SOMMAIRE & NOTES

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Plessis



Simon Max




Nicol



Blanche d'Antigny, rôle de Frédégonde.
Hervé rôle de Chilpéric,
aux Folies Dramatiques
par André Gill.











Zélia







Vigneau

Julia

































































































Émile Duhem























































Thérésa, dans la Chatte Blanche,
par André Gill.

Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE VIII

Au Casino de Lyon - Plessis - Simon Max - Nicol - Les fumisteries de Plessis - Blanche d'Antigny - Le truc des renouvellements - Mlle Vigneau - Julia - Zélia - Duhem - "Le Bouton de Billou" - Thérésa dans la Chatte Blanche.


J'étais engagé au Casino de Lyon pour la saison d'hiver 1869-70.

Le directeur Claude Guillet m'avait consenti un traité à raison de six cents francs par mois, appointements très beaux à cette époque, où l'on n'étouffait pas encore les étoiles sous des monceaux d'or.

Une dernière poignée de main aux camarades et je prenais le train pour les rives fleuries qu'arrosent le Rhône et la Saône.

Le papa Guillet ne visait qu'une chose : couler l'Eldorado de Lyon, son concurrent. Il avait engagé une série d'artistes de valeur : Plessis [Henri], Simon Max, Nicol, Buislay, et... Paulus. J'allais encore trouver des rivaux redoutables : et tous étaient réputés, affirmés, applaudis.

Le nom de Plessis mérite qu'on s'y arrête.

Déjà, partout où il avait passé, il avait réussi. Maillard, du Figaro, l'appelait le Thérésa masculin.

Je l'avais vu, entendu, à l'Alcazar d'Hiver. Quel tempérament ! Quelle variété de répertoire ! 

Après une cascade il entamait un morceau dramatique. Dans le Fou il était pathétique, et comédien consommé dans "Connais pas !" Son triomphe, alors, était le Roi des saltimbanques

Plessis nous dominait, incontestablement. Il jouait avec le public, l'interpellait, lui faisant tout accepter. Ce qu'il osait, en scène, est inimaginable ! Et il l'ose encore aujourd'hui, car son organisme de fer a résisté victorieusement à ce labeur énorme, fait d'audace et de fantaisie quotidiennes.

Simon Max chantait alors la tyrolienne, d'une fort jolie voix, très fraîche, très prenante. Bon comédien avec ça. Il a, depuis, affirmé sa valeur, dans les nombreuses opérettes qu'il a créées ou interprétées au théâtre, de façon si originale, si amusante.

Nicol, parigot des faubourgs, gavroche gouailleur, hilarant, tout en dehors, doué d'une voix suraiguë , embaumait ses auditeurs avec ses chansons railleuses, notamment avec J'renfonce mon chapeau ! 

Buislay, comique-danseur, pince sans rire, détaillait à ravir les scènes à transformations, à parlé et à danses. 

Il me fallait briller à côté de ces gaillards-là ! La tâche était rude, mais le danger ne m'effrayait plus ; au contraire, il m'aiguillonnait ; j'avais une entière confiance en moi. C'était une question de bonnes chansons ; j'en apportais toute une collection et je les tenais bien. Le genre en était nouveau ici, il plut tout de suite.

Nous étions donc cinq vedettes de valeur à peu près équivalente, mais d'allure différente, ce qui nous permit de réussir sans nous porter ombrage. On se regarda un peu de travers d'abord, on se tâta, puis, grâce, au bon et joyeux Plessis, on finit par fraterniser cordialement. Et il nous éleva au rang de complices de farces qu'il inventait sans relâche. 

Voulez-vous un échantillon de ses fumisteries ? 

Un jour que nous déambulions tous les cinq par les rues de Lyon, nous arrivons devant un grand magasin de confections pour hommes. À la devanture, plusieurs mannequins faisaient ressortir les complets de la maison. 

Une de ces idées abracadabrantes dont il avait le monopole surgit dans le cerveau de Plessis. Il nous fait promettre d'agir exactement comme lui, de l'imiter, de point en point, dans tout ce qu'il va exécuter. Nous faisons mieux que le promettre, nous le jurons. 

Il s'approche d'un des mannequins, le salue, respectueux, et lui prend la main qu'il serre avec effusion. Chacun de nous agit de la même façon avec un des autres mannequins. 

Plessis l'air de causer amicalement avec son homme artificiel ; puis ça se gâte, il semble qu'une altercation vient de se produire entre eux. Nous exécutons la même mimique avec les quatre autres. 

Plessis, comme a bout d'arguments, semble exaspéré. Emporté par la colère il flanque une gifle à son mannequin qui culbute à terre. Avec une précision automatique nous employons les mêmes procédés et nous voilà sur le pavé, avec nos bonshommes de carton, les bourrant de coups de poings et d'invectives... en veux-tu ? en voilà ! 

