SOMMAIRE & NOTES

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Duparc































Piccolini



































































Dalty





































































Lannes(Clary)





















































































































Jules Jouy








Firmin Bernicat






















































Clovis

Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE XXIII

Duparc - "La Pigeonne" - Firmin Bernicat - Les marionnettes Holden - "La Chaussée Clignancourt" - Piccolini - Dalty - Velly - Lannes - Marthe Lys - Les couleurs sont dans la limonade ! - "Derrière l'omnibus" - Jules Jouy - Clovis - Représentation de retraite de Darcier - "La 32e demi-brigade" - Le Divan Japonais - Jehan Sarrazin.


Revenons à Duparc.

Je l'ai toujours beaucoup admirée. C'était une bonne camarade que j'ai rencontrée maintes fois dans mes tournées de province. Nos noms se succédaient, comme vedettes, sur les affiches des directeurs à l'affût de grosses recettes. Quelle gracieuse diction !

Un répertoire distingué, presque de salon. Dans ses chansonnettes, les amoureux se mariaient toujours au dernier couplet ; quand, par-ci par-là, un accident arrivait avec la lettre, le séducteur reconnaissant reconnaissait et M. le Maire effaçait l'irrégularité commise. On se rit à présent de ce répertoire anodin. Les vieux - et j'en suis - prétendent qu'il valait mieux que toutes les valses de nichons et tous les couplets scatologiques qu'on sert au public aujourd'hui.

Des nombreux succès que Duparc a créés, je citerai le plus populaire, en même temps que le plus moral. C'est "La Pigeonne" (une variante des Deux Pigeons, de La Fontaine), faite par A. Siégel et musiquée de façon exquise par Firmin Bernicat, ce délicieux compositeur, qui composa tant de petits chefs-d'œuvre pour l' Eldorado, et que la mort cruelle enleva, avant qu'il eut pu voir représenter aux Folies Dramatiques son charmant opéra-comique François les bas bleus, au succès archi-centenaire.


Pendant l'hiver, je m'occupais de mes couleurs, à Marseille. Ça ne marchait pas mal quand j'étais là, et je pouvais espérer m'en tirer avec honneur et profit, mais quand arriva le mois de mai (1880) il me fallut partir pour l' Alcazar d'Été de Paris où j'étais engagé.

J'y trouvais des difficultés bien imprévues. Les directeurs de plusieurs grands concerts parisiens s'étaient ligués contre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Ils voulaient payer moins cher les droits d'auteurs ; la Société résistait, d'où lutte acharnée. Les ligueurs fondèrent la Société Anonyme de la rue d'Enghein qui éditait des œuvres nouvelles, d'auteurs nouveaux n'appartenant pas à la Société des auteurs, et qui, par conséquent, seraient exemptes de tous droits. On ne se servirait plus de l'ancien répertoire.

Vous voyez la situation des artistes ! Plus moyen de se servir de nos chansons à succès. Il fallait apprendre celles que la Société Anonyme éditait, œuvres faibles, d'auteurs inexpérimentés, puisque les autres étaient liés par les statuts de la Société des Auteurs et ne pouvaient travailler à un répertoire dissident. Quelques-uns de ces derniers, sous la protection de l'anonymat, violèrent bien les statuts, mais ce ne fut pas suffisant pour créer un vrai répertoire à effet.

Vous pensez bien que je résistai et m'insurgeai, continuant à chanter ce qui me plaisait, notamment la Chaussée Clignancourt, avec laquelle j'enlevais les bravos unanimes du public.

La création de cette Chaussée Clignancourt a une histoire.

L'hiver, tout Paris s'était engoué d'un spectacle nouveau, fort original, qui se donnait dans une salle du faubourg Poissonnière, en face de l' Alcazar d'Hiver. Thomas Holden y montrait ses fameuses marionnettes. J'y allais d'autant plus volontiers que mon ami, le baryton Bécus, y dirigeait... la limonade... Il avait renoncé à l'art et à ses pompes, pour se consacrer à la seule pompe à bière. Effet d'atavisme chez lui ; n'était-il pas le fils de l'ancien propriétaire des Frères Provençaux, à Bordeaux.

