SOMMAIRE & NOTES

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Fernande Caynon







































Mazedier









































Antony
























































Numès
, Chalmin et Hermil
(Présentation d'un ours.)








































































































Liovent












































Sulbac

Paulus



Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE XXV

Mazedier - Aline d'Estrées - Antony - Fernande Caynon - Léa d'Asco - J'ai des domestiques, des chevaux, un hôtel ! - Hermil et Numès - Présentation d'un ours - Chalmin - Villé - Liovent - Sulbac - "La digue don !" - Un exploit de Joseph Kelm - Mon concours de chansons - "Les Statues en Goguette" - Une conférence sur Déroulède - Un curieux certificat.


Quand, le soir, mon service est terminé, j'éprouve l'envie irrésistible d'aller fait un tour à l'Eldorado pour lequel je conserve un amour profond. Je le regrette toujours. Le père Adam devait avoir quelque chose de ce regret quand il passait devant les portes du Paradis d'où on l'avait expulsé, tout comme moi de l' Eldorado ; mais j'avais, sur notre grand aïeul, cet avantage de pouvoir encore pénétrer dans mon Eden, en qualité de spectateur.


Je note quelques nouveaux artistes qui sont en train d'y conquérir la notoriété.

Mlle Mazedier, une gentille personne, adroite ; caractère charmant... comme la figure : Roger Bontemps en jupons. Rend de grands services à la Direction qui la met à toutes les sauces, la faisant jouer dans les pièces et chanter dans la partie de concert.

Aline d'Estrées, gracieuse, distinguée ; vient à peine de quitter la scène, après avoir été applaudie comme elle le mérite, que la planchette annonce Antony. Je l'applaudis doublement, d'abord comme artiste, ensuite somme... beau-frère. Il est le fils du célèbre prestidigitateur Lassaigne, directeur du Jardin Oriental de Toulouse où j'ai chanté après ma première sortie de l' Eldorado en 1868. Il a débuté tout jeune dans l'opérette. Chante la chansonnette avec finesse, mais il est surtout comédien. D'allures distinguées, de l'acquit, travailleur, il tout pour réussir... et réussira.

Et Fernande Caynon. Une ravissante jeune femme qui a conquis tout de suite le public par sa diction franche et sa belle humeur. Elle est charmante dans ses chansons militaires et ses paysanneries. Beaucoup de finesse et d'intelligence. A passé par le théâtre et y a acquis des qualités de comédienne.

Elle brillera bientôt au premier rang et, comme Thérésa, abordant le genre sérieux, se montrera sous un nouveau jour, quand, devenue Mme Ouvrard, elle cueillera couronnes et lauriers, au cours de tournées triomphales en province.

Ma première saison au Concert Parisien se passa sans gros incident, au milieu de bons camarades parmi lesquels il y avait Léa d'Asco !

La belle artiste était alors dans toute sa vogue de demi-mondaine. C'était une indigène de Montmartre qui avait débuté au théâtre Taitbout, dans une de ces pièces idiotes dont cette scène avait alors la spécialité. Elle s'était pourtant destinée au grand art, avait pris des leçons de chant de Roger et ne manquait pas de talent, mais, voilà, elle était trop belle. Entre le talent et la beauté, elle aima mieux cultiver ce qui rapporte le plus. Ses excentricités l'avaient rendue célèbre.

Léa d'Asco avait un énorme succès de plastique et détaillait la chansonnette fort agréablement. Aussi les gilets à cœur se montraient-ils en grand nombre au Concert Parisien (qui ne s'était jamais vu un auditoire aussi élégant) et semblaient attendre impatiemment l'entracte pour aller offrir leurs hommages dans la belle loge, pleine de fleurs exotiques et de parfums troublants. Mais la loge n'était pas ouverte à tout venant. Ce sanctuaire avait pour gardienne une superbe négresse qui exigeait le mot de passe fourni par la maîtresse pour laisser pénétrer. J'y étais quelquefois admis.

Léa d'Asco était une gentille camarade, pas bégueule, pas poseuse ; un bon garçon, quoi !

Mon portefeuille regorgeait, ça ne pouvait pas durer. Je voulais avoir mon hôtel, mes gens, mes équipages et élever splendidement ma famille qui croissait toujours.

Je trouvai mon affaire au n° 176 de l'avenue de Neuilly ; un hôtel y était à vendre. C'était une bonne spéculation à tenter en même temps, puisque les terrains augmentaient de valeur chaque année : je pourrais revendre plus tard avec bénéfice. Comme spéculateur on a déjà pu voir comme j'étais épatant ! Je devais payer 120 000 francs en dix ans, mais, par une clause du contrat, je pouvais résilier et alors rester locataire, pendant ces dix ans, à raison de 6 000 francs par an. Je versai comptant 40 000 francs. Deux ans après, le Krach de l'Union Générale amenait une baisse considérable sur les terrains de Neuilly. Je profitai de la clause du contrat et le résiliai. Je restai donc simplement locataire pendant dix ans.

