SOMMAIRE & NOTES

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Maurel







































Violette



























































Villé et Dora




































Eugène Baillet



























































































































Antonin Louis










Debriège

Paulus


Notes

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CHAPITRE XXVIII

La chanson du jour - Tout à la Boulanger ! - "Les Pioupious d'Auvergne" - Antonin Louis - Demay - Maurel - Violette - Le carrousel Floquet - A l'Éden-Concert - Les vendredis classiques - Villé et Dora - Dattigny - Limat - Eugène Baillet - Raoul Pitau - Le tremblement de terre de Nice - Une idylle mouvementée - Le bénéfice de Mercadier - A l'Eden-Théâtre - Un scandale à la Scala - Lévya - Debriège - "Le Père la Victoire".


Au commencement de l'hiver 1886, pendant un congé que m'avait accordé le Directeur de la Scala, je fis une tournée dans le Midi, de Bordeaux à Sète, avec une troupe que j'avais organisée et qui comprenait, entr'autres artistes : Gabrielle Chalon, une fort belle jeune femme, qui me rendit de bons services comme chanteuse et comme comédienne ; puis Delpierre, artiste très adroit, Nadine, une gracieuse dugazon qui plaisait beaucoup et Mme Raphaël Félix, chanteuse de valses, très goûtée. Mon pianiste accompagnateur était Léopold Gangloff, musicien de talent, que je lançai du coup. Plus tard, il me fera la musique de la Boiteuse dont le succès fut énorme et gonfla la caisse du Répertoire Paulus. 

En mai à l'Alcazar d'Été, "En revenant de la Revue" mit le comble à ma renommée. J'ai conté, au premier chapitre de ces souvenirs, comment naquit cette fameuse chanson son et le bruit qu'elle fit par le monde. Elle rapporta aux auteurs, Delormel et Garnier, et à l'excellent compositeur Desormes, gloire et profit. C'est par ballots nombreux que la Maison d'édition expédiait le grand succès du temps à la province et à l'étranger. Ce pauvre Desormes, par contre, ne put jamais obtenir la petite satisfaction qu'il attendit toute sa vie : les palmes d'officier d'Académie ! Tous les ministères eurent la mesquinerie d'en vouloir au compositeur d'En revenant de la Revue, qui avait popularisé le brave général Boulanger et en avait fait l'idole des foules.  

Nombre de chansonniers nous emboîtèrent le pas. Les rues retentirent de refrains célébrant le général. 

Le chansonnier Antonin Louis se trouvait sur le boulevard, un soir d'effervescence populaire. On chantait alors dans les rues un refrain qu'avait lancé Bourgès : C'est ta poire! ta poire! ta poire! Il eut l'idée de substituer le nom du général au mot "poire" et entonna, à pleine voix :

C'est Boulange, Boulange, Boulange,
C'est Boulange qu'il nous faut!
Oh! oh! oh! oh!

 Une heure après, tout Paris chantait ce refrain. Notre chansonnier, devant la réussite de son improvisation, rentra vite chez lui composer la chanson, mais le refrain seul en subsista. Seulement il fit, aussitôt après, la chanson qui eut tant de succès : Les pioupious d'Auvergne, lancée aussi par Bourgès.

Antonin Louis était un coutumier, et l'est toujours, des succès populaires parmi lesquels il a eu : Les pompiers de Nanterre, le Sire de Fich-ton-kan, la Charrette, etc. C'est un saisisseur d'actualités, très intelligent, très adroit.

Sur la même scène que moi, triomphait la grande comique Demay, avec Mon p'tit Ernest, chanson qui célébrait, d'une autre manière, le héros du jour. Quelle diseuse que cette Demay ! avec sa voix sonore, prenante, qui portait au loin, son clignotement de l'œil soulignant des couplets gaulois, elle était impayable. Aucun ne l'a égalée dans ce genre. Elle aurait transformé une romance sentimentale en gaudriole, avec les intentions qu'elle prêtait à tout. Et bonne fille avec ça !