Tous les soirs j'admirais la troupe en bois de Thomas Holden, et surtout son étoile, un clown qui me stupéfiait. Disloqué, gesticulant avec une spirituelle extravagance, il était merveilleusement articulé ; on le croyait vivant. Il avait une cassure brusque des reins avec un déclanchement de la tête sur les épaules, admirablement réglé, rythmé sur un accord formidable du pianiste, qui emballait le public et me donna l'idée d'imiter ce pantin.

De là vint la Chaussée Clignancourt. Bruant en fit les paroles, moi je reconstruisis l'air que me siffla Bécus.

Ce fut une nouvelle révélation pour le public. J'avais copié exactement le clown Holden. C'était horriblement dur, mais, je l'ai déjà dit, les applaudissements ne m'ont jamais permis de ressentir la fatigue, si intense qu'elle fut.

C'est à cette époque qu'on me surnomma le chanteur gambillard.

Bruant qui avait édité la chanson à ses frais, eut par la suite de gros ennuis. Le pianiste de Holden avait cette musique manuscrite, américaine, croyait-il, mais d'un auteur inconnu. Devant le succès prodigieux que j'obtins, cet inconnu se fit connaître et nous menaça d'un procès : il fallut briser les pierres et anéantir les éditions ! Je chantai quand même la chanson deux ans de suite.

Je reviens au répertoire dissident. Ne parvenant pas à me l'imposer, l'ineffable directeur Monin se vengea en me faisant un tas de misères. Il me privait des services du personnel, m'enlevait jusqu'au verre d'eau qu'on me donnait, dans la coulisse, pour humecter mes lèvres, entre deux chansons. Je dus avoir recours au commissaire de police du quartier. M. Beynaguet, pour qu'il fit cesser ces indignes tracasseries.

Mais la création de nouveau répertoire fut un four. Bientôt les ligueurs transigèrent et rentrèrent dans le giron de la Société des Auteurs. L'échec fut dur à Monin, l'instigateur de la chose ; si dure qu'il prit une résolution héroïque : il céda l' Alcazar d'Été à son voisin des Ambassadeurs, M. Ducarre. Coût : 150,000 francs. L'affable Ducarre remplaça le grincheux Monin.

Mais, mon traité en main, je fis voir à M. Ducarre que j'étais délié de tout engagement. Tête du nouveau directeur ! Il se fâcha, je maintins mon dire ; il tempêta... je lui tournai le dos.

La guerre dura quatre jours, au bout desquels il m'offrit cent vingt-cinq francs par jour et un engagement de trois ans. Tope-la ! Et nous voilà bons amis, enchantés l'un de l'autre, ayant chacun fait une excellente affaire.


L'été de 1879 fini, je partis à Bruxelles pour donner quinze représentations au Théâtre-Concert de la Renaissance.

J'y triomphai avec mon répertoire auquel était venu s'ajouter Le P'tit bleu. Un chanteur de troisième ordre l'avait déjà produit à Bruxelles et même, par ses affiches, s'en prétendait le créateur.

Le public fit bonne justice des prétentions du bonhomme et mon directeur Lenoir eut le plaisir de gonfler sa caisse au gré de ses désirs.

J'y chantai aussi Le persifleur, chansonnette dont je sifflais le refrain, que la censure n'aurait pas autorisé.

J'étais arrivé à siffler dans la perfection, ayant travaillé avec ardeur l'instrument que la nature nous a mis dans le gosier. Sans employer de trucs, d'artifices, comme le font tant de siffleurs renommés, sans emprunter sa pratique à Polichinelle, j'arrivais à des effets extraordinaires. Mais le sifflet est délicat ; telle la rose, il ne vit que l'espace d'un matin. C'est la première de mes facultés artistiques qui disparut.


Je repassai par Paris pour me rendre à Marseille où m'attendait mon fameux commerce de couleurs, et me donnai quelques jours de vacances afin d'aller voir un peu ce qui se passait dans les concerts, notamment à l' Eldorado que j'aimais toujours malgré notre brouille.

On y avait joué, avec un colossal succès, la revue La-e-ou-u ? de Péricaud et Delormel, avec Perrin, Gaillard, Amiati, Bonnaire et Roland comme principaux interprètes.