J'avais un grand train de maison, des domestiques, des voitures, des chevaux que je conduisais moi-même au Bois. Je dépensais 60 000 francs par an. Me l'a-t-on assez reproché ! Moi, je ne me reproche rien du tout. Je gagnai largement pour subvenir à cette existence de luxe que j'aimais ; ma femme et mes six enfants vivaient dans l'abondance et je faisais des envieux... j'étais donc complètement heureux.

Je me rendais au Concert Parisien dans ma voiture. Le Directeur Régnier-Kosmydor, tout fier d'avoir un pensionnaire aussi chic et qui faisait tant de réclame à sa maison, s'empressa de m'offrir un nouveau traité à des conditions encore plus belles.


À l' Eldorado, deux nouveaux auteurs-collaborateurs font florès avec leurs opérettes. Ils signent Hermil et Numès. Hermil, c'est l'anagramme de Milher, le légendaire Géromé de l'œil crevé, l'excellent artiste que Parais à fêté pendant tant de longues années ; Numès, c'est le parfait comédien que Paris fête toujours.

Nourris dans le sérail, ils en connaissent tous les trucs et font leurs mises en scène avec un soin extrême ; Hermil, calme, grave, peu bavard, mâchonnant son éternel mégot toujours éteint ; Numès, distingués, jeune premier partout, saupoudrant de gracieux sourires ses conseils aux interprètes.

Leur première pièce à l'Eldorado fut Le Conciergicide, dont Francis Chassaigne avait fait la charmante musique. Depuis, leurs succès ne se comptent plus. Une amusante photographie (que nous donnons ici) les montre présentant un ours au directeur Renard. Celui qui posa l'ours et consentit à cacher sa bonne tête rabelaisienne sous celle de la bête féroce, c'était Chalmin. Chalmin, tout frais émoulu du Conservatoire, et qui fit retentir à l' Eldorado sa belle voix de base chantante en attendant que le théâtre lui offrit la place à laquelle il avait droit.


Au même Concert, Villé a débuté.

Il se fait déjà remarquer par sa diction nette, sa mimique intelligente et laisse deviner le bon comédien qu'il sera, mais c'est un peu plus tard, à l'Éden-Concert que nous le retrouverons, à l'époque des Vendredis classiques dont il fut l'âme.

Mlle Liovent fait aussi ses débuts. Elle est toute jeunette, toute mignonnette, chante gentiment les chansonnettes de genre mais surtout excelle dans les pièces, où elle joue à ravir les ingénues. Il est étonnant qu'un directeur de théâtre ne l'ait pas accaparée. La faute doit en être à sa nature timide, à sa modestie. Terrible défaut pour un artiste que d'être modeste ! Il est vrai qu'il est si rare ce défaut !

Liovent n'a certes pas eu la place qu'elle méritait.

Encore une excellente recrue faite par M. Renard, c'est Sulbac, un des artistes les mieux doués du café-concert. La nature l'a gratifié d'une voix et d'un physique dont l'effet comique est irrésistible.

La rue des Marais, à Paris, le vit apparaître au monde en 1860. Sulbac (de son vrai nom Sulzbach) lâcha le commerce à 17 ans pour donner libre cours aux aptitudes artistiques qu'il sentait grouiller en lui. Né heureux, il vécut heureux, sous l'influence de cette bienheureuse étoile, que les astronomes ont oubliée dans leur carte céleste, et qui se nomme : la Veine !

Il est hilarant dans les larbins et les paysans que son air de godiche ou futé rend à merveille. Il ajoute fort souvent au texte des auteurs qui ne s'en plaignent pas, car ce gavroche roublard est coutumier en trouvailles heureuses. Bon comédien avec ça. Créateur de nombreux succès, de scies populaires dont les principales sont : Le marchande de robinets, Je suis gobé par la patronne, Le bureau de placement, Toto Carabo et cette La digue digue don, que tout le monde a chantée et que lui a fait Jules Jouy en collaboration avec Gerny, un autre bon chansonnier, plein d'humour et d'imagination.


Le fameux Joseph Kelm vient de mourir à l'âge de 75 ans.

