SOMMAIRE & NOTES

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Lucien Fugère


Fusier

































Trewey


Marcel

Paul Renard





Colombat
































































































































































































Vialla

Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE XIII

Lucien Fugère - "Le Régiment de Sambre-et-Meuse" - La belle Angèle - Fusier - Un concert d'animaux - Aux Ambassadeurs - Trewey - Marcel - Les fluctuations du papa Doudin - Colombat - Paul Renard - Maria Rivière - Vialla - Le pitre Clam.


Pendant cette fin d'année 1871, il y avait au café-concert de Ba-Ta-Clan, un jeune baryton qui allait parcourir une magnifique carrière, et que le Concert ne garda pas longtemps.

Il devait créer à l'Opéra-Comique nombre de rôles, marqués de sa griffe originale et puissante, et devenir la première basse-bouffe, - la seule peut-être - que nous ayions eu en France.

J'ai nommé Lucien Fugère ! Ne se contentant pas d'avoir un talent extraordinaire de chanteur et de comédien, il se permet encore d'être un excellent camarade et un homme d'esprit.

Chevalier de la Légion d'honneur, avec ça !

- Excusez du peu ! dirait Rossini, s'il pouvait applaudir l'incomparable Bartholo de son Barbier de Séville !

C'est lui qui créa la célèbre chanson : "Le régiment de Sambre et Meuse" de Paul Cézano, musique de Robert Planquette et le jeune maë stro vint lui-même conduire l'orchestre, le soir de la première.

Au commencement de 1872, quelques gentils minois d'aimables chanteuses se font applaudir à l' Eldorado, entr'autres Rosa Kathy, rondeur comique, diseuse à la voix sonore ; et celle qu'on n'appellera plus que la belle Angèle.

Appétissante, aguichante, jolie à ravir, c'est bientôt sur la scène des Variétés qu'elle fera s'écarquiller tous les yeux, palpiter tous les cœurs et consacrer sa réputation de... belle Angèle.

Le 20 avril 1872, Fusier débutait à l' Eldorado.

Quel type ! quel artiste original ! Comique, prestidigitateur, il n'y en avait pas un comme lui pour imiter les cris d'animaux et les instruments de musique. Né à Amiens, en 1851, il avait eu ces dispositions artistiques dès l'enfance et les avait perfectionnés à un degré extraordinaire ; à preuve cette anecdote :

Il était adolescent, alors, et habitait avec sa mère.

Celle-ci voit un jour entrer chez elle, en coup de vent, son propriétaire, furieux, hors de lui !

- Madame ! c'est indigne !... Je vous ai loué à la condition que vous n'ayez ni chiens, ni chats, ni serins, ni...

- Mais monsieur, interrompt la maman Fusier, je n'ai rien de tout ça !

À ce moment, un long et plaintif mugissement sort de la chambre d'à côté.

- C'est trop fort ! s'écrie notre homme, un veau ! vous avez un veau chez vous maintenant ?

Avant que Mme Fusier ait pu répondre, un charivari énorme éclate : gloussements de poules, cocoricos sonores, braiements d'ânes, rugissements de lions, tout y était !

Les cheveux du propriétaire s'étaient dressés sur sa tête.

- Mais c'est l'arche de Noé que ma maison !... Si vous croyez que ça va se passer comme ça !

La maman, riant aux éclats, était allée ouvrir la porte et le propriétaire aperçut notre ami Fusier, en train de répéter une scène d'imitations, son violoncelle entre les jambes.

Il voulut utiliser des aptitudes aussi remarquables. À vingt ans, à Paris, il entra au concert de l'École (place des Trois-Marie), y fut remarqué par Baumaine et, sur sa recommandation, entra à l'Eldorado, où il conquit le succès. "Accours ! écrivit-il à sa mère, je gagne six mille francs par an ! nous voilà riches !"

Après trois années de concert, il entra au théâtre, y réussit également et fut le continuateur de Berthelier dans les salons mondains.


Je fis la saison tout entière - été 1872, - aux Ambassadeurs.

On commençait en Mai. Brrrou !... qu'il faisait frisquet le soir ! Les arbres, peu feuillus encore et les dames de la Corbeille, décolletées, semblaient frissonner à l'unisson.

Le directeur, le papa Doudin, préparait les tiroirs de sa caisse, espérant bien les remplis sous peu, avec l'aide dévouée de Mme Alexandrine, dont il prisait si fort les qualités de caissière, qu'il l'éleva au grade d'épouse.