J'y vis nombre de débutants destinés à réussir :

Mlle Julia de Frasne, une superbe jeune femme, un vrai Rubens, qui rendra de réels services à l' Eldorado, sous le pseudonyme de Piccolini. Bonne voix, diction claire, excellent caractère ; elle réussit dans la partie de chant et dans l'opérette. Fort aimée de ses camarades. Plus tard, dans d'autres concerts, s'affirmera avec le genre Demay. A quitté, jeune encore, la carrière artistique. À côté d'elle, une jeune et gracieuse artiste, de physionomie fine et souriante, Mlle Dalty. Bonne comédienne en herbe.

Puis, Velly, qui tyrolianisait avec succès, chantant le répertoire de Chaillier et s'en créant un nouveau sur le modèle de Victorin.

Louis Venturelli (dit Velly), né à Livourne, horloger d'abord, a lâché le pays où fleurit le macaroni pour la France, et les ressorts de montres pour la chansonnette.

Il a de la verve, une voix forte et prononce clairement. Fort applaudi et toujours rappelé par le public qui sait que le couplet de bis l'anathème contre les belles-mères.

Et, encore une toute jeune fille, Mlle Lannes, qui a déjà fait parler de sa gracile personne. Lors du terrible incendie qui détruisit le théâtre de Rouen, c'est elle qui se jeta du quatrième étage et fut relevée à terre saine et sauve. Ses jupes avaient fait ballon et ce parachute improvisé l'avait sauvée. Une jolie voix, du jeu. Bientôt Cantin va la dénicher et elle se fera une place honorable dans les théâtres d'opérette et d'opéra-comique, sous le nom de Clary.

Et enfin Marthe Lys qui bientôt passera à la Porte Saint-Martin. Charmante comédienne et beauté séduisante. Voici le portrait qu'en traçait Paul Mahalin :

"Des buissons de roses sur les joues et, sur le reste du visage, un bouquet de lys dont les étamines d'or jaillissent du calice en blonde et soyeuse chevelure. Dans le corset, des montagnes de neige, en dedans et en dehors".

Il paraît, que le même historiographe des jolies actrices de Paris, que Marthe Lys, blonde comme Ève et Vénus réunies, avait un caprice pour le nègre Cochinat. Un jour, elle lui dit :

-Je joue lundi dans une féerie nouvelle, tu serais bien gentil de me faire cadeau d'un maillot couleur de chair dont j'ai absolument besoin.

- C'est convenu, dit Cochinat, je te le porterai dans ta loge au moment de t'habiller.

Le soir de la première arrive. Le bon nègre apporte un paquet que Marthe, joyeuse, déficelle à la hâte. Il contenait... un maillot noir.

C'était la couleur de chair de Cochinat.

Un coup dur m'arrive sous la forme d'un télégramme envoyé par mes beaux-frères. Il me faut partir tout de suite pour Marseille où ça ne va pas du tout ; ma fin de mois est compromise ; les couleurs sont dans la limonade !

Devant l'urgence, M. Ducarre m'accorde trois jours de congé.

Je prends le rapide ; j'arrive à Marseille ; je cours à la maison ; je saute sur les livres ; ils accusent six mille francs en caisse ; mais la dite caisse n'en possède que quinze cents.

Je me mets à la recherche de mon associé ; il est peut-être en train de chercher les fonds manquants. Pas du tout ! il est en train de suivre la répétition au Palais de Cristal, de contempler et de fleurir les charmes de ces dames.

Il paraît que c'était sa principale occupation.

Je lui reproche sa conduite et lui demande des comptes. Il le prend de haut, vexé d'être ainsi interpellé devant ses belles, moi je le prends par le bras et l'emmène, quasi de force, à la maison.

Là, il bafouille, pataugeant dans des semblants d'explication.

Mon naturel violent ne me permettait as de la suivre sur ce terrain, je l'empoigne par le fond de sa culotte et je le jette dehors.

Il court chez le commissaire et revient avec deux agents de police à qui j'interdis l'entrée de la maison, j'étais dans un état de fureur indescriptible !