Il laisse une jolie fortune à sa famille. Comment, diable ! a-t-il fait pour économiser ! C'était une fourmi, moi je n'ai été qu'une cigale. J'ai dit déjà la valeur de cet artiste, sa grande originalité et ses fumisteries célèbres. Son neveu, Fernand Kelm, un gentil artiste de mes camarades, m'a conté un de ses bons tours.

C'était dans une de ses nombreuses tournées ; à Béziers, je crois. Les recettes étaient maigres, les spectateurs récalcitrants. Il fallait quelque phénomène sur l'annonce pour attirer la foule. Joseph Kelm la trouva. Il fit annoncer que le lendemain, il mangerait un homme tout vivant. On crut à une plaisanterie, naturellement, mais tout Béziers voulut savoir ce qu'elle cachait et, le lendemain, on refusait du monde au théâtre.

Kelm chante ; il est acclamé et va pour se retirer.

- Hé bien !... et cet homme  - on ne le mange pas ? - crie le public.

Kelm s'avance à la rampe : "Mesdames, Messieurs, veuillez m'excuser, mais l'homme que je devais manger a manqué à nos conventions, il n'est pas venu."

Exclamation ! vociférations ! - Quelle blague ! - Il se f... de nous ! - Rendez l'argent !

Kelm, toujours aussi calme, attend un moment de silence et répond :

- Je ne blague jamais !... S'il y a un amateur qui veut remplacer mon sujet absent, je m'engage à le manger. Qu'il monte ici.

Des voix goguenardes répondent : Moi !... moi !... et le plus exubérant des vociférateurs s'élance sur la scène.

- Déshabillez-vous ! - commande Kelm - Oh ! pas tout à fait... ôtez le veston, le gilet et la chemise.

On se tord dans la salle. L'amateur, qui rit plus que les autres, se dévêt. Kelm s'approche, le fait tourner et palpe la chair dodue d'un air connaisseur. Les rires redoublent, interrompus tout à coup par un hurlement de douleur. Kelm venait de planter sa robuste mâchoire dans l'épaule de l'amateur qui rugit : Vous êtes fou ! - Quès aco ! crie le public stupéfait.

- Pardon - fait Kelm impassible - je n'ai pas dit que j'avalerais un homme, mais je le mangerais. Pour manger, il faut mâcher... je mâche, permettez que je continue.

Mais l'amateur avait bondi sur ses vêtements et gagné la porte.

Le public déclara la recette bien acquise et applaudit à tout rompre.

Kelm avait paru pour la dernière fois en public, à Lyon, en 1881, au bénéfice de Mme Meyrian. Il y un an de ça.


Pendant la saison à l' Alcazar d'Été (1884), désireux d'avoir une chanson à succès, j'ai l'idée d'ouvrir un concours entre tous nos auteurs, promettant une prime de cinq cents francs à celui qui m'apporterait la meilleure, à mon sens.

Delormel et Garnier, pour les paroles, Frédéric Wachs, pour la musique furent les lauréats de ce petit concours. Ils avaient fait les Statues de goguette, dont le succès fut considérable. La censure mutila bien les couplets, mais ce qui restait suffit à provoquer les rires et les applaudissements. Il y avait surtout dans le couplet final un : J'm'en f... ! de M. Mesureur, dont l'actualité mettait en liesse les auditeurs. De cette chanson naquit l'idée, entre Delormel, Garnier et moi, de nous faire éditeurs du Répertoire Paulus, qui nous rapporta une fortune.

J'avais créé quelques semaines auparavant une chanson, qui eut aussi un gros succès. C'était Un lancier dans le 3e dragons, paroles d'Eugène Sarlin, un gentil poète (dont la chaste muse s'était pour une fois débauchée au concert) et musique de Gustave Michiels.


Le Secrétaire général de l' Eldorado, Jacques Grancey a fait, à la salle des Capucines, une conférence sur les Chants du soldat de Paul Déroulède.

Je me suis offert ce régal d'aller l'entendre.

La salle était bondée de monde ; beaucoup d'officiers, de sous-officiers et de soldats du 30e bataillon de chasseurs à pied auquel appartient Paul Déroulède.

Le succès du jeune conférencier a été très grand. Je cite une anecdote caractéristique qui dit à quel point Déroulède était l'idole de ses soldats.

"Adoré de sa petite troupe, Déroulède (alors sous-lieutenant aux turcos) veille sur elle avec un soin jaloux ; aussi les noirs africains qui la composent lui sont-ils tout dévoués. Je n'en veux citer qu'un exemple entre cent.

"C'était pendant la rude campagne de l'Est. On venait, après une étape parcourue dans la neige, de faire halte au bord d'une route. Ni paille, ni broussaille pour se coucher. Les tirailleurs, après une battue dans les environs, rapportent pour tout butin... une planche dont ils font hommage à Déroulède.

