Vincent Scotto
(Les mémoires de Vincent Scotto) © S.T.A.E.L. 5, rue Causette, Toulouse 1947 _____________________________
Chapitre XXI
Hier, à minuit, près d'une bouche de métro, j'ai retrouvé Maud Loty, la cigale imprudente
Hier soir, il était minuit. Je revenais du théâtre, et comme tous les gens bien, je sortais de la bouche du métro Strasbourg-Saint-Denis. Je vis s'approcher de moi une petite silhouette mince aux joues outrancièrement fardées. Une frange de cheveux noirs couvrait son front au-dessous duquel brillaient deux yeux pétillants et vifs. En guise de nez, une virgule au milieu du visage.
- Eh ! bonjour toi, comment ça va
Dans un manteau un peu étriqué, je reconnue Maud Loty.
- Je vais très bien, merci. Et toi, que fais-tu ?
- Je suis à Montmartre, je chante dans un cabaret, viens me voir.
Comme elle était avec une amie, aussi grande qu'elle est petite, elle lui dit :
- Je te présente monsieur !
Présentation aussi brève qu'originale. Et aussitôt elle disparut.
Je restais là tout ébaubi, sur l'escalier du métro, n'ayant pas encore réalisé.
Une cigale.
Maud Loty ! Tout un passé de Paris, du Paris de la belle époque défile devant mes yeux. Maud Loty intéressa, intrigua et surtout amusa le Tout-Paris pendant des années. Et je me souviens des jours où, petite cigale imprudente et irréfléchie, elle commandait, sans avoir un sou pour les payer, des quantités de robes d'un prix fou. Toujours vêtue de façon originale et excentrique, elle faisait s retourner les gens sur son passage.
Les dettes et elle étaient inséparables. Quand elle bouchait un petit trou, c'était pour en ouvrir un grand.
Sa voix comme ses robes était excentrique; ainsi, elle parlait sur un ton de petite fille et je me demande comment ce petit bout de femme arrivait à faire tant de dettes et à devoir, dans certains bars, jusqu'à trois mille francs de champagne, ce qui, à cette époquelà, était énorme, la bouteille de champagne ne coûtant que vingt francs.
Ce qui ne l'empêchait pas, d'ailleurs, d'avoir toujours le sourire. Mais si, par hasard, elle était en colère, ses pires insultes étaient des noms de légumes.
- Va donc, hé ! carotte, poireau, tomate, vieil artichaut !
Un jour, comme elle venait de signer un contrat avec Quinson et Mirande, au Palais-Royal, un contrat qui n'avait rien de mirifique - car Maud Loty, à cette époque, n'était pas encore très connue - elle dit en se levant :
- Et maintenant, lequel de vous deux dois-je embrasser ? Lequel des deux va m'entretenir ? Car vous pensez bien que ce n'est pas avec ce contrat de purée que je vais vivre ?
Maud Loty était-elle une grande artiste ? Quand on la voyait jouer, on se disait : elle a l'air d'un amateur ou d'un génie.
Maud Loty jouait. Elle ! C’était une personnalité, et beaucoup d'artistes ont essayé de l'imiter, de refaire, en minaudant, sa voix au timbre aigu de jeune fille, ne réussissant qu'une pauvre contrefaçon.
Le coup de la couturière.
Mirande m'a raconté de sa voix grasseyante
- Imagine-toi qu'un soir, après la représentation, je m'en étais allé souper chez elle. Au dessert, sa bonne entre soudain. Elle paraissait affolée.
- Madame, la couturière est là. Elle ne veut pas partir, elle menace de tout casser si je ne lui paie pas sa facture. J'ai eu beau insister, dire que vous n'aviez pas d'argent, il lui faut cinq mille francs tout de suite.
Alors, Maud Loty :
- Vieille tomate, haricot pas cuit, tu ne vois donc pas que monsieur est un auteur, ce n'est pas un millionnaire !
C'était un bon truc ; chaque fois qu'elle invitait un riche admirateur, elle lui faisait le coup de la couturière.
Le mot qu'elle n'a pas dit.
Bonne, d'ailleurs. Quand elle avait un peu d'argent, le premier qui se trouvait à côté d'elle en profitait.
Un certain soir, je la trouvai en rage. Elle me raconta que, comme elle revenait de Deauville en automobile avec des amis, un gendarme les avait arrêtés sur la route pour leur demander leurs papiers. Naturellement, Maud Loty n'avait pas de papiers ; elle tenta d'expliquer
- Je suis Maud Loty, on m'attend aux Variétés.
Mais le gendarme est sans pitié.
- Je vous dis que je suis Maud Loty, des Variétés.
Mais quand un gendarme veut des papiers, il faut les lui donner.
Alors Maud Loty, en colère
- Monsieur, vous êtes un c...
Le lendemain, les journalistes avaient traduit cette phrase par le simple mot de Cambronne. Cela faisait mieux, évidemment !
Et c'est ainsi que tous les chansonniers chansonnèrent Maud Loty pendant des années pour le mot que vous pensez et qu'elle n'avait pas dit !
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