Il me poursuivit. Je sentais l'effondrement proche. Ma femme et mes beaux-frères étaient malades de chagrin, je souscrivis à tout ce qu'on voulut à la condition qu'il serait consigné sur le Grand Livre que j'abandonnais tout mon apport ; que, moi présent, la maison avait prospéré et que mon honorabilité était indiscutable.

Je repartais un peu plus tranquille. Hélas ! six mois après, la déconfiture était complète.

Cette belle affaire de couleurs m'avait coûté quarante-trois mille francs en huit mois, sans compter la perte de mon travail évalué à deux cents francs par jours en moyenne. De plus, il m'avait fallu obtenir une prolongation de congé de l' Alcazar d'Été, où je ne retournai pas de la saison. M. Ducarre n'était pas content.

Cette aventure aurait dû me guérir à tout jamais des spéculations. Ah bien oui ! Il était plus facile de blanchir la tête d'un nègre que de m'empêcher d'agir au gré de mes turlutaines.

Je devais en voir bien d'autres !


Je crée un des grands succès de ma carrière. C'est Derrière l'omnibus, de Jules Jouy, musique de Louis Raynal.

Jules Jouy fut certainement un des premiers chansonniers de notre époque. Une imagination vive, une inspiration féconde, servies par sa facilité à ciseler levers, à la présenter impeccable, le mirent rapidement hors de pair, dans le clan des paroliers.

Nous le retrouverons à l'époque boulangiste, où il fit ses fameuses satires quotidiennes ; travail énorme, surmenage terrible qui a dû contribuer à éteindre ce cerveau si lumineux, quelques années plus tard. Il n'a certes pas donné toute la mesure de son beau talent.

Cette chanson, Derrière l'omnibus, ne contribua pas peu à consacrer le surnom de gambillard que le Père Sacey m'avait donné.

Il me fallait des poumons d'acier et des jambes de gymnaste pour trotter ces couplets que tout le monde a connus.


Cet été, à l' Horloge, j'ai fort applaudi un comique très original. Alors, comme aujourd'hui il a toujours eu le don de me mettre en gaîté. C'est Clovis.

Un comique... gai, comme il s'intitule, pour faire pièce aux nombreux comiques lugubres qui ont surgi ces temps derniers. Il a un rare talent d'assimilation ; il observe à fond et rend admirablement les types qu'il présente.

Il excelle dans les poivrots.

Ce n'est pas le poivrot d' Arnaud, ni celui de Bourgès, c'est le sien, c'est le poivrot Clovis, le plus naturel, le moins conventionnel de tous.

Il sait être populo sans devenir trivial ; son talent est de bon aloi ; la finesse qu'il met à détailler les plus gros morceaux les fait avaler par les gens les plus pudibonds.

Ce pince-sans-rire dériderait une momie de Pharaon !

D'une force peu commune au noble jeu qu'ont illustré les Berger, les Mangin, les Vignaud, il porte sur ses cartes de visite : Clovis, officier d'académie... de billard.

Champigny a la joie de le compter parmi ses habitants et cet ambitieux s'est fait nommer membre honoraire de la fanfare.

En février 1881, au Théâtre de la Gaîté a eu lieu la représentation de retraite de Darcier. Pourquoi les cafés-concerts ont-ils été si peu représentés à cette solennité ? Darcier avait chanté chez nous et ses principales œuvres avaient été créées sur nos modestes scènes. Ce regret exprimé, constatons le succès : la recette a été de 22 180 francs !

Faure y a chanté une chanson inédite du maître, la Guerre et l'Humanité ; Capoul a triomphé avec les Doublons de ma ceinture (l'œuvre de prédilection de Darcier), Judic, Thérésa, Coquelin, vingt autres artistes en renom ont prêté leurs concours.

On a fait à Darcier des ovations enthousiastes ; il a dit plusieurs de ses chef-d'œuvre... et avec quelle puissance encore !

Il faudrait citer toutes ses chansons, car un choix est difficile ; elles sont toutes belles.


Prenons au hasard, la 32e demi-brigade dont les paroles sont de Charles Gille, ce chansonnier de grand talent qui collabora souvent avec Darcier et fit, entre autres chansons célèbres, le Bataillon de la Moselle.