À mon côté, il y avait, outre Marguerite Baudin et Perrin, déjà nommés, l'excellent Stainville et l'amusant prestidigitateur Trewey, qui courut le monde et remplit une fructueuse carrière, dont il savoure les bons résultats, à cette heure, dans un coin riant de la banlieue parisienne.

Puis, Marcel, le favori du directeur, qu'il faisait rire avec des calembours... exécrables toujours, mais lancés, à jet continu, avec un flegme imperturbable. L'hiver il jouait aux Folies Dramatiques, où il avait créé, en artiste de valeur, le rôle d'Alexandrivore, dans L'œil crevé, d'Hervé. L'été il chantait aux Ambassadeurs, qu'il appelait sa maison de campagne.

Très intelligent, très adroit, il avait beaucoup de succès dans ses chansons, à tyroliennes très souvent. Il eut un triomphe avec la Complainte d'Infortunio.


Je ne gagnais pas encore beaucoup d'argent à cette époque et il me fallait souvent demander des avances à la Direction. Mes camarades étaient dans le même cas. Quand il faisait beau temps, le père Doudin accueillait les demandes avec un gracieux sourire, et d'une voix flûtée, disait à la caissière :

- Alexandrine !... donnez donc des acomptes à ces messieurs... à ces chers amis.

Mais s'il avait plu, si le sol détrempé du jardin ne devait pas tenter les pieds des amateurs, si seulement le baromètre annonçait une ondée, le directeur assombri comme le ciel, criait de toutes ses forces.

- Alexandrine !... f...ichez moi tous ces em...bêteurs à la porte !... où veulent-ils que j'en trouve de l'argent par un temps pareil ?

Et s'il pleuvait durant toute la semaine, on pouvait se fouiller pendant huit jours. Il était inexorable dans ses refus.

Dès qu'un arc-en-ciel apparaissait, il se faisait gentil, les avances pleuvaient ; Perrin, Paulus, Marcel et Villebichot redevenaient ses enfants chéris.


Dans l'autre établissement voisin, à l'Alcazar d'été c'est Mlle Colombat qui brille à côté de ses camarades Bienfait, Reyar, Delobel et Brunet ; Frédérick Barbier, compositeur de grand talent, est chef d'orchestre.

Mlle Colombat a la voix puissante, le jeu fin, original ; c'est une artiste. Jolie femme avec ça, ce qui ne gâte rien, au contraire.

Elle a un gros succès avec La femme de feu et Une fille nature.

Le directeur de l' Alcazar d'été, Vergeron, est chansonnier.

En 1855, devant Sébastopol, il a créé le fameux théâtre des zouaves. On jouait la comédie et le vaudeville, entre deux alertes, quittant brusquement la scène pour la tranchée et la perruque pour le flingot. Émile Carré, le chansonnier, zouzou aussi à cette époque, faisait partie de la troupe et m'en a souvent conté les orageuses représentations.
 

Allons bon ! voilà encore que l'on crie après ce pauvre café-concert ! M. Jules Simon, ministre des Beaux-Arts (1872) fulmine contre ces spectacles de bas-étage qui distribuent et vendent le poison autour de nous.

Le ministre pouvait tempêter, menacer ; le café-concert avait le public pour lui... et des défenseurs autorisés.

M. Jules Claretie l'avait appelé le théâtre démocratisé.

Thomas Grimm, dans le Petit Journal, rompait des lances en faveur du café-concert et rappelait que c'était de là qu'était sorti le réveil du patriotisme. Francisque Sarcey, après les représentations de Cornélie, à l'Eldorado, avait écrit en parlant des spectateurs :

"Ces buveurs de bière écoutent avec autant d'attention et de silence qu'on le fait rue Richelieu. J'ai assisté avant hier à la représentation de Cinna au Théâtre-Français ; deux jours auparavant j'avais entendu les Imprécations de Camille à l' Eldorado, eh bien ! c'est à l'Eldorado que j'ai trouvé le plus de sympathie et le plus d'enthousiasme".

Parbleu ! le public du café-concert est aussi intelligent que l'autre. Il a tort d'accepter trop facilement ce qu'on lui sert, mais il distingue les bonnes choses des autres. Le tout est de lui donner de bonnes choses... et je dois avouer qu'on ne lui en sert pas souvent.


Saison d'Hiver 1872-73. Il y a du nouveau à l'Eldorado. M. Paul Renard, déjà administrateur, devient directeur associé avec M. Lorge.

