Vincent Scotto
(Les mémoires de Vincent Scotto) © S.T.A.E.L. 5, rue Causette, Toulouse 1947 _____________________________
Chapitre XXVI
"Avec ton sourire illuminé, Maurice, tu m'intimides"
Je ne raconterai pas d'anecdotes, ni d'histoires sur ta vie. Le monde entier les connaît et toi-même, dans un livre remarquable, tu viens de publier tes mémoires.
Tout le monde a dit que tu es né à Belleville ou à Ménilmontant, je ne sais plus...
Tout le monde a dit que tu avais débuté à Montmartre. Qu'importe !...
Pour moi, tu es le plus Parisien des artistes, et depuis de nombreuses années, je t'ai toujours considéré comme une vedette. Même à tes débuts, lorsque tu chantais dans de tout petits établissements. J'ai toujours été étonné par ta façon, ton rythme et ton métier.
À chacune de tes chansons, j'ai un frisson nouveau. Tu sais conquérir les spectateurs qui sont émerveillés par ta voix, tes gestes, ton sourire. On dirait toujours que tu t'amuses avec eux sur scène.
Tu sais mieux que quiconque donner leur sens aux mots.
Quand on lit une de tes chansons, on ne la trouve pas toujours très épatante, quand on l'entend chanter par toi, elle est formidable.
Tu as une façon de nous prendre : à chaque phrase, à chaque mot, on est ébloui.
Tu es, en tant qu'artiste, une des plus belles impressions de ma vie. Moi qui suis blasé, qui ai entendu tant de chanteurs et donné des leçons à tant de nos grandes vedettes, tu m'intimides presque.
Lorsque tu sors de scène, je n'ose pas te parler.
Vu de loin, sur la scène, un artiste ordinaire semble comme un nain, j'allais écrire comme une allumette, étant Marseillais. Toi, tu rapetisses les salles ; même de loin, on a l'impression d'être sur toi. Tu es grand. Est-ce ta façon de dire, tes gestes, ton bon sourire, ton air illuminé.
Je me souviens de ton retour d'Amérique, tu étais auréolé de tes succès de films. Sur la première page d'un grand quotidien, j'avais lu : "Heureux le paquebot qui porte dans son sein Maurice Chevalier", et j'en avais éprouvé une grande joie. Tu revenais comme l'enfant prodigue près de ta Louque (comme tu appelais ta maman).
Tous les directeurs de théâtre voulaient t'avoir : Willemetz, aux Bouffes-Parisiens ; Lehmann, au Châtelet ; Varna, au Casino de Paris ; Derval, aux Folies-Bergère. Mistinguett voulait te prendre à nouveau comme partenaire. Volterra t'avait chambré toute la nuit au Lido pour te faire signer un contrat.
Souviens-toi, tu vins à la première heure, chez moi, tu sortais du Lido, très embarrassé, ne sachant quelle décision prendre. Je te conseillai alors de retourner à la rue de Clichy, que tu avais quittée pour l'Amérique... Ainsi ton absence n'aurait été qu'un entr'acte.
Varna me remercia de t'avoir conseillé sa maison pour ton retour.
Quand on sort du music-hall et que l'on vient d'entendre une vedette, on dit : "Il ou Elle est très bien, c'est un grand artiste."
De toi, Maurice, ce n'est plus pareil. Tu dégages un tel charme ! C'est notre cœur qui sourit en te regardant; et après ton tour de chant, lorsque, fatigué du grand effort que tu as fait pour nous amuser, tu te reposes, nous, nous ne te quittons pas; nous restons par la pensée longtemps avec toi. Nous te voyons encore évoluer devant nous.
Nous attendons tes mots, tes phrases, les musiques que tu rythmes si bien. Nous retrouvons tes musiques, tes gestes, tes danses.
Tu as, par ton interprétation, rendu populaires mes simples chansons : "Prosper", "La Symphonie des Semelles de bois", et tant d'autres auxquelles tu as donné de la classe.
Grâce à toi, toutes ces chansons, dans quelques années, feront partie du folklore d'une époque qui est la tienne.
Maurice, je t'embrasse.
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