Dans une de mes tournées, passant par Lyon, je fis la connaissance de Jehan Sarrazin qui devait acquérir un peu plus tard une notoriété amusante dans le monde Montmartrois et devenir le directeur du Divan Japonais.

Qui n'a connu le célèbre poète bohème ? Il promenait un petit baquet à son bras, dans tout Montmartre s'arrêtant à la terrasse des cafés et demandait : "Voulez-vous des olives et de la poésie ?" En 1888, il annonça l'ouverture de son établissement par cette proclamation dont voici quelques passages, d'une fantaisie charmante :


PROCLAMATION DU SIEUR JEHAN SARRAZIN

Gonfalonnier de la rue de La Tour d'Auvergne.
Au peuple de Montmartre, Montrouge, Montparnasse et Paris.

"Le sieur Jehan Sarrazin, Gonfalonnier de la rue de La Tour d'Auvergne, a l'honneur de faire savoir aux habitants de Montmartre, Montrouge, Montparnasse, Paris et à ceux des provinces circonvoisines que par la volonté du Parlement, avec l'autorisation du Président de la République et avec l'assentiment du docte Sénat, il installe ses dieux familiers en son nouveau palais du Divan Japonais, 75, rue des Martyrs.

"Le sieur Jehan Sarrazin invite ses concitoyens, vassaux et autres, ainsi que leurs dames, épouses ou concubines à le venir voir en son nouveau séjour afin d'y boire frais, de s'y divertir et d'assurer l'éternel salut de leurs esprits et de leurs corps, en dégustant dans des vaisselles d'or et de vermeil, la trois fois dive olive, princesse inamovible des productions de la Nature.

"Grâce aux plus prodigieux sacrifices et aux plus exorbitantes combinaisons, le sieur Jehan Sarrazin s'est assuré le concours des plus hautes célébrités contemporaines afin de contribuer, au delà de leurs vœux les plus exagérés, à l'amusement de ses concitoyens, fussent-ils célibataires, moines, ou entrepreneur de pompes funèbres.

"Le sieur Jehan Sarrazin poussera enfin la fantaisie jusqu'à se montrer personnellement en public, muni des divers agréments dont l'a gratifié la nature et il daignera prendre une part active aux conversations les plus hétéroclites."

(signé) Jehan Sarrazin.
Propagateur de l'olive dans les peuplades septentrionales.




Le public a d'abord été récalcitrant, malgré ce mirifique boniment chatnoiresque.

Peu à peu, grâce à la verve, à l'ingéniosité toujours renouvelée du Directeur, le Divan Japonais est devenu le rendez-vous de la jeunesse qui s'amuse et veut le prouver par ses cris.

Ce fut du chambard à jet continu, mais Jehan Sarrazin imagina de donner des Vendredis de gala et les gens du Monde grimpèrent à la Butte.


Il y eut alors un jour par semaine où les romances n'étaient pas accueillies par des cris d'animaux variés, où les malheureux artistes pouvaient terminer leur chanson.

Parmi les artistes-femmes qui passèrent sur cette scène avant de conquérir ailleurs la célébrité, il faut citer Yvette Guilbert (que nous retrouverons en meilleure place) et l'excentrique Duclerc.

Kadoudja, la mulâtresse, y a chanté.

Elle y faisait même sensation et causait la joie du public avec ses berceuses créoles.

On lui passait un mince filet de voix, à cause de ses hanches arrondies qui rythmaient si bien la cadence des chansonnettes.

À son entrée, le succès était pour sa toilette, et il y avait de quoi !

Elle avait des souliers rouges, des bas roses ; sur son chapeau, entre des fleurs blanches, jaunes et violettes, émergeait un énorme oiseau orange.

L'arc-en-ciel lui avait livré toutes ses couleurs ; elle y avait même ajouté la teinte bronzée de sa peau.

Marcel Legay, Victor Meusy, Gaston Maquis, chantèrent aussi au Divan Japonais.

Jehan Sarrazin dut un jour laisser le Concert qui périclitait et reprendre le baquet aux olives.

Il s'en consola en rimant plus que jamais des œuvres charmantes, d'une facture très littéraire et dont les délicats sont friands.

 

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