Maurel était aussi à l'Alcazar d'Été. Il cherchait sa voie et ne l'avait pas encore trouvée. Il devait bien avoir quelques succès dans la chansonnette (entr'autres avec J'ai perdu ma gigolette!) mais il était plus comédien que chanteur. Il l'a prouvé depuis. Il excelle à créer des types originaux; il les compose avec une rare perfection, une vérité sensationnelle. Depuis plusieurs années, les revuistes implorent son précieux concours : c'est un atout irrésistible dans leur jeu. Son front s'est couvert de lauriers et sa poche s'est emplie de numéraire. C'était mérité.

Et puis encore une compatriote, une Bordelaise qui a du picrate dans les veines. C'est Violette.

Elle procède de Bépoix et de Bécat, mais avec plus d'exubérance encore et surtout plus d'endurance. C'est un tempérament de cabri ! Toujours piaffant, toujours en ébullition.

Espiègle, jolie, maligne comme un singe, volontaire, elle a réussi et réussira encore mieux.

Fait ouvrir les oreilles et manœuvrer les lorgnettes ; la voix étant perçante et le mollet aguichant.

Elle a passé aussi à l'Eldorado où on l'appelait Mlle Vif Argent et y a récolté des applaudissements en chantant surtout ses duos : Philomène et Tata, avec Ducastel, et Paul et Virginie avec Gilbert. Ces deux fantaisies étaient d'Émile Baneux, un des bons paroliers de ce temps-là; l'auteur d'un certain nombre de chansons à succès et de monologues, entr'autres de l'Enragé que Coquelin Cadet et Vaunel ont popularisé.

L'hiver venu, je traitai pour quelques représentations à l'Éden-Concert.

La Presse (et particulièrement Francisque Sarcey) s'occupait fort de cet établissement. Mme Castellano, l'intelligente et très aimable directrice, venait d'y fonder les fameux Vendredis classiques, où elle avait mis toute son âme et sa constante sollicitude.

Son bras droit, c'était Villé ; Villé qui avait fait son petit bonhomme de chemin et était devenu l'excellent Premier d'une excellente troupe.

Il avait une bonne voix, une diction parfaite ; il était comédien, chercheur, consciencieux, persévérant.

Quand l'Éden-Concert dut fermer, exproprié par les Magasins de Pygmalion, Francisque Sarcey, qui était un fidèle admirateur des Vendredis classiques, écrivait ceci de Villé :

Que de chansons il a créées, ou plutôt recréées, à notre pauvre Eden ! Avec quel art exquis il y chantait :

C'est le ménétrier Thomas
Un peu rouillé par l'âge...

et la chanson du capitaine :

Je me suis-t-engagé
Pour l'amour d'une blonde...

et le vieux farceur :

Je t'ai fait souvent cornette,
Tu n'en as jamais rien su !

et surtout, cette merveilleuse chanson, ce chef-d'œuvre, la Lettre de faire part :

Rose, l'intention d' la présente
Est de t'informer d' ma santé
L'armée française est triomphante...
Et moi j'ai l' bras gauche emporté

Villé chantait tout cela, tantôt avec une finesse exquise, tantôt avec une sensibilité douce, toujours avec une mesure de bon ton.

Et plus tard l'oncle disait, en parlant de la représentation de retraite de Mlle Broizat, à la Comédie-Française, où Villé avait été chanter deux chansons qui furent acclamées :

 "Voilà dix ans que je me tue à répéter que Villé est un des premiers diseurs de ce temps-ci. Mais, quoi ! il chantait dans un café-concert où il n'est pas chic d'aller et que jamais le prince de Satan n'a honoré de sa visite. Il ne s'y rendait que les amateurs de la vieille chanson qui tous applaudissaient Villé et quand il avait débité les chansons portées au programme, lui en réclamaient d'autres, riant et battant des mains. Ces pleutres-là, pas plus que moi, ne font la renommée. Voilà un beau soir Villé qui se présente sur les planches de la Comédie-Française, devant une salle très brillante. Il dit la chanson du Père Thomas et c'est un étonnement universel. "Tiens ! mais il est plein de talent, ce Villé ! Il peut à cette heure dormir sur les deux oreilles ; toutes les maîtresses de salon se l'arracheront l'hiver prochain. Une soirée a plus fait pour lui que dix ans de travail consciencieux, suivi obscurément par de bons juges."