La foule s'était assemblée, stupéfaite ; il y avait bientôt mille personnes, ahuries devant ce spectacle. Des agents de police, requis par les employés du magasin, s'avançaient prudemment, étant persuadés qu'ils avaient affaire à des malheureux échappés d'une maison de fous ! 

Tout à coup, Plessis lâche son mannequin et se relève. Nous lâchons les nôtres et nous exécutons, toujours l'œil sur Plessis, une gigue effrénée autour des vaincus. Puis, sur un signe du chef, nous détalons à toutes jambes !

Beaucoup de personnes nous avaient reconnus et riaient aux éclats de cette gaminerie, dont le récit courut par la ville et valut une énorme réclame au papa Guillet qui en fut enchanté. Mais la police lui fit savoir que ses artistes devraient s'abstenir dorénavant de ce genre de réclames, attentatoire à la tranquillité publique.

Nous nous tînmes cois, mais Plessis continua, tout seul, la série de ses fumisteries qui demanderaient un volume tout entier pour être contées. 


Plessis reçoit une visite dans les coulisses. C'est Blanche d'Antigny qui, de passage à Lyon, tient à lui serrer la main. Ce veinard-là est l'ami de toutes les femmes au cœur brûlant ! 

Nous profitons de l'aubaine pour faire la connaissance de cette artiste, de retentissante notoriété. Pas belle, belle, mais quelle carnation ! quelle opulence de formes ! Un Rubens, quoi ! 

Que de millions ont déjà glissé de ces jolies mains grassouillettes ! Que de fortunes ont disparu sous ces blanches quenottes ! Blanche d'Antigny ne pourrait le dire, n'ayant pas le don de l'ordre ; elle jetait l'or par les fenêtres et son cœur, tendre et facile, lui coûtait gros. 

Dans une tournée qu'elle fit en Égypte, elle avait emmené sa femme de chambre, ce qui était naturel, et son cocher, ce qui l'était moins, puisqu'elle n'avait pas de voiture à faire conduire. Comme on s'en étonnait, elle dit : "Dame ! je dois vingt mille francs à Augustine et trente-cinq mille à Justin ; ils ne veulent pas me lâcher !

Ce Justin, homme pratique et dénué de principes trop austères, disait familièrement de sa maîtresse : "Bonne fille, Blanche, mais trop de béguins !... pas sérieuse du tout. Ainsi depuis que nous sommes au Caire elle ne s'est même pas encore occupée d'empaumer le Khédive !... Nous ne sommes pourtant venus que pour ça !" 

L'excellente Marguerite du Petit Faust [1], la Frédégonde de Chilpéric avait été la favorite d'Hervé, et André Gill [Louis André Gosset de Guines dit André Gill, peintre et dessinateur célèbres pour ses portraits-charges - 1840-1885] a chargé spirituellement cette association artistico-intime. 

Celle dont les épaules ruisselaient alors de diamants devait mourir sans un fichu pour les couvrir, dans un modeste hôtel meublé.



[1] Parodie du Faust de Gounod composée par Hervé (Florimont Rongé dit), créée en 1869 à propos de laquelle Banville écrivit "vive, élégante, originale, ailée d'un bout à l'autre". Blanche d'Antigny y tenait le rôle-titre féminin et Hervé, lui-même, le rôle de Faust.



Revenons au directeur Claude Guillet, bon homme, mais original, fertile en ficelles de toutes sortes. La plus forte qu'il ait trouvée, fut certainement celle qui suit et qui lui rapporta des revenus princiers. 

En ce temps-là, dans presque tous les cafés-concerts, vers le milieu de la soirée, à l'entracte, un écriteau surgissait, disant : On est prié de renouveler. Car on ne payait pas de prix d'entrée, mais les consommations étaient taxées en conséquence. Au Casino elles coûtaient cinquante, et soixante-quinze centimes, suivant les places occupées. 

On ne donnait pas de matinée le dimanche. Dès cinq heures du soir la maison était assiégée ! Le public se poussait, s'étouffait aux portes pour arriver à se bien caser. D'aucuns apportaient de provisions pour collationner au bruit des flonflons. Les papas et les mamans avaient les bras chargés de marmailles et de charcuteries variées. C'était une rage ! Et qui n'arrivait pas à trouver place au Casino, estimait avoir perdu son dimanche. 

Le papa Guillet n'insistait pas trop quand, dans la semaine, il se trouvait des réfractaires à la coutume de renouveler les consommations, mais vous allez voir comment il procédait le dimanche, quand le public surabondait. Le concert commençait à cinq heures et demie. La première partie durait une heure, occupée par des artistes divers, et se terminait avec Simon Max, fort applaudi ! 

Le rideau descendait du cintre et l'écriteau apparaissait : 

On est prié de renouveler.

