, approuvant ou critiquant, chacun à leur point de vue... et ce fut tout ! Je terminai mon mois, fiévreusement, mais sans autres incidents.

Dans la rue, j'étais l'objet de manifestations diverses, qui allaient de l'ovation à l'injure, suivant les opinions des gens rencontrés. J'acceptais volontiers la première, mais l'autre m'était sensible et je ne la subissais pas en silence. Oh ! non !... j'étais rageur !... très rageur !

Un matin que je descendais l'escalier de mon hôtel, un étudiant me croisa sur le palier et se permit d'émettre une réflexion désobligeante sur mon compte. Je la relevai vertement. Le colloque dégénéra en dispute, la dispute en pugilat. L'ayant saisi à bras le corps, je le poussai contre une cloison qui ne résista pas au choc formidable et nous passâmes à travers, tous les



deux. On accourut au bruit ; on trouva les deux combattants à l'étage au-dessous, toujours enlacés et continuant de plus belle à s'écharper. On put nous séparer. J'étais presque indemne, mais mon adversaire était meurtri des pieds à la tête !

 L'aventure fit quelque tapage ; j'y gagnai le respect prudent de mes ennemis. On ne s'avisa plus de me provoquer.



Je revins à Paris. J'assistai, le soir même de mon arrivée, au grand succès qu'obtenaient les deux charmeuses, Judic et Lafourcade, dans Paola et Pietro, saynète de Bedeau, musique de Paul Henrion.

Au même Eldorado, j'entends Claudia, une bonne diseuse qui a une jolie voix à sa disposition. Le théâtre l'accaparera bientôt. Elle jouera, aux Bouffes, le rôle de Molda, de La Timbale d'Argent [opéra bouffe en trois actes de Léon Vasseur (livret de Adolphe Jaime et de J. Noriac) créé le 9 avril 1872]

À remarquer que quatre des interprètes de ce rôle, Mme Judic, Gabrielle Rose, Martha et Claudia, seront sorties de l'Eldorado.

Le café-concert est donc bon à préparer des chanteuses d'opérette ? Alors, messieurs les critiques, soyez moins sévères pour le povre qui sert de tremplin à ceux et à celles qui ont quelque chose dans le gosier... et qui a aidé si puissamment à développer ce quelque chose. 

Durant les jours passés à Paris, je courus les concerts pour y voir les artistes dont la réputation était faite et les étudier. 

J'applaudis Charles Constant, un comique naïf, excentrique, très fin, dont l'entrée en scène provoquait immédiatement le fou rire. Dans Qui veut voir la lune ? il arrivait avec son télescope qu'il mettait cinq bonnes minutes à placer convenablement ; pendant ces cinq minutes le public se tordait littéralement, tellement chacun de ses gestes et ses jeux de physionomie était d'une drôlerie achevée.

 

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