 Villé chante des duos comiques avec Mlle Dora qui, elle aussi, a fait du chemin et possède une charmante diction, aidée par une jolie voix facile. Les deux partenaires s'entendent si bien pour emballer le public qu'ils uniront à jamais leurs voix... et leurs destinées.

D'autres artistes de mérite se font encore applaudir à l'Éden-Concert.

Mlle Dattigny, charmante brunette à l'œil mutin qui possède une voix des plus agréables et dit juste; Mme Abadie, au comique original ; Mme Rivoire qui a du chien et l'originalité ; la petite Louise Richard, huit ans, qui a déjà passé à l'Eldorado, et continue ici à égayer le public; puis, côté des mentons rasés, Maréchal, un joli chanteur préludant à ses nombreux succès ; l'immense Chevalier (six pieds de haut !) continuateur de Ducastel, et Limat, excellent dans ses présentations de types cocasses, truqueur de première classe, régisseur modèle de tous les établissements où il a passé et où il passera ; un cœur d'or aimé de tous pour ses multiples qualités de bon artiste et de bon camarade; de plus, modeste comme une violette.

Mme Castellano vient d'ouvrir un concours de chansons qui a donné d'excellents résultats. Le jury, chargé de décerner les prix est ainsi composé : Gustave Nadaud, président d'honneur; Armand Silvestre, président; puis, par ordre alphabétique : Eugène Baillet (qui prêta son concours éclairé à l'œuvre des Vendredis classiques), Ernest Chebroux, Maxime Guy, Eugène Hachin, Eugène Imbert, G. Montorgueil, P. de Néha, René Ponsard, Octave Pradels, H. Ryon, E. Siébecker et Charles Vincent.

Au commencement de l'année 1887, je fais la connaissance de Raoul Pitau qui devait bientôt devenir mon intermédiaire dans tous mes engagements futurs et mon excellent ami.

Beau garçon et le sachant, jouant au Lovelace, c'était un Bordelais plein de joyeuse faconde et, comme la plupart de ses compatriotes - dont je suis - possédant un toupet remarquable, bien qu'il fût chauve comme un œuf d'autruche.

Il arrive de Nice où il se trouvait lors du terrible tremblement de terre, le mercredi des Cendres, 23 février 1887. Au milieu de cette catastrophe il lui est arrivé une aventure amusante.

La veille, il avait fait presque la conquête d'une aimable voyageuse logée au même hôtel que lui. Comme il plaçait des rhums et des vins pour une maison de Bordeaux, il lui avait, pour entrer en matière, offert avec insistance de lui en vendre. A six heures du matin, rentrant en même temps qu'elle des fêtes du Carnaval, il s'était montré si galant, si persuasif, que ses offres de services allaient être agréées, quand, tout-à-coup un craquement formidable disloque l'hôtel et le soulève. Tous les meubles, ainsi que nos deux amoureux, sont jetés à bas ! Le placier et l'acheteuse ne pensent plus, ça se conçoit, à continuer le débat de l'offre et de la demande. 

Tout Nice était bouleversé ! la panique était générale. Chacun fuyait sa maison, cherchant, sur les places publiques, dans les espaces découverts, un peu de sécurité. Cependant, une heure après, pendant une accalmie, Raoul Pitau et la voyageuse essayent de reprendre la conversation interrompue. Patatras ! une nouvelle secousse, plus violente encore, les sépare. C'était à croire que le tremblement de terre s'était institué le gardien des bonnes mœurs. Cette fois, ils s'enfuirent, chacun de leur côté, et l'idylle resta inachevée. Pitau se tordait en me racontant ça. 

Ce même soir du 23 février 1887, à Nice, devait avoir lieu un festival artistique au Concert du Palmier, pour le bénéfice de Mercadier, avec le concours des célèbres duettistes Bruet et Rivière, des frères Gémon, de Nicol, et autres. Vous pensez bien qu'il n'eut pas lieu. Tous les artistes, éperdus, fuyaient vers les gares, portant sur leurs épaules valises et malles, - car il n'était pas possible de trouver un homme de peine, un domestique, même à prix d'or. 