La salle protestait, mais faiblement. On tenait à entendre Nicol, annoncé dans la deuxième partie. Quelques spectateurs, à la bourse plate, s'en allaient. Ils étaient aussitôt remplacés par ceux-là qui faisaient la queue dehors, attendant cette aubaine prévue.

La deuxième partie commençait. À sept heures et demi, Nicol la finissait avec son succès habituel. Réapparition de l'écriteau : On est prié de renouveler.

Oh ! alors le public la trouvait mauvaise.

Les protestations résonnaient de tous les côtés. Le papa Guillet restait sourd à ces manifestations ; il souriait, se frottait les mains, sûr du résultat. Et le public cédait.

Pensez donc ! il lui restait encore à entendre : À 8 h.1/2 , Buislay ! À 9 h.1/2 , Paulus !
À 10 h.1/2 , Plessis!

Quatre fois dans la soirée, le fatidique : On est prié de renouveler,


venait mettre le public en fureur, mais le programme était si attrayant, allant, comme chez Nicol et, de plus fort en plus fort, que le public se calmait et... renouvelait. 

Aurait-on pu avouer le lendemain à la Guillotière et à la Croix-Rousse qu'on était allé au Casino, sans entendre Paulus et Plessis  ! 

Total pour cinq parties, cinq consommations par spectateur et pour la caisse du directeur roublard, cinq recettes dans la soirée. Vous ne vous étonnerez pas si je vous dis qu'il a fait fortune à ce métier-là. 

Je serai resté plus longtemps à Lyon, était donné le succès obtenu, mais j'avais signé pour retourner quinze jours à Nîmes et il me fallait encore aller à Paris avant de remplir cet engagement. 

Cependant le papa Guillet m'arracha la promesse de revenir chez lui aussitôt après avoir satisfait le public nîmois. 


À Paris, ma première soirée est toujours pour l'Eldorado [4 boulevard de Strasbourg, 10e], but constant de mon ambition. Tout ce qui s'y chante me semble parfait ; cette scène m'hypnotise !... Patience ! j'y reviendrai bientôt.

L'établissement n'a pas de claque ; je la remplace avantageusement à moi tout seul, tellement j'applaudis les artistes que je connais déjà et les nouveaux de la maison. Parmi ces derniers, je note :

Mlle Vigneau, qui vit le jour en Algérie, au cours d'une tournée artistique de ses parents. N'a pas perdu son temps dans les Conservatoires, puisqu'à peine nantie de cinq années, elle débutait au Grand Théâtre, à Nîmes. 

Plus tard, à Nice, la grande duchesse de Bade qui l'entendit, si intelligemment folichonne, lui fit remettre un mot de satisfaction accompagné de mille francs en beaux louis d'or. 

Maintenant elle a ses vingt printemps et vient de débuter avec succès, dans les diseuses comiques, à l'Eldorado.

[Aucun autre renseignement disponible pour le moment sur celle Mlle Vigneau]

Mlle Julia (Julia Boulay) une Rouennaise. À commencé par être rat au corps de ballet de la Gaîté ; chante maintenant... et promet. 

Mlle Zélia (Zélia Amiscel) une Bretonne du Morbihan ;  dit, chante, module avec goût ; a tout pour aspirer à l'étoilât

Puis Émile Duhem, un enfant du Nord qui lancera pas mal de succès dans sa longue carrière. En ce moment, il chante le Bouton de Billou, dont le succès s'est perpétué jusqu'à nos jours, et le Conducteur d'omnibus. Cette dernière chanson lui a valu une belle couronne offerte par les conducteurs d'omnibus de Paris, glorieux d'avoir inspiré ces couplets amusants. 

Le comique de Duhem porte beaucoup. Il a d'autres cordes à son arc : il compose des airs pour certaines chansons qu'on lui apporte et imite à s'y méprendre la flûte. 

La perfection de cette imitation fut la cause d'un pari, à Bruxelles, entre un Hollandais et un Anglais. Ce dernier prétendait que Duhem se servait d'un objet quelconque pour rendre ainsi le son de la flûte. Le naturel de Berg-op-Zoom paria mille francs que nulle pratique ne garnissait la bouche de notre artiste. Déjeuner, auquel Duhem fut invité, sans en connaître la cause et, au dessert, on le pria de flûter un morceau, ce qu'il fit incontinent, sans le moindre artifice dans le gosier. Le fils d'Albion perdit son pari.


Un tour au Châtelet pour entendre Thérésa dans la Chatte Blanche.

La grande diva populaire à fort engraissé. Ce ne sont plus des maigres bras qui font à présent le geste large dont elle souligne ses refrains, mais des bras potelés qui esquissent le moulinet si comique dans "Les Canards tyroliens" qu'elle chante de façon à faire crouler la salle. Et j'aide à cet effondrement de l'édifice de toute la vigueur de mes bras. 

La superbe diseuse a un gros, très gros succès.

 

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