Une nouvelle étoile s'est levée à l'horizon ; c'est Mlle Maria Rivière qui a fait un effet énorme avec sa merveilleuse voix, jouant de toutes les difficultés musicales. Voici ce qu'en disait M. Alphonse Lemonnier, dans le Journal Officiel des théâtres.

"Brune, grassouillette, ayant quelque ressemblance avec Thérésa. Voix fantastique, donnant des notes d'une justesse étonnante. Véritable talent lyrique. Et quand on pense que M. Bertrand laisse une pareille cantatrice à l'Eldorado !"

L'Opéra n'enleva pas Rivière à l'Eldorado et, à part quelques rapides incursions à la Renaissance et aux Menus-Plaisirs, elle resta fidèle au Concert, pour le plus grand plaisir du public.

Aujourd'hui, elle a encore une voix merveilleuse dont le solide cristal a résisté au temps et au labeur acharné qu'elle produit, en collaboration avec le bon Bruet, devenu son mari.



Vialla était très fêté par le public. Avec Amiati, il incarnait la chanson patriotique, douloureuse et vengeresse, du moment.

C'était un enfant de Montpellier qui avait couru la province, comme fort ténor, et récolté de beau succès dans les principales villes de France. il avait réussi tout de suite à l'Eldorado, avec sa voix chaude, étendue, puissante. Il était la joie de la grande loge. Perrin le chargeait


de toutes les mauvaises commissions à faire ; il les exécutait avec un flegme cocasse et ne se fâchait jamais des plaisanteries dont il était l'objet.

Je l'ai déjà montré allumeur des Anti-M ..x.

Quand il chantait, sa diction était claire, nette, irréprochable ; mais, dès qu'il parlait, il devenait incompréhensible, et avait résolu ce problème, étant languedocien, d'avoir l'accent auvergnat.

Avant le lever du rideau, on se prêtait à sa petite farce habituelle. On lui demandait :

- Vialla, avons-nous du monde ce soir ?

Il courait au trou du rideau, faisait mine de compter des spectateurs épars (or, la salle était toujours pleine) et revenait à nous, l'air navré :

- Y a bien trrrente, qrrrant pchonnes a la challe. (Ce qui voulait dire : Il y a bien trente ou quarante personnes dans la salle).

On se tordait ; il était heureux, et on recommençait le lendemain.


Une de nos camarades - je ne la nomme pas, car il me faudrait avouer que sa mâchoire est défectueuse, ce qui ne lui enlève rien de sa grâce, ni de son esprit - une de nos camarades me conte dans la coulisse :

" - Figure-toi que j'ai été cet après-midi chez un dentiste américain - si américain qu'il en avait l'accent belge - pour me faire enlever une dent gâtée. L'opération finie, non sans douleur - malgré la promesse de sa circulaire - je mets, dans la main du dentiste, une jolie pièce de dix francs, en or, toute neuve. Il la regarde, un sourire dédaigneux aux lèvres, et me dit :

" - C'est pour mon domestique, sans doute ?

" - Non - ai-je répondu - c'est... pour vous deux !

"Et je me suis sauvée ! J'aurais bien donné dix autres francs pour voir la tête qu'il a dû faire après mon départ."


Il a fait un temps superbe ; c'est la Foire au pain d'épice, à la barrière du Trône, allons-y faire un tour et voir mon ami Clam.

Qui n'a pas connu le pitre Clam ?

J'avais fait sa connaissance alors qu'en compagnie de Plessis, de Courtès et du papa Souchet, il fréquentait les bains de vapeur du faubourg Saint-Denis, où, tous, nous avions coutume de festoyer après joyeux bain. Clam m'avait séduit par son esprit original ; c'était un franc-normand de Caen, instruit et spirituel.

Il était l'inventeur du Cadre-parlant. Dans un cadre vide, il passait sa grosse tête et faisait défiler une vingtaine de types divers, avec des boniments du plus haut cocasse. Tous, nous allions l'applaudir, et l'étudier... dans l'établissement Delille.

Chaque fois je le savais en Province, dans une fête foraine, attaché alors à la baraque de Piétro Gallia et que le hasard des tournées m'amenait là, je ne manquais jamais d'aller lui serrer la main.

C'était quelqu'un ; et je me rappelle toujours, avec attendrissement, les bonnes heures passées avec ce jovial camarade, le pitre Clam, parti dans un monde meilleur où sa faconde doit ébaudir les habitants, tout supérieurs qu'ils soient sans doute aux publics forains d'ici-bas.

 



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