 Le 5 mars 1887, apparition du premier numéro de la Revue des Concerts que nous fondons, Delormel, Garnier et moi, pour riposter aux attaques incessantes dont nous sommes l'objet. Savoisy accepte d'être le directeur du journal. Grand émoi dans le monde des concerts; les abonnements affluent. On connaît mon caractère combatif et l'on s'attend à de rudes estocades. Je vais donc pouvoir tomber sur les directeurs qui m'ont embêté. Régnier-Kosmydor reçoit les premiers coups, puis c'est le tour de M. Allemand, mon directeur de la Scala et voici à quel propos :  

M. Allemand ayant payé les 3o.ooo francs à Régnier, à la condition que je chanterais pendant trois ans chez lui, j'étais en train d'exécuter cette convention, quand M. Plunkett, directeur de l'Éden-Théâtre, me proposa d'aller y chanter, à de très belles conditions. Il jouait alors un ballet, Messaline, qui succédait au célèbre Excelsior, mais qui ne donnait pas les mêmes résultats pécuniaires.

 Fort de mon traité avec Régnier, que continuait naturellement M. Allemand, je pouvais aller chanter dans cet établissement distant de 1.5oo mètres, j'acceptai donc; on fit de la bonne publicité sur mon nom, j'y parus et je remportai un grand succès avec mes chansons, notamment avec En revenant de la Revue, de plus en plus en vogue. Grâce à ma participation dans la recette, je touchais une moyenne de 8oo francs par soirée.

A la Scala, je passais de 9 heures et demie à 10 heures, et à 11 heures j'étais à l'Éden. Or, un soir, il était déjà 10 heures et mon tour ne venait pas ! Fort inquiet, je réclamai à Marcel, le régisseur, lui faisant comprendre que j'allais être en retard là-bas et que je ne le voulais à aucun prix. Il finit par avouer que c'était sur l'ordre de la Direction qu'il retardait mon entrée.

 Je compris tout à l'instant. Allemand était furieux de mes succès là-bas. Je pris vite une décision. Je me précipitai sur la scène et demandai à Herpin, le chef d'orchestre, d'attaquer mes morceaux. Il s'y refusa... avant aussi des ordres. Alors je m'adressai au public, lui contant mon cas, et la situation qui m'était faite par la Direction. Marcel, le régisseur, accourut plaider la cause de son patron, mais le public le conspua. Scandale ! charivari énorme ! dont je profitai pour m'esquiver. Un quart d'heure après, j'étais à l'Éden-Théâtre.

A la Scala ce fut un tumulte énorme ! La police dut intervenir. Mais Allemand ne me fit pas le procès dont il me menaçait, et bien lui en prit : il l'aurait perdu, je n'aurais pas réintégré son établissement, et il n'aurait pas encaissé tout l'argent que je devais encore lui gagner. 


Aux Ambassadeurs, cet été, j'ai été entendre une gracieuse brune qui chante fort bien les valses, polkas, marches, tous les morceaux à voix. Elle a nom Lévya. Et, à l'Horloge, j'ai applaudi avec chaleur la belle Debriège, grande vedette du moment. 

Albany Debriège, alternativement au concert et au théâtre, a remporté des succès partout et créé nombre de rôles, aux Variétés, aux Menus-Plaisirs, à Bruxelles. Aux Variétés, dans le Puits qui parle, elle fit sensation. Elle jouait le rôle de la Vérité dans le costume traditionnel de cette personne, lequel costume n'existant pas, ou presque pas, demande pour le revêtir une femme possédant toutes les qualités physiques que Phidias exigeait de ses modèles.

 Avec ça, du talent et un gentil caractère. 


Je vais de temps en temps à l' Éden-Concert aux vendredis classiques dont la vogue croît toujours. On refuse du monde ces soirs-là. 

Quelques nouvelles artistes dans cette excellente maison, depuis que j'y ai passé.

Le Carrousel Floquet

 Trois fort jolies diseuses, Diony, fine, distinguée, adroite, Armande Cassive et Pauline Brévannes qui, bientôt, se feront applaudir au théâtre et conquerront la vedette ; la désopilante comique Mariette Chevalier, la séduisante Tylda et deux chanteuses sérieuses, très goûtées, Peyrali et Carmen Cortez ; sans oublier Victorine Ben et Dupéry qui prêtent leur charme aux rôles qu'on leur confie dans les pièces.