"Le jeune officier, à qui pareille aubaine n'est pas arrivée depuis plusieurs jours, réduit qu'il est le plus souvent à s'étendre sur la terre ou sur la neige, accepte ce lit improvisé et s'endort bientôt du sommeil du juste. Le matin, en s'éveillant, il s'extasie devant ses hommes sur la bonne nuit qu'il a passée, grâce à la couchette improvisée par eux. Qui sait si, après la nouvelle étape, il retrouvera pareille bonne fortune !

"On se remet en route.

"À la halte suivante et au moment où il allait philosophiquement s'endormir, roulé dans sa capote, Déroulède trouve à côté de lui... son lit de la veille, la planche, que les turcos ont portée, en se relayant, malgré la difficulté du chemin, malgré le poids de leurs armes et de leurs bagages, afin que leur chef fût bien couché une fois de plus."


Nous disions, en parlant de Mlle Liovent que la modestie est plutôt rare chez les artistes, qu'ils appartiennent au théâtre ou au concert. Il s'ensuit, tout naturellement, que l'orgueil, la vanité y sont souvent exagérés. Quel est celui qui, n'ayant pas de talent, ne s'en croie un peu  - Qui, en ayant un peu, ne s'en attribue beaucoup ?

Bah ! il faut pardonner ce léger travers aux M'as-tu-vu ; ils ont de sérieuses qualités de cœur qui rachètent ce défaut-là.

L'excès d'orgueil peut devenir grotesque dans certains cas, tel celui de cet artiste qui se faisait délivrer des certificats de talent par les Autorités des lieux où il opérait. L'ami Perrin en a conservé un, dont voici la copie conforme :


"Le maire de la ville d'Avranches certifie que M. Gaziger, Edouard, Gaston, artiste, est rempli du talent le plus sympathique, comme le plus varié et qu'il est acquis par ses aptitudes spéciales l'affection et l'estime de nos concitoyens.

"Fait à Avranches en l'Hôtel de ville de la ville d'Avranches, le 25 juin 1857.

Signé (illisible)"

Ce certificat porte le cachet officiel de la Mairie.


Été 1885, Champs-Élysées. À l' Alcazar d'Été où je suis, tout va bien ; grosses recettes, public tranquille. À côté, aux Ambassadeurs, les pétardiers font leur tintamarre habituel, ayant comme chefs de file les frères Ravaut.

Reyar est souvent pris à partie, il a bec et ongles et ses répliques mettent souvent les rieurs de son côté. Mais c'est Gilbert qui provoque le gros tintamarre. Il fait son entrée, ayant sous le bras son haut-de-forme, mais dès qu'il le pose sur sa tête, les cris : Chapeau ! Chapeau ! retentissent ; il obéit et continue. De temps en temps il esquisse le geste de ses recoiffer et aussitôt les hurlements recommencent. Le public s'amuse et Gilbert aussi ; et c'est tous les soirs la même chose.


Un monsieur faisait des affaires à l'Exposition de Rochefort-sur-Mer, apprenant que j'étais à Bordeaux avec une petite troupe (Cahen, impresario) nous propose de venir donner une représentation chez lui. Nous acceptons.


L'entrée de l'Exposition était libre, mais il avait entouré un certain espace de piquets et de
cordes et constitué ainsi une enceinte réservée pour les abonnés, qui payaient un franc de supplément par personne.
À neuf heures un grand feu d'artifice avait été tiré et dix mille personnes étaient venues le voir.
À neuf heures et demie les artistes de ma troupe commencent ; tout va bien.
C'est à mon tour.
Je chante, gros effet : mais la foule, en dehors des piquets, veut mieux entendre ;



elle s'approche, des bousculades se produisent, les cordes sont brisées.
Le tenancier m'interdit de continuer pour ces non payants, pour cette foule insurgée, mais les dix mille manifestants menacent d'incendier l'établissement.
Les artistes sont affolés. Que faire ? J'ai vite pris un parti : "Il ne sera pas dit que le chanteur populaire n'aura pas su calmer le peuple, laissez-moi faire ! "
Et je bondis sur la scène ; la bonne volonté de Chassaigne qui m'accompagnait, m'aide à sortir de ce pas dangereux ; il connaissait mon répertoire à fond.
Je chante à pleine voix ; bravos enthousiastes qui ne font que croître pendant une demi-heure que je fais durer mes chansons.
C'est une véritable ovation que je reçois.


Résultats de cette soirée mémorable : un succès grandiose à mon actif... et à mon passif, la perte de mon temps ; la recette comme on le pense bien ayant été nulle.

 

 

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