 Régiane, qui procède de Perrin, lance ses chansons à parlé avec une fougue, une volubilité qui enlèvent la salle, et la voix sonore d'Albin, un superbe baryton, fait merveille.

 L'orchestre est excellemment dirigé par Paul Blétry. 


Les artistes des cafés-concerts ont toujours eu des lieux de rendez-vous, des cafés, où, à certaines heures, ils se réunissent pour causer, jouer, potiner, congratuler les camarades présents et bêcher les absents.

 A la Chartreuse, se réunissent les artistes de deuxième ordre, les trop jeunes ou les trop vieux, les artistes au cachet et les directeurs d'occasion. En somme, clientèle très honnête, travailleuse et surtout cancanière. Le propriétaire, Bienfait, - un charmant garçon, très avenant, artiste à ses moments perdus - a brillé sur nos premières scènes et fait partie de la troupe de l'Odéon et du Châtelet.

 Près de l'Eldorado est sis le café Raffestin, café fondé vers 1879 par un nommé Poulain. Dès son ouverture, il devint le rendez-vous de la gent artistique. Poulain ayant vendu son fond à un être grincheux - qui n'aimait pas les cabots, - ce peu parlementaire marchand d'eau chaude se vit obligé de mettre la clé sous la porte après un an d'exploitation. Deux ou trois successeurs essayèrent de ramener chez eux la clientèle des artistes, ce fut peine perdue, et pendant trois années, ce café n'effectuait qu'ouvertures, fermetures, changements de propriétaires et faillites. 

Les artistes s'étaient portés chez les frères Léonce, au café de la Scala, mais comme Poulain, Léonce vendit sa maison à un homme antipathique aux artistes ; ceux-ci retraversèrent le boulevard et retournèrent à l'ex-café Poulain, que Raffestin venait d'acquérir. 

Raffestin est un charmant homme très serviable, dit-on. Son café n'est pas très bon, mais ses dîners sont excellents. Son établissement est le quartier général des artistes, auteurs, compositeurs, hommes de lettres. Jules Jouy et Gerny y viennent faire leur manille, Gabillaud ses parodies, Bonnaire ses amusants jeux de mots, Amédée de Jallais [Voir à Eudoxie Laurent] et Numès de l'esprit, Paul Henrion conter ses souvenirs, A. Petit compter ses

succès. M. Mermeix y vient quelquefois; L. Lebourg et G. Acker, Fabrègues et Garnier le ténor, Dermès, Sulbac, Plébins, Bourgès, Libert, Courtès, du Vaudeville, Clovis, Réval, Pichat, Doria, y viennent souvent. Lemonnier et Blondelet s'y font rares. On y voit la charmante Paula Brébion, la jolie Violette, la sémillante Dowe. Mais, depuis quelques jours, ce café devient un peu chartreuse et déjà quelques clients commencent à le déserter pour aller chez l'ami Pégnat, qui vient d'ouvrir la Brasserie Gauloise, et qui a su, dès son ouverture, attirer chez lui le dessus du panier artistique, aussi rencontre-t-on chez lui Paulus, Gaillard, le beau Lachanaud, le bouillant Achille Secondigné et toute une ribambelle de joyeux drilles. 

En revenant sur nos pas, entre le Café Français et la porte Saint-Martin, se trouve le Café Louis XIV. Ce sont les artistes du théâtre qui l'alimentent, on y rencontre quelques acteurs en renom, mais la majorité des clients sont des artistes de province, en quête d'engagement ; c'est dans ce café que l'on rencontre les légendaires Mastuvu, ces stoïques déshérités du talent, ces gascons de la rampe, qui :

Plus délabrés que Job, et plus fiers que Bragance
Drapent leur gueuserie avec leur arrogance.

- M'as-tu vu à Pézenas, quand je jouais Lazare, on relevait six fois le rideau ?

 - M'as-tu vu à Béziers, le soir que j'ai doublé Faure, moi, artiste de comédie ?

 Braves gens au fond, ces pas-de-veine, il faut les voir pérorer l'été sur la terrasse, attablés devant une absinthe qu'ils font durer trois heures, il faut les entendre nous débiner.

 Ils nous appellent les sans talents. Nous les appelons les purées.

 

 

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